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André Mage, sieur de Fiefmelin, Les Œuvres du sieur de Fiefmelin, t. I : La Polymnie, ou diverse poesie.

Édition critique établie et annotée par Audrey Duru, Julien Goeury, Pierre Maillard, Nicole Pellegrin et Simone de Reyff, sous la direction de Julien Goeury, Paris : Champion, 2015, 799 p.

La présente édition des Œuvres d’André Mage de Fiefmelin, parues en 1601 à Poitiers chez Jean de Marnef, offre une belle opportunité de redécouvrir et de renouer avec un poète baroque injustement méconnu. Le soin critique pris par J. Goeury et son équipe remplit pleinement ce rôle par la contribution qu’ils apportent à la connaissance de la poésie française au tournant du xvie et du xviie siècle. Transcrit en conformité avec la version originale, rigoureusement annoté et commenté, ce premier volume fournit l’occasion de lire un nombre impressionnant de poèmes, dont la variété thématique et la bigarrure formelle illustrent l’univers poétique d’un auteur discret, mais attachant, solidement enraciné dans son milieu, la Saintonge. L’œuvre porte, en effet, de multiples échos à l’actualité locale, dont elle se nourrit abondamment, malgré le peu de renseignements dont on dispose sur ce poète né entre 1561 et 1566, mort vers 1603, au statut social relativement indéterminé. Selon toute vraisemblance, Fiefmelin appartient à une famille de marchands de sel de l’île d’Oléron, qui, après ses études de droit à Genève, embrasse la carrière d’officier de justice, procureur fiscal ou greffier, qu’il exerça dans sa province natale au service d’Anne de Pons, d’une grande famille protestante de l’ouest. Son amour des Lettres le singularise au cœur d’un cercle lettré connu grâce aux poèmes dédiés à ses membres. Si Fiefmelin a tout d’un poète régional, ce qui est loin d’être péjoratif au xvie siècle, son talent l’élève incontestablement au rang des grands, comme le remarquait déjà Aragon dans les Lettres françaises en 1954.

La Polymnie est précédée d’une substantielle introduction qui fournit l’éclairage indispensable à la compréhension d’une œuvre qui emprunte son titre à la muse éponyme de la Rhétorique et dont le contenu s’accorde parfaitement à la diversité formelle du recueil. Dans la première section, Les Jeux poetiques, dédiés à Anne de Pons, réunissent un ensemble de pièces théâtrales destinées à être représentées ou lues en fonction des événements et des situations qu’elles célèbrent. Ainsi l’Eclogue, une pastorale allégorique, met en scène la condition du poète, tandis que l’Accueil poetique et chrestien, composé en l’honneur d’Anne de Pons, célèbre la réception de la suzeraine par les fidèles des Îles de Saintonge le jour de Noël 1597. Pastorale imitée de Du Bartas, la pièce décrit sur le registre d’une « entrée » princière la situation spirituelle de l’Église et la restauration de la Justice, qui prend sans doute discrètement en charge la déception de Fiefmelin devant la conversion d’Henri IV. Le Triomphe d’Amour adapte, quant à lui, un dialogue de Ravisius Textor et développe sur le mode de la sotie médiévale et dans le sillage des Triomphes de Pétrarque le thème plaisant de l’amour qui n’occulte pas complètement le sentiment du déclin universel du monde. Alcide et Aymée, deux épithalames, forment une subtile marqueterie de réflexions, où alternent le ton comique et grave. La dernière pièce, Jephté, est une traduction-adaptation de 2 346 vers de la tragédie de l’infortuné héros biblique composée par Buchanan, œuvre qui ne manque pas de grandeur et aborde le difficile débat sur le libre arbitre.

Dans la seconde partie, Les Meslanges, dédiés à Artus Le Comte, un puissant personnage local, regroupent une série de poèmes répartis par genre, afin de commémorer les amitiés littéraires de l’auteur. C’est l’occasion pour le lecteur de pénétrer au sein du réseau dense des proches et des familiers de Fiefmelin, dont un grand nombre reste malheureusement inconnu, malgré le soin mis par les éditeurs à les identifier. Défilent ainsi derrière les suzerains, patrons et mécènes de la famille des Pons, des notables, des médecins et des juges, mais peu de femmes et de pasteurs. Parmi les plus prestigieux figurent Henri IV, Marie de Médicis, Jacques VI d’Écosse, Henri de Condé, les sieurs de Saint-Luc, père et fils, gouverneurs de Brouage, dédicataires puissants et protecteurs potentiels pour un poète toujours soucieux de reconnaissance. Les adeptes des cercles cultivés de Marennes, Pons, La Rochelle et Saintes sont également convoqués en témoignage d’une vie littéraire particulièrement active dans la région. Avec les dédicaces et les mentions de Du Bartas, Rouspeau, Boysseul, Béroalde de Verville et Desportes, le réseau des relations s’ouvre à un horizon beaucoup plus large, mais pour chacun des dédicataires, Fiefmelin excelle à varier thèmes et prosodie en fonction des circonstances et des opportunités, comme le montrent les Odes et les Sonnets. Le Saulnier, ou de la façon des marais salans, dédié au fils aîné d’Anne de Pons, long poème didactique de 790 vers, imité des Discours de Palissy, est pour sa part un véritable hymne au sel, à sa fabrication et à ses vertus (ce texte avait été préalablement édité par J. Goeury et N. Pellegrin à La Rochelle, Rumeur des Âges, 2005). Les Épigrammes, de leur côté, avec leurs formes brèves, ainsi que les Épitaphes, ou Tombeaux, complètent la palette poétique de Fiefmelin et donnent un tableau vivant du talent de ce poète réformé disciple de Du Bartas, activement mêlé à la vie culturelle de son terroir. Sa poésie, à la fois didactique et divertissante, exigeante et instructive, réserve plus d’une surprise que les éditeurs ont su mettre finement en relief. Des annexes, une bibliographie générale, un glossaire et un index des noms propres complètent ce tome, dont on attend impatiemment la suite, afin de disposer et d’apprécier à sa juste mesure un poète qui ne manque ni de charme, ni de talent.

Gilbert Schrenck