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Michèle Bokobza, Madame la comtesse de Gasparin. Protestantisme radical, genre et pèlerinage au xixe siècle

Paris : L’Harmattan, 2018, 286 p.

Ce livre représente un gros travail d’érudition, à la fois sur Mme de Gasparin (1813-1894) et sur les voyages en Orient au xixe siècle ; mais il est souvent difficilement compréhensible car écrit par un auteur dont le français ne semble pas être la langue maternelle. On conçoit que Michèle Bakobza, titulaire d’un doctorat à l’Université de Haïfa, se soit intéressée au thème du voyage en Orient et à l’écriture de ce voyage. Pour Valérie de Gasparin, ardente adepte du Réveil, ce voyage est un pèlerinage sur la terre de la Bible, la Bible qu’elle appelle « la nourriture de l’âme » et qu’elle lit quotidiennement. Pour cette femme à qui on doit plus de quatre-vingt œuvres, en faire une relation était naturel. Son récit, publié en 1848-1850, est en trois parties dont chacune correspond à une région visitée : Syrie, Égypte du Sud, Basse Égypte. Mais ce voyage est aussi œuvre d’évangélisation. Son mari et elle ont apporté des Nouveaux Testaments et des traités religieux qu’ils distribuent tout au long du voyage, avec l’illusion de convertir les populations.

Valérie Boissier est née dans une famille du Pays de Vaud et elle a reçu une éducation soignée, son frère et elle bénéficiant des leçons d’un jeune pasteur luthérien, Jean-Louis Valette. Toute jeune encore, elle ouvre une École du Dimanche pour les enfants de son village, Valleyres, montrant ainsi son intérêt pour l’éducation chrétienne. En 1837, elle épouse le comte Agénor de Gasparin (1810-1871), « pilier de l’Union des Églises évangéliques ». Ce fut un couple très uni, un mariage heureux, même s’ils n’eurent pas d’enfants. De l’expérience de son mariage, elle tira deux livres ; le premier, Le mariage au point de vue chrétien, reçut en 1843 le prix Montyon de l’Académie française ; elle reçut un autre prix en 1846 pour « Il y a des pauvres à Paris et ailleurs ». Son second livre, La femme et le mariage, parut en 1895. Pour elle, le mariage est l’unique but de la vie d’une femme. Comme le Code civil enferme la femme, Valérie de Gasparin cherche ce qui « dans ce cercle de fer » peut l’élever : c’est son rôle dans la famille, comme épouse et mère, avec « sa propre personnalité, son Moi humble, respectueux et digne ». Elle dit que « l’obéissance à son mari n’est point un ordre, mais une complicité d’entente dans le respect mutuel ». Pour que les femmes puissent revendiquer des droits dans la société comme dans le privé, elles doivent passer par le biais de l’éducation et du travail. Michèle Bokobza parle à son sujet de « proto-féminisme », mais la comtesse se refusait violemment à être féministe !

S’appuyant sur sa conception du mariage, V. de Gasparin ne pouvait, au cours de son voyage, qu’être horrifiée par les harems où les femmes sont enfermées et soumises à un seul homme, quelquefois despotique, perdant toute leur individualité. Mais il est difficile de la suivre quand elle applique la même grille de lecture à l’Institution des Diaconesses (dont elle craint une influence catholique) puis à l’Armée du Salut. Elle leur reproche leur uniforme, leur obéissance à la hiérarchie, la perte de leur personnalité et leur vœu de pauvreté. Elle ne semble pas admettre qu’il s’agit là d’un engagement volontaire. C’est pour s’opposer à ce vœu de pauvreté que, quand elle va créer en 1859, à Lausanne, la première École normale (laïque) de garde-malades, elle prévoit une rémunération pour les infirmières et aussi l’absence d’uniforme. Cette École de La Source qui a fêté ses 150 ans, est depuis 1891 dirigée par un médecin et s’est peu à peu transformée en école-hôpital. Elle conserve les archives de sa fondatrice. Par cette école, Valérie de Gasparin a été une femme d’action, mais elle est avant tout écrivain. Elle croit au rôle de l’écriture et proclame que les écrivains ont un pouvoir d’influence et qu’ils doivent être les porte-parole des démunis.

Gabrielle Cadier-Rey