Monica Martinat, 773 vies. Itinéraires de convertis au xviie siècle
Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2018, 243 pages
Didier BOISSON
Dans cet ouvrage, Monique Martinat s’intéresse aux itinéraires de 773 hommes et femmes qui ont abjuré à Lyon la confession protestante dans la deuxième moitié du xviie siècle en s’adressant à la compagnie de la Propagation de la foi. Outre les registres conservés de la Compagnie, l’auteure a reconstitué l’ensemble de la population lyonnaise protestante à partir principalement des registres d’état civil de l’Église réformée et d’archives notariales. Spécialiste d’histoire économique et sociale, Monica Martinat souhaite démontrer à partir de son objet de recherche, d’une part que « le monde moderne est un monde mobile » (p. 13), d’autre part qu’il faut davantage prendre en compte « le poids des contextes tant institutionnels que personnels, familiaux et sociaux de la conversion », contestant l’approche d’études « cherchant à séparer autant que possible les motivations du converti qui relèvent des raisons intimes et spirituelles de celles qui sont d’une nature plus matérielle » (p. 14), ou les travaux abordant la question de la conversion religieuse dans une histoire des affrontements confessionnels. Insistant sur le fait que la conversion correspond à une période crise dans la vie des abjurants concernées, Monica Martinat distingue deux profils majeurs de convertis protestants lyonnais : celui de personnes non originaires de Lyon et installées dans la ville, peu liées à l’Église réformée de la ville, et celui de réformés originaires de Lyon, au contraire très liés à l’Église. On peut être un peu dubitatif sur cette introduction. Tout d’abord, nombre de travaux sur la conversion, que cette dernière soit entre chrétiens ou non, et ce quelle que soit la discipline des sciences humaines du chercheur, ont fortement insisté sur les liens entre conversion et mobilité migratoire ou mobilité sociale, entre conversion et institutions, entre conversion et « crise », ce terme pouvant probablement être pris dans un sens plus large que celui de l’auteure, ou sur des itinéraires individuels et collectifs de convertis. D’autre part, est-il possible d’étudier la conversion en négligeant tant le contexte d’affrontements confessionnels que les motivations religieuses ? Enfin, quel est l’intérêt de dénigrer « une partie significative des études consacrées aux conversions religieuses intrachrétiennes » (pour lesquelles « l’opération s’est avérée peu significative », mais on ne sait pas pourquoi), ou plus explicitement les travaux d’Odile Martin, comme si à la fin de cet ouvrage les lecteurs allaient enfin comprendre une fois pour toute les ressorts de la conversion, ou encore des critiques allusives comme « les historiens n’ont pas toujours été prêts à entendre » les conclusions d’articles de Myriam Yardeni (p. 73) ? Pourquoi ne pas considérer simplement que par différentes approches, historiens et autres chercheurs pourraient apporter des éclairages différents et complémentaires ? Ce parti pris de l’auteure est bien dommageable car il occulte l’apport scientifique de cette recherche.
Le premier chapitre est une présentation du cadre de l’étude. L’auteure insiste fort justement sur la mobilité de la population et les liens étroits que la ville peut entretenir en particulier avec Genève. Plusieurs remarques peuvent être faites sur ce chapitre. D’une part, tout en opposant une historiographie des relations confessionnelles fondées soit sur le conflit, soit sur la « coexistence rapprochée », l’auteure se détourne de ces deux approches et compare la situation lyonnaise à celle rencontrée par Christine Kooi aux Provinces-Unies où il n’existe cependant pas un tel déséquilibre entre les deux confessions ; les travaux de Bernard Forclaz sur la ville d’Utrecht ont clairement montré les différences qui pouvaient exister entre villes des deux pays. D’autre part, s’il est clairement établi que les frontières confessionnelles sont poreuses, nombre de travaux ont mis en évidence que les différentes appartenances pouvaient influencer l’identité religieuse. Le deuxième chapitre permet de dresser un « portrait de groupe » à partir des registres d’abjuration de la compagnie de la Propagation de la foi lyonnaise, soit 435 femmes et 338 hommes. Plusieurs caractéristiques se dégagent : des convertis majoritairement jeunes (53 % de ceux dont l’âge est connu ont moins de 25 ans), une forte composante d’étrangers, dont beaucoup – sans surprise – de Genevois et de Suisses, relativement peu de Lyonnais parmi les convertis français, mais des abjurants originaires de provinces proches de Lyon (pays de Gex, Dauphiné et Vivarais principalement). Peu de conclusions peuvent être tirées d’un certain nombre de données en raison de sources peu précises : cela concerne par exemple l’état civil, même si les célibataires sont nombreux ce qui n’est pas étonnant en raison de l’âge moyen des convertis, la solitude apparaît « un élément incontestable de faiblesse » ; ou les professions avec « une population qui se situe plutôt vers le bas de la pyramide sociale ». Tel est le portrait de ces convertis qui abjurent devant cette institution. Mais pourquoi se tournent-ils vers la Compagnie ? Ce portrait peut-il être modifié par des conversions dans les paroisses ou les couvents de Lyon ? Certaines autres questions que l’on peut se poser en lisant ce chapitre comme la chronologie des conversions ou le lien entre conversion et législation royale sont abordées partiellement dans le chapitre 8.
Le chapitre 4 est consacré aux étrangers qui abjurent à Lyon ce qui permet de faire un lien entre installation à Lyon et changement de confession. Comme l’écrit l’auteure, « l’attention des confrères et des consœurs de la Compagnie est davantage orientée vers leur [les convertis] avenir que leur passé » (p. 44), alors que dans les Églises réformées, le passé peut être un élément pris en compte dans le fait d’accepter ou non une conversion. Monica Martinat lie migration, conversion, insertion dans une nouvelle ville, pression des institutions religieuses genevoises et crise économique dans cette même ville. Mais peut-on faire un lien avec la crise économique que connaît également la France et étudiée par exemple par W. Scoville en 1960 ? Il est également troublant de constater que c’est entre 1681 et 1687 que le tiers des Genevois abjure à Lyon, peut-être aussi en lien avec la pression législative et les violences à l’encontre des réformés. Ne faudrait-il pas également connaître plus précisément les flux migratoires entre Genève et Lyon au cours de ces années pour mesurer l’influence de la crise économique genevoise ? Le chapitre suivant aborde la question de la conversion des Lyonnais dans des pages particulièrement intéressantes, prenant en compte la complexité de la conversion, peut-être parce que les sources le permettent davantage que pour d’autres aspects de cette recherche.
Les chapitres 5, 6 et 7 nous plongent dans la communauté réformée lyonnaise. L’auteure nous livre trois études éclairantes sur les familles protestantes et le fonctionnement de l’Église réformée. Elle fait tout d’abord la distinction entre « deux réalités – juridique et communautaire – du groupe protestant lyonnais », observant ainsi l’exclusion de certains membres : « la participation à la collectivité communautaire est à géométrie variable : on l’adapte aux besoins et aux circonstances, on l’actualise en fonction de situations conjoncturelles générales ou personnelles spécifiques, on la met en sourdine dans le déroulement normal de la vie quotidienne » (p. 132). Cette analyse permet ensuite d’étudier un conflit interne à la communauté ayant pour objet la vocation d’un pasteur et montrant ainsi « les compositions et les recompositions des factions internes ». Enfin, les solidarités sont abordées à travers l’assistance organisée par le consistoire. Dans le chapitre 8, « L’approche du danger », Monica Martinat fonde sa réflexion sur l’ouvrage de Janine Garrisson, L’édit de Nantes et sa révocation. Or, « le brusque virage de la politique royale les [protestants] concernant » ou l’« attitude d’obéissance doctrinale vis-à-vis de la monarchie » par exemple ne semblent pas refléter l’historiographie sur le sujet. Les différentes analyses faites dans ce chapitre ne sont pas étonnantes et correspondent, sans surprise, aux nombreuses études qui ont déjà été faites sur ce dossier. Le microcosme lyonnais ne se différencie pas des autres communautés réformées, même si l’auteure ne mentionne aucune étude de comparaison.
Le chapitre 9 est consacré à une réflexion historiographique qui permet à l’auteure de conclure, sans nuance, dans une suite logique de l’introduction et des différents chapitres que « les études les plus profitables à l’interprétation des choix de ces individus sont celles qui considèrent les conversions avant tout comme les passages d’une appartenance confessionnelle à une autre, sans trop se soucier de leurs aspects religieux ou spirituels, puis comme des moyens d’insertion, voire d’intégration, dans un ensemble social plus vaste » (p. 208). Ainsi, l’auteur de ce compte rendu n’est pas resté indifférent à la lecture de cet ouvrage, très intéressé par certains chapitres, très irrité par d’autres et par un parti pris certain de l’auteure.