Henriette de Coligny, Comtesse de La Suze, Élégies, chansons et autres poésies
Édition de Mariette Cuénin-Lieber, Paris : Classiques Garnier, 2017, 404 p.
La publication de l’œuvre poétique d’Henriette de Coligny procurée par Mariette Cuénin-Lieber constitue un événement éditorial de première importance, à la fois par l’exhaustivité du corpus réuni et la qualité scientifique avec laquelle est établi, pour la première fois, l’ensemble des poèmes composés par la comtesse de La Suze. Le présent recueil comble de ce fait un vide éditorial criant que les amateurs de la poésie de l’Âge classique (et les autres !) sauront apprécier à sa juste valeur. D’autant plus que l’auteure était tombée dans un discrédit qui perdura jusqu’au xxe siècle et la réhabilitation entreprise par Frédéric Lachèvre, Émile Magne et Antoine Adam. Avec la publication intégrale des Élégies, chansons et autres poésies, M. Cuénin-Lieber franchit allègrement le pas pour mettre à la disposition du lecteur une œuvre savamment restituée et éclairée par une copieuse introduction sur la vie et les écrits d’Henriette de Coligny (1623-1673), comtesse d’Haddington, puis de La Suze par ses mariages successifs. De ce point de vue, remarquablement adossée aux meilleures sources historiques et littéraires, la présentation biographique n’omet rien de ce que furent ses prestigieux ancêtres de la famille, dont l’Amiral, le martyr de la Saint-Barthélemy, ni les alliances nouées par la famille avec les Nassau. Par sa brillante ascendance, Henriette de Coligny pouvait prétendre à de beaux partis que deux mariages semblent réaliser, du moins le premier, un mariage d’inclination en 1643 avec Thomas Hamilton, comte d’Haddington, d’ancienne noblesse écossaise, mais dont la mort interrompit prématurément le cours. La seconde union, de raison, avec Gaspard de Champagne, comte de La Suze, en 1647, issu d’une vieille famille du Maine, dura cinq ans, au cours desquels Henriette passa son temps entre Paris, Lumigny et Belfort, place forte dont son mari fut le remuant gouverneur, dont elle divorça en 1661. En 1653, elle s’était convertie au catholicisme en présence de la reine et de la cour.
Après l’éclairage biographique, l’éditrice apporte toutes les informations souhaitables pour éclairer le parcours littéraire de la poétesse, dont les premiers écrits parurent en 1653 dans les Poésies choisies du libraire Sercy, puis dix ans plus tard dans le Recueil de pièces galantes en prose et en vers, des plus beaux esprits du temps (recueil La Suze-Pellisson), puis de nouveau en 1666 dans le recueil personnel des Poésies de Madame la Comtesse de la Suze. Diverses publications posthumes suivirent. Toutes les étapes de cette histoire éditoriale, intimement liée à celle de la réception de l’œuvre, sont restituées avec précision et au prix de trésors d’érudition qui facilitent le cheminement du lecteur à travers le dédale des nombreuses leçons qu’offrent ces éditions. La gerbe des Elégies, Chansons et Autres poésies ainsi liée par est somptueuse (p. 153-240).
En lectrice assidue de l’Astrée, Henriette de Coligny y chante l’amour et ses émois à travers les épanchements des amoureux qui vouent un culte à l’être aimé, tous soumis aux feux de la passion, assujettis aux troubles de l’âme, souffrant le martyre de sentiments toujours évoqués avec pudeur. Dans les Chansons, la poétesse imprime une touche particulière à la célébration d’émotions plus légères et d’égarements plus libres, tandis que dans les Autres poésies (odes, portraits, stances, madrigaux, bouts rimés qui firent le charme de la société lettrée), elle agrémente le tableau sentimental qui enrichit la palette lyrique d’une poétesse sensible à la diversité de l’inspiration amoureuse et attentive, pour nombre de ses pièces, aux appréciations avisées de ses amis Urbain Chevreau et Valentin Conrart. L’intérêt du présent travail est enfin validé par l’impressionnant apparat critique, prosodique et littéraire, qui analyse l’œuvre jusque dans ses moindres détails (graphie, orthographe, majuscules, ponctuation, notes linguistiques, variantes, attributions, pièces écartées, etc.).
Selon un protocole éditorial irréprochable, M. Cuénin-Lieber reproduit les textes en suivant l’ordre chronologique par genre fondé sur la date de la première publication. Un relevé des variantes (p. 241-254) et la présence d’appendices (lettres, fragments de poèmes, inventaire des recueils, p. 265-299) associés à d’autres aspects textuels rendent compte de la grande complexité du recueil (dédicaces, portraits, iconographie, signatures, p. 301-335). Un glossaire, une abondante bibliographie, une précieuse table des incipit et un utile index des noms de personnes confèrent à cette édition un caractère de perfection qui permet dorénavant de lire et de (re)découvrir – à sa juste valeur, importante pour la littérature du xviie siècle – l’œuvre d’une poétesse trop longtemps et injustement méconnue.
Gilbert Schrenck