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Margreet DIELEMAN, Le baptême dans les Églises réformées de France (vers 1555-1685) : un enjeu confessionnel. L’exemple des provinces synodales de l’Ouest

Thèse d’histoire moderne, Université d’Angers, 2018, 3 vol., 982 p., incl. annexes, cartes, figures, tableaux et illustrations

Margreet DIELEMAN

La soutenance a eu lieu le 17 novembre 2018 à l’université d’Angers, devant un jury composé de Didier Boisson (Université d’Angers, directeur de thèse), Céline Borello (Le Mans Université), Isabelle Brian (Université de Lorraine, rapporteur) Marianne Carbonnier-Burkard (Institut protestant de théologie, Paris), Vincent Gourdon (CNRS-Centre Roland Mousnier, Paris), Yves Krumenacker (Université de Jean Moulin-Lyon 3, rapporteur) et Michel Nassiet (Université d’Angers, président)

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Le baptême est l’un des deux sacrements des Églises réformées retenus sur le critère de leur fondement dans les Évangiles, cet ancrage étant absent pour les cinq autres sacrements de l’Église catholique. Malgré leurs doctrines, qui les opposent sur de nombreux sujets parmi lesquels figure le baptême, l’Église catholique et les Églises réformées reconnaissent, quoique dans des termes différents, la validité du baptême reçu dans l’autre confession. Cette apparente contradiction est le point de départ de notre recherche, qui vise à vérifier la réalité de cette « reconnaissance mutuelle1 » et à établir l’apport du sacrement du baptême à une identité confessionnelle réformée.

L’intérêt d’une thèse sur le baptême réside dans un double constat concernant son historiographie : d’une part, l’absence pour la France d’une approche globale du baptême réformé sur un temps relativement long ; d’autre part, l’éclatement du baptême comme objet d’étude, avec de nombreuses études locales et régionales traitant d’une manière ou d’une autre du baptême à travers par exemple le parrainage, le choix des noms, la règlementation royale, l’action des intendants…

L’objectif était d’écrire cette histoire globale manquante, en complétant la connaissance de différentes facettes du baptême par de données nouvelles, en les situant dans un contexte spatial et/ou temporel plus large. Le fil conducteur est la question de l’identité, que l’on peut entendre comme l’ensemble des éléments qui constituent le ciment d’une communauté et donnent une conscience de se distinguer d’autres en dehors du groupe. Ils comprennent le regard sur soi, le regard sur les autres, le regard des autres sur soi. Les deux principaux axes d’approche, partant de la base doctrinale réformée, sont la controverse entre catholiques et réformés et le rituel du baptême réformé dans le contexte du royaume catholique.

Initialement, il était prévu d’étudier le baptême sur une période allant de 1559, année du premier synode national des Églises réformées de France, à 1792, année de la mise en place d’un état civil pour les non-catholiques, voire l’année 1802, quand le culte réformé est de nouveau autorisé. Il est assez vite devenu évident que cette période était trop longue pour bien l’étudier. Ne souhaitant réduire ni l’espace géographique, ni l’étendue des facettes du baptême, il fallait donc l’ajuster, ce qui a conduit à privilégier la première moitié de la chronologie initialement envisagée ; du reste, l’étude réalisée pourra servir de base pour une suite concernant le xviiie siècle.

La borne chronologique inférieure revue, l’année 1555, renvoie au premier baptême à Paris, d’un enfant d’un couple originaire du Maine, administré par l’Angevin Jean Le Maçon. Cet événement pose le fondement des Églises réformées et le baptême en France. Cette année-là voit aussi l’organisation de plusieurs Églises, entre autres dans l’ouest du royaume. À l’autre bout de la chronologie, l’année 1685 signe la fin (provisoire) du baptême réformé, par l’article 8 de l’édit de Révocation d’après lequel tous les enfants de parents réformés doivent « dorénavant être baptisés par les curés des paroisses ». Toutefois, plutôt que les marqueurs d’un changement brutal du jour au lendemain, ces deux bornes sont des curseurs sur une longue échelle allant de l’émergence du baptême réformé en France jusqu’à son déclin, puis à son interdiction.

L’espace géographique privilégié de la recherche est défini par les cinq provinces synodales des Églises réformées de l’ouest de la France, comprenant la Normandie, la Bretagne, l’Anjou-Touraine-Maine, le Poitou et la Saintonge-Aunis-Angoumois. Ce choix est motivé par les différences entre ces provinces, par exemple quant à la densité des Églises sur leur territoire, leurs populations, rurales ou urbaines, et par leur inégalité quant à la persistance du culte réformé au xviiie siècle, période initialement incluse dans le projet. Par ailleurs, le choix d’une étendue géographique « supra-provinciale » n’avait jamais encore été fait. Sur ce territoire se trouve l’Académie protestante de Saumur, centre de formation de pasteurs de rayonnement international et connue pour ses débats théologiques. Pour ces cinq provinces, l’ensemble des délibérations des consistoires et des actes de colloques et de synodes, pour autant qu’ils ont été conservés, ont été consultés, et c’est pour cet espace qu’ont été défini les échantillons de registres de baptêmes à dépouiller. Par ailleurs, cet échelon intermédiaire provincial s’avère pertinent puisque, contrairement au synode national, les synodes provinciaux se réunissent tous les ans, et peuvent adopter des règles provisoires en attendant que le synode national s’exprime sur le sujet. Cette faculté est d’autant plus importante qu’à partir de début 1660 le synode national n’est plus autorisé à se réunir et que les contacts institutionnels entre provinces sont interdits. Des comparaisons spatiales et temporelles devraient permettre de constater des changements ou des différences dans les règles établies et/ou dans la pratique du baptême.

Bien que l’étude se concentre sur ces cinq provinces et leurs Églises, le système consistorial-synodal nécessite de prendre également en compte l’échelon national où l’on décide de la doctrine et de la discipline ecclésiastique, sans oublier l’Église de Paris, Église de la principale ville du royaume, géographiquement proche du pouvoir. De ce fait, elle bénéficie d’une attention particulière, par exemple des controversistes catholiques.

Pour étudier les différentes facettes du baptême, il fallait s’intéresser à des sources multiples. Manuscrites, imprimées ou éditées, celles-ci comprennent les sources institutionnelles issues de tous les échelons des Églises réformées de France, comme des délibérations des consistoires, actes synodaux, catéchismes, sermons… ainsi que l’iconographie, en passant par des ouvrages de controverse religieuse (rédigés en français), ego-documents et la réglementation royale. Les principaux lieux de conservation sont les Archives nationales (série TT, microfilm et papier, pour les consistoires, et la série E avec les arrêts du conseil d’État), la Bibliothèque pour le protestantisme français (BPF) pour de nombreuses sources institutionnelles réformées et des ouvrages imprimés, tandis que la Bibliothèque Mazarine conserve une collection importante d’ouvrages de controverse. À ce corpus s’ajoutent les archives départementales (registres de baptêmes en ligne) et municipales ainsi que d’autres bibliothèques en France et à l’étranger.

La plupart des sources ont fait l’objet d’une étude qualitative. Cependant, une analyse quantitative s’est imposée pour traiter les éléments obtenus grâce au dépouillement des actes de baptêmes compris dans des échantillons définis pour quatre périodes entre 1560 et 1684, à raison d’une Église par province afin de ne pas multiplier les déjà nombreux dépouillements. Mais ce choix peut avoir des conséquences pour la représentativité des résultats pour l’ensemble d’une province. D’importantes lacunes dans les sources issues des Églises réformées expliquent la difficulté de mettre en place des comparaisons ou de faire le lien entre débats à différents échelons du système consistorial-synodal. De même, il a été rarement possible de vérifier un cas de baptême « à la papauté » traité en consistoire dans le registre catholique du lieu correspondant à la période.

La thèse est organisée en deux parties, avec des chapitres thématiques. La première s’intéresse aux différents lieux et aux manières de définir le baptême réformé : les baptêmes lors des « temps troubles » de 1555 à 1572, le baptême dans les textes réformés, la controverse avec les catholiques, les débats internes aux réformés et l’enseignement du baptême. La seconde partie concerne le baptême en pratique : l’enregistrement des baptêmes, le rituel, le parrainage et les prénoms, et les entraves faites au baptême dans les années 1672-1685. Cette distinction entre normes et pratiques n’est pas aussi stricte que le suggère la dichotomie des chapitres : comme cela est habituel pour une réglementation, la Discipline ecclésiastique évolue en fonction des questions du terrain (Églises locales et provinces) débattues en synode national.

L’originalité de la thèse tient au regard différent porté sur certaines sources, comme les registres de baptêmes, en tenant compte de leur vocabulaire, tandis que la confrontation de sources de divers fonds et citées dans des études variées permet de situer des événements liés au baptême dans leur contexte. En voici quelques exemples.

Au chapitre premier, cette confrontation de sources a permis de constater que le baptême à Genève évoqué par le sieur de La Ferrière, dans l’Histoire ecclésiastique, n’était pas une option hypothétique mais une réalité pour un nombre inconnu de (futurs) parents français qui ont fui, comme lui et sa famille, la persécution dans les années 1555-1558.

Un croisement de sources montre que la controverse entre l’ancien réformé Michel Mercier et les ministres de Paris, sur la mort d’un enfant au cours d’un prêche avant de recevoir le baptême, a contribué à engager des débats synodaux souvent vifs entre réformés au sujet de la nécessité absolue du baptême entre 1609 et 1631 (chap. 4). C’est un exemple de l’apport de la controverse à l’examen de conscience, signalé par Bernard Dompnier. Se posent ici des questions doctrinales et pastorales, avec notamment celle-ci : est-il préférable de laisser mourir un enfant sans baptême que de transgresser la Discipline ? On retrouve également cette question, sous une forme différente, dans l’accusation que les réformés « laissent mourir leurs enfants sans baptême », qui apparaît comme un fil rouge dans les rapports opposant les Églises réformées au clergé et au pouvoir royal. En 1675, une Lettre de Pierre Jurieu ravive les débats dans les provinces : selon lui il faut baptiser « en tout temps et en tous lieux » les enfants en danger de mort. Ce débat se déplace avec ses protagonistes aux Provinces-Unies, pays du Refuge, où il réapparaît dans les années 1690.

Enfin, une autre confrontation de sources éclaire l’exécution dans les généralités de l’arrêt du 16 juin 1685 sur les ministres nommés pour uniquement baptiser, dans des lieux où le culte réformé est interdit (chap. 9). Elle montre la diversité des réactions des ministres nommés, et on découvre le rôle « exemplaire » de Lamoignon de Basville, l’intendant du Poitou, quand le roi propose le dispositif imaginé par cet intendant comme modèle à suivre : six ministres nommés sont censés desservir deux ou trois lieux à des jours et horaires fixes selon un calendrier préétabli. Un siècle plus tard, les pièces d’archives concernant ce dispositif des ministres qui baptisent dans les hôtels de ville ou de sénéchaussée seront consultées pour servir aux débats qui conduisent à l’édit de 1787 sur les non-catholiques.

Contrairement aux sujets précédents, les sources éclairant le rituel du baptême et les comportements des fidèles s’avèrent assez décevantes. La célébration du baptême, défini par Bernard Reymond comme un ensemble de paroles, de gestes, d’attitudes et de déplacements, est presque exclusivement connue par les seules paroles contenues dans le Formulaire du baptême. En contraste avec le rituel romain, le formulaire reste muet sur les autres éléments, comme sur d’éventuels objets impliqués. Pour les connaître, il fallait recourir aux rares récits de baptêmes réformés par des observateurs catholiques, ce qui pose la question de leur fiabilité. Et dans les délibérations des consistoires, l’organisation du baptême, contrairement à celle de la cène, n’apparaît guère. On note plutôt les transgressions des frontières confessionnelles, les difficultés autour du choix des parrains et marraines qui ne répondent pas aux critères définis dans la Discipline. Mêmes les ego-documents comme journaux et correspondances déçoivent : les mentions du baptême sont globalement lapidaires, incluant juste les noms des parrain et marraine, mais sans précisions sur la cérémonie, des repas, d’éventuels cadeaux, les vêtements… En élargissant et en approfondissant ces sources, arrivera-t-on à combler ces lacunes ? Le risque des connaissances éparses est de relier ensemble des pratiques de différents lieux et de différentes périodes pour en construire une image globale dont on ignore si elle représente une réalité.

Associé au baptême réformé malgré l’absence de tout fondement biblique, le parrainage est considéré comme un moyen utile d’entretenir les liens dans la communauté. Les résultats des dépouillements des actes complètent les connaissances plutôt lacunaires pour le protestantisme français par rapport au parrainage catholique, en particulier quant aux modèles2 (parrain seul, parrain et marraine, père dans le rôle de parrain) et aux possibles liens de parenté.

Bien que l’étude soit concentrée sur le baptême des petits enfants, l’adoption d’un formulaire pour le baptême de païens, de juifs, de musulmans et d’anabaptistes par le synode national de Charenton (1644) incite à explorer cette autre forme de baptême (chap. 7). Le formulaire comprend des questions communes, alternées de questions spécifiques pour chacune de ces catégories, selon leurs croyances, et qui nécessitent alors des abjurations et confessions en conséquence. Toutefois, l’adoption tardive d’un tel formulaire étonne, étant donné que les premières interrogations concernant le baptême de « nègres » remontent au moins à l’année 1561. Malheureusement, ni les actes du synode national, ni ceux des synodes provinciaux de l’Ouest n’éclairent la décision de 1644.

Pour résumer, au xviie siècle, les tensions entre les deux confessions chrétiennes se cristallisent autour de la doctrine catholique de la nécessité absolue du baptême pour le salut des enfants, révélant en parallèle des divisions internes aux réformés. Ces derniers recherchent « leur » baptême, entre respect de la Discipline ecclésiastique et crainte de susciter un scandale en cas de mort d’un enfant non-baptisé, tout en évitant un semblant d’adhésion à la doctrine catholique. Les tensions ne sont pas seulement intellectuelles : les mesures du pouvoir royal pour limiter l’accès au baptême réformé sont comme une controverse sur le terrain. On peut penser, par exemple, exclure certaines catégories d’enfants et de personnes, interdire aux sages-femmes réformées d’exercer leur métier – ouvrant la voie aux sages-femmes catholiques qui doivent ondoyer les enfants en danger –, fermetures de temples entraînant un rallongement des trajets. Le baptême réformé apparaît ainsi comme un enjeu confessionnel dans un royaume catholique, même au-delà la Révocation : quand Arnoul, l’intendant de l’Aunis, constate en novembre 1685 que certains réformés refusent de porter leur enfant au curé pour le faire baptiser en l’Église catholique, cela conduit le pouvoir royal à apporter des précisions à la règlementation en vigueur. Le but étant de ramener tous à la foi catholique, c’est-à-dire la foi du roi.

La publication de la thèse est en projet.

Margreet Dieleman

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1. Thierry Wanegffelen, « La reconnaissance mutuelle du baptême entre confessions catholique et réformée au xvie siècle », Études théologiques et religieuses 62 (1994), p. 185-201.

2. Une étude plus approfondie du parrainage genré dans des Églises réformées est en cours.