Gérard Fauconnier, Le génie des Frères Reclus. Élie Reclus, 1827-1904
Orthez : Éditions Gascogne, 2018, 358 p.
Il faut savoir gré à Gérard Fauconnier de s’être attelé à cette grande mission : faire connaître les cinq frères Reclus, alors que la tendance est de se focaliser sur le seul Élisée. Après Armand, après Paul et Onésime, voici Élie, le frère aîné, en attendant le plus complexe par la diversité de ses engagements, le plus connu, Élisée. On peut aussi savoir gré à l’auteur de nous offrir tous ces textes bruts que ses livres contiennent. Ainsi, dispose-t-on ici de la sulfureuse thèse de théologie qu’Élie soutint à la Faculté de Strasbourg en juillet 1851, ainsi que de nombreux articles entiers ou en morceaux choisis, d’extraits de plusieurs de ses livres. Cela suppose de longues recherches en bibliothèque pour retrouver des écrits parus dans d’innombrables revues. Mais n’y a-t-il pas là le revers de ce choix éditorial ? En somme, G. Fauconnier laisse au lecteur le soin d’analyser les textes, d’y trouver les idées d’Élie Reclus, de reconstituer sa pensée, et d’admirer ses apports tellement modernes à l’anthropologie. Et comme son frère Onésime avait inventé la francophonie, peut-être pourrait-on dire que l’on doit à Élie la sociologie religieuse.
Tout au long de sa vie, Élie Reclus s’est intéressé aux groupes humains les plus divers ; il a balayé les continents et les siècles, sa conviction étant qu’il y a une continuité des hommes depuis les primitifs jusqu’à aujourd’hui. Son érudition était sans bornes. Et ce qui a frappé la lectrice que je suis, c’est le malin plaisir que, sous une apparence scientifique, Élie Reclus prend à exposer les rites religieux les plus bizarres, ou les plus macabres, pour relativiser les caractères du christianisme (surtout le catholicisme, notamment la transsubstantiation). N’y aurait-il pas là un compte à régler avec son père ? « Aucune religion n’est raisonnable », écrit-il dans Les croyances populaires, livre publié en 1908, après sa mort, par Maurice Vernes (fondateur de la Revue de l’histoire des religions) à qui Élie Reclus avait légué ses papiers. Élie Reclus n’est pas anticlérical, il est anti-religieux.
Élie Reclus n’a publié de son vivant que deux vrais livres, sur Les Primitifs. Mais il a passé sa vie à écrire ; comme son frère Élisée, il vivait de sa plume. Il a écrit dans un nombre incalculable de revues, de caractère philosophique et culturel, mais aussi socialiste ou libertaire. Et cela dans toutes les langues européennes, car, comme ses frères Armand et Élisée, il était polyglotte. Avec Élisée, il a participé au mouvement ouvrier, à la création de la Première Internationale, à la Commune (ils furent tous deux bannis), ils sympathisèrent avec les anarchistes. Ils finirent leur vie comme professeurs à l’Université Nouvelle de Bruxelles, l’un enseignait la géographie, l’autre les religions comparées. Ils sont enterrés ensemble au cimetière d’Ixelles.
Il est dommage que ce livre, si riche en documents, soit entaché de trop d’approximations, d’une chronologie flottante. On peut regretter aussi l’absence fréquente de références des textes cités ou de leur origine. Pourquoi certains textes sont-ils en italiques ? En revanche, les nombreuses photos sont d’une qualité rare dans les publications actuelles. Mais d’où proviennent-elles ?
Gabrielle Cadier-Rey