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Émile de Laveleye en 1875

« Compagnon de route » belge du protestantisme et conseiller de la IIIe République

Vincent GENIN

Chargé de recherches FWO à la KU Leuven

Chercheur postdoctoral à l’EPHE, PSL

Réflexion préliminaire1

Le 15 janvier 1875, le professeur d’économie politique de l’Université de Liège Émile de Laveleye publie un article dont le retentissement sera important dans le monde des publicistes, essayistes, économistes et politistes européens de son époque. Ce texte, qui paraît dans la Revue de Belgique, s’intitule « Le Protestantisme & le Catholicisme dans leurs rapports avec la liberté et la prospérité des peuples. Étude d’économie sociale » (p. 5-41). Si l’objet de la présente étude est d’analyser les enjeux de cette réflexion, il est permis d’entrée de jeu de l’inscrire dans un modèle de pensée plus large. En effet, Laveleye, en page 21, écrit ceci, qui représente le cœur de sa prise de position :

Aujourd’hui, nous pouvons démontrer à l’évidence ce que les bons esprits commençaient seulement à entrevoir, au xviiie siècle, l’influence décisive que les formes du culte exercent sur la politique et sur l’économie politique n’avait pas été mise en lumière. Maintenant, elle éclate au grand jour et se montre de plus en plus clairement dans les évènements contemporains. L’action que la religion exerce sur les hommes est si profonde, qu’ils sont toujours amenés à donner à l’organisation de l’État des formes empruntées à l’organisation religieuse.

À la lecture de ces lignes qui exposent de manière neutre ce que l’auteur développe dans ce texte plus explicitement (la supériorité du protestantisme sur le catholicisme2), l’historien ne peut qu’être frappé par la proximité qui existe entre sa prose, qui se situe dans la tradition de l’Essai sur l’esprit et l’influence de la Réformation de Luther (1804) 3 de Charles de Villers, qu’il ne cite cependant pas4, et ce paragraphe célèbre écrit pour la première fois en 1904 par Max Weber :

Le calvinisme exerça semble-t-il une influence déterminante, y compris en Allemagne ; dans le Wuppertal et ailleurs, la confession « réformée » semble avoir particulièrement favorisé le développement de l’esprit capitaliste, par comparaison avec d’autres confessions. Davantage, par exemple, que le luthéranisme, comme semble l’attester une comparaison d’ensemble et de détail, notamment dans le Wuppertal. Buckle, en Écosse, et Keats, parmi les poètes anglais, ont souligné cette relation [note : Il n’est donc pas « nouveau » de mettre en avant cette corrélation, déjà étudiée par Lavaleye (sic), Matthew Arnold5 et d’autres ; ce qui est nouveau, c’est plutôt qu’elle soit mise en doute sans la moindre justification. Le vrai problème est de l’expliquer.]6

La « corrélation » entre éthique protestante et esprit de capitalisme est, on le sait, une thèse forte du sociologue allemand. Celui-ci ne manque pas de citer Laveleye – décédé douze ans plus tôt – en faisant cependant l’économie d’une mention de l’article de 1875, bien qu’il semble le connaître (il a été traduit très rapidement en allemand). Il est vrai que la correspondance entre les deux phénomènes n’est pas tout à fait abordée de la même façon par les deux hommes. Là où Weber s’occupe de l’accroissement des richesses, Laveleye considère ce facteur comme un symptôme parmi d’autres. Cela étant, pourquoi Weber ne jalonne-t-il pas davantage sa thèse sur les travaux fondateurs de Laveleye ? Au-delà du fait que, bien que largement traduits, ceux-ci proviennent d’une aire culturelle différente de la sienne mais aussi d’un représentant d’une autre discipline scientifique, ce silence peut aussi s’expliquer par l’absence de postérité intellectuelle dont souffre Laveleye. Il n’a influencé que de rares continuateurs, qui ne se sont pas constitués en école, uniquement dans le cadre belge et venus de divers domaines : Ernest Mahaim en économie politique, Maurice Wilmotte en philologie romane, Eugène Goblet d’Alviella en politique ou l’historien Paul Frédéricq. Dans un contexte où les gouvernements catholiques se succèdent jusqu’en 1914 en Belgique, le libéral de gauche Laveleye, n’ayant suscité aucune école, ne représentera pas une référence des voix officielles. Paul Frédéricq, souligne ce trait en 1909, à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Calvin :

Tous les historiens n’attachent pas une importance suffisante à l’action de la religion dans le développement ou la restriction des libertés publiques. Mon maître Émile de Laveleye le leur a rappelé maintes fois dans ses écrits qui ont fait sensation en leur temps […]. Il y a des religions qui endorment les peuples, il y a des religions qui les tiennent éveillés7.

Écarté du rectorat en 1891 par un gouvernement catholique qui lui reprochait ses prises de positions peu amènes à l’égard de l’Église, Laveleye craignait dès 1884 d’abandonner sa charge, au risque qu’un défenseur d’un libre-échange sans entrave, digne d’un libéralisme conservateur bientôt contesté en France par un Charles Gide, ne le remplace8. Sa postérité ne fut pas entretenue par les – rares – chroniqueurs de l’économie politique en Belgique, souvent issus de l’école de Louvain, à l’instar de Paul Michotte qui, en 1904, n’épargnera pas son aîné : « En voyant cette prodigieuse activité, on serait tenté de se demander si tout cela était bien sérieux9 » ; « La haine de sa vie, ce fut la haine de la religion catholique ». « Il fut injuste et partial » ; « Tout cela est une tache bien regrettable dans l’œuvre de de Laveleye, ce n’est plus de la science, c’est de la propagande de meeting » ; ou, reprenant un article de Félix de Breux paru dans le catholique Journal de Bruxelles du 22 avril 1896 : dépeint comme un homme d’actualité incapable de prendre du recul, « il était toujours du dernier bateau ». Par conséquent, lorsque Max Weber le cite discrètement en 1904, Émile de Laveleye est déjà un nom quelque peu oublié. Il a subi, mutatis mutandis, la damnatio memoriae dont a été l’objet après 1870 un homme à la pensée duquel son article de 1875 puise en partie sa source : Edgar Quinet.

Notre contribution a pour principale ambition d’interpréter cette importante réflexion proposée par Laveleye en 1875 et de voir ce qu’elle dit des enjeux de son temps, qu’ils relèvent du champ des influences intellectuelles, de sa conception de l’Europe, du rôle décisif qu’il assigne au protestantisme dans la gestion de l’État, de son cheminement personnel jusqu’à l’adoption de ce credo et de la fortune de ce texte. Celui-ci peut être considéré à la fois comme une source utile à l’histoire du protestantisme au xixe siècle et à celle de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, comme un témoignage de la pénétration de mouvements de pensée venus des États-Unis depuis les années 1850 ou une tentative de revivifier le magistère en reflux d’Edgar Quinet. Mais il s’agit d’abord d’un acte intellectuel et politique participant de l’histoire de la fondation de la IIIe République, à l’heure où celle-ci se dote de lois constitutionnelles et où Émile de Laveleye en appelle à l’esprit républicain, servi par la foi protestante, dont il craint l’affaiblissement sous les coups de l’Église et des Prétendants à la restauration monarchique.

Quels sont les traits du diagnostic religieux et politique que dresse l’économiste de la situation de l’Europe en 1875 ?

Point historiographique

Dressons tout d’abord un bref état des lieux des études sur l’histoire du protestantisme en Belgique à l’époque contemporaine.

L’étude de l’évolution du protestantisme sur le territoire de la Belgique indépendante – depuis 1830-1831 – a suscité une historiographie discrète et pour son essentiel consacrée à l’histoire de l’institution du culte protestant10. La Belgique indépendante se dote d’une Constitution dont l’article 14 est d’une clarté limpide : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. » À cette liberté de culte s’agrège une donnée de grande importance : le premier roi des Belges, Léopold Ier, né dans la principauté de Cobourg, est de confession luthérienne. En 1839, les seize consistoires se fédèrent en une Union des Églises, trois ans après la création de l’Église chrétienne missionnaire. La seconde partie du xixe siècle peut être considérée comme une forme d’apogée – en matière de présence numérique mais aussi d’influence politique et intellectuelle – de ce Réveil protestant en Belgique ; on ne trouve pas moins de 106 Assemblées et environ 33 000 fidèles. Il convient cependant de se référer aux états de lieux généraux et à l’approche descriptive, mais cependant très utiles, du pasteur Émile Braekman. Ce dernier proposait en 1967 une segmentation de l’histoire des protestants dans la Belgique contemporaine à laquelle nous souscrivons volontiers : le regroupement (1802-1839), le Réveil (1839-1865), l’apogée du libéralisme religieux (1865-1918) et un certain déclin de ce dernier après la guerre11. Quant à l’historiographie – en France ou dans d’autres pays – de l’histoire de l’économie politique, elle a surtout été consacrée à son processus de légitimation académique12, à des épisodes ponctuels de son émergence ou à la fortune de certaines théories, telles celles de Frédéric Le Play ou de Jean-Baptiste Say. Au demeurant, l’influence du facteur « protestantisme » sur la réflexion des économistes n’a pas été l’objet d’un grand intérêt de la part des historiens de la discipline13.

Au cours de notre étude, qui s’inscrit dans la suite de réflexions précédentes14, il nous est apparu qu’il existe un champ de recherches particulièrement fertile concernant le rôle joué par certains intellectuels français, belges, suisses, néerlandais et anglais, de confession protestante, et plus particulièrement des économistes, dont la discipline connaît une grande phase de légitimation académique des années 1830 aux années 1890. C’est dans le segment belge allant du « Réveil » à « l’Apogée » que se déploie notre questionnement. Ce dernier porte plus particulièrement sur l’importance relative de la foi protestante dans la réflexion économique, sociale et politique d’Émile de Laveleye (1822-1892). En fonction à l’Université de Liège de 1864 à 1892, il est chargé des cours d’économie politique et d’économie industrielle. Économiste hétérodoxe aux yeux du libéralisme du Journal des économistes, séduit dans sa jeunesse par les théories de Pierre-Joseph Proudhon15, il se retrouve dans sa critique de la propriété (une rente parasitaire aux échanges) et sa volonté de dépasser libéralisme de Say : la monnaie (le numéraire) et les taux d’intérêt empêchent de parvenir à une correspondance correcte entre le prix des marchandises et le travail des producteurs.

De Laveleye représente à bien des titres le prototype du protestantisme libéral tel que défini en 1865 par Théophile Bost et dont la réception en Belgique est considérable16. Libre-échangiste, auteur de dizaines de livres et de centaines d’articles consacrés à l’économie politique, à ce que l’on appellera par la suite la science politique, à l’histoire littéraire ou aux questions monétaires, ami de John Stuart Mill, de Pasquale Mancini, de William Gladstone, d’Edgar Quinet, il devient rapidement un spécialiste remarqué, très lu et parfois critiqué, de l’analyse des déterminants confessionnels de l’économie politique – science camérale au sens du xviiie siècle – et de la bonne gestion de l’État. Il est considéré comme une des grandes figures intellectuelles de la Belgique du xixe siècle. Le protestantisme de Laveleye est souvent l’objet de longs développements dans les notices biographiques et hommages qui lui sont consacrés17, à l’inverse de Say, par exemple, dont la confession est réduite à la portion congrue voire passée sous silence dans l’historiographie du xixe siècle et au-delà. Le Dictionnaire d’économie politique de 1854 retient surtout qu’il vient d’une famille de négociants18.

Le climat du Kulturkampf

L’article de Laveleye intitulé « Le Protestantisme & le Catholicisme dans leurs rapports avec la liberté et la prospérité des peuples. Étude d’économie sociale », publié dans la Revue de Belgique, à l’occasion de la livraison du 15 janvier 187519, connaît un retentissement remarquable. Organe littéraire, libéral conservateur, ce périodique est dirigé depuis sa fondation en 1869 par un ami de jeunesse de Laveleye, le critique et essayiste Charles Potvin, qui a aussi pris la suite de la Revue trimestrielle d’Eugène Van Bemmel, autre ami de l’économiste. Il s’agit d’une tribune importante de la bourgeoisie francophone de Belgique. D’entrée de jeu, Laveleye annonce : « Je ne crois pas que les latins soient condamnés au déclin en raison du sang », en revanche « les peuples catholiques progressent beaucoup moins vite que les nations ayant cessé de l’être20 ». Il pose déjà les prémisses de sa thèse. Il salue le caractère progressiste – sans vraiment livrer tout de suite au lecteur ce qu’il entend par ce terme – des Anglais protestants par rapport aux Irlandais « ultramontains ». S’il récuse la hiérarchie entre les races, il en défend en revanche une entre religions21.

La première phase de son raisonnement mobilise une approche relevant, selon une rhétorique parfois autoritaire, de la « supériorité » (en vertu d’une échelle qualitative) du protestantisme sur le catholicisme et du caractère « minoritaire » (échelle quantitative) des protestants réformés. Le versant qualitatif de la réflexion est formulé sans ambages : les destins de la Grande-Bretagne et de la France « chavirent » au xviie siècle, quand les puritains vainquent les Stuarts, d’une part, tandis que, d’autre part, l’édit de Nantes est révoqué en 1685. La cause lointaine, mais cependant directe, selon lui, de l’état de l’Europe s’inscrit dans ce passé vieux de deux siècles. À ses yeux, l’aboutissement de ce processus de distinction entre peuples protestants et catholiques n’est autre que la guerre franco-prussienne de 1870-1871. De Laveleye est un observateur attentif de ce conflit, depuis une Belgique demeurée neutre mais méfiante à l’égard des projets annexionnistes de Napoléon III. Le pays crut à certains moments qu’il serait jeté dans la bataille.

Quelle a été jusqu’alors la position de Laveleye à l’égard de la Prusse, de la France et la Grande-Bretagne ?

La Prusse est à ses yeux une puissance jeune, pleine de vie, animée intellectuellement, militairement, économiquement et culturellement, par l’énergie du protestantisme. Bien qu’à partir de 1875, de Laveleye se montre de plus en plus sceptique devant les tendances hégémoniques de Berlin, il consacre un nombre substantiel d’études aux divers succès militaires, diplomatiques et politiques de la Prusse bismarckienne de 1866 à 1870 ; de février 1867 à octobre 1869, il publie onze articles sur ces questions et en tire une compilation22. À cette salve éditoriale portant sur l’espace germanique succède, comme par voie de conséquence, une série de réflexions tendant à cerner l’état actuel de la France mais aussi les lignes de faîte de son avenir. Il publie en 1870 et 1871 un texte dans la Fortnightly Review23 puis un autre, du même cru, dans la Revue de Belgique24. Ces deux articles témoignent d’un désenchantement formel de l’économiste à l’égard d’une France qu’il chérit depuis sa jeunesse. La « guerre atroce » voulue par Napoléon III et son entourage n’est pas la seule en cause, mais bel et bien l’esprit de revanche qui désormais habite la « pauvre et belle France ». Dès lors, après quelques balbutiements en ce sens déjà exprimés depuis une décennie, Laveleye élit l’Angleterre comme sa terre idéale. Eugène Pelletan25 y voit la « bonne amie26 » du Belge, parlant du royaume insulaire comme de sa « second mother27 » dans une lettre à Joseph Chamberlain, quelques années plus tard. Dans l’espace belge, ce désenchantement n’atteint pas le seul Laveleye. Le juriste et observateur attentif des affaires internationales Gustave Rolin-Jaequemyns, libéral et gantois, prend à la même époque des positions très proches des siennes28.

Au-delà de son succès éditorial, l’article de Laveleye porte en lui de fortes applications pratiques. Selon lui, la conversion de certains catholiques déçus par le clergé et susceptibles de « passer » à l’athéisme ou à l’agnosticisme, comme jadis Auguste Comte ou Proudhon, est une urgence. Cette ambition de convertir, Laveleye l’exprime clairement dans deux lettres publiées dans Le Chrétien belge, organe de l’Église évangélique de Belgique, les 6 et 17 décembre 1874, un mois avant l’article de la Revue de Belgique. Selon lui, les conséquences du Syllabus, de l’infaillibilité pontificale proclamée en 1870 et, surtout, l’accroissement de la tension entre l’Allemagne du Kulturkampf et le Vatican depuis 1871, déterminent les relations internationales.

La rupture des relations diplomatiques entre Rome et Berlin (1872), les lois de mai 1873 prévoyant une ingérence de l’État dans les affaires ecclésiastiques, la nationalisation outre-Rhin des écoles confessionnelles et le vote de la loi de 1874 en vertu de laquelle le mariage civil prime sur le mariage religieux en Prusse, aboutissant à l’encyclique Quod Nunquam du 5 février 1875 contre le Kulturkampf, alimentent un véritable vivier de catholiques déçus par l’intransigeance de Rome29. Il existe donc une occasion, une brèche spirituelle dans laquelle Laveleye veut inviter ses contemporains à s’engouffrer, en priorité certaines grandes familles mais aussi des populations rurales : « Elles tomberont graduellement dans la libre pensée, en d’autres termes dans l’indifférence et dans l’incrédulité. N’est-ce donc pas le moment propice pour le protestantisme de s’approcher de ces familles et de leur dire : Une Église intolérante dont le pouvoir temporel est le but principal, vous chasse ; venez à nous et acceptez une religion dont l’unique base est l’Évangile30. »

Le soutien affiché de Laveleye à Bismarck contraste avec le climat d’extrême défiance existant entre le Chancelier et la Belgique (surtout la presse belge). Les lois de mai 1873 suscitent un réel appui de l’épiscopat belge aux évêques allemands ; dès février, il leur avait envoyé une lettre collective en ce sens. Selon Bismarck pour qui la Constitution belge prévoit une forme de séparation entre Église et État et un statut de neutralité, les ultramontains que sont l’archevêque Mgr Dechamps, l’évêque de Liège Mgr Montpellier mais aussi la presse catholique belge, violent ce statut en faisant acte d’ingérence dans les affaires allemandes. À ceci s’ajoute l’« affaire Duchesne » – un fabricant de chaudières de Seraing qui avait envoyé le 9 septembre 1873 à l’archevêque de Paris une lettre lui demandant 60 000 Francs pour supprimer le « monstre » Bismarck. Informé par l’archevêque, le cabinet de Broglie place Duchesne sous surveillance et le Chancelier allemand est finalement mis au courant du complot par son réseau diplomatique. Lorsque Laveleye soutient le Kulturkampf, il le fait donc dans un contexte où la Belgique officielle apparaît à Berlin comme une plaque tournante de l’Internationale noire et la transgression de sa neutralité par le clergé incarne le contraire de son projet politique31.

Mais Laveleye n’exprime pas un courant majoritaire au sein du cadre national, à l’instar de ses louanges à l’égard de l’exemple hollandais. La « supériorité » anglo-saxonne est incarnée par la réussite du « minoritaire ». Chez l’économiste, ce caractère est particulièrement prégnant lorsqu’il analyse la situation des Pays-Bas (qu’il salue en 1868 comme étant le seul pays à avoir réussi une colonisation, à Java32). Il présente ce cas national comme une forme de révélation dont beaucoup n’ont pas mesuré l’importance. Il est vrai que Laveleye évolue dans un pays très catholique qui s’est affranchi en 1830 de la férule hollandaise, non sans avoir conservé plusieurs rancœurs territoriales à son égard. De plus, beaucoup de Belges gardent un souvenir amer de la perspective envisagée par Guillaume Ier d’Orange d’implanter progressivement son protestantisme dans les provinces méridionales de son royaume. Exposer les Pays-Bas comme modèle en Belgique n’est guère chose courante. Il n’empêche qu’il écrit :

La Réforme a communiqué aux pays qui l’ont adoptée une force dont l’histoire peut à peine se rendre compte. Voyez les Pays-Bas : deux millions d’hommes sur un sol moitié sable et moitié marais ; ils résistent à l’Espagne, qui tenait l’Europe dans ses mains et, à peine affranchis du joug castillan, ils couvrent toutes les mers de leur pavillon33.

Les Hollandais sont l’arme des coalitions européennes, ils ont offert le type de l’Union Fédérale aux États-Unis, ils ont inventé les banques d’émission et les sociétés par actions. Laveleye salue une forme de structure étatique : le petit pays au sol ingrat, le succès outre-mer, la résistance aux empires continentaux et l’accroissement de la richesse. Cet éloge du David face au Goliath continental se traduit aussi dans le cas prussien, non sans que ne s’y adjoigne un sentiment de vitalité, tandis que Laveleye mobilise à ce sujet le Voyage autour du monde du comte Ludovic de Beauvoir34 :

La Prusse protestante bat deux empires, chacun deux fois plus peuplé qu’elle, le premier en sept semaines, le second en sept mois. Dans deux siècles, l’Amérique, l’Australie et l’Afrique australe appartiendront aux Anglo-Saxons hérétiques et l’Asie aux Slaves schismatiques […]. Les peuples soumis à Rome semblent frappés de stérilité : ils ne colonisent plus35.

Éclairer le constituant français

Les sentiments de Laveleye à l’égard de la France sont complexes, mais aussi conflictuels. Né à Bruges, où il commence ses années d’Athénée, il poursuit sa scolarité secondaire au Collège Stanislas, à Paris. Là, il évolue dans un climat gallican, janséniste et son attention est attirée par la notion de réforme religieuse – bien plus tard, il adhèrera pleinement au principe d’Edgar Quinet en vertu duquel une réforme politique de fond ne va pas sans réforme religieuse36. Il ne tarde pas à se plonger dans les œuvres de Proudhon, qui ne sont pas encore diffusées en Belgique. Se revendiquant clairement des Lumières, Laveleye destine, bien qu’il ne le dise pas explicitement, l’article de 1875 à ses correspondants français et peut-être à certains hommes politiques. En effet, le texte paraît le 15 janvier, tandis que l’Assemblée Nationale à Paris s’apprête à poser les jalons officiels du nouveau régime politique. Le 20 janvier, l’amendement Wallon introduit le terme « République » dans la constitution et dessine le septennat présidentiel. Du 20 janvier au 16 juillet, les lois constitutionnelles de la IIIe République établissement les nouveaux contours du parlementarisme en gestation. Il s’agit d’une croisée des chemins pour la France ; Laveleye en est conscient et n’ignore sans doute pas que ce nouveau régime est fondé par un nombre non-négligeable de décideurs de confession protestante. Ce phénomène suscitera d’ailleurs un antiprotestantisme diagnostiqué par Charles Gide dès 1898 et traité bien plus tard par Valentine Zuber et Jean Baubérot37.

Pour l’économiste, il y a là une occasion à saisir, que son article vise à mettre en évidence. Laveleye rappelle que la Réforme tend « à faire naître des institutions républicaines et constitutionnelles », en ajoutant que, « les Calvinistes et les Presbytériens ayant rétabli l’organisation républicaine dans l’Église, le protestant, par une suite logique, transporta dans la société politique les mêmes principes et les mêmes habitudes38 ». Sous sa plume, les volontés jadis exprimées par les huguenots croisent, pêle-mêle, les traits saillants de son propre projet de société : développement de l’autonomie locale, de la décentralisation, du fédéralisme, mais aussi possibilité d’une séparation des Églises et de l’État, du reste défendue dès 1850 par Quinet dans L’Enseignement du Peuple39. Bien qu’il ne mentionne jamais les débats en cours en France en ce mois de janvier 1875, il se fait plus clair lorsqu’il énonce sa véritable crainte : « La France a, en ce moment, l’occasion de fonder des institutions libres. Mais les partisans de la monarchie frayeront le chemin au retour d’un Napoléon ou jetteront le pays dans l’anarchie par leur aveugle obstination » ; « La république est, en ce moment, le seul gouvernement possible40 ». Laveleye clôt son développement par une interpellation destinée à qui veut bien la lire : « En ce moment, le cléricalisme gouverne à Versailles41 ».

Doit-on lire ces lignes comme une réaction à la petite remontée du parti bonapartiste aux élections partielles du 24 mai 1874 (soutenu par un vote rural, un des publics cibles de Laveleye) et à une crainte de l’opinion qui mènera au vote serré (organisé en deux temps) sur le choix du régime républicain à la fin janvier ? Le terme « clérical » employé par Laveleye rappelle la prolifération des congrégations en France depuis 1870 et les rêves de restauration d’une monarchie catholique, malgré l’échec de la restauration en 1873 suite au discours du duc de Broglie sur « l’ordre moral ». En juillet 1875, le Père Ramière écrit encore dans Les Études que le comte de Chambord, aussi soutenu par L’Univers, « réunit la loyauté d’Henri IV à la vertu de Saint-Louis », tandis que plusieurs évêques préparent son retour. Ces ambitions resteront vivaces jusqu’aux élections législatives de 1876, qui font siéger 360 républicains à la Chambre pour seulement 130 conservateurs42. À partir de 1879 et de la présidence de Jules Grévy (cinq ministres sur dix sont réformés dans le gouvernement Waddington du 4 février au 28 décembre de cette année), la IIIe République présente de bonnes dispositions aux protestants libéraux43. C’est aussi l’époque à partir de laquelle la question de la laïcité de l’État s’enclenche, soutenue à partir des années 1890 par les protestants, unis dans l’opposition qu’ils suscitent44.

Les références de Laveleye sont très françaises : il publie à foison ses réflexions, durant près de trente ans, dans la Revue des deux-mondes. Rejoignant l’opinion d’un Laveleye ou d’un économiste comme Henri Baudrillart, elle se montre sceptique devant le luxe prôné par le régime impérial. L’un de ses auteurs récurrents, du reste époux d’une protestante, est Émile Boutmy, fondateur en 1872 de l’École Libre des Sciences Politiques45. Contribuant en 1871 au rapprochement entre orléanistes de centre-droit et républicains de centre-gauche, cette tribune soutient la République et devient un laboratoire de réflexion où les articles de Laboulaye sur « La Question des deux Chambres » ou de Laveleye sur « La Forme de gouvernement dans les sociétés modernes » sont très lus46.

Dans son article de 1875, Laveleye puise aux récits de voyages à succès de son époque, aux travaux d’analyse économique mais aussi aux ouvrages diffusés par certains prédicateurs. Lorsqu’il parle de la Suisse – sous l’influence des écrits d’Hepworth Dixon47 – dont, sans surprise, il loue les cantons réformés de Neuchâtel, Vaud et Genève, au détriment de Lucerne ou du Valais et salue leur « civilisation », terme hexagonal en contrepoint de la « culture » allemande. Qu’entend Laveleye par civilisation, dont le degré élevé représente la caractéristique remarquable des peuples protestants ? L’instruction, la littérature, les beaux-arts, l’industrie, le commerce, la richesse et la propriété. Son discours s’adresse sans doute à la France, mais aussi à la Belgique et, plus largement à ceux qui pourraient devenir des « latins protestants48 ». Au-delà de ce public ciblé, Laveleye souhaite avant tout convaincre certaines élites de se convertir au protestantisme. Une fois cette opération faite, de plus larges franges de la population pourront suivre. Bien qu’il regrette avec une nostalgie presque romantique la « réussite freinée » de la France suite à la décision de 1685, il souligne l’exemple de certaines régions comme celle de Nîmes, « cité huguenote » s’il en est et ville qui sera chère à Charles Gide (qui lira très tôt Laveleye et réussira à contester le Journal des économistes), en se référant au livre de l’historien et économiste Armand Audiganne : Les populations ouvrières et les industries de la France dans le mouvement social du xixe siècle, paru en 1854. Chef du bureau de l’Industrie au ministère de l’agriculture et du commerce, né à Anvers et décédé en 1875, habitué des rubriques de la Revue des deux-mondes, Audiganne s’est beaucoup penché sur les prémices du droit du travail49. Il rappelle qu’à Nîmes, les ouvriers sont souvent catholiques et les chefs d’entreprise de confession protestante50.

Archéologie d’une pensée : Channing, Laboulaye et les Proscrits

Au-delà de la Prusse et de la France – et l’on omettra ici volontairement l’Italie, que Laveleye considère comme sa « seconde patrie51 » –, l’Angleterre et les Pays-Bas ont tôt attiré son attention. En effet, la réflexion jetée sur le papier en 1875 trouve son ébauche dans un article paru en 1859 dans La Libre Recherche, périodique fondé par l’exilé français Pascal Duprat52, sous le titre « Des progrès des peuples anglo-saxons ». Les idées religieuses de Laveleye y sont déjà fixées mais elles ne s’adossent pas encore à l’événement retentissant, qui prendra la dimension d’une forme de démonstration intellectuelle et géopolitique, que représente la défaite de Sedan. Ce texte, publié sous le pseudonyme d’« Émile de Saint-Sixte53 », attribue l’accroissement de richesse et de population des pays anglo-saxons à l’« amour du travail », l’« aptitude à la liberté » et, surtout, à l’influence du protestantisme, qui fortifie la raison, « pose l’homme à l’épargne, respecte la responsabilité et accroît l’énergie individuelle54 ». Ces lignes sont à interpréter dans le contexte du libre-échangisme triomphant incarné par Michel Chevalier, mais aussi par le traité qu’il signa en 1860 avec Richard Cobden (l’année suivante, ce sera un traité anglo-belge). Par ailleurs, la Belgique se situe dans le climat de l’abolition des octrois (1860) et de la création de la Caisse d’épargne (1865) sous l’impulsion du « grand ministère libéral » de Charles Rogier et de Walthère Frère-Orban55. Charles Rogier, figure tutélaire de la Belgique indépendante, avait très tôt été rendu sensible au libre-échange, avait suivi des cours du protestant Say au Conservatoire des Arts et Métiers et lui avait proposé d’être professeur à l’Université de Liège56.

Si l’article de 1875 trouve son origine dans celui de 1859, il faut remonter à 1857 pour repérer un vrai tournant dans le rapport de Laveleye au protestantisme. Toujours dans La Libre Recherche, il publie « La Question religieuse dans les Pays catholiques » (t. V, p. 163-185). Sa pensée y opère un véritable saut qualitatif. Il y met en contraste l’issue rationaliste proposée par le libre-penseur Eugène Sue, qui publie à Bruxelles en 1857 ses Lettres sur la question religieuse en 1856 et la Révolution religieuse au xixe siècle, et celle, clairement protestante, d’Edgar Quinet, dont Sue préface les Œuvres de Marnix de Sainte-Aldegonde57 qui eurent un succès étonnant en Belgique. Sue préconise la sécularisation de l’enseignement et la création d’une association rationaliste. Le protestantisme est pour lui la voie d’accès permettant de parvenir au rationalisme pur. Quant à Quinet, il est moins radical : il faut sortir « en masse de l’Église ». Laveleye n’est pas séduit par les objectifs de Sue, dans la mesure où ils mènent selon lui à l’athéisme. Il veut conserver une religiosité à base morale.

La Libre recherche est une véritable plaque tournante de proscrits du Seconde Empire et de plumes libérales telles que Jules Michelet, Jules Simon, Eugène Pelletan ou Louis Blanc. La revue accueille plusieurs textes défendant la doctrine de l’Unitarisme, chère au théologien américain William Channing dans ses Principes du Christianisme unitaire (1855) et au philosophe Edgar Quinet, à savoir une option aboutie du protestantisme et un retour du christianisme à l’Évangile originel58. Les Œuvres sociales de Channing sont diffusées en France grâce à la traduction d’Édouard de Laboulaye, professeur au Collège de France, américaniste et économiste. En Belgique, c’est le bibliothécaire de l’Université Libre de Bruxelles, François Van Meenen, qui assure cette diffusion. Selon Channing, principal pasteur de l’Église unitarienne, la vie morale comprend trois volets majeurs : la prédominance de la vie de l’esprit, l’obligation de tendre à la perfection et la pratique de la charité. Toujours en 1857, et dans cet esprit, Laveleye écrit à un ami : « Je crois que le christianisme contient en lui l’essence du développement de l’humanité. C’est avec l’Évangile que Luther a ruiné l’ancien monde théologique ; c’est encore l’Évangile qui fera la révolution dans le monde politique et économique… L’œuvre à accomplir est de pousser le libéralisme voltairien au protestantisme59 ». En 1860, un journaliste belge y voit le « Fénelon des États-Unis60 ».

À cette époque, le Collège de France est pour ainsi dire la seule institution nationale à dispenser des matières que l’Université n’inscrira à ses programmes qu’à la fin du xixe siècle, comme l’économie politique (1877), la statistique ou même la législation comparée. En revanche, l’Université belge, sous l’influence allemande, professe déjà ces « sciences morales » considérées d’avant-garde. C’est ce qui explique que Laveleye ait pour principaux référents intellectuels dans l’Hexagone les professeurs situés sous les auspices du Docet Omnia. À ce titre, les économistes aux idées desquels il adhère ou se confronte sont le plus souvent les titulaires de la chaire d’économie politique du Collège : Michel Chevalier (1840-1879), dont l’enseignement est complété à partir de 1871 par celui d’Émile Levasseur, autour de l’histoire des faits et des doctrines économiques61 ; Laboulaye est quant à lui le titulaire d’une chaire d’histoire générale et philosophique des législations comparées de 1849 à 1883, pour ainsi dire le seul reliquat de la petite tempête qui agita le Collège en 1848-1849 à la suite du printemps révolutionnaire et au cours duquel onze chaires avaient été créées. Il s’intéresse dès 1850 à ce que serait un État laïque et se trouvera associé aux réformes de l’enseignement de Ferry dès 1879. Il étudie la propriété littéraire, mais aussi la condition civile et politique des femmes62 : toutes questions qui susciteront l’intérêt de Laveleye. Charles Gide a très bien décrit l’engouement qu’inspirait l’enseignement de Laboulaye après 1870 : « Nous nous pressions autour de la chaire de Laboulaye63 », au Collège, après son livre à succès, Paris en Amérique. Laboulaye y rêve un personnage vivant dans un pays sans « gendarme ni sergent de ville ». « La folie de la liberté » y règne. « Après le long silence de 18 années d’un régime impérial et administratif, ces mots de liberté et d’individualisme prenaient une sonorité extraordinaire qui faisait battre nos cœurs ». Peu après, Gide, en cela proche de Laveleye, du socialisme de la chaire et dans un style métaphorique qui n’est pas sans rappeler celui du Belge, critiquera les travers du laisser-faire sans limite, d’une liberté de travail tellement poussée qu’elle ne peut mener qu’aux grèves violentes et aux déséquilibres sociaux.

En somme, dès la fin des années 1850, non sans renier certains pans de leur pensée a posteriori, Laveleye est influencé par Laboulaye, Quinet, Channing, dont les lectures et les théories forment sans conteste, avant sédimentation, le terreau de sa réflexion de 1875. En dehors de ces influences livresques et étrangères, d’autres déterminants, propres au contexte intellectuel belge et au foyer de Laveleye, entrent en ligne de compte.

Le facteur « vie privée »

Un autre facteur s’avère déterminant pour l’évolution du rapport de Laveleye au protestantisme : sa vie privée. Son mariage en 1853 avec une jeune protestante, Marie Prisse, a joué un rôle important. C’est la fille d’un général, ancien ministre de la guerre ayant exercé la fonction d’aide de camps du roi Léopold Ier. Apprenant cette union, le premier mentor de Laveleye, le professeur de philosophie de Gand François Huet, qui a également joué un rôle dans la volonté de voir sa jeune pousse se rapprocher de l’Évangile, lui écrit :

Je vous crois le cœur bien placé… Si j’avais l’honneur de voir l’aimable enchanteresse, je m’en prévaudrais pour lui dire : Nous vous le remettons en bon état. Donnez-moi un reçu, s’il vous plaît. Vous vous engagez non seulement à garder le trésor, mais à l’accroître. Nous vous le livrons philosophe ; rendez-le nous, de plus, chrétien selon l’Évangile, et nous ne nous plaindrons pas. Qu’il soit fidèle auprès de vous à la cause du pauvre et de l’opprimé64.

Portrait d’Émile de Laveleye par Florimond Van Loo (1858-1886)

Lithographie (1873) 54,7 x 40,3 cm, n° 02894

Université de Liège – Musée Wittert

Selon le futur ministre libéral Eugène Goblet d’Alviella, Laveleye se rapproche du protestantisme sous forme de christianisme libéral, « sous l’influence de son foyer domestique » – « peut-être », ajoute-t-il prudemment65. Un tel constat n’est pas incongru si l’on suit les recherches de Jacqueline Lalouette, rappelant le rôle prédominant sur leurs maris qu’ont eu des femmes protestantes telles que les épouses d’Edgar Quinet, Paul Prévost-Paradol, Alexandre Ribot, Jules Favre ou Emile Boutmy66.

Au-delà de son épouse, qui a sans conteste influencé les positions de Laveleye, il convient d’analyser le rôle de sa mère, Julie Van Lede, plutôt sur un mode négatif, au regard de sa foi catholique et du drame qu’aurait représenté pour elle la conversion de son fils – avec lequel elle a toujours entretenu une relation fusionnelle – au protestantisme. Cette crainte se manifeste clairement en 1863, lorsque Laveleye reprend ces questions par le biais de son article « La crise religieuse au xixe siècle » dans la Revue des deux-mondes. Sa mère le lit, non sans être affectée par l’opposition au catholicisme qui perle de sa plume. S’ajoute à l’idéologie un certain reproche que maintient Laveleye à l’égard de la catholique Université de Louvain, où il avait commencé son droit, qui l’avait renvoyé pour ne pas avoir « suivi les devoirs de sa religion » 67. Il terminera son cursus à Gand. Si l’économiste écrit abondamment, âgé de 41 ans, il n’exerce aucune fonction universitaire avant l’automne 1863 (date de sa nomination à Liège) et vit de ses rentes, retiré sur ses terres flamandes, près d’Ypres. Il se situe en marge du monde académique et il est permis de se demander dans quelle mesure il n’y persista pas. Il écrit ainsi à sa mère le 22 avril 1863 :

Il est triste que mon article t’ait produit un effet aussi désagréable. À notre époque de discussion, il faut un peu plus de tolérance. J’ai toujours entendu mes oncles […] attaquer le catholicisme avec les armes les plus acérées du voltairianisme. Je n’ai jamais vu qu’on s’en affligeait beaucoup. J’ai combattu depuis longtemps les idées de Bordas68. Cela ne m’a pas empêché de contribuer jusqu’à sa mort à sa pension annuelle et à la publication de ses livres parce qu’il défendait des idées spiritualistes et libérales… Entre les libertés modernes et l’Église, point de conciliation possible, ce n’est pas moi qui le dis, c’est le pape infaillible. Comme je suis libéral et que mon choix est fait, je combats l’Église qui veut m’enlever mes libertés. Voilà ma conclusion… […] Mais mes articles me fermeront les portes de l’Université ! 69

Laveleye attendra le décès de sa mère, le 10 février 1876, pour adhérer, le 24 novembre de la même année, à la section liégeoise de l’Église évangélique missionnaire de Belgique70, non sans avoir déjà inscrit dans son testament en 1867 qu’il souhaite que ses enfants soient élevés dans le culte protestant. Certains se sont étonnés que Laveleye se rattache à une communauté minoritaire et en ont déduit qu’il s’agissait d’une conséquence du conflit entre cette appartenance et l’attachement de Laveleye à la franc-maçonnerie. Ses défenseurs diront qu’il s’agissait avant tout d’un « spiritualiste » croyant en une raison humaine émanant de la raison divine et ayant pris l’Évangile par son « côté moral et social71 ».

Les trois symptômes du déclin de la France

Dans l’article de 1875, Laveleye analyse les diverses manifestations du déclin de la France, dont il fixe l’origine en 1685. Dès lors que les protestants sont chassés, les influences républicaines – il va sans dire bénéfiques sous sa plume – ne peuvent venir que des terres d’accueil des proscrits72. Le premier symptôme est d’ordre religieux. Laveleye suit ici les réflexions d’Émile Levasseur, économiste et géographe, ayant travaillé sur l’histoire de la classe ouvrière. En novembre 1872, il déclare à la tribune de l’Institut que la France a perdu son influence en Europe depuis 170073. Laveleye a rompu avec le libéralisme totalement ouvert de Say et se sent plus proche des écrits d’Henri Baudrillart, qui a suppléé Chevalier de 1859 à 1871. Bien que catholique rejetant le rousseauisme et le naturalisme, Baudrillart « pense comme un protestant » en défendant l’austérité personnelle, le rejet du luxe – Laveleye consacrera un instructif et long article à la somme que Baudrillart publie à ce propos74 – et l’épargne75. Ballotée depuis la fin du xviiie siècle entre « despotisme et anarchie », la France est selon l’économiste belge la proie permanente de l’ultramontanisme. En 1875, Laveleye n’est pas le seul à redouter l’instabilité de la République. Cette crainte est également exprimée par le professeur de droit des gens de l’Université de Gand François Laurent, libéral de gauche, très tourné intellectuellement vers l’Allemagne, et confiant à son élève Ernest Nys, sur un ton quasi prométhéen : « Faut-il aller à Berlin ? Je crois que ce n’est pas pour entendre des professeurs que vous êtes allé en Allemagne, mais pour étudier une nation qui est à la tête de la civilisation et de qui doit venir notre salut. Il faut donc voir si vous connaissez suffisamment l’Allemagne […]76 ». À l’instar de Laveleye, la méfiance de Laurent vis-à-vis de la France se manifeste à nouveau vers janvier 1875, à l’heure où les lois constitutionnelles sont à l’examen77. « Cette liberté qu’ils prétendent défendre implique l’instauration de la liberté d’enseignement » qui, selon lui, représente un fléau, dont la pénétration gangrène la Flandre, devenant « une capucinière […] à idiotiser les populations78 » !

Un deuxième trait du déclin de la France est la carence en matière d’instruction. C’est la clé de voûte de la réflexion de Laveleye. La scolarité est « la base de la liberté et de la prospérité des peuples. Or, jusqu’à présent, les États protestants sont seuls parvenus à assurer l’instruction de tous79 ». Il évoque l’exemple du théologien et baptiste Roger Williams, gouverneur du Rhode-Island de 1654 à 1657 et défenseur de la séparation entre l’Église et l’État. Williams permit l’instauration de l’enseignement obligatoire et la dite séparation dans la colonie puritaine du Massachussetts. Laveleye puise à ce propos à la monumentale History of the United States of America, from the Discovery of the American Continent (1854-1878) en dix volumes de George Bancroft, traduite en français par la pédagogue et féministe belge Isabelle Gatti de Gamond. Il se situe par ailleurs dans la lignée des réflexions (les a-t-il lues ?) de Gabriel Monod publiant en 1872 Allemands et Français, souvenirs de campagne, de Michel Bréal, sortant la même année Quelques mots sur l’instruction publique en France ou du théologien Frédéric Lichtenberger, directeur de la monumentale Encyclopédie des sciences religieuses en treize volumes80. Si Laveleye entreprend de restaurer la figure d’Edgar Quinet par une intense mobilisation de ses thèses, cet esprit de réhabilitation est également perceptible lorsqu’il parle de Roger Williams : « nom peu connu sur notre continent, mais qui mérite d’être inscrit parmi ceux des bienfaiteurs de l’humanité. Le premier dans ce monde ensanglanté par l’intolérance depuis quatre mille ans, avant même que Descartes eût fondé la libre recherche dans la philosophie, il consacre la liberté religieuse comme un droit politique81 ».

Pour Laveleye, la Belgique n’a pas réussi à « dissiper l’ignorance ». Il est vrai que, très en retard à ce sujet par rapport à ses voisins européens, le petit royaume ne votera qu’en 1914 la loi prévoyant l’instruction primaire obligatoire. Reposant sur la lecture de la Bible, le culte réformé ne peut faire bon marché de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ; « ainsi, le premier et le dernier mot de Luther a été : instruisez les enfants, c’est le devoir des parents et des magistrats82 ». Quittant provisoirement le caractère général de sa réflexion, Laveleye a pris l’habitude d’illustrer son propos par un ou plusieurs exemples à la clarté limpide. Dans l’un d’eux, il convoque son récent souvenir, raccroché à l’événement-balise qu’est la guerre franco-prussienne, relatif aux soins portés à des soldats français, repliés durant quelques semaines à Liège, au fort de la Chartreuse : « Pendant la guerre de 1870, on a pu constater que les soldats protestants avaient davantage d’instruction que les catholiques. Dans les ambulances et les hôpitaux, les premiers, quand ils commençaient à se remettre de leurs blessures, demandaient des livres, les seconds un jeu de carte83 ». Gabriel Monod faisait partie de ces ambulanciers français établissant le même constat que Laveleye dans son livre de 1872, avec une tel degré de similarité qu’il est permis de se demander dans quelle mesure l’économiste ne mêle-t-il pas ce qu’il a vu, la rumeur publique et sa potentielle lecture de Monod. Ce niveau d’instruction supérieur du soldat français protestant est constaté dès le début la guerre, le 19 juillet 1870, au moment de la mobilisation de l’Association Belge de Secours aux Militaires Blessés et Malades, qui compte dans ses rangs plusieurs médecin réformés, dont Edmond de Faye, fils d’un ancien pasteur de Tournai. À la Chartreuse, c’est le pasteur Louis Durand qui rend visite aux soldats84. À l’obéissance catholique s’oppose le savoir protestant : « l’instruction obligatoire ne marche qu’avec les pasteurs85 ».

Une autre forme de déclin de la France consiste dans les aspects culturel et moral. Laveleye reproche au pays de vivre sur fond d’« adultère » à bien des titres. Il n’est pas le seul à le penser. À la même époque, beaucoup d’intellectuels belges, plutôt portés vers le pilier catholique, sinon ultramontain, tel le médiéviste Godefroid Kurth, se voulant un nouveau Frédéric Ozanam, ont ressenti un véritable mouvement de répulsion à l’égard d’une ville de Paris (ici assimilée à la France) « inhospitalière » et en proie à la déliquescence des mœurs86. Laveleye ne tergiverse pas non plus : « Pour la littérature française, le mal vient de loin87 ». Il revient à son premier travail scientifique publié en 1844, qui lui avait été commandé par l’Académie royale de Belgique, portant sur une Histoire de la langue et de la littérature provençales. Cette littérature française, il la connaît bien. À Stanislas, sous l’influence de sa mère, il a lu Racine, Lamartine, Michelet, Balzac, Saint-Simon, Châteaubriand, Musset et d’autres encore. Peu après, autour de 1840, à l’Université de Gand où il a fait son droit, Laveleye a été marqué par deux professeurs d’origine française, le philosophe François Huet, déjà cité, et le professeur de littérature Henri Moke, qui devra quitter la Belgique pour son républicanisme et dont l’influence sur la génération d’intellectuels qui eut vingt ans en 1848 en Belgique est notable88. Le livre de Laveleye n’eut aucune réception en France. Il a été éclipsé par la parution en 1845 de La poésie des troubadours de Ferdinand de Roisin. Le jeune homme passe beaucoup de temps dans les bibliothèques parisiennes et confie à sa mère, le 7 janvier 1844, sur un ton qui tranche avec tout ce qu’il pensera de l’Hexagone trente ans plus tard :

[…] Mais le génie français, l’esprit français ; j’en suis étonné, ravi, il y a dans l’air un esprit flottant qui se retrouve plus ou moins dans toutes les conversations, qui jaillit tout à coup, qui brille, qui étincelle ; puis les arts : gravures, pendules, statuettes et mille petits objets d’élégance et de luxe qui encombrent ; les panoramas, les théâtres. J’ai été au Français et aux Variétés. Quelles délices, quelle extase, que ces heures se sont délicieusement passées ! Bouffé et Rachel, Lafont et Mlle Pessis ; je les dévorais du regard, toujours le lorgnon à la main pour suivre leur jeu de physionomie, les oreilles bien ouvertes pour ne pas perdre un seul mot, enfin, absorbé, enlevé. Intellectuellement, on ne vit qu’à Paris ; ailleurs, notre corps seul végète. Cependant, au milieu de ce coudoiement, de ce tourbillonnement, je me sens l’âme triste, vide inquiète89.

Il écrit encore à son ami de collège Émile Templier, en 1848 ou 1849 : « Ma mère est désespérée de me voir socialisé ; quant à moi, je voudrais venir vivre à Paris, vivre de pain et d’eau et travailler sous Proudhon : c’est l’avenir cela90 ». Laveleye : un amoureux déçu de la France ?

Réhabiliter Quinet et sa Révolution (1865)

En 1875, dans un pays qui a changé de régime à plusieurs reprises, Laveleye assène que Rabelais et Voltaire ont « ruiné » la « morale » du pays, tandis que « les Provençaux ont hérité de la corruption gallo-romaine et ils ont chanté et rendu aimable, sous le nom de galanterie, le relâchement des mœurs ». La défense du « Vert Galant » suscite son plus vif rejet, à l’instar d’une France catholique qui, depuis 1789, a souhaité contester l’Église en s’identifiant à l’esprit de la Renaissance et au « paganisme », au lieu de revenir à l’Évangile91. Au manque de moralité de la vie privée des révolutionnaires de 1789, il oppose la vertu, sinon le puritanisme, des révolutionnaires anglais de 1648 et des patriotes américains des années 1760-1770.

Cette contestation latente de 1789 sous toutes ses formes, qu’il partage mutatis mutandis avec un catholique social comme Frédéric Le Play, nostalgique de l’« ordre social » perdu92, lui a été insufflée par la lecture de l’œuvre d’Edgar Quinet, dont John Bartier a dit avec justesse que Laveleye était sans doute le disciple le plus identifiable dans l’espace belge. Quinet n’avait aucun goût pour la Belgique de 1830, où l’Église n’a cessé d’accroître son influence, non sans déstabiliser l’équilibre dessiné par l’Acte final de Vienne de 1815. Cela dit, il possédait un petit réseau d’hommes sûrs en Belgique, tel que Philippe Bourson, éditeur du Moniteur belge (l’équivalent du Journal officiel), saint-simonien puis fouriériste93 assimilé aux libéraux-radicaux. Il avait tribune libre dans la Revue trimestrielle. La pensée de Quinet est diffusée en Belgique par Laveleye, qui adhère à son projet de religion épurée, libérale, mais lui laisse l’adhésion à l’unitarisme, en le trouvant trop ambitieux sinon maladroit dans un pays de tradition catholique : « le progrès de l’unitarisme est plus facile, sur un sol où il rencontre d’autres variétés de protestantisme et où l’on passe à lui insensiblement, que dans un pays catholique où l’adhésion aux doctrines de Channing représente non le franchissement d’un mince fossé, mais celui d’un abîme » 94. En cela, il est plus « quinettiste » que Quinet ; là où ce dernier pensait, selon sa théorie de la Révolution, que les principes de 1789 étaient trop abstraits pour être intégrés au réel de la chose publique et qu’il existait une trop grande tension entre un idéal révolutionnaire excessif et un pays aux mécanismes imprégnés de catholicisme95, Laveleye ajoute que l’unitarisme doit être l’objet d’une critique similaire.

Lorsque Laveleye publie son article de janvier 1875, il ignore que Quinet n’a plus que deux mois à vivre et ne manque pas une nouvelle fois de s’inspirer de sa Révolution, paru chez Lacroix en 1865. Il maintiendra son opinion en 1886, dans un article qui peut être considéré comme une consolidation de son point de vue96. Laveleye y reprend la grande thèse déjà émise par Quinet dans son Génie des religions (1841), en vertu de laquelle « une révolution politique, sans une révolution religieuse, réussit difficilement97 ». Manifestement encore inquiet au sujet de la pérennisation du régime républicain, il estime que « la troisième république est en danger de faire naufrage comme la première98 » si elle ne prend pas une telle réforme à bras-le-corps.

Depuis plusieurs années, le philosophe, historien et homme politique français, républicain par-dessus tout et ancien exilé du Second Empire (il passa en Belgique six années qui ne lui laissèrent pas un grand souvenir), se sent isolé. La France d’après 1870, où Adolphe Thiers occupe une place prépondérante, où la Revanche et certains conservatismes sont dans tous les esprits, au risque de remettre en question une République encore hypothétique, ne rencontre pas l’adhésion de Quinet. Devenus agnostique ou athée, Proudhon et Comte ne se revendiquent plus de lui. Le premier Congrès international des étudiants, qui se tint à Liège en 1865, mâtiné d’anticléricalisme, d’anarchisme et de libre-pensée, ne l’a pas épargné. Il ne manque pas de faire état de ses désillusions99. Son livre sur la Révolution paru en 1865 l’a coupé de tout un pan de la gauche française100. Laveleye lui restera fidèle et fera partie des « compagnons de route du protestantisme », selon la formule de Jean Baubérot101. Quelques mois après la bataille de Sadowa et au début de son entreprise intellectuelle portant sur l’expansion allemande, il confie à Quinet : « Les nations catholiques semblent toutes atteintes d’une maladie qui les tue. Voyez au contraire la force que la Prusse communique à l’Allemagne102 », non sans ajouter : « Le mouvement solidaire ne peut réussir parce que l’homme étant un animal religieux, ne pourra vivre sans croyance religieuse, sans culte » et ne masquant pas qu’en la matière il ne fait que « balbutier les idées » « si magnifiquement exprimées » par Quinet. Ensuite, Laveleye en vient à la situation de l’Italie – espace qu’il observe avec passion –, à la veille de la bataille de Mentana qui vit la défaite des chemises rouges de Garibaldi face aux zouaves pontificaux français, et surtout aux soldats de l’armée française. Là encore, l’idée de réforme religieuse et de sortie de l’Église domine la réflexion. Laveleye écrit à Quinet en s’étant comme approprié sa pensée :

Et la pauvre Italie ! Elle est aussi tant gangrénée par son papisme au point que même les affaires financières et industrielles deviennent impossibles, faute d’employés honnêtes. Ah si Garibaldi prêchait la réforme religieuse, il y aurait espoir de salut. Qu’est-ce que prendre Rome ? C’est fortifier la papauté. Ce qu’il leur faudrait, c’est un Savonarole. Que les Italiens sortent de l’Église et adoptent la réforme et ils auront plus fait qu’en dispersant les Zouaves103.

Quinet répond à l’économiste belge : « Vous devez voir, Monsieur, qu’un grand malheur du libéralisme français est d’être à la fois athée de cœur et catholique-papiste de bouche et d’opinion » 104.

Cet échange épistolaire correspond à l’époque où Quinet commence à émettre ses premiers doutes et ses premiers désenchantements à l’égard de l’impérialisme de la Prusse, tandis que Laveleye ne suivra cette voie qu’au début des années 1870. En 1875, lorsque l’économiste considère le peu d’intérêt dont fait l’objet son aîné, il éprouve un sentiment d’injustice accentué par sa profonde conviction que Quinet a été prophète en ce qui concerne la situation de la Prusse. En 1866, Laveleye souhaite que la Prusse mette un terme à son éclatement territorial afin de concrétiser son existence en une nation dont, à un stade avancé, le destin serait une constitution fédérale. Ce projet semble accessible à un pays jugé « moderne » par son protestantisme, ainsi que l’écrivent d’autres penseurs libéraux tels que Saint-René Taillandier ou même Jules Michelet, exaltant l’impulsion initiale générée par Frédéric II105. Cela étant, Quinet est un des rares, et un des premiers, à poser un diagnostic plus sceptique : selon lui, les Prussiens ont débauché les principes du libéralisme au service d’un pays qui ne croit guère en l’Europe. Alexandre Dumas l’affirme dès 1866 dans La terreur prussienne, où il est question de la soumission des Francfortois annexés, tandis que Quinet formule la même crainte du militarisme dans son France et Allemagne, en 1867. Dès 1851, dans ses Lettres d’exil parues en 1867, il affirme clairement que si la France ne tient pas son rang, elle sera écrasée par la Prusse. Minoritaire avant Sedan, Quinet devient prophète après la bataille106. Lorsqu’il revient à Paris, il incarne l’héroïsme républicain et passe du statut de réprouvé à celui d’auteur officiel, aux côtés d’un Charles Renouvier107. L’état de grâce sera de courte durée. Quinet affiche son rejet des prétendants monarchistes, les Chambord, Orléans ou Bonaparte, qui incarnent le « suicide » de la France108. Et puis, les traces de sa Révolution sont encore vivaces. Toute une historiographie antirobespierriste, mais aussi jacobine, ne favorisera pas la réhabilitation de Quinet. Alphonse Peyrat fait partie de ses pourfendeurs et l’accuse d’avoir affaibli à la fois la gauche et la cause républicaine109. Comme le dira spirituellement François Furet, qui se reconnaîtra une certaine proximité avec le penseur : « Edgar Quinet est donc accusé de “démoraliser Billancourt” en plein Second Empire110 ».

La fortune de l’article et le rêve de conversion

L’article de 1875 n’aurait sans doute pas eu ce retentissement s’il n’était paru qu’en français. Très rapidement, de nombreuses traductions en sont faites. La portée générale de la réflexion, son amplitude internationale, son haut degré de congruence avec une actualité brûlante, son caractère cristallisateur d’une étape de l’histoire du protestantisme que beaucoup d’intellectuels ressentent comme déterminante et son ton parfois pamphlétaire en font un magnifique objet de diffusion. À la fois adressé à l’Allemagne, à la France et à l’Angleterre, non sans qu’une lame de fond portant sur sa critique du système politique belge ne vienne agrémenter le propos, cet article devient une référence sur la question qui, il est vrai, avait jusqu’alors été évoquée par la bande mais jamais traitée avec autant d’éclat.

Dès 1875, le texte est traduit en allemand, en anglais, en néerlandais, en suédois et en hongrois. En France, Laveleye peut bénéficier de relais de choix, à savoir le pasteur François Puaux (1806-1895) et son gendre, Jules Siegfried (1837-1922) 111. Puaux et Siegfried ne commandent pas moins de 20 000 exemplaires de l’article de Laveleye, à destination de journaux, de professeurs ou d’instituteurs français112. Partageant avec Laveleye le réseau que représente l’Institut de droit international, le juriste protestant et franc-maçon de Heidelberg Johann Caspar Bluntschli se charge de diffuser le texte outre-Rhin. La pénétration de l’article en Grande-Bretagne est le fruit des bonnes relations entretenues entre Laveleye et William Gladstone : l’homme d’État libéral rédige une introduction au texte et la livre aux éditions Murray, à Londres. Les deux hommes partagent entre autres une passion pour les questions agraires. Habitué des revues anglaises, Laveleye avait publié dans la Fortnightly Review de novembre 1872 son « The Clerical Party in Belgium », qui lui avait valu de nombreuses attaques politiques, mais qui avait été fort apprécié par Gladstone. En novembre 1874, c’est au tour du ministre d’écrire un véritable pamphlet opposé aux décrets du Vatican sur l’infaillibilité papale : The Vatican Decrees in their Bearing on Civil Allegiance, diffusé à plus de 150 000 exemplaires. Le 28 novembre, Laveleye écrit à Gladstone : « Votre admirable écrit adressé aux Catholiques est un service rendu au monde entier et surtout aux pays spécialement menacés par les prétentions ultramontaines113 ». Le 12 avril 1875, trois mois après la publication en français de son article sur le protestantisme, Laveleye demande à Gladstone s’il ne pourrait être traduit en anglais. Il craint que les Britanniques ne soient pas parfaitement au fait des « dangers » de l’ultramontanisme sur le continent. L’insularité amplifie ce phénomène de relativisme :

Je serais très heureux si mon article pouvait être traduit et publié en anglais, parce que j’ai cru m’apercevoir qu’en Angleterre les protestants à qui l’on présente toujours l’image de l’ancien catholicisme qui n’est plus qu’un souvenir ne voient pas le danger dont nous menace l’ultramontanisme actuel. Les Jésuites travaillent à former une ligue européenne contre l’Allemagne, ils y réussiront et alors ce sera vraiment une nouvelle guerre de religion. Les libéraux anglais comme ceux du Continent depuis Voltaire jusqu’à Buckle n’ont pas compris la puissance des sentiments religieux et par suite la gravité de la question religieuse. Par votre cri d’alarme, vous avez rendu un immense service, non seulement à l’Angleterre mais au monde114.

Quand le texte est accepté pour publication, c’est un Laveleye reconnaissant qui écrit – chose rarissime – en anglais à Gladstone115. Le texte sera introduit par l’homme d’État par une note du 26 mai, non sans émettre quelques réserves face au prosélytisme du Belge et de sa sympathie pour un certain matérialisme.

La note de Gladstone est introduite dans la version néerlandaise accompagnée d’une réflexion d’Alexander Savronin-Lohman, encore jeune homme politique, juge de profession, futur dirigeant du Parti antirévolutionnaire fondé en 1879. Il se réclame de la frange orthodoxe de l’Église réformée et se passionne, comme Laveleye, par les débats autour de l’instruction obligatoire (il publie en 1875, à Utrecht, une brochure intitulée De staatsschool en de Roomsche kerk). Militant pour « Dieu, les Pays-Bas et la Maison d’Orange », il suit les traces du pasteur Abraham Kuyper, fondateur de l’Université libre d’Amsterdam116. En 1876, une traduction espagnole paraît à Valparaiso, tandis qu’une version anglaise destinée au lectorat américain est assurée par le révérend Heydenreich dans la Quarterly Review of the Evangelical Lutheran Church. Le texte sera également traduit en grec, en italien, en polonais, en portugais et en tchèque, en 1919. Sans compter trois vagues de réimpressions dites « populaires » : la première a lieu en 1875 à Paris, Lyon, Genève et dans d’autres villes ; la deuxième se déroule l’année suivante au Vatican, où la Tipografia romana de Via Carlo Guerrieri Gonzagua, ne souhaitant sans doute pas se laisser déborder par ce pamphlet, veut également en gérer la diffusion qui, à ce moment-là, s’avère trop importante pour être freinée ; la troisième est organisée en 1898, lorsque « De l’avenir des peuples catholiques » de Laveleye, reformulation à bien des titres de l’article de 1875 publiée déjà en cette même année et en 1876, mais, cette fois-ci, agrémentée des opinions, pour plusieurs d’entre elles posthumes, de Gladstone, Michelet, Quinet, Sismondi ou Brunetière.

Puis c’est la phase pratique souhaitée par Laveleye qui semble prendre forme. Des conversions importantes défrayent la chronique. En juillet 1875, il est fait état de la conversion retentissante de l’homme d’État libéral Walthère Frère-Orban (1812-1896), ancien ministre des Finances et futur Chef de Cabinet (équivalent du Premier ministre avant 1918). Des organes catholiques comme Le Bien Public, La Gazette de Liège ou le Journal de Bruxelles y voient une simple et pure annexion religieuse à l’Allemagne117. En 1876, des habitants ruraux du Brabant wallon du village de Sart-Dames-Avelines, en brouille avec leur paroisse pour une question de transfert de vicaire, demandent à la Société Évangélique belge de leur envoyer un pasteur. Motivé par cet acte ponctuel, Laveleye lance une souscription dans La Flandre Libérale afin de soutenir le mouvement, tandis que Goblet d’Alviella s’y emploie dans la Revue de Belgique118. Quelques mois après, l’économiste se convertit à son tour. Les conversions demeurent cependant rares, à l’instar de celle, en juillet 1878, d’Eugène Réveillaud, journaliste républicain, élève d’Émile Combes, lecteur de Quinet et de Laveleye, qui mène campagne avec Goblet dans un esprit proche de celui de Renouvier. Il publie La question religieuse et la solution protestante en 1878. L’état d’esprit de Laveleye entre en pleine résonance avec celui de Renouvier et Réveillaud. Ce dernier fonde en 1879 le Comité parisien de la Mission intérieure protestante, mais aussi la Société Coligny ou la Société protestante de colonisation, constituant un canal par lequel les Vaudois des Alpes peuvent partir pour l’Algérie et y trouver de bonnes terres à cultiver. Au contraire de Laveleye, qui ne sera pas élu lors des élections de 1861 (les seules de sa vie où il fut inscrit sur une liste), Réveillaud mènera une carrière politique active, comme député puis sénateur radical. Quant à Renouvier, il présente plusieurs traits communs avec Laveleye : une adhésion au protestantisme à la même époque, jusqu’à son enterrement par le pasteur de Perpignan, une œuvre longtemps oubliée ou peu étudiée, la séduction précoce de l’unitarisme de Channing ainsi que des écrits d’Eugène Sue et d’Edgar Quinet, au milieu des années 1850119.

L’aventure tourna court. Au-delà du caractère quelque peu irénique de son ambition, la donne politique et religieuse change sensiblement en 1878 : le décès de Pie IX et l’avènement de Léon XIII annoncent un reflux de l’ultramontanisme tandis que l’échec du parti catholique en Belgique et la nécessité croissante d’introduire progressivement une législation sociale dans le corpus juridique belge (Laveleye sera de cette dynamique) rendent très secondaire la « protestantisation de la Belgique120 ».

Conclusion

On s’est focalisé ici sur un article – acte intellectuel ponctuel par excellence – qui porte en lui une fonction de détonateur dans la vie d’un penseur, de diagnostic politique et religieux, non sans une portée performative : éclairer le constituant français et encourager la conversion de certains milieux au protestantisme.

Bien que cet article, traduit en près de dix langues, cité au début du maître ouvrage de Max Weber, ait été lu par beaucoup d’intellectuels et de décideurs de la fin du xixe siècle et consulté par quelques historiens, son objectif principal semble avoir échappé aux observateurs. Ils y ont vu avec raison la thèse de la prédominance protestante. Mais il convient de souligner que ce travail est avant tout destiné à se glisser dans la documentation du constituant français de 1875. Celui-ci, après un petit sursaut bonapartiste et un retour à la monarchie (donc du cléricalisme pour Laveleye) dont l’hypothèse reste plausible, doit saisir l’occasion qui lui est donnée de mesurer les vertus protestantes dans la gestion de l’État, de compter des protestants dans ses rangs et de ne pas perdre de vue la résolution gambettiste de 1869 dans le sens d’une séparation de l’Église et de l’État. Quinet n’est plus là pour porter cette parole. Laveleye doit s’en sentir d’autant plus investi. Plus « quinettiste » que son maître, il juge l’unitarisme de Channing, transmis par Laboulaye, comme trop brutal pour réformer efficacement une société catholique. La révolution – ou plutôt la réforme – religieuse est nécessaire à l’évolution politique, bien que Laveleye soit à cet égard un libéral bien hétérodoxe : séduit par le projet colonial, il s’opposera au suffrage universel, qu’il pressent comme favorable au parti catholique.

La séparation des Églises et de l’État, il ne la souhaite cependant pas dans la perspective de ce que l’on appellera une « laïcité intégrale » ; il craint l’athéisme et l’agnosticisme. Marqué par le gallicanisme de sa jeunesse, Laveleye peut relever de la « laïcité gallicane » identifiée par Jean Baubérot121. En revanche, et telle est une de nos hypothèses, il est bon de se demander dans quelle mesure la grande intuition couchée sur papier par Max Weber en 1904-1905 autour de la corrélation entre protestantisme et esprit de capitalisme a déjà été clairement esquissée par Laveleye trente ans auparavant, sinon par Quinet. Cela étant, la notion de « supériorité » est bien plus forte dans la pensée de Laveleye – probablement inspiré par de Villers, et participant de l’ambiance auxquels contribuent aussi Monod, Renouvier et Réveillaud – que dans celle de l’analyste de la domination sociale. Tandis que Weber se cantonne à l’esprit du capitalisme en sociologue, en scientifique, Laveleye se fait tantôt prophète, tantôt rhéteur autoritaire, compagnon de route du protestantisme et du Kulturkampf, se fait prosélyte et appartient encore à la queue de la comète du romantisme, peu enclin au positivisme. Il participe d’une génération intermédiaire née autour de 1820, à cheval sur deux époques, sur deux styles. Cette hybridité a contribué, dans les décennies suivant sa mort, à rendre caduques beaucoup de ses publications.

Laveleye est aussi un bon indicateur du début de ce que l’on pourrait appeler, pour paraphraser Claude Digeon, une « crise française de la pensée protestante », et en particulier belge. Il déplore le déclin de la France, sans parvenir à vraiment la détester. Il nourrit la nostalgie du Paris de Guizot, celui de ses vingt ans. Cependant, trop offerte aux ambitions des prétendants monarchistes, défaite en 1870 comme pour sanctionner ses mœurs, elle lui semble à bout de souffle, à moins qu’un resurgissement républicain, protestant et libéral, ne se produise au sein du corps constituant réuni à Versailles. Séduit par Paris dans les années 1840, fasciné par l’exemple anglo-saxon depuis 1857, en admiration devant un Bismarck apportant la contradiction au Syllabus depuis 1866 et celui que le Kladderadatsch croque comme principal opposant européen à Pie IX, sa Weltanschauung se fixe une bonne fois pour toutes en 1875. Dès lors, il demeure sceptique devant une France dont la République peine à se fixer, ainsi que devant une Allemagne dont l’impérialisme l’inquiète. Déçu à l’Est et au Sud, il consolide son amour filial pour l’Angleterre (elle-même principale garante de l’indépendance belge), raffermit sa passion pour le laboratoire constitutionnel italien et se consacre de plus en plus aux premiers pas de la législation sociale belge.

Laveleye croit avant tout à la nécessité d’indépendance pour chaque État, pour chaque nationalité, et en premier lieu l’indépendance à l’égard du papisme. Cette dernière ne peut que s’acquérir, dans un premier temps, par une politique gallicane puis par une séparation entre l’Église et l’État. Ainsi, sous les auspices du protestantisme, chaque pays peut prospérer et par conséquent ne plus chercher la guerre. Convertir quelques élites bien ciblées mais aussi sensibiliser les populations rurales, les plus en proie au catholicisme sinon au bonapartisme, est une nécessité. Profondément girondin, fédéraliste, attaché à l’autonomie locale par rapport aux centres névralgiques du pouvoir, Laveleye est de la même manière attaché à l’indépendance de chaque État par rapport à Rome.

Prise de position religieuse et morale et ode désenchantée à une France dont il estime qu’elle ne peut plus, en l’état, jouer le rôle qu’un certain destin lui avait attribué, cet article engagé cherche avant toute chose à glisser un message à l’oreille du constituant français de janvier 1875. Il doit se ressaisir et donner à cette république les moyens d’une réforme religieuse, dont l’absence a gâché les attentes de 1789 et amené la débâcle de Sedan. En apparence, une réflexion religieuse, morale, économique et littéraire. En fait, un pamphlet politique.

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1. Je tiens à remercier très chaleureusement ma directrice de recherches, Mme Valentine Zuber, directrice d’études à l’EPHE, ainsi que MM. Patrick Cabanel et Hubert Bost, directeurs d’études à l’EPHE, et le professeur André Encrevé, pour leurs relectures attentives et leurs conseils, qu’ils relèvent tant de la forme que du fond de cette étude.

2. « Quand on voit les protestants latins l’emporter sur des populations germaniques mais catholiques ; quand, dans un même pays et dans un même groupe, de même langue et de même origine, on constate que les réformés progressent plus vite et plus régulièrement que les catholiques, il est difficile de ne pas attribuer la supériorité des uns sur les autres au culte qu’ils professent » (Émile de Laveleye, « Le Protestantisme & le Catholicisme dans leurs rapports avec la liberté et la prospérité des peuples. Étude d’économie sociale », Revue de Belgique XIX, 15 janvier 1875, p. 6).

3. Voir à ce sujet Michèle Moulin, « Un “moment protestant” de l’Institut de France : le concours sur la Réformation de 1802 », RHP 3 (2018), p. 411-442 et plus particulièrement, sur les échos de ce travail, à partir de la p. 429.

4. On peut aussi rappeler ce que dit Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, Paris : Pagnerre, 1848 [1840], lorsqu’il rapproche protestantisme et démocratie, en vertu du principe selon lequel à chaque religion est associé un ordre politique. Selon lui, il s’agit d’harmoniser la terre avec le ciel (p. 199).

5. Poète et critique anglais, favorable à une modernisation de l’anglicanisme, et auteur de St. Paul and Protestantism (1870), Literature and Dogma (1873), God and the Bible (1875) et Last Essays on Church and Religion (1877) (James C. Livingston, « Matthew Arnold and His Critics on the Truth of Christianity : A Reappraisal for the Centenary of Literature and Dogma », Journal of the American Academy of Religion 41/3 (1973), p. 386-401).

6. Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris : Flammarion, 2017, p. 80-81. Weber cite sans doute Laveleye de mémoire ; il écorne d’ailleurs son nom. Les récents éditeurs allemands de son œuvre suggèrent, non sans corriger cette coquille, que Weber faisait référence sans le citer à l’article de 1875, ce à quoi nous nous rallions. La citation de la note en allemand : « ‘Neu’ ist also nicht, daß hier dieser Zusammenhang behauptet wird, über den Schon Laveleye, Matthew Arnold u.a. gehandelt haben, sondern umgekehrt seine ganz unbegründete Anzweiflung. Es gilt ihn zu erklären. » Max Weber, Die Protestantische Ethik und des Geist der Kapitalismus / Die Protestantische Sekten und des Geist des Kapitalismus. Schriften 1904-1920, Wolfgand Schluchter (éd.), Tübingen : J.C.B. Mohr, 2016, p. 175.

7. Paul Fredericq, « Self-government and Calvinism », in Journal of Presbyterian Historical Society, vol. 5, n° 6, juin 1910, p. 270-273.

8. Michel Dumoulin, « Émile de Laveleye, un professeur renommé puis oublié », in Vincent Genin (dir.), Une Fabrique des Sciences humaines. L’Université de Liège dans la mêlée (1817-2017), Bruxelles : Archives Générales du Royaume, 2019, p. 109-122.

9. Paul Michotte, Études sur les théories économiques qui dominèrent en Belgique de 1830 à 1886, Louvain : Peeters, 1904, p. 293-294.

10. Hugh R. Boudin, Dictionnaire historique du protestantisme et de l’anglicanisme en Belgique du 16e siècle à nos jours, Bruxelles : Memogrames/Prodoc, 2014 ; Bibliographie du protestantisme belge 1781-1996, Bruxelles : Prodoc, 1996. Pour un premier aperçu : Xavier Mabille, « Les protestants en Belgique », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1430-1431, 1994 ; Émile M. Braekman, « Belgique », in Pierre Gisel (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris – Genève : Cerf – Labor et Fides, 1995, p. 105-106.

11. Émile Braekman, « La vie protestante en Belgique (1800-1865) », in Colloque « sources de l’histoire religieuse de la Belgique » (Bruxelles, 30 nov.-2 déc. 1967). Époque contemporaine, Paris-Louvain : Nauwelaerts, 1968, p. 134-161 ; Franz Delhove, Histoire du protestantisme belge depuis la création de l’État belge jusqu’au début de la seconde guerre mondiale 1839-1939, Thèse de licence, Faculté libre de Théologie de Lausanne, 1953.

12. Lucette Le Van-Lemesle, « L’économie politique à la conquête d’une légitimité, 1896-1937 », Actes de la recherche en sciences sociales 47-48 (1983), p. 113-117.

13. Nicolas Delalande, « L’économie politique : entre repli national et internationalisation (1860-1914) », in Christophe Charle, Laurent Jeanpierre (dir.), La vie intellectuelle en France, t. I : Des lendemains de la Révolution à 1914, Paris : Seuil, 2016, p. 605-610.

14. Vincent Genin, Le Laboratoire belge du droit international. Une communauté épistémique et internationale de juristes (1869-1914), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2018 ; Incarner le droit international. Du mythe juridique au déclassement international de la Belgique (1914-1940), Bruxelles – Paris – Berne : P.I.E. – Peter Lang, 2018.

15. John Bartier, « Proudhon et la Belgique », in L’actualité de Proudhon, Bruxelles : Institut de Sociologie de l’ULB, 1967, p. 178-179.

16. Sabine Keulemans, Le Protestantisme libéral en Belgique 1865-1888, Mémoire de licence en histoire, Université Catholique de Louvain, 1973.

17. Maurice Wilmotte, Trois semeurs d’idées. Agénor de Gasparin, Émile de Laveleye, Émile Faguet, Paris : Fischbacher, 1907, p. 129-158 (« Le sentiment religieux »).

18. Lucette Le Van-Lemesle, Le Juste ou le Riche. L’enseignement de l’économie politique 1815-1950, Paris : CHEEFF, 2004, p. 29-33.

19. Il suscitera d’autres réflexions, telle que celle-ci : Jean Lejeune, « Religion, morale et capitalisme dans la société liégeoise du xviie siècle », Revue belge de philologie et d’histoire 22 (1943), p. 111.

20. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 5.

21. Jean Stengers, « Race et nationalité chez Émile de Laveleye », in Pierre Guiral, Émile Temime (dir.), L’idée de race dans la pensée politique française contemporaine, Paris : CNRS, 1977, p. 111.

22. Émile de Laveleye, La Prusse et l’Autriche depuis Sadowa, Paris : Hachette, 1870.

23. Émile de Laveleye, « The Future of France », The Fortnightly Review, vol. 8, n° 48 (décembre 1870), p. 615-630.

24. Émile de Laveleye, « De l’avenir de la France », in Revue de Belgique, 3e année, vol. 7 (janvier 1871), p. 39-57.

25. Issu d’une famille protestante, petit-fils de pasteur, ce journaliste et homme politique s’oppose au coup d’État du 2 décembre 1851. Eugène Pelletan (1813-1884) est considéré comme un des pères de la IIIe République. Notamment député des Bouches-du-Rhône à l’Assemblée Nationale (1871-1876), il est sénateur jusqu’à son décès.

26. Gand, Universiteitsbibliotheek, Verzameling Handschriften, Hs. 3640, Eugène Pelletan à de Laveleye, 26 juillet 1883.

27. University of Birmingham Information Service, Special Collections Department, GB 150 JC, JC 8/5/3/1, de Laveleye à Joseph Chamberlain, 5 mars 1886.

28. Gustave Rolin-Jaequemyns, « Chronique du droit international. La guerre actuelle », Revue de droit international et de législation comparée, 1re série, t. II (1870), p. 643-718 ; Id., « Chronique du droit international. – Étude complémentaire sur la guerre franco-allemande, dans ses rapports avec le droit international », ibid., 1re série, t. III (1871), p. 296-384.

29. Emiel Lamberts, Les catholiques et l’État. Un tableau européen (1815-1965), Paris : Desclée de Brouwer, 2018, p. 247 ; Roger Aubert, Le pontificat de Pie IX (1846-1878), Paris : Bloud & Gay, 1952, p. 384-393.

30. Le Chrétien Belge, 17 décembre 1874, p. 32.

31. Robert Demoulin, « La Belgique et la crise internationale de 1875 », in L’Église et l’État à l’époque contemporaine. Mélanges dédiés à la mémoire de Mgr Aloïs Simon, Bruxelles : FUSL, 1975, p. 155-157.

32. Jean Stengers, « Émile de Laveleye », in Biographie coloniale belge, t. IV, 1955, col. 484-497.

33. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 10.

34. T. II, Paris : Plon et Cie, 1871, p. 427.

35. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 11.

36. Valentine Zuber, L’Origine religieuse des droits de l’homme, Genève : Labor et Fides, 2017, p. 62-66 ; Eugène Goblet d’Alviella, « Notice sur Émile-Louis-Victor de Laveleye », in Annuaire de l’Académie royale de Belgique, Bruxelles : Académie royale, 1895, p. 70.

37. Jean Baubérot, Valentine Zuber, Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le « pacte laïque » (1870-1905), Paris : Albin Michel, 2000 ; Patrick Cabanel, « Les protestants dans la vie intellectuelle (de la fin du Second Empire aux années 1930) », in Christophe Charle, Laurent Jeanpierre (dir.), t. I, op. cit., p. 393-398.

38. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 24.

39. Ibid., p. 26.

40. Ibid., p. 31, 40.

41. Ibid., p. 35.

42. Roger Aubert, op. cit., p. 382-384. À noter que, si l’Église catholique soutient Chambord, elle ne se confond pas avec le légitimisme. Pie IX avait d’ailleurs trouvé irréalistes les desseins de Chambord.

43. Voir ce qu’en dit, par exemple, André Encrevé, Les protestants en France de 1800 à nos jours, Paris : Stock, 1985, p. 202-216.

44. Jacqueline Lalouette, La séparation de l’Église et de l’État. Genèse et développement d’une idée 1789-1905, Paris : Seuil, 2005, p. 321, 362 ; Patrick Cabanel, Histoire des protestants en France xvie-xxe siècles, Paris : Fayard, 2012, p. 1028 ; Jérôme Grondeux, La France en République (1870-1893), Paris : Le Livre de Poche, 2000, p. 162.

45. Valentine Zuber, L’Origine religieuse des droits de l’homme, op. cit., p. 97-105.

46. Gabriel de Broglie, Histoire politique de la Revue des deux-mondes de 1829 à 1979, Paris : Perrin, 1979, p. 171, 174, 192.

47. Voyageur anglais, il s’est particulièrement intéressé à la Suisse à la faveur d’un séjour effectué en 1871, dont il tira un livre l’année suivante : The Switzers.

48. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 7.

49. Charles Coquelin et Guillaumin (dir.), Dictionnaire de l’économie politique, t. I, 2e éd., Paris : Guillaumin et Hachette, 1854, p. 96.

50. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 9.

51. Michel Dumoulin, « Émile de Laveleye et l’Italie », Risorgimento XVIII (1976/2), p. 59-91.

52. Le journal ne paraît que de 1855 à 1860. Arrêté le 2 décembre 1851, Duprat fuit ensuite en Belgique, où il crée La Libre Recherche avec Durran. Il part en Suisse en 1858 puis s’installe à Naples où il fonde L’Italie nouvelle. Michel Dumoulin, « Hommes et cultures dans les relations Italo-Belges 1861-1915 », Bulletin de l’Institut Historique Belge de Rome LII (1982), p. 495.

53. La famille Laveleye possédait un bien foncier en Flandre occidentale, à Westlvleeteren ; le bien en question avait été nommé « Saint-Sixte », qui inspira à notre auteur ce pseudonyme : Michel Dumoulin, « Quand Émile de Laveleye signait Émile Saint-Sixte », Bulletin de l’Académie royale de Belgique. Classe des Lettres, Sciences Morales et Politiques, à paraître en 2019.

54. Eugène Goblet, op. cit., p. 63.

55. Robert Demoulin, « L’abolition des octrois », Bulletin du crédit communal de Belgique, 1960, p. 1-8.

56. Vincent Genin, « Charles-Auguste Henneau, économiste belge (1798-1881) », in Nouvelle Biographie Nationale de Belgique, vol. 15, à paraître en 2019.

57. Sabine Sautter-Keulemans, « Les précurseurs de la propagande libérale en faveur du protestantisme », Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme belge VI, 3 (1974), p. 87-95.

58. Lexicon für Theologie und Kirche, t. X, Fribourg-en-Brisgau, 1965, col. 506-507 (notice de E. Haensli).

59. Eugène Goblet, op. cit., p. 73.

60. Écho du Parlement, 27 février 1860.

61. Charles Gide, « The Economic Schools and the Teaching of Political Economy in France », Political Science Quarterly, vol. 5, n° 4 (décembre 1890), p. 603-635 ; Marion Fourcade, Economists and Societies : Discipline and Profession in the United States, Britain, and France, 1890s to 1990s, Princeton : Princeton University Press, 2009 ; Erik Buyst, Ivo Maes, Henk W. Plasmeijer, Evert Schoorl, « Comparing the Development of Economics during the Twentieth Century in Belgium and the Netherlands », History of Political Economy 37, 1 (2005), p. 61-78.

62. Antoine Compagnon, Pierre Corvol, John Scheid, Le Collège de France. Cinq siècles de libre recherche, Paris : Gallimard/Collège de France, 2015, p. 80.

63. Charles Gide, « L’École nouvelle », in Quatre écoles d’économie sociale. Conférences données à l’aula de l’Université de Genève, sous les auspices de la Société chrétienne suisse d’économie sociale, Paris – Genève : Fischbacher – Stapelmohr, 1890, p. 102.

64. Eugène Goblet, op. cit., p. 62.

65. Idem, p. 72.

66. Jacqueline Lalouette, « Épouser une protestante : le choix de républicains et de libre-penseurs au siècle dernier », BSHPF 137 (1991), p. 197-231.

67. Ce point est passé sous silence par ses biographes officiels. Voir Michel Dumoulin, « Hommes », art. cit., p. 491.

68. Jean-Baptiste Bordas-Demoulin (1798-1859), philosophe français gallican et janséniste, défenseur d’une symbiose entre les principes de la Révolution et le christianisme : Jean-Louis Dumas, « Jansénisme et modernité : J.-B. Bordas-Demoulin », Revue des Sciences Religieuses 49, 3 (1975), p. 186-201.

69. Eugène Goblet, op. cit., p. 76.

70. Émile de Laveleye, Lettres intimes, Bruxelles : La Renaissance du Livre, 1927, p. 112-113.

71. Eugène Goblet, op. cit., p. 90.

72. Il maintient ce discours dans un article paru en 1886 et qui consiste en une confirmation de la longue réflexion de 1875 (Émile de Laveleye, « La démocratie et le protestantisme », Revue chrétienne II, 6 (1886), p. 441-442).

73. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 14.

74. Émile de Laveleye, « Les apologistes du luxe et ses détracteurs », Revue des deux-mondes, 1880, p. 95-128. Il y traite du livre de Baudrillart, publié en quatre volumes, Histoire du luxe privé et public, paru en 1878-1880.

75. Lucette Le Van Lemesle, Le Juste, op. cit., p. 159, 174.

76. François Laurent à Ernest Nys, 10/1/1875 (cité in Ernest Nys, « Souvenirs », Revue de l’Université de Bruxelles, n° 8-9 (mai-juin 1921), p. 603).

77. Ibid., p. 606.

78. Ibid.

79. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 14.

80. Patrick Cabanel, Histoire des protestants en France, op. cit., p. 1037.

81. Ibid., p. 28 ; Marc Boss (éd.), Roger Williams. Genèse religieuse de l’État laïque. Textes choisis, Genève : Labor et Fides, 2013.

82. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », op. cit., p. 15.

83. Ibid.

84. Émile Braekman, « Les relations entre les protestants belges et français au début IIIe République », in André Encrevé, Michel Richard (dir.), Les Protestants dans les débuts de la Troisième République (1871-1885), Paris : CNRS – SHPF, 1979, p. 521-522.

85. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », art. cit., p. 37.

86. Godefroid Kurth à Amélie Struman-Picard, 3 juillet 1874, in Xavier Michaelis, Godefroid Kurth, Vieux-Virton : La Dryade, 1961, p. 115.

87. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », art. cit., p. 17.

88. Fernand Vercauteren, Cent ans d’histoire nationale en Belgique, Bruxelles : La Renaissance du Livre, 1959, p. 94-100.

89. Émile de Laveleye, Lettres, op. cit., p. 84.

90. Ibid., p. 119, Lettre non datée de 1848-1849.

91. Émile de Laveleye, « Le Protestantisme », art. cit., p. 17.

92. Luc Blanchart, « Unions de la Paix Sociale et Société belge d’Économie sociale (1874-1914). Les maillons belges de l’École de Le Play », in Pierre Tilly, Vincent Dujardin (dir.), Hommes et réseaux : Belgique, Europe et Outre-Mers. Liber amicorum Michel Dumoulin, Bruxelles : P.I.E. – Peter Lang, 2013, p. 435-446.

93. John Bartier, Naissance du socialisme belge. Les saint-simoniens, Bruxelles : PAC, 1985, p. 27, 53.

94. John Bartier, « Edgar Quinet et la Belgique », in John Bartier (dir.), Libéralisme et socialisme au xixe siècle, Bruxelles : Université Libre de Bruxelles, 1981, p. 501.

95. Simone Bernard-Griffiths, « Autour de la Révolution d’Edgar Quinet. Les enjeux du débat religion-révolution dans l’historiographie d’un républicain désenchanté », Archives des sciences sociales des religions 66/1 (1988), p. 54-57.

96. Émile de Laveleye, « La démocratie et le protestantisme », Revue chrétienne II, 6 (1886), p. 433-442.

97. Ibid., p. 438.

98. Ibid.

99. Mme Edgar Quinet, Mémoires d’exil, 2e série, Paris : Armand Le Chevalier, 1870, p. 342, 345.

100. Patrick Cabanel, Le Dieu de la République. Aux sources protestantes de la laïcité (1860-1900), Rennes : PUR, 2003, p. 17.

101. Jean Baubérot, Le protestantisme doit-il mourir ?, Paris : Seuil, 1988, p. 41-43.

102. BnF, NAF 20791, fol. 218-219, de Laveleye à Quinet, 26 octobre 1867.

103. Ibid.

104. Documentation de Michel Dumoulin, Quinet à de Laveleye, 21 novembre 1867.

105. Claude Digeon, La crise allemande de la pensée française (1870-1914), Paris : PUF, 1959, p. 21.

106. Ibid., p. 24-27.

107. Patrick Cabanel, Le Dieu de la République, op. cit., p. 91-96.

108. Claude Digeon, op. cit., p. 138-142.

109. Valentine Zuber, L’Origine religieuse des droits de l’homme, op. cit., p. 67-71.

110. Ibid., p. 62-68 ; Christophe Prochasson, François Furet. Les chemins de la mélancolie, Paris : Stock, 2013, p. 211, et surtout François Furet, La Gauche et la Révolution au milieu du xixe siècle. Edgar Quinet et la question du jacobinisme, 1865-1870, Paris : Hachette, 1986.

111. André Encrevé, Protestants français au milieu du xixe siècle. Les réformés de 1848 à 1870, Genève : Labor et Fides, 1986, p. 357, 744.

112. Gand, Universiteitsbibliotheek, Puaux à de Laveleye, 16 juin 1875 et 15 octobre 1875.

113. Londres, British Museum, Department Manuscripts, Gladstone Papers, 44 445, fol. 114, Laveleye à Gladstone (cite dans Robert Demoulin, « Laveleye et Gladstone », in Marcel Florkin, Léon-E. Halkin (dir.), Chronique de l’Université de Liège, Liège : Université de Liège, 1967, p. 346).

114. Ibid., 44 447, fol. 50, Laveleye à Gladstone, 17 avril 1875.

115. Ibid., fol. 50, Laveleye à Gladstone, 17 avril 1875.

116. Leendert Christiaan Suttorp, Jhr. Mr. Alexander Frederik de Savornin Lohman 1837-1924. Zijn leven en werken, ’s-Gravenhage : Stols, 1948.

117. Le Chrétien Belge, t. XXV, juillet 1875, p. 162-165 (« Conversions au protestantisme »).

118. Eugène Goblet, op. cit., p. 87.

119. Patrick Cabanel, Le Dieu de la République, op. cit., p. 79-101.

120. Eugène Goblet, op. cit., p. 90.

121. Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de la laïcité n’existe pas, Paris : Maison des Sciences de l’Homme, 2015, p. 40-41.