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Entre l’Édit de Nantes et sa Révocation

Les négociants néerlandais à Rouen face aux divisions religieuses

Willem FRIJHOFF

Université Érasme, Rotterdam

Rouen, ville négociante

Dans les travaux sur le Refuge huguenot aux Pays-Bas, la ville de Rouen occupe une place de choix. Plusieurs familles d’intellectuels protestants réfugiés – comme les Basnage, Bauldry et Bernard – en étaient originaires et ont laissé des écrits et témoignages, tout comme quelques-unes des familles négociantes les plus aisées de la capitale normande1. Comptant autour de 80 000 habitants au cours du xviie siècle, Rouen fut longtemps la seconde ville de France et le principal port de commerce au nord du royaume2. En tant que telle, elle était pour les Néerlandais en quelque sorte l’équivalent et le successeur d’Anvers, qui avait été dans la seconde moitié du xvie siècle le centre incontesté du commerce européen et de la culture bourgeoise, tout en étant un des principaux partenaires économiques de Rouen. En dépit des ravages occasionnés par la Ligue, Rouen demeurait à la fin du xvie siècle un centre commercial plus important qu’Amsterdam qui, avec une population de plus de 200 000 habitants vers la fin du xviie siècle, allait bientôt devenir le premier port européen ; son agrandissement, selon un plan spectaculaire de canaux concentriques, n’était encore qu’un projet3. Cette hiérarchie informelle des villes explique la présence continue d’une communauté assez nombreuse de négociants d’origine flamande à Rouen, surtout anversoise, puis néerlandaise englobant aussi les provinces du Nord. D’abord fluctuante, cette communauté néerlandaise prit des contours de plus en plus fixes au cours du xviie siècle, à la faveur de la naturalisation des négociants qui s’y étaient établis à demeure. Les nombreux réformés parmi eux devaient d’ailleurs le payer cher à la Révocation4. Mais contrairement à ce qui est souvent suggéré ou tacitement impliqué, tous les Néerlandais à Rouen n’étaient pas protestants5. Les divisions religieuses qui continuaient de marquer les relations socioculturelles dans les Pays-Bas se reproduisaient à Rouen. Or on va voir que, dans la communauté néerlandaise, les origines géographiques et nationales jouaient un rôle plus important que l’appartenance religieuse, au point qu’on découvre assez souvent dans les sources des rapports interconfessionnels inédits. Ce constat rejoint les conclusions de recherches faites récemment sur les rapports interconfessionnels entre les Rouennais de souche6.

La communauté protestante de Rouen, la plus grande de Normandie, englobait plusieurs milliers de personnes. Les sources de l’époque en suggéraient 10 000 ou plus, mais elles doivent être corrigées. La moyenne annuelle de 248,7 baptêmes enregistrés au temple de Quevilly dans la décennie 1631-1640, la période la plus faste avant le lent déclin, permet, en utilisant le coefficient multiplicateur usuel d’environ 25, de conclure à une population protestante de près de 6 250 personnes, qui, il est vrai, n’habitaient pas forcément tous dans la ville même de Rouen. Si l’on s’en tient au coefficient spécial de 22,2 qu’a proposé Luc Daireaux pour la ville de Rouen, la population protestante serait toujours de l’ordre de quelque 5 500 personnes7. Quelques décennies plus tard, la communauté avait déjà perdu beaucoup de sa force : elle comptait encore 4 720 personnes vers 1660, mais ce nombre est tombé autour de 3 400 dans les années précédant la Révocation. Treize ans plus tard, en 1698, la ville comptait 1 647 nouveaux convertis. Entre-temps, les marchands, négociants et industriels qui en avaient formé l’épine dorsale bourgeoise et qui pouvaient se permettre une fuite avaient pour une bonne partie rejoint le Refuge8. Mais contrairement aux féroces représentants du roi, les autorités de la ville adoptèrent à l’égard des protestants une attitude assez libérale. Il est certain que de nombreux négociants protestants ont pu demeurer sur place et continuer l’exercice de leur profession, dans l’intérêt de l’économie urbaine, avec ou sans un simulacre de conversion qui fit d’eux des « nouveaux convertis » mais qui, souvent, ne durait guère dans la vie de tous les jours. Ce furent surtout les pasteurs et la frange active et socialement importante de la communauté protestante qui furent inquiétés et durent s’enfuir.

La communauté protestante de Rouen a joué longtemps un rôle exemplaire dans le royaume. Le grand temple de Grand-Quevilly en forme de dodécaèdre au sud-ouest de la ville, conçu par l’architecte Nicolas Le Genevois et achevé en 1601, qui pouvait contenir plusieurs milliers de personnes, était considéré comme un chef-d’œuvre pour son acoustique et son architecture. Il fut visité par de nombreux Néerlandais lors de leur voyage de commerce ou leur grand tour, avant d’être finalement fermé le 3 janvier 1685, puis détruit suite à l’arrêt du 6 juin. En fait, les relations entre Rouen et les Pays-Bas étaient bien plus anciennes, et en même temps fortes, car fondées sur des intérêts commerciaux communs qui remontaient à bien avant la Réforme9. Pour ce secteur de l’histoire, il est important d’aborder le monde réformé et le Refuge huguenot dans une perspective de longue durée, car les communautés concernées avaient connu localement leur propre histoire. Elles avaient entretenu des liens particuliers, autant entre elles qu’avec les négociants d’autres nations, confessions ou religions, les Anglais, Allemands, Portugais et Espagnols, catholiques, luthériens ou juifs, qui avaient structuré leurs attitudes envers le pouvoir politique et leur mémoire interne de groupe. En fait, à l’étranger « Rouen » était une référence globale qui depuis longtemps englobait bien plus que la seule ville de ce nom. À Anvers, à Amsterdam (sur le Singel), à Middelbourg et à Rotterdam, les quatre villes principales du commerce maritime néerlandais avec les pays atlantiques de l’Europe, il y avait au cœur même du quartier de commerce dès le xvie siècle un « quai de Rouen » (Rouaansekaai), où le commerce international avec la France se concentrait.

À Rouen même, les négociants néerlandais, du Nord et du Sud des grands Pays-Bas, formaient un groupe important au sein du monde du commerce, non seulement dans la communauté réformée, mais aussi parmi les catholiques – un groupe souvent négligé dans la littérature historique, les Hollandais étant automatiquement associés à la Réforme calviniste. Par ailleurs, de nombreux capitaines de navires néerlandais qui abordaient Rouen et figurent dans les documents d’archives étaient traditionnellement mennonites. Parmi les catholiques, on trouvait initialement surtout des Flamands venus de provinces du Sud, mais à partir du tournant du xvie siècle également des Hollandais du Nord, en nombres rapidement croissants. D’ailleurs, à côté des Germaniques, il y avait une communauté marchande hispano-portugaise catholique fort ancienne. Sans être entièrement cantonnés dans une partie de la ville, le plus grand nombre de négociants, et surtout les plus riches, s’établissaient dans la partie sud-ouest de Rouen, dans le quartier du port à l’ouest du pont sur la Seine. On les trouvait surtout dans les paroisses – chacune d’une surface assez petite mais peuplée d’une population commerçante et intellectuelle aisée – de Saint-Éloi, Saint-Sauveur, Saint-Michel et Saint-Étienne-des-Tonneliers autour de la place du Vieux-Marché, et dans la zone de la ville qui longeait la rivière, au sud de la cathédrale, notamment dans les paroisses de Saint-Martin-du-Port, Saint-Vincent et Saint-Cande-le-Jeune. La partie artisanale et pauvre des réformés rouennais vivait plutôt dans les quartiers est, dans les paroisses populeuses de Saint-Maclou et Saint-Vivien10.

Les liens étroits entre ces familles se vérifient dans la fréquence avec laquelle on les retrouve comme témoins au baptême des enfants de leurs collègues et associés, parmi les protestants comme parmi les catholiques. Ainsi, le jeune négociant catholique Anselme Van Hanswyck, originaire d’Anvers et âgé d’une vingtaine d’années, entretient dès le 18 décembre 1586, à l’époque de la Ligue, des rapports commerciaux avec Pierre Elquens, de Rotterdam, puis le 30 octobre 1600 avec Jean Municx, marchand flamand à Paris11. En 1589 il est parrain à Rouen des jumelles Marie et Claire nées du mariage du Flamand Guillaume De Vos12. Plus tard d’autres Flamands ou Néerlandais figurent comme parrains au baptême de ses propres enfants dans les paroisses de Saint-Étienne-des-Tonneliers et Saint-Vincent, tels Jean Vandenesse(n) et Catherine De Piper [Pipre] pour son fils Jean Van Hanswyck à Saint-Vincent, le 6 août 160813. Son fils aîné Anselme, baptisé à Saint-Vincent le 24 mai 1598, avait eu pour parrain le marchand flamand Pierre Van Peene14. Cet Anselme junior, lui aussi négociant, devait lui-même épouser à Rouen en 1622 la catholique Gertrude Elquens (c. 1600-1647), la fille aînée du négociant néerlandais Jacob Eelkens dont le nom de famille avait rapidement été francisé en Elquens et sur lequel on reviendra plus loin15. Fait remarquable, la jeune Gertrude Elquens, âgée d’une quinzaine d’années, agit elle-même le 5 novembre 1615 à Saint-Vincent comme marraine pour Catherine, fille de Jehan Couquart et Catherine Bart16. Or, le parrain de Catherine était alors René Diricson, en toute apparence le frère de Claes Dircksz, autrement dit Nicolas Dericq, un important marchand hollandais de Rouen que l’on retrouvera par la suite comme protestant. Dans le milieu à prédominance protestante des négociants néerlandais de Rouen, Nicolas a dû passer rapidement d’un catholicisme probablement de surface à un protestantisme intéressé, comme en témoignent les mariages de ses enfants cadets avec des Rouennais protestants fortunés du monde des offices et de la noblesse.

D’autres négociants d’origine étrangère étaient passés par une étape intermédiaire aux Pays-Bas avant de s’établir à Rouen – tels les Scot, alternativement dits de provenance écossaise ou irlandaise, mais établis à Middelbourg, en Zélande, avant de se retrouver dans les années 1620 à Rouen où, restés catholiques, ils s’enrichissent rapidement, achètent les seigneuries de Fumechon, Triaguel et La Mésangère et une cave funéraire dans l’église Saint-Vincent, se font confirmer en 1664 leur prétentions de noblesse et acquièrent un office de conseiller au Parlement17. On retrouve Jacques Scot dès le 14 juin 1633 comme témoin au baptême catholique, à Saint-Michel, d’Élisabeth, fille de Pierre Elquens et Marie Pitresson18. Mais une autre lignée Scot sera protestante. Ainsi, Esther Scott, fille de Guillaume Scott, seigneur de La Mésangère, Boscherville et autres lieux, conseiller protestant au Parlement mort en 1682, épousa le grand armateur protestant Thomas Legendre, sieur de Collandres, détenteur d’une fortune considérable et anobli par Louis XIV. Il était le frère du pasteur Philippe Legendre (1636-1725) qui plus tard rédigera une histoire abondamment documentée de la Révocation à Rouen. Esther fut obligée d’abjurer19.

La solidarité sociale et nationale, et l’entraide entre bourgeois d’origine étrangère, toujours menacés d’un refus ou rejet par les nantis établis, primèrent parfois sur les préceptes confessionnels. En effet, parmi les témoins au baptême d’enfants de négociants on trouve, dans les registres réformés, des personnes connues par ailleurs comme catholiques, et inversement, tout comme les mariages mixtes y semblent avoir été plus fréquents que l’historiographie confessionnelle ne l’a reconnu ou suggéré. L’accent qu’on a longtemps fait porter, dans l’historiographie du Refuge, sur les très nombreux ministres réfugiés aux Pays-Bas, presque toujours des réformés purs et durs imbus de leurs droits bafoués, et sur les membres de la République des Lettres qui savaient se faire entendre, a fait oublier que le gros des réfugiés étaient des laïcs. Pour les artisans qualifiés et les marchands, voire les négociants gros et moyens, les divisions confessionnelles étaient souvent subordonnées aux intérêts économiques communs. Ceci explique pourquoi les rapports interconfessionnels avaient évolué vers une relative tolérance dans la vie quotidienne, jusqu’à ce que la recrudescence des mesures antiprotestantes imposées d’en haut engendre une distance croissante entre les confessions.

Réformes catholique et protestante

Rouen était non seulement un centre protestant important, mais aussi et surtout la ville d’un catholicisme militant, fortement travaillé par la Contre-Réforme. Le concile provincial de Rouen y avait introduit dès 1581 les décrets du concile de Trente, mais les remous autour de la Ligue retardèrent encore pendant deux décennies leur mise en œuvre effective et la renaissance catholique. La ville était dotée d’un clergé très nombreux, réparti dans une trentaine de paroisses, de nombreux couvents et quelques grandes et riches abbayes au sein même de la ville, auxquelles s’ajoutèrent, dans la première moitié du xviie siècle, encore dix-sept fondations religieuses nouvelles20. L’archevêque de Rouen, à la tête du plus grand diocèse de France, jouait traditionnellement un rôle politique central dans le royaume. Les Amboise, Bourbon, Joyeuse et de Harlay se succédèrent dans cet office, le plus souvent revêtus de la dignité du cardinalat. François de Joyeuse (1562-1615) fut formé au collège de l’Esquile à Toulouse sous la direction de Theodorus Marcilius, un enseignant catholique militant originaire de la province de Gueldre aux Pays-Bas qui fut plus tard un professeur de renom au Collège Royal21. Ancien ligueur devenu confident de Henri IV, nommé cardinal à l’âge de 21 ans (1583) et archevêque de Rouen depuis 1605, François de Joyeuse fait alors appliquer à Rouen les décisions du concile de Trente, prend les jésuites comme proches collaborateurs dans la réforme de son Église et fonde par testament le séminaire de Joyeuse22. Pendant son épiscopat, Rouen se développe comme un haut lieu de la Réforme catholique.

Toutes les congrégations catholiques nouvelles et les instituts de clercs ou de religieuses qui s’appliquaient à la formation des fidèles et au débat avec la Réforme protestante se sont successivement établies dans la ville, mais Rouen devint surtout un bastion de ses troupes de choc, les jésuites. À la faveur du ralliement de Rouen à la Ligue, ils ont pu s’y établir dès 1592, puis fonder le collège de Bourbon, qui, ouvert effectivement à la rentrée de 1604, attira immédiatement de 1 500 à 2 000 élèves, concurrençant avec succès le vieux collège séculier des Bons-Enfants qui dut cesser de fonctionner vers 161823. D’autres communautés novatrices et militantes ont suivi, tels les minimes en 1600, les capucins en 1612 (dès 1582 à Sotteville), les oratoriens en 1616 et les carmes déchaux en 1623 ; du côté des fondations féminines, il faut mentionner les carmélites en 1609, les ursulines en 1617 et les visitandines en 1630. La plupart de ces fondations visaient à l’éducation religieuse, la controverse avec les réformés et la reconquête, parfois de façon très agressive, comme ce fut le cas de la section de la Compagnie du Saint-Sacrement créée à Rouen en 1647, sans même parler de l’établissement destiné aux « nouvelles converties » et la communauté de femmes qui, à partir de 1668, devait recueillir les « nouvelles catholiques ».

La maison de l’Institut des prêtres de l’Oratoire de Rouen fut ouverte dès 1616, cinq ans après la fondation de cet Institut à Paris, et cela par son fondateur Pierre de Bérulle lui-même, dans le but expressément missionnaire de refonder la vie catholique en Normandie sur de nouvelles bases. Tout comme la fondation d’un Oratoire à Dieppe peu auparavant, la maison de Rouen fut conçue comme un institut missionnaire répondant aux succès des réformés dans la ville24. La communauté prit forme sous l’action énergique de François de Bourgoing. Celui-ci ne réussit pas à reprendre le vieux collège des Bons-Enfants, mais l’Oratoire prospéra comme centre missionnaire dans la ville. Un des tout premiers membres de l’Oratoire de Rouen, entré en novembre 1616, quelques mois après sa fondation, était François Eelkens (Elquens) né à Amsterdam en 159525. Il était le fils aîné (à la suite d’un fils illégitime né avant le mariage26) de Jacob Eelkens, marchand pelletier, armateur et négociant sur l’Amérique, qui, en 1600, était venu d’Amsterdam pour s’établir à Rouen, à ce moment-là un port plus important pour le commerce des peaux avec l’Amérique du Nord où les Français s’étaient déjà hasardés avant les Néerlandais. François Elquens avait déjà suivi un cours de théologie au Collège hollandais de l’université de Cologne, qui servait alors de séminaire aux catholiques réfugiés des Pays-Bas, et il revenait chez ses parents en France pour travailler à la conversion des réformés. Il fut plus tard curé clandestin dans les stations catholiques à Leyde et à La Haye. Il y agit dans les années 1640-1643 comme confesseur de René Descartes, lui aussi un catholique pratiquant bien que sans ostentation, et qui tenait les oratoriens en grande estime27. Descartes demeurait respectueux des conventions publiques et accepta que la fille naturelle Francine qu’il eut auprès de sa servante Helena Jans fût baptisée le 28 juillet 1635 (7 août nouveau style) dans l’église réformée de Deventer28. Il les aimait toutes deux tendrement et assura leur avenir, mais sa fille mourut jeune. François Elquens de son côté finit comme supérieur de la maison de l’Oratoire à Bruxelles, où il mourut en 1665 en odeur de sainteté. Admirant la spiritualité christocentrique de Bérulle, il restait dans ses convictions le représentant d’un catholicisme dépouillé, proche de la Réforme protestante. Mais il imita la profonde vénération que Bérulle avait pour l’enfant Jésus en gardant dans sa chambre une image grandeur nature de Jésus enfant29.

Aeltgen, la plus jeune des sœurs de François, nommée Alix Elequens (!) dans les sources françaises, fut incitée par les jésuites de Rouen à entrer chez les ursulines à Évreux. L’ordre des ursulines, fondé en 1535 pour l’éducation des filles et le soin des malades et nécessiteux, fut réformé en 1572 dans un sens plus strict par l’archevêque de Milan, saint Charles Borromée. Il devint en quelque sorte l’équivalent féminin des jésuites dans l’offensive réformatrice des catholiques après le concile de Trente. Esprit en apparence assez simple et confit en dévotion, Alix Elquens eut une réputation de thaumaturge : par ses prières, elle avait, disait-on, à plusieurs reprises fait durer et multiplié le blé au grenier du couvent. Elle mourut en 1653, elle aussi en odeur de sainteté, tout comme son frère François. Madame de Bouillon, à ce qu’on disait, tint à assister la pieuse sœur Alix sur son lit de mort. Il y a là encore une référence cachée aux Pays-Bas, car Madame de Bouillon n’était autre qu’une princesse du plat pays : née Éléonore Catherine Fébronie de Bergh (1613-1657), petite-nièce de Guillaume d’Orange par son père Frédéric Van den Bergh et sa grand-mère Marie de Nassau-Dillenburg, elle était princesse de Sedan et servit comme dame d’honneur l’infante Isabelle-Claire-Eugénie à Bruxelles30. Elle avait contribué fortement à la conversion au catholicisme de son époux Frédéric-Maurice de La Tour d’Auvergne (1605-1652), duc de Bouillon, prince de Sedan et comte d’Évreux, qui venait alors de décéder. Frédéric-Maurice était lui-même le frère aîné du maréchal de Turenne (1611-1675), qu’on a appelé « le plus grand chef de guerre de son siècle » et que les Hollandais portaient aux nues comme l’antipode militaire extrêmement doué, mais sage et modéré, des grands maréchaux français amateurs de destruction et de cruauté comme Condé et Luxembourg qui, en 1672, pendant la guerre de Hollande, avaient mis le pays à feu et à sang. Turenne avait épousé en 1653 Charlotte de Caumont (1623-1666), fille du duc de La Force et ardente huguenote31. Elle mourut sans enfants, et après la mort de sa femme, Turenne se convertit au catholicisme en 1668 sous l’influence de Bossuet, évêque de Meaux32. C’est donc bien la rencontre continuelle des confessions qui marque l’histoire de ces territoires et de ces familles. Il suffit souvent d’ouvrir les yeux et de faire un pas de plus dans l’identification des personnes concernées pour s’en apercevoir.

Négociants néerlandais

Rouen était le riche siège du plus grand archidiocèse de France, dont les évêques, normalement élevés au cardinalat, jouaient traditionnellement un rôle clé dans la gestion du royaume, et la présence de l’important Parlement de Normandie fit de Rouen une ville de juristes, parmi lesquels il faut nommer les conseillers sur les trois places réservées aux protestants. La grande communauté réformée, dont les registres des baptêmes et mariages sont bien conservés, comprenait au xviie siècle un nombre assez appréciable de négociants et armateurs hollandais ou d’extraction hollandaise, qui entretenaient des liens souvent étroits et durables avec la Zélande et la Hollande, ainsi qu’avec les ports maritimes de l’Allemagne du Nord, surtout Hambourg. Outre les Dericq, les Pitresson, les Dierquens, Amsinck et Raye, sur lesquels je reviendrai, citons les Vandale [Van Dale, Vandalle], Van Liebergen, Fycq, Vandertombe, Vrouling, Crommelin[cq], Vanderschalque, Schockfebvre, et bien d’autres familles néerlandaises, parfois d’abord passées des Pays-Bas du Sud vers le Nord, à la suite de la prise d’Anvers et de l’expulsion des protestants, mais en fin de compte liées à l’économie du Nord et établies à demeure à Rouen. Le manque de registres d’immatriculation du collège jésuite interdit de savoir si, faute d’un collège réformé à Rouen, ces élèves protestants le fréquentaient, mais on retrouve leurs enfants plus tard comme étudiants aux universités de la République des Provinces-Unies, et les mariages conclus par eux dépassaient bien souvent les frontières.

L’absence d’une université à Rouen a longtemps nui à l’intérêt que les historiens ont porté à la ville, à l’exception, bien sûr, des érudits locaux. Cependant, ceux-ci se sont focalisés surtout sur les grands noms de l’histoire et de la littérature du Grand Siècle, sans remarquer que de grands auteurs dramaturges comme les frères Corneille, internationalement célèbres dès leur vivant, habitaient au coin de cette même place du Vieux-Marché où étaient établis les demeures et magasins des grands négociants néerlandais comme Dircksz (Dericq), Pietersz (Pitresson), ou Eelkens (Elquens). Ils ont dû les côtoyer tous les jours, à quelques rues de distance des Raye, Vrouling ou Vandale. Certains furent naturalisés français et anoblis, tels les Raye, eux aussi originaires des Pays-Bas méridionaux. Le négociant Jean Raye l’aîné, réfugié d’Anvers, s’était établi à Amsterdam en 1588, âgé de 37 ans, comme marchand épicier en gros (cruidenier), important surtout du sucre. Sa réussite financière apparaît en 1621 dans son investissement majeur en actions pour 18 000 florins dans la nouvelle Compagnie des Indes Occidentales, destinée notamment à s’ancrer dans les pays sucriers d’Amérique du Sud. Vingt ans plus tôt, son frère cadet Léonard avait investi près de 20 000 florins dans la Compagnie des Indes Orientales, laissant à sa mort en 1618 la fortune considérable de 120 000 florins33.

Les deux fils de Jean Raye l’aîné, Adam Raye, né à Anvers en 1580, mort à Rouen en 1642, et son cadet Jean Raye le jeune, né trois ans plus tard, partirent cependant pour Rouen, où ils étaient certainement établis dès 1607, tout en maintenant des liens fermes avec le monde des négociants en Hollande34. Adam continua le commerce de son père en investissant dans le sucre sur l’île de Saint-Christophe (l’actuelle St. Kitts), Jean en investissant à Pernambouc au Brésil. Leur négoce prospéra. Adam et Jean Raye furent tous deux anoblis par le roi de France en septembre 1648 : on retrouve alors Adam comme écuyer, seigneur du Mesnil-Bourg et gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, et Jean Raye comme seigneur du Mesnil-Séguin et baron d’Heucqueville. Leur réussite commerciale et le contexte politique n’y étaient pas étrangers ; leurs actes se lisent comme une stratégie soutenue d’intégration dans la société française. Ainsi, Adam Raye exportait en 1625 pas moins de trois cent mille livres de soufre, destiné à l’effort de guerre de son pays d’accueil. En 1610, il avait épousé à Rouen la hollandaise Catherine Van den Enden dont il eut notamment une fille Catherine (1621-1648) qui, en 1641, épousa un des meilleurs partis réformés de la ville, le gentilhomme Guillaume de La Basoge (ou Bazoge, Basoche), seigneur de La Basoge, Chèvreville et Mondetour, et conseiller protestant au Parlement de Normandie35. Guillaume succéda à son oncle Jean Raye comme baron d’Heucqueville. Devenu premier baron de Normandie, conseiller honoraire et doyen du Parlement de Normandie, il fut en 1685 cependant emprisonné au Vieux Palais comme huguenot, après avoir été ruiné par les cavaliers. Il fut obligé de faire amende honorable auprès de la Chambre des Requêtes du Palais, la torche au poing, après avoir été battu pour ne pas avoir consenti à s’agenouiller devant l’hostie dans la chapelle du Palais. Ensuite il a dû rejoindre le Refuge36. Devenu veuf de Catherine Raye, dont il eut un fils, Adam, qui plus tard se réfugia à Rotterdam, Guillaume de La Basoge s’était remarié au temple de Quevilly le 11 avril 1651 avec une compatriote de Catherine, Marie Dericq, baptisée à Quevilly trente ans plus tôt, le 3 janvier 1621, devant les témoins François Vandertombe et Marie Schockfebvre. Marie Dericq était déjà veuve de Pierre Pitresson. Ils appartenaient tous au milieu du négoce hollandais de Rouen.

Deux sœurs cadettes de Marie Dericq firent des mariages comparables. Jehanne Dericq, baptisée à Quevilly le 20 janvier 1622, devant les témoins André De Gruitter en Marie Terrin, épousa en 1640 à dix-huit ans Jacques Le Peigné, écuyer, sieur de Grosmesnil, Augerville et Hastelin, et, après la mort de ce premier mari, deux ans plus tard, le 23 février 1642, à Bacqueville l’écuyer Isaac II de Civille, fils d’Isaac I de Civille, écuyer, sieur de Saint-Mars, Montroty, Cottevrard, Bertrimont et Renefville, conseiller du roi et commissaire des guerres, et de Geneviève de Roësse de Feugueray, dame de Beuzevillette. Sa sœur Catherine Dericq fut baptisée à Quevilly le 11 mars 1627 devant deux témoins eux aussi appartenant au négoce hollandais, Philippe Vandale et Jehanne Pitresson37 (celle-ci étant une sœur du Pierre Pitresson qui est mentionné au paragraphe précédent). Après un premier mariage conclu à l’âge de seize ans, elle se remaria à Quevilly le 23 avril 1654 en secondes noces avec le chevalier Gabriel [de] Gosselin (vers 1614-1669), sieur de Martigny, Compainville, Naftel et La Graverie, baron de Caulle, fils de Joachim de Gosselin et Marie Le Clerc de Juigné et lui-même déjà veuf d’Isabeau (ou Élisabeth) Raye, fille du négociant néerlandais anobli Jean Raye. Isabeau avait été baptisée à Quevilly le 12 novembre 1623, et Gabriel l’y avait épousée le 14 septembre 1639, elle aussi à l’âge de seize ans. Tous ces personnages, leurs parents et leurs parrains, n’étaient pas forcément des huguenots purs et durs, du moins y a-t-il place pour un doute, car on retrouve certains de leurs descendants comme catholiques à Rouen. Le fils aîné d’Isaac II de Civille, le chevalier Pierre de Civille, sieur de Saint-Mars et autres lieux, qui habitait avec sa maisonnée dans l’hôtel La Maison-Royale, rue Ganterie à Rouen, promit en 1685 d’abjurer, mais il avait reçu dès le 10 mars 1685 un brevet de gentilhomme ordinaire d’Henri Casimir, comte de Nassau-Dietz, stathouder de Frise et Groningue, ce qui lui permit de conserver sa foi. Sa seconde femme, Madeleine de Brachon de Bévilliers, se réfugia en Hollande ; devenue veuve, elle fut naturalisée à La Haye le 4 juillet 1711. Son neveu Henri Bauldry, fils de Paul Bauldry d’Yberville, professeur à Utrecht et lui aussi réfugié, fut nommé son héritier. Paul Bauldry lui-même était un gendre d’Henri Basnage, sieur de Franquesnay. Or, la première femme de Pierre de Civille, Marie Congnard, fille de l’écuyer Étienne, sieur du Fossé, secrétaire du roi, avait été une belle-sœur de cet avocat, lui-même père du pasteur Jacques Basnage et du savant Henri Basnage de Beauval.

Outre leur importance pour le statut social des intéressés, de tels mariages précoces et à répétition, et dans un milieu en somme très restreint, entre la noblesse et le grand négoce avaient généralement pour but de renflouer les caisses quasi vides des nobles, tout en conférant un statut social supérieur aux bourgeois. Les nobles étaient d’ailleurs notoirement nombreux parmi les protestants de Normandie38. Mais cette stratégie d’intégration des négociants néerlandais dans la haute société rouennaise eut pour contrepartie qu’à la Révocation, les protestants hollandais naturalisés et francisés durent partager en masse le triste sort des huguenots français. Dans son Histoire de la persécution faite à l’Église de Rouen, l’ancien pasteur rouennais Philippe Legendre cite de mémoire les noms des « trois demoiselles Vendales [Vandale] que l’on avoit jetées dans le Convent de Bellefont ». Il s’agit de Catherine, Madeleine et Sara Vandale, filles de Samuel et Sara Ochuse [Ochuysen], leurs cousines germaines Élisabeth et Marie Vandale (filles de Pierre Vandale et Madeleine Bauldry), ainsi que leurs anciennes compatriotes, les dames Amsinck (née Marie Dericq), Pitresson, et Wetken. Cette dernière s’appelait Anne Dierquens ; elle était une fille de Tobie, marchand hollandais à Rouen et de Jeanne Pitresson, et s’était mariée le 1er décembre 1673 avec Hermann Wetken, négociant originaire de Hambourg39. L’aînée des trois demoiselles Vandale, note Legendre, « acheva sa course [mourut] en glorifiant Dieu en prononçant les premières paroles du Pseaume 40e ».

Mais ce sont avant tout les liens entre ces familles négociantes de confession différente, telles les Dericq protestants, les Elquens catholiques et les Pitresson partagés entre les deux confessions, qu’il faut ici mettre en lumière, en se limitant à quelques exemples. L’exceptionnel journal de comptabilité sur deux années entières que Michel Van Damme, un négociant rouennais originaire de Bruges en Flandre, a publié en 1606 dans un but clairement éducatif et dont Jacques Bottin a récemment mis en lumière toute la richesse pour l’étude des relations commerciales entre les Pays-Bas Nord et Sud et la France, permet d’identifier et situer dans le réseau négociant de nombreuses familles qui ont rejoint Rouen vers 1600, catholiques aussi bien que protestantes, et dont on retrouve une bonne partie encore dans la ville à l’époque de la Révocation40. Il ne faut pas oublier, en effet, que mainte famille négociante forcée de quitter la France en 1685 avait été frappée par une première expérience de refuge en sens inverse, exactement un siècle plus tôt. La chute d’Anvers aux mains des souverains catholiques, en 1585, les avait alors obligées à choisir un pays de rechange, le plus souvent les provinces-sœurs de la République du Nord, mais tout autant les grandes villes négociantes de la France côtière : Dieppe, Le Havre, Rouen, Caen, Nantes, La Rochelle, où la Réforme protestante avait obtenu (ou était en train d’obtenir) des conditions d’existence légale.

L’événement traumatisant de 1585 était encore très vivant dans la mémoire communautaire des Flamands de souche41. On sait à quel point l’économie et la société des Provinces-Unies ont été changées dans les décennies autour de 1600 par l’immigration massive des négociants du Sud – on sait beaucoup moins que la communauté négociante de Rouen en a également été affectée puisque, dès l’accession au pouvoir d’Henri IV dans la ville de Rouen en 1596, les réformés pouvaient s’y croire en sécurité. Les deux sociétés, néerlandaise et française, se soutenaient mutuellement par de multiples relations. Rouen était pour la royauté française une source financière essentielle et demeurait l’alibi commercial international nécessaire à sa politique religieuse de plus en plus contraignante. Ces relations commerciales entre Rouen et la République, renforcées par des liens de parenté et quasiment institutionnalisées au cours du xviie siècle, ont préparé pour un grand nombre de familles les conditions d’accueil du Second Refuge dans les Provinces-Unies. En dépit des déchirements familiaux, ils n’arrivaient pas dans un territoire totalement inconnu.

Choix religieux

Cependant, comme les négociants rouennais d’origine étrangère avaient souvent des relations dans les deux pays, on ne les retrouve pas toujours comme réfugiés à l’époque de la Révocation. Ils y figurent parfois simplement comme membres d’une famille franco-hollandaise établie dans la République depuis leur départ plus ou moins forcé dans les décennies avant ou après la Révocation. Ce fut le cas des Hoeufft, des Raye, des Dierquens, et d’autres noms bien connus du patriciat néerlandais ou du commerce international qui plus tard prennent des couleurs proprement néerlandaises. Lorsque Henri IV mit fin aux troubles de la Ligue et fit, le jour de Noël 1596, son entrée solennelle dans Rouen, déchirée et ravagée par une guerre intestine, la ville pacifiée s’ouvrit rapidement aux négociants étrangers, sans distinction de confession. Henri IV reprit également en mains la conquête du Canada, convoité vers la même époque par les Néerlandais qui finalement se rabattirent sur Terre-Neuve et la Nouvelle-Néerlande (l’actuelle New York) 42. Très rapidement on vit affluer à Rouen un nombre de négociants néerlandais d’autant plus important que Rouen était la porte d’entrée économique du plus grand marché national européen, celui du royaume de France. C’était en même temps la porte de sortie vers l’Amérique du Nord fréquentée alors avant tout pour le commerce des peaux de castors et de loutres indispensables pour la confection des chapeaux et autres accessoires dans les hivers froids de ce qu’on a appelé le « petit âge glaciaire », avant que les Néerlandais eux-mêmes ne s’y appliquent à partir de leurs propres ports. Les tableaux du Siècle d’or néerlandais fournissent maints exemples de ces peaux superbes. Vers 1600, le grand négoce des provinces néerlandaises du Nord est encore loin d’être uniformément aux mains des réformés, mais l’afflux de négociants protestants (luthériens, calvinistes et mennonites) des Pays-Bas du Sud vers le Nord change rapidement les rapports confessionnels dans ce secteur. Il entraîne un basculement dans la religion publique, le calvinisme, des négociants riches du Nord, traditionnellement enclins à suivre le courant majoritaire des hommes au pouvoir pour préserver leurs opportunités et leur champ de manœuvre, et à épouser les filles des puissants43. Et ce sont les réfugiés du Sud qui seront les plus importants investisseurs dans les nouvelles Compagnies de commerce du Nord, érigées en 1602 pour les Indes Orientales, puis en 1621 pour les Indes Occidentales.

À Rouen même, on voit parmi les négociants néerlandais maints exemples de ce suivisme socio-confessionnel, tel celui de la famille Dericq qui, après les Raye, gérait la plus importante maison de négoce franco-néerlandaise de Rouen, initialement spécialisée dans la pelleterie, puis également dans le commerce général avec les Provinces-Unies44. Elle descendait de Claes Dircksz, baptisé réformé dans le port de La Brielle en Hollande du Sud en 1592 et émigré avec ses parents à Rouen onze ans plus tard, en 1603. L’orthographe de son patronyme s’avérait tellement dérangeant pour les francophones qu’il le changea rapidement en (Nicolas) Dericq, ce qui resta le nom de famille fixe de ses descendants. Il fut naturalisé français en 1630 et anobli avec ses enfants en 164745. Habitant la paroisse Saint-Éloi de Rouen, au coin de la place du Vieux-Marché, et ancien de l’Église réformée de Quevilly, il fut enterré le 13 mars 1671, âgé de 80 ans. Il laissa douze enfants qui avaient tous fait des mariages de qualité avec de grands négociants et des nobles, tels les chevaliers de Gosselin et de La Basoge, membres protestants du Parlement de Normandie. Bien que chacun des enfants eût déjà reçu une dot de 40 000 livres, l’héritage de Nicolas Dericq était encore considérable. Plus tard on retrouve certains de ses nombreux descendants au sein du Refuge hollandais. En apparence il s’agit donc d’une famille réformée modèle. Mais une recherche plus précise révèle de nombreuses relations entre catholiques et protestants dans l’histoire des Dericq. Les onze enfants qu’il eut de son premier mariage avec Marguerite Lambert, de cinq ans son aînée, originaire d’Anvers et déjà veuve d’un marchand à La Rochelle, conclurent presque tous des mariages réformés mais ne craignaient pas les catholiques dans les contrats de négoce et autres relations.

Sa fille Marie Dericq épousa Pieter Pietersz (francisé en Pierre Pitresson), un partenaire commercial né catholique dans une famille originaire de la seigneurie libre de Ravenstein au Brabant, limitrophe de la République, qui était restée un repaire du catholicisme. Son père, Reynier Pietersz ou René Pitresson, établi dès 1600 à Rouen, figure le 12 mars 1608 sous le nom latinisé de Renatus Petri à l’église Saint-Vincent comme témoin au baptême catholique de Nicolas Le Carpentier, fils de Richard, marchand bourgeois de Rouen46. Ce Nicolas Le Carpentier allait devenir un catholique militant et antiprotestant de choc, remplissant les fonctions de trésorier de l’église Saint-Pierre-du-Châtel et surtout de receveur de la Compagnie du Saint-Sacrement de l’Autel47. Qui plus est, il se maria le 23 décembre 1635 en premières noces avec Marie Elquens, dont le frère Pieter avait épousé Marie Pitresson, fille de René susdit48. René Pitresson lui-même passa plus tard à la Réforme tout en maintenant des liens familiaux visibles avec les familles catholiques pour lesquelles il continuait de figurer comme parrain au baptême. Le réseau multiconfessionnel négociant se densifiait ainsi insensiblement par des liens familiaux à plusieurs niveaux.

Nicolas Dericq, le père de Marie, se maria en 1642 en secondes noces avec Marie de Caën, fille du négociant protestant Guillaume de Caën qui avait été directeur de la Compagnie de Montmorency pour le Canada, mais elle était déjà veuve du catholique Raymond de La Ralde, amiral de la flotte commerciale qui, en 1629, avait gagné le Canada à partir de Dieppe. La famille De Caën était pour sa part un bon exemple de bi-confessionalisme réussi49. Originaire de Dieppe mais établie à Rouen, elle arriva à diviser les tâches entre les deux confessions en se hissant au sommet de l’aventure canadienne. On retrouve Guillaume de Caën, protestant, et son frère Ezéchiel de Caën avec son fils Émery, catholiques, tous impliqués dans la même société familiale, à tour de rôle au bon moment dans des positions de force et de pouvoir. Guillaume prend jusqu’en 1630 la direction de la Compagnie de Montmorency pour le commerce avec la Nouvelle France, son neveu Émery est, en 1624-1626 et encore en 1632-1633, commandant de Québec après quoi il sert au moins jusqu’en 1644 comme officier commandant sur des navires au long cours. Le capucin Alexis de Saint-Lô, qui en 1634-1635, lors d’une attaque par les Barbaresques, l’avait vu opérer à bord d’un navire de la Société du Sénégal et du Cap Vert gérée par le Rouennais Jean Rozée, déclara à son propos : « je ne scaurais assez dignement louer la prudence, la probité et le courage » [de ce capitaine] 50. À Rouen, les deux branches des De Caën se mêlent étroitement avec les négociants néerlandais. D’ailleurs, ils vivent tous dans les rues qui entourent le Vieux Marché, centre névralgique du commerce rouennais – connu pour le calvaire de Jeanne d’Arc. Cependant, ils sont écartés de l’entreprise canadienne pendant la période de la Compagnie des Cent Associés, l’enfant chéri mais mal conçu du très catholique Cardinal de Richelieu – la combinaison familiale honnie protestant-catholique était alors certainement pour quelque chose dans leur rejet par le cardinal51.

Mais n’oublions pas qu’en dépit de sa grande communauté réformée, longtemps prééminente dans le commerce international, Rouen était bien la ville d’un catholicisme militant, voire renaissant, ce qui au début du xviie siècle a pu inciter certains négociants néerlandais catholiques à risquer eux aussi le changement de siège. C’était le cas de Jacob Eelkens (1571-1629), ce marchand pelletier de Bois-le-Duc déjà mentionné52. Jacob, catholique convaincu, avait quitté son Bois-le-Duc natif peu après les troubles confessionnels dans cette ville, vers 1580-1585, pour s’établir à Amsterdam au moment même où Amsterdam venait de basculer officiellement vers la Réforme protestante (ce changement de régime confessionnel, appelé l’Altération de la ville, eut lieu en 1578). Mais à la suite d’un séjour d’apprentissage et de reconnaissance à Rouen par son frère cadet Hendrick Eelkens (1575-1630) en 1594-1595, Jacob se lança dès le tournant du siècle dans le commerce avec l’Amérique à partir de la ville de Rouen pacifiée par le roi. Pendant l’été de 1599, il s’établit avec sa famille grandissante en plein cœur de Rouen, probablement déjà à l’angle de la place du Vieux-Marché et de la rue commerçante principale, l’actuelle rue du Gros-Horloge, où on le retrouvera plus tard. À en juger d’après les actes de baptême sur lesquels lui ou sa femme figurent comme parrains, ils intègrent rapidement le milieu commerçant catholique de la bourgeoisie rouennaise. Il garde cependant un frère à Amsterdam qui joue le rôle de relais commercial, comme marchand pelletier et armateur pour la Terre-Neuve (Newfoundland) en Amérique. Jacob Eelkens le jeune, son fils naturel, fera chez son oncle Hendrick son apprentissage de marchand avant de s’embarquer pour les côtes de l’Amérique du Nord. Jacob Eelkens l’aîné demeurait, quant à lui, un catholique militant, ce qui a certainement joué un rôle dans son commerce avec le Canada dont les protestants furent rapidement exclus.

Tout comme Jacob Eelkens, Jean Hoeufft (1578-1651), sieur de Fontaine-le-Comte et Fontaine-Peureuse, né à Liège mais originaire d’une famille de Ruremonde dans la Gueldre supérieure, s’établit lui aussi en 1600 à Rouen comme négociant et armateur. Naturalisé Français dès juin 1601, il vécut plus tard à Paris où il acquit la charge de secrétaire du roi et agit comme banquier et représentant financier des États-Généraux53. Son neveu Diederik Hoeufft (1610-1688) hérita de Fontaine-Peureuse. Ayant épousé Maria de Witt, la sœur du grand pensionnaire Jean de Witt, il resta dans les Provinces-Unies où il suivit une carrière de régent à Utrecht et Rotterdam54. Le frère aîné de Diederik, lui aussi appelé Jan Hoeufft (1601-1677), avait hérité de Fontaine-le-Comte et du fief de Choisival, et travailla pendant un certain temps comme négociant à Rouen55. Mais leur famille, réformée, s’établit bientôt à demeure en Hollande et y entra dans la régence de plusieurs villes, tout en profitant commercialement et politiquement de ses relations établies avec la France, Rouen, et en particulier Paris.

Négociants et intellectuels

Les études détaillées sur l’histoire des réfugiés de Rouen n’ont jusqu’ici guère concerné que de tels ensembles de régents ou les familles intellectuelles bien connues du Refuge qui ont laissé des témoignages écrits ou imprimés, comme les Basnage. Réfugiées en Hollande, ces familles notables originaires de la capitale économique de Normandie et dépouillées de leurs biens parfois considérables, y témoignaient efficacement des malheurs de la Révocation, en paroles et en actes. Or, ces notables étaient eux-mêmes liés aux familles négociantes actives dans le commerce franco-néerlandais, et ce sont les liens durables au sein de ces réseaux supranationaux qui ont assuré leur bon accueil dans les Provinces-Unies. Il en est ainsi d’Henri Basnage de Beauval le jeune (1656-1710), auteur controversiste de la Tolérance des religions. Issu d’une lignée de pasteurs protestants, il était né en 1656 à Rouen comme cinquième fils du jurisconsulte Henri Basnage l’aîné (1615-1695), sieur de Franquesnay, avocat au Parlement, commissaire protestant de l’Édit et commentateur de la Coutume de Normandie, et de Marie Coignard56. Ces deux parents étaient de religion réformée, Marie étant une fille de l’écuyer Étienne Coignard, sieur du Fossé, secrétaire du roi. Le frère aîné d’Henri le jeune, le pasteur Jacques Basnage (1653-1723), connu pour sa polémique avec Bossuet et ses ouvrages sur l’histoire de l’Église, fut lui-même homme de lettres et historien, ardent défenseur de la tolérance des religions, et journaliste en Hollande à la suite de Pierre Bayle (1647-1706).

Henri Basnage le jeune avait commencé sa vie active comme avocat au Parlement de Rouen, mais sa carrière juridique se termina à la Révocation. Trois années plus tôt, en avril 1682, il avait épousé Marie Amsinck (1661-1752), la troisième des seize enfants d’André Amsinck (1621-1690), un riche raffineur de sucre, né à Hambourg dans une famille qui était elle-même originaire de la petite ville d’Ootmarsum dans la province d’Overijssel, à la limite orientale de la République des Provinces-Unies, proche de la Westphalie57. Venu à Rouen vers 1650, André Amsinck fut naturalisé français en 1652 ; en septembre 1657 il épousa Marie Dierquens, d’une famille calviniste originaire de Gand qui s’était d’abord réfugiée à Middelbourg en Zélande, mais dont les enfants s’étaient séparément établis dans plusieurs autres villes. Ainsi, Tobie Dierquens était marchand de draps dans la paroisse Saint-Cande-le-Vieux à Rouen, où il mourut en 1665, son frère David travailla à Bordeaux, et leur frère Salomon à Amsterdam, tout en maintenant un actif va-et-vient dans le réseau familial et commercial interurbain58. Marie Dierquens, la fille cadette de Tobie, née à Rouen en 1637, a dû être une personnalité de taille. Sans même parler de ses seize accouchements et des onze enfants qu’elle éduqua effectivement, elle cogérait la raffinerie de sucre de son mari dans la rue du Plâtre, paroisse Saint-Maclou, qui employait six contremaîtres et ouvriers et un caissier. La famille eut aussi à son service une gouvernante française (Anne Caumont), et une gouvernante hollandaise (Judie du Rel), ce qui fait penser à un ménage et une éducation bilingues, visant dès le début à une finalité transnationale. Lors de la Révocation, Marie Dierquens fut arrêtée et enfermée dans un couvent avec son fils Tobias jusqu’à ce que son mari abjurât. André Amsinck abjura effectivement le 21 décembre 1685 par pure forme, vi coactus, pour sauver sa famille et son entreprise, à la suite d’une dragonnade qui avait consisté en un cantonnement ruineux dans sa maison par le capitaine de Chambonnas et six cavaliers. Il se réfugia à Hambourg, sa ville d’origine, avec deux de ses onze enfants, en envoya quatre autres enfants en Hollande et trois en Angleterre. Marie Dierquens elle-même se réfugia à La Haye où elle mourut en 170059.

Pourtant, les Dierquens avaient des relations familiales avec les négociants catholiques néerlandais établis à Rouen. Henri Pitresson, marchand probablement protestant à Rouen mais d’une famille biconfessionnelle, délégua en 1656 son collègue bien réformé Salomon Dierquens d’Amsterdam, l’ancêtre des générations de régents de ce nom en Hollande au cours des siècles suivants, pour le représenter comme tuteur des enfants du bien catholique Pieter Eelkens (Pierre Elquens), décédé quelques années auparavant60. Pieter (1598/1600-1642) était le troisième fils de Jacob Eelkens déjà rencontré, et le frère des deux religieux, François et Alix, déjà mentionnés. Il était négociant en compagnie de sa mère, la veuve Jeanne Van Dulmen, sœur d’un jésuite hollandais, et remplissait de surcroît la charge de trésorier (marguillier) de la paroisse Saint-Michel de Rouen – soulignons que les trésoriers des paroisses de Rouen constituaient l’élite bourgeoise non-noble de la ville. Le relevé des compagnons de commerce de Pieter Eelkens comprend de grandes firmes protestantes comme les Raye, Looten et Van Liebergen qui entretenaient des relations étroites avec les maisons de commerce d’Amsterdam, mais aussi Nicolas Dericq. Sa fille Marie Dericq, on l’a vu, avait épousé Pierre Pitresson. Or, Pierre Pitresson était le beau-frère de Pieter Eelkens, qui avait épousé Marie Pitresson, fille du protestant (en fait un ex-catholique) René Pietersz et de la catholique Jeanne Terrin, fille de Josse Terrin, bourgeois-marchand de Rouen originaire du Brabant – encore un immigré du Sud. Au moins trois des sept enfants de Pieter Eelkens et Marie Pitresson, tous baptisés catholiques dans l’église Saint-Michel, avaient des parrains Pitresson que l’on rencontre ailleurs comme protestants. Cela vaut en particulier pour la plus jeune, Jeanne, dont la marraine, lors de son baptême catholique à Saint-Michel le 7 avril 1639, était Jeanne Pitresson, l’épouse de Tobie Dierquens qui était le beau-père bien réformé d’André Amsinck61.

En 1685, Henri Basnage résidait à Rouen dans la maison de ce même André Amsinck, rue de l’Écureuil. L’oncle d’André, Henri Amsinck, un ancien du consistoire de la communauté réformée à Quevilly, était lui aussi venu de Hambourg à Rouen et s’était établi avec son neveu comme raffineurs de sucre dans la rue du Plâtre. Les raffineries de sucre fleurissaient à Rouen depuis que les compagnies de commerce françaises avaient commencé à coloniser les Antilles, faisant ouvertement concurrence aux moulins à sucre d’Amsterdam, nés presque simultanément de la colonisation néerlandaise du Brésil dans les années 163062. Lorsqu’au début des années 1680 la situation politique et économique était devenue très précaire pour les huguenots, plusieurs membres des familles Basnage et Amsinck se réfugièrent en Hollande, en partie en raison de l’accueil qui leur avait été promis, en tant que coreligionnaires de l’Église publique des Provinces-Unies, par l’Église réformée et l’État, comme la thèse confessionnelle traditionnelle le veut et comme ils le proclamèrent eux-mêmes haut et fort – mais certainement autant en raison de leurs relations familiales et commerciales solidement établies dans les décennies précédentes.

Même pour les intellectuels patentés du Refuge, ces relations familiales n’étaient pas toujours purement protestantes, et elles conduisaient parfois à des actes que la littérature du Refuge a préféré passer sous silence. Il en est ainsi de la fille d’Henri Basnage, Marie-Catherine, née à Rouen le 25 juillet 1686, l’année suivant la Révocation. Elle fut baptisée catholique le lendemain 26 juillet dans l’église Saint-Lô, près du Parlement, les témoins au baptême étant, d’une part, Henry Coignard, conseiller du roi au Parlement de Normandie, à l’époque en apparence un catholique, mais né dans une famille protestante et lui-même jadis de la même conviction, d’ailleurs un beau-frère d’Henri Basnage, et, d’autre part, Dame Marie-Catherine Le Couteulx de Monville, d’une richissime famille de marchands-drapiers et banquiers rouennais bien catholiques, échevins et bientôt maires de Rouen63. Baptême de prudence peut-être, d’un bourgeois bien en vue, à la situation précaire ? Ou pression de la famille catholique ? Malgré cela, un an plus tard, le 6 août 1687, Henri Basnage le jeune est reçu membre de l’Église wallonne de Rotterdam où il prend jusqu’à sa mort le 2 avril 1710 la responsabilité de la publication du mensuel Histoire des ouvrages des savants. Son père Henri Basnage de Franquesnay, en revanche, ne rejoint pas le Refuge mais reste à Rouen. On l’y laisse vivre dans une paix relative, bien qu’en 1689 on signale qu’il n’a pas fait acte de catholicité. Il meurt le 20 octobre 1695 à Rouen où il habite alors dans la rue Saint-Lô, dans une maison qui avait été propriété de son gendre Paul Bauldry le jeune, sieur d’Yberville (1639-1706), qui en 1682 s’était marié avec la sœur d’Henri, Magdelaine Basnage. Ce Paul Bauldry, pasteur à Rouen, écrivain et philosophe, se réfugie lui-même d’abord en Angleterre, puis passe à Utrecht où on le nomme dès le 4 mai 1685 professeur extraordinaire d’histoire ecclésiastique à l’université, enfin en 1695 professeur ordinaire, office qu’il remplit jusqu’à sa mort en 170664. Dès le 14 octobre 1686, il consacre sa leçon inaugurale à une analyse historique du problème actuel dont il était lui-même victime, la persécution : De antiquo more convertendi haereticos, multum dissimili et qui nunc viget in Galliis. Au moment de sa fuite en Hollande, Paul Bauldry était propriétaire de huit maisons à Rouen, de deux seigneuries (Yberville et Rocquigny) et de plusieurs fermes, sans compter une abondante maisonnée qui a dû susciter bien des jalousies dans la ville. Il avait la réputation d’être « un des religionnaires les plus endurcis » de Rouen65. Il n’en demeure pas moins que son neveu Daniel Le Sens Demons, de religion catholique, réclama en 1700 les biens qui avaient appartenu à son oncle Bauldry, ministre de la religion prétendue réformée retiré en Hollande, et à sa tante, dame Coignard de Rombosc, elle aussi une religionnaire fugitive, et s’opposa aux conclusions de l’agent du fisc66.

Une ardeur religieuse variable

Mais tous les réformés n’étaient pas des calvinistes purs et durs. La littérature du Refuge a mis l’accent sur l’orthodoxie des fugitifs, mais il y avait dans la communauté protestante des membres influents qui ne se rendaient jamais au temple. Tel ce négociant hollandais Antoine Vanderhulst, originaire de La Haye. Naturalisé français, il habitait rue du Fardeau avec sa femme Sara Vanderscalque (la fille d’un autre négociant hollandais important, protestant militant67), leurs cinq enfants et leurs domestiques. Il est si souvent présent dans les sources (généralement sous des noms écorchés, voire fantaisistes) que beaucoup de Rouennais lui devaient probablement quelque chose. En 1685 il bénéficia d’une recommandation du commandant des cuirassiers De Choiseul-Beaupré, ce qui le sauva de l’exil. Lorsqu’on le signale en 1689 parmi les « religionnaires endurcis » qui restaient encore à Rouen, on le qualifie de « bon négociant dont Louvois se sert très souvent. Il ne se trouve à aucune assemblée, il est le solliciteur de ceux de la religion qui ont des affaires » 68. Un protestant utile au pouvoir, en somme, précisément par son défaut d’engagement confessionnel. On peut supposer les mêmes motifs à l’origine de la tolérance relative envers d’autres protestants étrangers restés à Rouen après la Révocation, tels le négociant Samuel Depeyster. Ce Rouennais d’origine flamande se réclamait de la citoyenneté d’Amsterdam pour éviter la persécution. Il était fils de Jacques Depeyster qui s’était établi à Rouen et y avait épousé le 6 décembre 1676 la rouennaise Catherine Lequesne. Mais il était surtout membre d’une famille négociante qui s’illustra en même temps dans le Nouveau Monde à New York, dont l’un de ses cousins devint maire69. Un autre réformé encore présent à Rouen était le marchand Abraham Le Cordier. Il était lui-même Français mais avait épousé le 14 février 1666 Sara Vrouling, fille du riche négociant hollandais Simon Vrouling et de Marie Vandale. Cependant, il avait déjà pris la précaution de faire passer sa femme et leurs enfants en Hollande70.

Outre ces réformés parfois peu zélés, voire non pratiquants, il faut garder à l’esprit que nombre de réformés rouennais d’origine néerlandaise avaient initialement des liens avec les arminiens ou remontrants, eux aussi souvent en marge des courants majoritaires de la communauté réformée. Après le synode de Dordrecht (1618-1619), leurs meneurs avaient cherché refuge à Rouen où la grande communauté néerlandaise et l’attitude de la royauté leur offraient une certaine sécurité. Le personnage clé dans ce flux de personnes et de nouvelles était Hillebrant Pietersz, négociant à Rotterdam et frère de ce René Pietersz (ou Pitresson), négociant à Rouen, dont il a été question plus haut. René était le père de Marie Pitresson mariée avec le catholique Pierre Elquens. Les Pitresson étaient à leur tour associés de commerce avec Nicolas Dericq. Avec les Trésel, une autre famille de réfugiés remontrants néerlandais à Rouen qui investit son argent dans la culture du sucre aux Antilles, Hillebrant Pietersz s’occupa, par exemple, de l’expédition des lettres de Hugo Grotius et Johannes Wtenbogaert, les chefs intellectuels des arminiens, et chercha pour eux des transports sûrs71. Du coup, il s’attira la haine des calvinistes néerlandais. Dans une lettre d’août 1630 à Anthony Van Hilten, secrétaire des États de la province d’Utrecht, le conseiller Van Eck, membre de l’amirauté de Rotterdam, dénonça Hillebrant Pietersz comme « un arminien pur et dur » et un ennemi de la patrie, qui trafiquait avec des passeports au nom de l’Infante d’Espagne (la souveraine des Pays-Bas du Sud) à raison de 250 florins, pour permettre aux harenguiers de pêcher librement dans les eaux de la Mer du Nord72.

Conclusion

Désormais plus rien ne doit nous paraître simple ou allant de soi dans ce domaine. La base de la présence néerlandaise à Rouen fut indiscutablement le commerce, mais les réseaux tissés entre négociants néerlandais et français ont été enrichis, fortifiés et diversifiés par la religion. Sous l’influence du durcissement antiprotestant en France, la religion a pris une importance croissante dans le récit que les historiens en ont plus tard composé. Mais il faut s’entendre sur ce qu’on y comprend. L’approche institutionnelle de la religion, qui reste confinée dans le cadre de ce que l’Église prescrit, désire et sanctionne d’en-haut, doit être corrigée par une approche socio-culturelle, qui adopte une vision rendant justice aux réalités de la vie quotidienne des fidèles, y compris aux limites inéluctables de leurs actions et à leurs compromissions inévitables. Il faut pour cela examiner minutieusement les relations d’affaires (les contrats, les compagnies), de parenté (les mariages, le choix des témoins aux baptêmes, les responsables de la tutelle, les clauses des testaments), et si possible de voisinage. Ces relations entre les négociants et leurs familles, qui à Rouen vivaient pour l’essentiel réunis dans quelques paroisses rapprochées, révèlent un paysage religieux pluriconfessionnel complexe, nuancé et à intensités variables. Les changements confessionnels y sont bien visibles, mais la communauté d’origine, donc l’identité locale, et la branche du négoce adopté priment bien souvent sur le choix religieux, y compris parmi les catholiques, sans pour autant décider du choix définitif de la confession après la Révocation. On ne peut donc que plaider pour un retour aux sources et à des recherches ciblées sur les personnes, familles et réseaux, nationaux aussi bien que transnationaux, pour renouveler notre vision de la dynamique pluriconfessionnelle. Les exigences, joies et peines de la vie de la cité et de la communauté professionnelle primaient bien souvent les prescriptions des Églises, qu’elles soient protestantes ou catholique.

Appendice : Contrats conclus par les 26 plus importants négociants néerlandais devant des tabellions à Rouen, 1640-1659 (Source : AD Seine-Maritime, 2E 1/43)

Négociants1640-16441645-16491650-16541655-1659Total
Dericq (Dircksz)1832467103
Vrolincq (Vrouling)728491296
Pitresson (Pietersz, Petri)65030490
Vandale (Van Daele)2133171586
Vanderscalque154913986
De Coningh2222347
Van Almonde37441
Amsinck7920339
Van Heninghe182139
Vanesviller (Van Esweiler)2114136
Scot[t]1915126
Everson812424
Schockfebvre2311218
Vanemericq (Van Hemericq)510217
Elquens (Eelkens)116715
Dierquens (Dierkens)95115
Jansse31215
Quack11213
Van Hesbergue (Isbergen)11112
Pelgrom33511
Van Campen16411
Desormeaux4239
Vanderspran(g)549
Ochuysen1348
Quint358
Vanbecq (Vanbecken)268
Total par période10933933797882
Moyenne par an21,867,867,419,444,1

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1. Sur le protestantisme en Normandie, voir la somme monumentale de Luc Daireaux, « Réduire les Huguenots ». Protestants et pouvoirs en Normandie au xviie siècle, Paris : Champion, 2010. Sur le Refuge aux Pays-Bas, voir Hans Bots, « Le Refuge dans les Provinces-Unies », in : Eckart Birnstiel – Chrystel Bernat (dir.), La Diaspora des Huguenots : Les réfugiés protestants de France et leur dispersion dans le monde, xvie-xviiie siècles, Paris : Honoré Champion, 2001, p. 63-74 ; Willem Frijhoff, « Uncertain Brotherhood. The Huguenots in the Dutch Republic », in: Bertrand Van Ruymbeke – Randy J. Sparks (dir.), Memory and Identity. The Huguenots in France and the Atlantic Diaspora, Columbia, S.C. : University of South Carolina Press, 2003, p. 128-171 ; David van der Linden, Experiencing Exile. Huguenot Refugees in the Dutch Republic, 1680-1700, Farnham, Surrey : Ashgate, 2015, et, récemment, du même l’article « Refuge huguenot », in Catherine Secretan – Willem Frijhoff (dir.), Dictionnaire. Les Pays-Bas au Siècle d’or. De l’Union d’Utrecht à la Paix d’Utrecht (1579-1713), Paris : CNRS Éditions, 2018, p. 612-614.

2. Michel Mollat (dir.), Histoire de Rouen, Toulouse : Privat, 1979 ; Philip Benedict, Rouen during the Wars of Religion, Cambridge : University Press 1981.

3. Henry Méchoulan, Amsterdam, xviie siècle : Marchands et philosophes : Les bénéfices de la tolérance, Paris: Autrement, 1993, 238 p. ; Willem Frijhoff – Maarten Prak (dir.), Geschiedenis van Amsterdam, II-1 : Centrum van de wereld 1578-1650, Amsterdam : SUN, 2004 ; 2e éd. 2009 ; II-2 : Zelfbewuste stadstaat 1650-1813, ibid., 2005 ; Clé Lesger, The Rise of the Amsterdam Market and Information Exchange ; Merchants, Commercial Expansion and Change in the Spatial Economy of the Low Countries, c. 1550-1630, Aldershot : Ashgate, 2006.

4. Philippe Legendre, Histoire de la persécution faite à l’Église de Rouen, Rotterdam : Jean Malherbe, 1704, rééd. par Émile Lesens, Rouen: Léon Deshays, 1874 ; Jean Bianquis – Émile Lesens, La Révocation de l’Édit de Nantes à Rouen : essai historique. Suivi de notes sur les protestants de Rouen persécutés à cette occasion, Rouen : Léon Deshays, 1885. Les analyses de L. Daireaux, Réduire les Huguenots, sont surtout centrées sur l’évolution institutionnelle et le personnel religieux (les pasteurs), et donnent relativement peu de renseignements sur les laïcs ; elles négligent presque entièrement les négociants protestants d’origine étrangère, nombreux dans tous les ports normands et plus particulièrement à Rouen et à Dieppe.

5. E. Lesens, « La colonie protestante hollandaise, les Flamands, Hambourgeois et habitants des pays circonvoisins à Rouen au xviie siècle », Bulletin de la Commission des Églises wallonnes 5 (1892), p. 203-224 ; Jules Mathorez, Les étrangers en France sous l’Ancien Régime. Histoire de la formation de la population française, Paris : Champion, 1921, II, p. 175-335.

6. Voir les références données par L. Daireaux, Réduire les Huguenots, p. 282, note 1.

7. L. Daireaux, Réduire les Huguenots, p. 241, 250-253, 949-950.

8. Émile-G. Léonard, La résistance protestante en Normandie au xviiie siècle, cahier thématique des Annales de Normandie, n° 34 (Caen, 2005), p. 19.

9. Pour le rôle important des négociants étrangers dans l’économie rouennaise, en particulier des Flamands et Néerlandais, voir Jacques Bottin, « Négoce et crises frumentaires : Rouen et ses marchands dans le commerce international des blés, milieu xvie – début xviie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine 45:3 (1998), p. 558-588 ; Id., « La présence flamande à Rouen : l’hôtel, l’auberge, la maison », in : Jacques Bottin – Donatella Calabi (dir.), Les Étrangers dans la ville : minorités et espace urbain du bas Moyen Âge à l’époque moderne, Paris : Éditions MSH, 1999, p. 283-298 ; Bertrand Gautier, « Les négociants étrangers à Rouen à l’époque de Richelieu et de Mazarin (1625-1660) », Annales de Normandie 55:3 (2005), p. 247-266.

10. L. Daireaux, Réduire les Huguenots, p. 282.

11. AD Seine-Maritime, 2E1/ 566, f. 140r-141r; 2E1 / 569, f. 243r-243v.

12. AD Seine-Maritime, 4E 02020, Saint-Étienne-des-Tonneliers, BMS 1559-1599, f. [162]. Voir ibid., 2E1/567, f. 127v-128r, le testament de Jacques de Vos, marchand flamand, demeurant paroisse Saint-Ouen de Rouen, et de Cornelia Le Muet, sa femme, Rouen, 12 décembre 1586.

13. AD Seine-Maritime, 4E 02192, Saint-Vincent, BMS 1591-1637, f. 52v.

14. AD Seine-Maritime, 4E 02192, Saint-Vincent, BMS 1591-1637, f. 21v.

15. La documentation sur cette famille est réunie dans mon article « Jacob Eelkens Revisited : A Young Franco-Dutch Entrepreneur in the New World », De Halve Maen. Magazine of the Dutch Colonial Period in America, New York City, 88:1 (Spring 2015), p. 3-12. Je prépare une étude globale sur le réseau des Eelkens et familles apparentées à Bois-le-Duc, Amsterdam, Rouen, Cologne, Anvers, Oslo et Paris du xive au xviiie siècle. La branche rouennaise s’éteignit en ligne masculine à la mort de Conrad Elquens, maître boursier sur le quai Pelletier (la place de Grève), paroisse Saint-Gervais à Paris, doyen de sa communauté, entre 1760 et 1768.

16. AD Seine-Maritime, 4E 02193, Saint-Vincent, baptêmes 1614-1622, f. [11].

17. François Farin, Histoire de la ville de Rouen, 3e éd., Rouen : Louis du Souillet, 1731, I, p. 15 ; II, p. 353.

18. AD Seine-Maritime, 4E 02134, Saint-Michel, BM 1630-1643, p. 37.

19. Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. III-VIII ; J. Bianquis – E. Lesens, La Révocation, p. 17 ; L. Daireaux, Réduire les Huguenots, p. 538, note 2, et p. 678, note 3.

20. Voir F. Farin, Histoire de la ville de Rouen, Rouen : J. Hérault, 1668 ; 2e éd., Jacques Amiot, 1710 ; 3e éd. Louis du Souillet, 1731 ; L. Daireaux, Réduire les Huguenots, p. 182-196.

21. Derck Marcelisz Blanckebiel, nom qu’il a latinisé en Theodorus Marcilius, le seul sous lequel il reste connu. Voir W. Frijhoff, « Les Blanckebiel : une famille sans frontières au temps de l’humanisme et des guerres de religion », De Nederlandsche Leeuw. Tijdschrift van het Koninklijk Nederlandsch Genootschap voor Geslacht- en Wapenkunde 129:33 (septembre 2012), p. 136-153.

22. Pierre de Vaissière, Messieurs de Joyeuse (1560-1615). Portraits et documents inédits, Paris 1926, p. 31-34 ; Jean-Charles Descubes (dir.), Rouen : Primatiale de Normandie, Strasbourg : La Nuée Bleue, 2012, 429-430.

23. Marie-Madeleine Compère – Dominique Julia, Les Collèges français, 16-18e siècles, t. II : Répertoire France du Nord et de l’Ouest, Paris : INRP-CNRS, 1988, p. 565-585.

24. F. Farin, Histoire de la ville de Rouen, 3e éd. (1738), t. V, p. 78-89, t. VI, p. 366-370. Cette fondation n’a pas été mentionnée par L. Daireaux, Réduire les Huguenots p. 184-186, qui s’en tient à la fondation de l’Oratoire de Dieppe en 1614-1615.

25. H. F. van Heussen, Batavia Sacra, Bruxelles : Fr. Foppens, 1714, II, p. 240-241 ; P. De Swert, Chronicon Congregationis Oratorii Domini Jesu per provinciam archi-episcopatus Mechlinienis diffusae, Lille : P. Matthon, 1740, p. 34-36.

26. Il s’agit de Jacob Eelkens le jeune, marchand pelletier au service de son oncle Henri Eelkens et, dès 1613 commandant de Fort Nassau, le premier établissement des Hollandais en Amérique du Nord près de l’actuelle ville d’Albany. Voir l’article cité à la note 15.

27. Adrien Baillet, Vie de M. Descartes, Paris : Daniel Horthemels, 1691, I, p. 194 ; II, p. 527 (son confesseur : un Père de l’Oratoire) ; identifié dans Charles Adam, Vie et Œuvres de Descartes, Paris : Léopold Cerf, 1910, p. 300-301.

28. Jeroen van de Ven, « Quelques données nouvelles sur Helena Jans », Bulletin Cartésien 32 (2001), p. 10-12.

29. W. Frijhoff, « The Oratory in the seventeenth-century Low Countries », Revue d’histoire ecclésiastique 107:1 (2012), p. 169-222, ici p. 196.

30. M.D.P.V. [= Marie de Pommereuse Ursuline], Les Chroniques de l’Ordre des Ursulines, recueillies pour l’usage des Religieuses du mesme Ordre. Continuation de la Troisième partie, Paris : Veuve Iean Henault & François Henault fils, 1673, p. 287-288 ; Jeanne de Cambounet de La Mothe, Journal des illustres religieuses de l‘ordre de Sainte-Ursule, avec leurs maximes et pratiques spirituelles, tiré des chroniques de l’ordre et autres mémoires de leurs vies, t. III, Bourg-en-Bresse : Ioseph Ravoux, 1686, p. 10-11.

31. L. Daireaux, Réduire les Huguenots, p. 365.

32. Laurent Jalabert – Cédric Moulis (dir.), Nouveaux regards sur Turenne. Numéro spécial des Annales de l’Est, 6e série, 61 (2011), en particulier W. Frijhoff, « L’image de Turenne aux Pays-Bas depuis la Guerre de Hollande », p. 225-249.

33. J. G. van Dillen, Het oudste aandeelhoudersregister van de Kamer Amsterdam der Oost-Indische Compagnie, La Haye : Nijhoff, 1958), p. 113 ; Johan E. Elias, De Vroedschap van Amsterdam 1578-1795, t. II, Haarlem : Vincent Loosjes, 1903, p. 764.

34. J. Bottin, « Négoce et crises frumentaires », p. 573, 576, 581. Sur cette famille voir aussi Jean-Christophe German, « La belle-famille du flibustier Charles Fleury : les Loyson d’Amsterdam et de Rouen et leurs alliés », Généalogie et Histoire de la Caraïbe, 2014:5, p. 1-23.

35. Henri de Frondeville, Les Conseillers au Parlement de Normandie de 1641 à 1715, Paris : A. Picard, 1970, III, p. 333-334 ; E.-G. Léonard, La résistance protestante, p. 17.

36. Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. 85-86 ; E. Lesens, La colonie protestante, p. 221 ; J. Bianquis – Ph. Lesens, La Révocation, p. 3-4. Son fils Philippe de La Basoge s’engagea d’abord dans l’armée irlandaise, puis se réfugia à Gouda où il mourut vers 1717 ; sa fille Madeleine épousa le pasteur réformé Jean Richier de Cérisy qui lui aussi se réfugia à Gouda, où il mourut en 1717. Voir Vivienne Larminie, Huguenot networks 1560-1780 : the interactions and impact of a Protestant minority in Europe, New York : Routledge, 2018.

37. AD Seine-Maritime, J 1234, baptêmes Quevilly 1620-1630, p. 164.

38. Voir la liste des nobles protestants dans les registres de l’église de Quevilly (donc à Rouen) au xviie siècle dans Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. 158-169.

39. Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. 75 et 80 ; E. Lesens, La Révocation, p. 25.

40. Michel Van Damme, Manière la plus industrieuse, suptille et briefve qu’on pourra veoir et qui n’a encore esté imprimee a tenir iustement et parfaictement livres de casse [etc.], Rouen : Nicolas Dugort, 1606. Voir J. Bottin, Dans le secret des affaires : technique comptable et représentations. Le manuel de Michel Van Damme, Rouen, 1606, Paris : Cheff, 2 vol. in-4°, en préparation.

41. Jan Lucassen – Rinus Penninx, Newcomers. Immigrants and their Descendants in the Netherlands 1550-1995, Amsterdam : Transaction Publishers, 1997 ; Erika Kuijpers, « Immigration », in : C. Secretan – W. Frijhoff (dir.), Les Pays-Bas au Siècle d’or, p. 373-377.

42. Jaap Jacobs, New Netherland : A Dutch Colony in Seventeenth-Century America (Leyde & Boston: Brill, 2005); Hans Krabbendam, Cornelis A. van Minnen & Giles Scott-Smith (dir.), Four Centuries of Dutch-American Relations 1609-2009, Amsterdam : Boom / Albany : Suny Press, 2009 ; J. Jacobs – L. H. Roper (dir.), The Worlds of the Seventeenth-Century Hudson Valley, Albany : Suny Press, 2014.

43. Voir pour ce basculement socio-confessionnel l’introduction à Van Dillen, Het oudste aandeelhoudersregister.

44. E. Lesens, « Nicolas Dericq, grand marchand de Rouen au xviie siècle – sa famille. Documents inédits concernant l’histoire du protestantisme en Normandie », Bulletin de la Commission de l’histoire des Églises Wallonnes, 2e série, t. I (1896), p. 129-151.

45. Ses enfants nobles dans Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. 162.

46. AD Seine-Maritime, 4E 02193, Saint-Vincent, BMS 1607-1609, f. 6.

47. AD Seine-Maritime, G 9870, f. 182r, et G 9882.

48. AD Seine-Maritime, 3E 00999, Saint-Pierre-du-Châtel, mariages 1604-1648, f. 92.

49. Sur la famille De Caën : Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle France, II : Le comptoir, 1603-1627, Montréal : Fides, 1966 ; Bruce G. Trigger, Les Indiens, la fourrure et les blancs : Français et Amérindiens en Amérique du Nord, Montréal : Éd. du Boréal, 1992 ; John A. Dickinson, « La Normandie et la construction d’une Nouvelle France », Annales de Normandie 58:3-4 (2008), p. 59-67.

50. Alexis de Saint-Lô o.f.m.cap., Relation du voyage du Cap-Verd, Paris : François Targa, 1637, p. 1-10, 47, 96, 99, 137-138, 142, 168-170, 205-211.

51. Voir récemment Éric Roulet, La Compagnie des îles de l’Amérique 1635-1651. Une entreprise coloniale au xviie siècle, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2017.

52. W. Frijhoff, « Jacob Eelkens revisited ».

53. Raphael Morera, « Du commerce aux finances : la fortune de Jean Hoeufft (1578-1651) entre la France et les Provinces-Unies », Revue d’histoire moderne et contemporaine 63/1 (2016), p. 7-29 ; O. Schutte, Repertorium der Nederlandse vertegenwoordigers residerende in het buitenland 1584-1810, La Haye : Martinus Nijhoff, 1976, p. 58 ; W. H. Hoeufft, Genealogie van het geslacht Hoeufft, Middelbourg : hors commerce, 1905, p. 68-72.

54. Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, III, 594-595 ; W. H. Hoeufft, Genealogie, p. 84.

55. Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, VII, 597 ; W. H. Hoeufft, Genealogie, p. 77-79, 99-108.

56. L. Daireaux, Réduire les Huguenots, p. 444-445.

57. Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, II, 95 ; Hans Bots (éd.), Henri Basnage de Beauval en de Histoire des Ouvrages des Savans 1687-1709, t. I, Amsterdam : APA, 1976, p. 6 ; Hans Bots & Lenie van Lieshout, Contribution à la connaissance des réseaux d’information au début du xviiie siècle : Henri Basnage de Beauval et sa correspondance à propos de l’Histoire des ouvrages des savants (1687-1709), t. III : Lettres et index, Amsterdam & Maarssen : APA-Holland University Press, 1984), p. 21 ; L. Daireaux, Réduire les Huguenots, 602-605.

58. Caesar Amsinck – Otto Hintze, Die niederländische und hamburgische Familie Amsinck. Ein Versuch einer Familiegeschichte, 2 vol., Hambourg : Lütcke & Wulff, 1886-1891 ; J. Bianquis – E. Lesens, La Révocation, p. 3. Sur les Dierkens/Dierquens, dont une branche exploita une raffinerie de sucre à Amsterdam et la branche rouennaise fournit plus tard des membres de la régence de La Haye, voir J. Reesse, De suikerhandel van Amsterdam van het begin der 17de eeuw tot 1813, Haarlem : Kleynenberg, 1908, p. 127-130, 147-148, et cxlvi-cxlvii ; H. P. Fölting, De vroedschap van ’s-Gravenhage 1572-1795, Pijnacker : Dutch Efficient Bureau, 1985, p. 178-179, 200-203, 222-224.

59. E. Lesens, La colonie protestante, p. 218-219 ; J. Bianquis – E. Lesens, La Révocation, p. 3.

60. Stadsarchief Amsterdam, arch. notariées, n° 1824, f. 222-227, 18 mars 1656 (notaire Albert Eggericx).

61. AD Seine-Maritime, 4E 02134, Saint-Michel, BM 1630-1643, p. 116.

62. Voir E. Roulet, La Compagnie des îles de l’Amérique.

63. Michel Zylberberg, Capitalisme et catholicisme dans la France moderne. La dynastie Le Couteulx, Paris : Publications de la Sorbonne, 2001.

64. Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, VI, 62.

65. Sur lui et sa famille, voir les documents dans Stadsarchief Rotterdam, toegangsnr 40 : Familiearchief Baelde en Bauldry ; E. Lesens, La colonie protestante, p. 218-219 ; J. Bianquis – E. Lesens, La Révocation, p. 5-6 (Basnage), 7 (Bauldry).

66. AD Seine-Maritime, G 7064, paroisse Saint-Maclou, biens situés à Saint-Étienne-du-Rouvray.

67. Voir un épisode étonnant à son sujet en 1655 : réformé, il ferme toutes les issues de la maison qu’il loue pour ne pas avoir vue sur l’église Saint-Martin-du Pont, chez L. Daireaux. Réduire les Huguenots, p. 454-455, qui lit par erreur Vandesculque.

68. Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. 177-178 ; J. Bianquis – E. Lesens, La Révocation, p. 25-26.

69. Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. 174.

70. Ph. Legendre, Histoire de la persécution, p. 175.

71. Ainsi Hugo de Groot à Nicolaes van Reigersberch 23 novembre 1621 ; Willem de Groot à Hugo de Groot, 14 août 1622 ; Hugo de Groot à Jan et Willem de Groot, 21 janvier 1624 ; Johannes Wtenbogaert à Hugo de Groot, 23 novembre 1628 ; notules de la réunion du bourgmestre Cornelis Jongeneel et les échevins de Rotterdam, 5 et 6 septembre 1629. Voir P. C. Molhuysen. (éd.), Briefwisseling van Hugo Grotius, II (1618-1625), La Haye : Nijhoff, 1936, p. 157, 238, 329, 400-401, 419, 505 ; H.C. Rogge (éd.), Brieven en onuitgegeven stukken van Johannes Wtenbogaert, ii, Utrecht : Kemink, 1871, p. 417, 428.

72. « Brieven van den heer A. van Eck […] geschreven aan A. van Hilten », in : Kronijk. Bijdragen Historisch Genootschap (1867), p. 98-99.