Le cordelier, le chat et les fous
Frédéric BARBIER
CNRS – EPHE, PSL
Il faut, pour l’instruction des jeunes matous d’avenir,
que je fasse ici une remarque : lorsque je voulais
étudier, je sautais les yeux fermés dans la bibliothèque
de mon maître, je tirais le livre que mes griffes avaient
désigné, et je le lisais, quel que fût son contenu1.
Quelque deux générations après l’invention de Gutenberg, les mutations induites par le nouveau système de communication de l’imprimé apparaissent de plus en plus nettement : il ne s’agit pas seulement de l’innovation technique (l’innovation de procédé), mais désormais aussi de l’invention du livre imprimé (l’innovation de produit) et de la mise en place de toute la branche nouvelle des industries polygraphiques (avec l’essor d’un réseau de distribution, celui des libraires de détail, ou encore la mise en œuvre de pratiques de travail adaptées) 2. Mieux, les contemporains prennent progressivement conscience de la puissance de cet instrument de communication que constitue l’imprimé, et ils s’emploient à l’exploiter et à la développer au profit de leurs affaires commerciales, mais aussi pour défendre une opinion ou promouvoir une idée : c’est l’invention progressive de la médiatisation, la prise de conscience de son pouvoir et la mobilisation d’un certain nombre de procédés susceptibles de le renforcer.
La tradition fait remonter ces phénomènes aux premières années de la Réforme luthérienne : le 31 octobre 1517, Luther aurait placardé sur les portes de l’église du château de Wittenberg l’annonce d’une disputatio universitaire, au cours de laquelle il défendrait quatre-vingt quinze thèses à propos du problème des Indulgences. Il s’agit, selon l’habitude, d’un sommaire des thèses, rédigé en latin, et d’abord destiné aux enseignants et étudiants de l’université, sans doute aussi à un public d’ecclésiastiques exerçant en ville. Mais, en quelques semaines, les thèses sont reproduites sous forme de placards imprimés dans un certain nombre de villes allemandes, où elles trouvent un retentissement auquel on ne s’attendait certes pas. L’auteur lui-même en est surpris, comme il l’explique non sans quelque naïveté dans une lettre à Léon X :
Itaque schedulam disputatoriam edidi, invitans tantum doctiores, si qui vellent mecum disceptare, sicut manifestum esse etiam adversariis oportet ex praefatione eiusdem disceptationis [… ]. Porro, quod nam fatum urgeat has solas meas disputationes prae caeteris non solum meis sed omnium Magistrorum, ut in omnem terram pene exierint, mihi ipsi miraculum est. Apud nostros et propter nostros tantum sunt aeditae & sic aeditae ut mihi incredibile sit, eas ab omnibus intelligi, disputationes enim sunt, non doctrinae, non dogmata, obscurius pro more et enigmaticos positae. Alioqui, si praevidere potuissem, certe id pro mea parte curassem, ut essent intellectu faciliores. Nunc, quid faciam ? 3
Instruits par l’expérience, Luther et ceux qui l’entourent apprennent très vite à mobiliser les moyens nouveaux que l’imprimé met à leur disposition pour rallier le plus grand nombre à leurs positions4. Très vite aussi, leurs adversaires, les défenseurs de l’Église de Rome, font appel aux mêmes armes, tandis que se propage à travers l’Empire une véritable marée de « feuilles volantes » et de pièces de toutes sortes (les Flugschriften), dans lesquelles les polémistes se donnent libre cours, que les lecteurs s’arrachent – et qui font la fortune des imprimeurs-libraires5. Nous pouvons à bon droit considérer que ces phénomènes marquent, à l’aube de l’époque moderne, l’invention de la « publicité » au sens habermasien du terme (Öffentlichkeit)6.
Pourtant, le principe de la médiatisation ne date pas de 1517, mais il remonte aux dernières décennies du xve siècle, comme le montrent l’affaire de la météorite d’Ensisheim7, ou encore le succès phénoménal d’un livre comme le Narrenschiff (la Nef des fous), rédigé par Sébastien Brant, publié à Bâle en 1494 et diffusé à quelque 12 000 à 15 000 exemplaires en une demi-douzaine d’années. Rappelons le thème de Brant : on annonce partout le départ prochain d’un navire armé pour le pays de cocagne, et la foule se presse pour gagner le port et pour embarquer. L’auteur vise un enseignement moral : la nef et le voyage fonctionnent comme la métaphore de la vie humaine. Quant aux hommes, ce sont des fous qui s’abandonnent au péché et qui recherchent leur plaisir sur terre au lieu de s’inquiéter du seul problème qui vaille, s’assurer de leur salut éternel. La théorie des fous composera l’équipage de la nef symbolique sur laquelle ils sont tous réunis pour leur voyage démentiel. L’ouvrage a un tel succès qu’il donne naissance à un genre de littérature spécifique, la « littérature des fous » (Narrenliteratur)8, tandis que ses images (métaphores littéraires, et surtout illustrations) sont très largement reprises. Nous voudrions revenir sur ces phénomènes pour les préciser, à travers l’exemple de l’un des plus célèbres, et peut-être du plus vigoureux polémiste du temps qui soit partisan de l’Église de Rome : il s’agit de Thomas Murner (1475-1537).
Un franciscain strasbourgeois
Nous voici dans la ville libre et impériale de Strasbourg, qui forme une manière de petite république indépendante, dirigée en principe par les représentants des « métiers » organisés en corporations (Zünfte), en réalité par un patriciat urbain issu de quelques grandes familles de la bourgeoisie9. Avec ses quelque 25 000 habitants, la ville, très riche et active, est l’une des grandes métropoles du Rhin, et ses réseaux commerciaux tout comme ses relations d’affaires s’étendent à toute l’Europe allemande, à l’Italie et au royaume de France, voire au-delà. Mais à Strasbourg comme ailleurs, la question du statut des clercs et de la réforme de l’Église est à l’ordre du jour, et la critique du clergé est largement répandue, tandis que les nouvelles de Wittenberg arrivent d’autant plus vite que la ville se place toujours, en ce début du xvie siècle, parmi les grands centres typographiques du Saint-Empire10. Des innovations pouvant apparaître comme révolutionnaires commencent peu à peu à être introduites dans un certain nombre d’églises et de maisons régulières : on prêche en langue vernaculaire, on donne des cours publics sur la Bible et, bientôt, certains ecclésiastiques n’hésiteront plus à se marier…
Thomas Murner est né à Obernai, une petite ville au pied des Vosges, à environ vingt-cinq kilomètres au sud-ouest de la capitale de l’Alsace11. Sa famille, relativement aisée, s’installe à Strasbourg dans les années 1480, où le père, Matthäus, accédera à la charge de procurateur de la ville. Mais le jeune garçon est malade (il souffrirait de la poliomyélite), et on l’oriente vers une carrière dans les ordres : il suit très probablement l’école des franciscains, alors dirigée par Conrad v. Boxdorf et est reçu dans l’ordre, avant de devenir prêtre (1494), puis de poursuivre un cursus à l’université. Le voici d’abord à Fribourg (Br.), où il est notamment l’élève de Jakob Locher (le traducteur du Narrenschiff en latin) et où il est reçu magister artium (1498). Les deux années qui suivent sont par lui consacrées à une peregrinatio academica à grande échelle, puisqu’elle le conduira de Paris à Cracovie…12 Parallèlement, il commence très tôt à publier des plaquettes consacrées à la pédagogie13, mais aussi aux affaires du temps, notamment l’astrologie et la sorcellerie14. Enfin, en 1500-1501, il est de retour à Strasbourg, où il est chargé de cours (Dozent) au studium des franciscains, et où il exerce aussi comme prédicateur.
Membre d’un ordre régulier, Murner est pourtant bien loin de se tenir sur la réserve, mais il participe avec vigueur aux grandes controverses qui agitent la ville. Il semble bien que son caractère sans doute quelque peu « tranché » le pousse à des prises de position radicales et à une forme d’engagement relativement violent, même si toujours limité au plan verbal. Nous le voyons ainsi s’engager avec virulence dans la querelle autour de l’appartenance ou non de l’Alsace au monde germanique, à la suite de la publication de la Germania de Wimpheling (1501) : le Magistrat fait confisquer les exemplaires de sa Germania nova (1502), tandis que ses adversaires le mettent en scène comme un personnage isolé, enfoncé dans son orgueil solitaire15. Pour la première fois, le nom de Murner est détourné en Murnar (le chat-fou). Il est aussi logique que Murner, attaché à la défense des institutions auxquelles il appartenait, s’oppose aux projets de nouveau « Gymnase » et à la prise de contrôle des écoles par le Magistrat urbain.
Mais, en 1505, Murner triomphe : il est couronné poeta laureatus par Maximilien, puis vient à Fribourg passer la licence et le doctorat en théologie (1506) avant d’assister au chapitre général de son ordre à Rome – peut-être séjourne-t-il aussi à Venise. Dans les années qui suivent, il poursuit une activité d’écriture, de prédicateur et d’enseignant dans différentes villes, d’abord à Berne16, puis à Spire, Francfort17 et Trèves. On peut bien penser que cette activité et ces déplacements lui donnent une familiarité certaine avec la culture des différentes catégories sociales : il exploitera brillamment ces connaissances dans son travail d’écriture et de publication – de médiatisation. Concluons en anticipant de quelques années : Murner s’inscrit à l’université de Bâle en 1518 et y soutient le doctorat utriusque en juin de l’année suivante (ses adversaires lui reprocheront la pompe dont il a accompagné l’événement, en voulant faire venir des musiciens de Strasbourg). Il est de fait aussi un savant humaniste, qui travaille des années durant pour préparer la première édition des Institutes de Justinien en traduction allemande18.
Un prédicateur et un intellectuel engagé
Lorsque, en 1512, Murner publie sa Conjuration des fous (Narren-beschwörung), il se place directement dans la tradition de son contemporain Sébastien Brant19. La métaphore des fous est par lui réactualisée (mais non pas celle de la nef), et il développe vigoureusement le thème de la critique sociale, condamnant le dévoiement des richesses et attaquant l’Église. Un très grand nombre de clercs ne sont pas réellement croyants, et certains ne savent ni chanter, ni même vraiment lire. Leur foi se borne à être proclamée : elle gît dans leur encrier et ne se retrouve que dans les livres. Les charges des prélats sont accaparées par la noblesse, qui les considère comme des sinécures, et les maisons régulières ne mènent pas une vie plus chrétienne. Une réforme s’impose, et Murner semble finalement assez proche de la direction que suivra d’abord Luther. La Corporation des fripons (Schelmenzunft) prolonge, en 1512, la même thématique20, tandis que le Tapis des fous (Geuchmat21) développe la rencontre entre la folie des amants et le charme des femmes22. Murner n’est certes pas un féministe, même si son objectif réside toujours dans la critique d’ensemble de la société de son temps.
Mais, à partir de 1518, la grande affaire est évidemment devenue celle de la Réforme : parallèlement à son activité de prédication, Murner publie de plus en plus en langue vernaculaire, et il s’engage aux côtés de l’Église de Rome à la suite de la sortie des « grands traités réformateurs » donnés par Luther en 152023. Le calendrier des publications devient très ramassé, ce qui confirme bien que nous avons changé de régime de médiatisation pour entrer dans le temps court de la polémique et de l’appel à l’opinion publique24. Tous les procédés sont explorés et mis en œuvre par notre prédicateur, qui publie de manière anonyme. Certains essais, pourtant, pourront se révéler inadaptés : lorsque Luther donne, le 6 octobre 1520, son célèbre traité contre la papauté (De captivitate babylonica ecclesiae praeludium)25, Murner le traduit et le publie en allemand dans l’idée de le critiquer26 : le résultat, loin d’être négatif, sera de faire connaître le texte auprès d’un lectorat de non latinistes…
Très vite, le franciscain de Strasbourg est reconnu par les Réformateurs de Wittenberg et par leurs amis comme l’un de leurs adversaires les plus actifs, et peut-être le plus dangereux. Le 11 novembre 1520, Martin Bucer écrit de Heidelberg à Capiton (qui est alors à Mayence), en identifiant l’auteur anonyme des textes anti-luthériens :
Murnerus ille franciscanus evomuit his diebus contra Lutherum libellum lingua vernacula scriptum, in quo et nomen suppressit suum et dissimulavit mores, tametsi auriculas suas Midas occulere penitus haud potuerit. Misissem exemplar si aliquod mihi fuisset : unicum enim frater, apud quem vidi, attulit27.
C’est à cette époque que l’appellation de Murner comme le chat-fou (Mur-Narr) commence à se répandre plus largement, en jouant sur l’allitération de son nom : Mur évoque le ronronnement du chat, et Narr désigne le fou. Nous reviendrons sur le procédé, dès lors repris par les partisans de Luther inquiets de voir le franciscain strasbourgeois aligner les pamphlets les uns à la suite des autres. Le 4 décembre, Capiton informe Luther lui-même de l’action de Murner – mais Luther affectera pratiquement d’ignorer l’existence de son adversaire. Murner attaque encore, en 1521, la décision de Luther de brûler la bulle Exsurge Domine, répond à la publication explicative de celui-ci, et alerte l’empereur et les autres pouvoirs sur le danger représenté par le Réformateur28. Bientôt, les textes à son encontre se multiplient, notamment sous la plume de Ulrich von Hutten : dans le Murnerus Leviathan, le cordelier est représenté en chat-dragon crachant du feu, et le texte (en latin) contient des références à la magie (horoscope) et à la figure du « fou qui ne comprend rien » 29. Murner est « fou d’argent » (Geldnarr), s’il publie beaucoup, c’est par pur intérêt matériel, et son genre de vie est bien peu conforme avec le statut d’un franciscain :
On l’accuse de s’être montré dans une taverne revêtu de ses habits sacerdotaux, et d’avoir lutiné les filles avant de célébrer la messe30.
Dans le Karsthans, probablement à nouveau rédigé par Ulrich von Hutten31, le texte sous forme de dialogue met en scène d’une part le vieux paysan Karsthans32 et son fils étudiant, et de l’autre Murner et Luther : le choix de la forme dialoguée et de la langue vernaculaire vise à faciliter la réception, tandis que la gravure de titre met à nouveau en scène le cordelier à tête de chat entouré par les protagonistes de la pièce. Dans une lettre à Brant en date du 13 janvier, Murner se plaint de la multiplication de ces pamphlets et menace d’en appeler au pape si le Magistrat de Strasbourg ne se décide pas à agir33. Le 8 mars, il est autorisé à faire procéder à l’affichage de sa défense dans douze lieux en ville : il s’y montre prudent, assurant n’avoir critiqué que les erreurs de Luther, et non pas attaqué sa personne ni celle de Ulrich v. Hutten. Bientôt pourtant, l’affaire de Berne est reprise, mais dans un sens défavorable à l’Église de Rome, tandis que la gravure de titre met en scène les « patrons de la liberté » face au Conciliabulum Malignantium…34
Le Grand fou luthérien
Le texte le plus important lancé par Murner à l’encontre les Réformateurs est cependant son Grand fou luthérien (Von dem grossen Lutherischen Narren), sorti des presses strasbourgeoises le 19 décembre 152235. L’ouvrage est publié avec un privilège impérial pour cinq ans, ce qui autorise l’imprimeur-libraire, Johann Grüninger, à se croire protégé à l’encontre des difficultés éventuellement faites par le Magistrat de Strasbourg, lequel entretient alors des rapports difficiles avec l’Église de Rome, mais est aussi très attentif à maintenir l’ordre. Le 27, Grüninger et ses collègues sont convoqués à la chancellerie de la ville, pour se voir réitérer l’interdiction de publier quoi que ce soit pour ou contre Luther : Grüninger devra, quant à lui, brûler les exemplaires de son livre qui lui resteraient en magasin, tandis que l’on entreprendra la recherche des exemplaires déjà écoulés. Deux délégués du Magistrat viennent même sur place, chez les franciscains, proclamer la décision, malgré les excuses de Grüninger, tandis que Murner songe à faire imprimer dans la ville voisine de Haguenau. Paul Merker indique par ailleurs que Grüninger aurait d’avance mis un certain nombre d’exemplaires à l’abri, probablement en dehors de la ville – ce qui explique aussi les variantes textuelles36.
La mise en livre inventée par Brant pour l’édition originale de son Narrenschiff en 1494 est familière à Murner, au moins depuis l’époque où celui-ci était étudiant à Fribourg et y suivait l’enseignement de Locher. L’illustration du Grand fou aurait été réalisée selon un programme tracé par l’auteur lui-même, et la mise en livre reprend en partie le modèle du Narrenschiff, avec un texte versifié, inséré dans un encadrement gravé. Les différentes « folies » de Luther et de ses partisans sont présentées au cours de chapitres successifs, chacun précédé d’un titre en gros caractères, d’une analyse de quatre vers, et d’une gravure. Au titre, nous sommes devant une scène d’exorcisme, dans laquelle Murner n’hésite pas à se représenter lui-même en chat pour faire sortir les démons de la bouche du Grand fou. Le phylactère explique : « Interdum simolare stultitiam prudentia summa (« Parfois la sagesse suprême est d’imiter la folie ») 37.
L’auteur entre de plain-pied dans la polémique en déclarant, au verso du titre « Sic fecerunt mihi sic feci eis. » (« Je les ai traités comme ils m’ont traités ») 38. Il ne s’agit plus de la folie de Brant, celle du carnaval, ni de l’inversion universelle des valeurs telle qu’elle est décrite dans le Narrenschiff : pour Brant, la majorité des hommes est constituée de fous, qui eux-mêmes considèrent comme fous la minorité des sages. Chez Murner, la folie désigne un phénomène relevant de la possession diabolique, et qui concerne ses adversaires, ceux qui s’opposent à l’unité de l’Église. La préface se conclut par la formule : « Wie die lutherischen Ertznarren sollen beschworen werden » (« comment les archi-fous luthériens doivent être exorcisés »), puis la gravure de titre est reprise, cette fois accompagnée d’une légende. Le texte se développe ensuite en trois ensembles. D’abord, l’exorcisme du Grand fou par le chat – si le Grand fou est si grand et si gros, c’est qu’il contient en lui beaucoup de petits fous, ou encore, ce qui revient plus ou moins au même, parce qu’il est habité par beaucoup de folies.
Le second groupe de chapitres traite des événements du jour, à savoir la révolte des paysans : les paysans ont comme signe de ralliement la chaussure >à lacets (Bundschuh), par opposition à la botte des nobles, et ils se réfèrent à Luther pour justifier un certain nombre de leurs revendications et de leurs actes. Par suite, Murner présente le Réformateur comme le principal responsable des troubles39 : la première illustration le met en scène assis sur le trône, tandis que l’empereur, en retrait, semble hésiter sur ce qu’il doit faire. Puis, à la manière de Brant passant en revue tous ceux qui ont embarqué sur sa nef, Murner présente les types de « fous confédérés », de celui qui se goinfre pendant le carême à celui qui arrache une nonne hors de son couvent, ou encore à celui qui jette à terre les livres sacrés dans une église40. Les personnages du Narrenschiff se retrouvent pour illustrer le « Treizième confédéré » (Der XIII. Buntgnoß), comme l’explicitent les phylactères : « Uly von Stauffen », « Ritter Peter » et « Doctor Griff »41. La série se prolonge avec les chevaliers ridicules, qui portent tous la chaussure à lacets sur leur écu, et dont le premier, monté sur un porc, est armé d’une houe. Le capitaine des chevaliers est naturellement Martin Luther lui-même.
La dernière partie du texte se présente sous la forme d’un dialogue entre le Grand fou et Murner, ce dernier parfois à nouveau représenté en chat : en passant le Grand fou sous la presse, on chasse les petits fous qui l’habitent, à l’image des démons, ou, plus loin, Luther en confédéré se prépare à attaquer une ville défendue par le chat. Après bien des péripéties, Luther, alité et se sentant à l’article de la mort, demande à recevoir les sacrements. Son décès est accompagné par un cri de chat, tandis que le chat-maître d’école préside à la destruction des livres luthériens…
Les figures de la polémique
Arrêtons-nous pour finir sur les deux principaux procédés, intimement liés l’un à l’autre, qui prennent avec les polémiques religieuses une dimension spectaculaire. Ce sont, d’abord, les jeux de mots, notamment celui sur « Mur le fou », alias « le chat-fou » : le chat est volontiers considéré comme un animal familier des maisons religieuses, il est assimilé à l’ecclésiastique membre d’un ordre régulier, et il a souvent une charge diabolique42. Le but des polémistes, en convoquant sa figure, est évidemment de ridiculiser l’adversaire, en utilisant un code qui ne pose aucune difficulté d’intelligibilité, d’autant qu’une ancienne tradition présente la société des animaux sur le modèle de celle des hommes43. L’assimilation des adversaires à des animaux et leur moquerie sont en tout état de cause un thème courant dans la polémique du temps : la tradition en remonte au fabliaux médiévaux, et on retrouve le procédé avec le Reynke de Vos publié à Lübeck en 149844. Les clercs sont souvent représentés en loups ou en ânes, mais certaines figures particulièrement célèbres, comme celle de notre cordelier, font l’objet d’un processus d’individuation : la répétition du motif d’une image à l’autre constitue la condition de l’identification possible du personnage.
Dans le cas de Murner, le choix de l’animal est donné par le calembour ancien (l’homophonie45) – nous l’avons vu représenté en tête du Murnerus Leviathan de 1521 sous la forme d’une créature fabuleuse, mi-dragon mi-chat, mais toujours aisément identifiable par sa robe de cordelier46. On lui reproche son avidité supposée, son style de vie et ses prédications : la page de titre illustre le triomphe de Luther, appuyé sur la Bible, face à Murner, qui figure le dragon de l’Apocalypse, avec une opposition évidente entre les deux silhouettes, l’une verticale, l’autre horizontale. Même dispositif lorsque l’on revient à la vieille affaire du procès de Berne. Le texte original de Murner est adapté en vers, dans une édition donnée à Strasbourg en 1521, mais il s’agit désormais de défendre Luther contre l’un des ses opposants majeurs47. Au titre, on reconnaît Reuchlin (seul « portrait » de lui que l’on connaisse), Ulrich von Hutten et Luther qualifiés de Patroni libertatis ; au centre et à droite, Murner, à nouveau en chat avec une queue de dragon sortant derrière sa robe ecclésiastique ; enfin, les dominicains, Jetzer et les représentants du Magistrat, tous réunis sous la rubrique diabolique de Conciliabulum Malignantium… Même chose encore au titre du Karsthans, qui met en scène, en 1521 Murner sous la forme d’un homme à tête de chat et en robe de franciscain. Le début du texte dialogué explicite l’assimilation :
MURNER : murmaw, murmaw, murmaw. Miaw, miaw…
Bien entendu, ce choix est déterminé a priori (par le patronyme de Murner), mais il se présente aussi comme une énigme susceptible de dévoiler la vraie nature du sujet : le partage d’une partie de la forme implique le partage d’une partie du contenu (le « monstre », en l’occurrence l’homme à tête de chat, signifie aussi quelque chose pour ses adversaires, comme le suggère l’étymologie48). Si Murner se plaint dans la préface de son texte de la transformation de son patronyme, son génie sera de ne pas hésiter à retourner le procédé pour se l’approprier et à se mettre lui-même en scène sous la figure du chat. Ajoutons que ce qui est mis en cause par la transformation du cordelier en monstre zoomorphe, c’est le statut du corps, une question dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est à l’ordre du jour à l’époque du conflit sur l’eucharistie.
Pour finir, voici le Triumphus veritatis, publié à Spire en 152449 et attribué à un certain Hans Heinrich Freiermut (très certainement un pseudonyme). L’illustration reprend le modèle des « Triomphes » pour mettre en scène le retour triomphal de l’Évangile et de la figure du Christ grâce aux Réformateurs, Luther, Hutten et Karlstadt. Le clergé ancien est enchaîné, avec, au centre de l’image, un pape et un cardinal, et surtout les polémistes anti-luthériens sous la forme d’hommes à tête d’animaux : Murner (le chat / Kater), Eck (le verrat / Eber), Emser (le bouc / Bock), Lemp (le chien / Hund), Alveld (l’âne / Esel) et Hochstraaten (le rat / Ratte)…
Épilogue
À Strasbourg, comme dans d’autres villes libres, la Réforme tend désormais à s’imposer : Murner décide d’abord de se réfugier à Obernai (1524), d’où il devra bientôt s’enfuir, sous des habits laïques, face aux paysans révoltés50. Il se retire chez les franciscains de Lucerne, où il monte aussitôt une imprimerie d’où sortiront dix-huit titres dirigés contre la Réforme, et où il exerce comme curé de la ville (Stadtpfarrer) jusqu’en 1529. Bientôt pourtant, la polémique gagne les villes et les cantons suisses. En 1526 a lieu la disputatio de Baden, à laquelle Murner participe et dont il publie, à sa propre adresse de Lucerne, les Actes l’année suivante51. Mais, à la suite du premier traité de Kappel (1529), plutôt favorable aux protestants, Berne et Zurich exigent que Murner soit livré en vue d’être jugé à Bâle… Il quitte alors Lucerne, pour venir d’abord à Heidelberg (où il est protégé par l’électeur palatin Ludwig V), puis pour rentrer à Obernai (1533). Nommé curé de l’Oberkirch, il meurt quatre ans plus tard, alors qu’il a abandonné la polémique pour se consacrer à une édition de l’Histoire universelle de Sabellicus. Personnage très complexe, homme d’Église et croyant sincère, savant, mais aussi polémiste très actif, Murner aura réellement été une figure d’intellectuel au sens moderne du terme, celui qui se construit avec le nouveau média52.
Les pays allemands sont en avance s’agissant de la chronologie de la médiatisation, dans une perspective paradoxale : certes, les uns et les autres ont pris conscience de la puissance du média, qu’ils entreprennent de mettre au service de leurs intérêts53. Par suite, la réception des imprimés concerne dans les années 1520 des cercles de plus en plus larges, auxquels on s’adresse en utilisant la langue vernaculaire et en mettant en œuvre des formes spécifiques d’écriture et de mise en livre. De sorte que, en définitive, l’avance allemande aura pour effet de restreindre la réception d’une part croissante des textes relevant du mouvement de Réforme à un public homogène sur le plan de la langue, et donc de poser dans des termes nouveaux la question de la diffusion à l’extérieur d’une Réforme (Reformation) portée par l’imprimé et devenue spécifiquement allemande54.
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1.Hoffmann, Le Chat Murr, trad. fr. Albert Béguin, Paris : Gallimard, 1983, p. 67.
2.Frédéric Barbier, « La révolution progressive du livre imprimé », dans La Revue de la BNU. Hors série : Gutenberg, 1468-2018, Strasbourg : BNU, 2018, p. 62-71.
3.Martin Luther, Ad Leonem X Pontificem Maximum Resolutiones disputationum de virtute indulgentiarum, [Basel : Johann Froben, 1518] (VD16 [= Verzeichnis der im deutschen Sprachbereich erschienenen Drucke des 16. Jahrhunderts], L 3407), p. 9-10. « C’est pourquoi je publiai l’annonce de la dispute, invitant seulement les plus savants, s’ils le souhaitaient, à discuter avec moi, comme la préface de cette même dispute le montre de manière manifeste, même pour mes adversaires [… ]. De plus, puisque de fait le destin le veut, il est pour moi miraculeux de voir ces seules thèses qui sont les miennes être reçues presque partout sur la terre non seulement devant toutes mes autres [thèses], mais aussi devant celles des autres maîtres. Elles sont publiées chez nous et pour nous, et publiées de telle sorte qu’il m’est incroyable qu’elles soient comprises par tous, car ce sont des thèses, et non des points de doctrine ou des dogmes, et elles sont selon l’usage énoncées de manière assez obscure et difficile. Sans quoi, si j’avais pu le prévoir, certainement, pour ce qui me concerne, je me serais inquiété de les rendre plus accessibles. Que faire maintenant ? »
4.Luther ne conteste pas en soi le principe des Indulgences, mais, s’appuyant sur son analyse de la Grâce, il attaque la fausse sécurité dans laquelle se trouve à ce propos l’acheteur éventuel croyant assurer son Salut.
5.Hans Joachim Köhler (éd.), Flugschriften als Massenmedium der Reformationszeit [Actes du colloque de Tübingen, 1980], Stuttgart : Klett-Cotta, 1981. Gérald Chaix, « Livre, réformes et confessions : le cas du Saint-Empire au xvie siècle », dans Les Trois révolutions du livre [Actes du colloque de Lyon / Villeurbanne], Genève : Droz, 2001, p. 35-48 (RFHL, 106-109).
6.Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. Marc de Launay, nelle éd., Paris : Payot, 1997 (Strukturwandel der Öffentlichkeit : Untersuchungen zu einer Kategorie der bürgerlichen Gesellschaft, 4e éd., Berlin : Neuwied, 1969).
7.Une météorite d’une taille exceptionnelle tombe près d’Ensisheim le 7 novembre 1492, ce qui donne lieu à la publication d’une plaquette Von dem Donnerstein vor Ensisheim (en latin et en allemand) d’abord à Bâle chez Bergmann de Olpe (GW 5023), puis sous forme de deux contrefaçons à Reutlingen et à Strasbourg. Pour l’auteur, Sébastien Brant, il s’agit non pas tant d’informer le public sur un événement extraordinaire, que de présenter celui-ci comme un présage en faveur de l’héritier à l’Empire (Odile Kammerer, « Un prodige en Alsace à la fin du xve siècle : la météorite d’Ensisheim », dans Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes, 25 (1994), p. 293-315, avec une importante bibliographie) – voir fig. 1.
8.Le livre de Brant, sous sa forme latine, aurait inspiré à Érasme lui-même son projet d’Éloge de la folie, texte qu’il rédige en 1509 avant de le publier deux ans plus tard.
9.Georges Bischoff, Le Siècle de Gutenberg. Strasbourg et la révolution du livre, Strasbourg : La Nuée Bleue, 2018 (donne la bibliographie complémentaire récente). Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, t. II : Strasbourg, des grandes invasions au XVIe siècle, Strasbourg : Éditions des DNA Istra, 1981.
10.11,2 % de la production imprimée allemande de 1501 à 1510, 15,1 % dans la décennie suivante, et encore 11,5 % de 1521 à 1530 (source : VD16, statistique en nombre de titres).
11.Thomas Murner, Elsässischer Theologe und Humanist, 1475-1537 [catalogue d’exposition], Karlsruhe : Badische Landesbibliothek, 1987 (ci-après Murner 1987).
12.La chronologie est la suivante : Fribourg (1495-1497), Paris (1497-1499), Cologne (1498), Fribourg (1499), Cologne, Rostock, Prague, Cracovie (1499-1500), etc. pour finir par Bâle en 1518-1519. Le détail est donné par Murner 1987, p. 10-11. À Paris, Murner étudie la théologie et il est l’élève de Lefèvre d’Étaples.
13.Il met au point, à Cracovie, un système de jeux de cartes mnémotechniques pour aider à l’assimilation des raisonnements et des notions de logique. Il publiera son travail à Strasbourg en 1518 : Chartiludium institute summarie doctore Thoma Murner memorante et ludente, Strasbourg : Johann Knobloch et Johann Prüss der J., 1518, avec un privilège impérial pour dix ans (VD16, M 7028). L’auteur y présente des séries de tableaux, puis les différents symboles qui leur correspondent.
14.Thomas Murner, Invectiva contra astrologos, Strasbourg : Mathias Hupfuff, [post 8 mai 1499] (GW M 25718). Cf. Oliver Duntze, Ein Verleger sucht sein Publikum. Die Offizin des Matthias Hupfuff (1497/98-1520), München : K. G. Saur, 2007, p. 96-97 : Maximilien faisait l’objet d’horoscopes très défavorables, annonçant notamment sa mort au cours d’une guerre contre les Suisses. Le titre de l’opuscule est illustré d’une gravure représentant, sous l’aigle bicéphale, les frères siamois nés à Worms en 1495 et unis par le crâne – ils symboliseraient l’unité de l’Empire, mais annonceraient sa ruine prochaine. Thomas Murner, Tractatus de pythonico contractu, Strasbourg : Mathias Hupfuff, [post 2 oct. 1499] (GW M 15719).
15.Thomas Wolf, Defensio Germaniae Jacobi Wympfelingii quam frater Thomas Murner impugnauit, Strasbourg : Johann Grüninger, 1502 (VD16, G 3922). L’illustration de titre oppose le groupe des amis et des disciples de Wimpheling à la figure isolée de Murner, sous son phylactère proclamant « Praeter me nemo » (« Personne à part moi ») – voir fig. 2.
16.Il exerce comme lecteur chez les franciscains. C’est alors qu’il est témoin du tragique procès contre les dominicains : des apparitions auraient eu lieu chez les dominicains de la ville en 1507, mais on se rend compte qu’elles sont simulées. Le but est de critiquer le dogme de l’Immaculée conception, et le responsable de la fraude serait le jeune convers Hans Jetzer, à qui les visions sont apparues. Lorsque l’événement est connu, le Magistrat de Berne pousse au procès : il reçoit le droit de conduire l’enquête, fait torturer quatre frères suspects (le prieur, le sous-prieur, le lecteur et l’économe) et les fait exécuter le 31 mai 1509, tandis que Jetzer est relâché. Kathrin Utz Tremp, « Eine Werbekampagne für die befleckte Empfängnis : der Jetzerhandel in Bern (1507-1509) », dans C. Opitz et al., (dir.), Maria in der Welt. Marienverehrung im Kontext der Sozialgeschichte, 10.-18. Jahrhundert, Zurich : Chronos, 1993, t. II, p. 323-337. Voir aussi Historisches Lexicon der Schweiz. Murner prend part à la controverse en s’opposant violemment aux dominicains et en publiant l’Historia mirabilis quattuor heresiarcharum ordinis Predicatorum de Observantia apud Bernensium combustorum, [Strasbourg : Johann Knobloch d. Ä., 1509] (VD16, M 7069) ; texte ensuite traduit en langue vernaculaire : Ein Schön bewerttes Lied von der reynen unbefleckten entpfengnüß Marie in d. weiß Maria zart. Und dabey die war Histori von den fier Ketzeren Pregiger Ordens der Observantz zu Bern in Eidgnossen verbrant kurtz nach d. Geschicht begriffen, [Strasbourg : Matthias Hupfuff, 1510] (VD 16, S 3520). Les illustrations sont de Urs Graf.
17.Son frère, Beatus Murner, exerce alors comme le prototypographe de la ville livre et impériale de Francfort.
18.Les Institutes de Justinien sont l’une des quatre composantes du Corpus juris civilis, avec les Constitutiones imperiales, le Digeste (alias les Pandectes) et les Novelle : Der Keiserlichen stat rechten ein ingãg vnd wares fundamẽt. Meister vnd rädten tütscher nation von Doctor Thomas Murner gegabet vnd zů gefallen verteütschet, Strasbourg : Johann Grüninger, 1521 (VD16, C 5235). L’objectif est de moderniser le droit impérial en diffusant le droit romain, et de fonder la langue juridique allemande.
19.Thomas Murner, Doctors Murner Narrenbeschwörung, Strasbourg, Matthias Hupfuff, 1512 (VD16, M 7042 ; Murner 1987, D 4). Les illustrations sont de Urs Graf – voir fig. 4.
20.Thomas Murner, Der Schelmen zunfft, Frankfurt/M., Beatus Murner, 1512 (VD16, M 7073) ; Id., [Strasbourg : Mathias Hupfhuff, 1512] (VD16, M 7074 : le seul exemplaire connu est conservé à Budapest).
21.Aussi : Gauchmat, le tapis où les fous amoureux se réunissent pour célébrer la fête du printemps
22.Thomas Murner, Die Geuchmat, Basel : Adam Petri, 1519 (VD16, M 7035). Illustré notamment par Urs Graf et Ambrosius Holbein.
23.Une hypothèse serait que la fixité typographique nouvelle et la diffusion considérablement élargie des positions des uns et des autres par l’imprimé rendent la conciliation à tout le moins beaucoup plus difficile.
24.10 nov. 1520 : Ein Christliche und biederliche Ermannung zu dem hochgelehrten Doctor Martino Luter, Wien : Johann Singriner d. Ä., 10 nov. 1520 (VD16, M 7030). Von Doctor Martinus Luters Leren und Predigen. Das sie argwenig seint uñ nit gentzlich glaubwirdig zuhalten, Strasbourg : Johann Grüninger, 24 nov. 1520 (VD16, M 7091). Von dem Babstenthum wyder Doctor Martinum Lutherum, Strasbourg : Johann Grüninger, 13 déc. 1520 (VD16, M 7090). An den Großmechtigsten vñ Durchlüchtigstẽ adel tütscher nation das sye den christlichen glauben beschirmen wyder den zerst[oe]rer des glaubẽs christi Martinũ luther einẽ [v]fierer der einfeltigẽ christẽ, Strasbourg : Johann Grüninger, 24 déc. 1520 (VD16, M 7020). Voir François Ritter, Histoire de l’imprimerie alsacienne aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, Paris : F.-X. Le Roux, 1955, p. 105-107 (ci-après : Ritter).
25.Martin Luther, De Captivitate Babylonica ecclesiae Praeludium, Wittenberg : Melchior Lotter d. J., 1520 (VD16, L 4189). Le texte est très vite repris à Strasbourg par Johann Schott (VD16, L 4186).
26.Martin Luther, Von der Babylonischen Gefängnis der Kirche, trad. Thomas Murner, Strasbourg : Johann Schott, 1520 (VD16, L 4196 ; Murner 1987, E 9).
27. « Ce franciscain de Murner a vomi ces jours-ci un libelle contre Luther rédigé en vernaculaire, dans lequel et il supprima son nom et dissimula ses mœurs, bien que Midas pouvait à peine cacher ses oreilles. J’aurais envoyé un exemplaire si j’en avais eu un ; mais le frère chez qui je l’ai vu n’en avais qu’un seul. » L’allusion au roi Midas renvoie aux oreilles d’âne dont Apollon aurait affublé celui-ci (Correspondance de Martin Bucer, éd. Jean Rott, t. I, Leiden : Brill, 1979, ici p. 121).
28.Thomas Murner, Wie doctor. M. Luter vß falschen vrsachen bewegt Dz geistlich recht verbrennet hat, Strasbourg : Johann Grüninger, 17 fév. 1521 (VD16, M 7094).
29.Raphael Musæus (pseud. Ulrich von Hutten), Murnarus Leuiathan, vulgo dictus Geltnar, oder Genß Prediger ; Murnarus, qui & Schönhenselin, oder Schmutzkolb, de se ipso, [Strasbourg : Schott, 1521] (VD16, M 7112 ; Murner 1987, H 3) – voir fig. 3.
30.Ritter, p. 106.
31.Strasbourg : Johann Prüss der J., Reinhard Beck der Ä., 1521 (VD16, K 135 ; Murner 1987, H 1).
32.Le Karsthans prend son titre de la désignation usuelle du paysan en haut-allemand (= Jean la Houe), et le dialogue présente le personnage comme mieux préparé à recevoir la leçon de l’Évangile que les privilégiés, membres du clergé et autres.
33.Sitzungsberichte der philosophisch-philologischen und historischen Classe de k. b. Akademie derWissenschaften, I, 1871, p. 277-280.
34.Thomas Murner, History von den fier Ketzren Predigerordens der Observantz zu Bern, [Strasbourg : Johann Prüss d. J., 1521] (VD16, M 7063 et 7064) – voir fig. 6.
35.Thomas Murner, Von dem großen Lutherischen Narren wie in doctor Murner beschworen hat, Strasbourg : Johann Grüninger, [19 déc.] 1522 (VD16, M 7088 et 7089 ; Murner 1987, E 15). Thomas Murner, Von dem großen lutherischen Narren, éd. Paul Merker, Strasbourg : Karl J. Trübner, 1918, notamment p. 40ss. Thomas Murner, Von dem großen Lutherischen Narren (1522), éd. Thomas Neukirchen, Heidelberg : Universitätsverlag Winter, 2014 – voir fig. 5.
36.Quoi qu’il en soit, ces difficultés expliquent que le titre soit aujourd’hui extrêmement rare. Grüninger remplace dans la deuxième édition le privilège impérial inopérant par une note rédigée par lui.
37. « Parfois la sagesse suprême est d’imiter la folie. » Et non pas la traduction proposée par Bernard Poloni, lequel a mal lu l’inscription (« L’image, vecteur de la polémique, dans Le Grand fol luthérien de Thomas Murner », dans Valérie Robert (dir.), Intellectuels et polémiques dans l’espace germanophone, Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2018, p. 231-242).
38.Il se réfère au livre des Juges, 15, 11. Le même passage est invoqué par Luther lorsque celui-ci brûle publiquement la bulle.
39.En définitive, le Réformateur, sollicité par les révoltés de Souabe eux-mêmes (Hauptartikel de 1525), adoptera une position beaucoup plus conservatrice s’agissant des problèmes relevant de l’ordre social et politique (Wider die stürmenden Bauern, 1525). Et il semble vraisemblable que les images mettant en scène son intention supposée d’attiser la révolte l’ont poussé sur cette voie.
40.Dans une église, devant l’autel, le fou a jeté un livre à terre et en feuillette un autre (il a l’air de ne savoir que faire). Les révoltés critiquaient les heures passées à la messe et dans les prières, quand ils préféreraient faire quelque chose d’utile : mais Murner leur fait tenir un tout autre discours, celui de regretter de ne pas pouvoir, au lieu de venir à l’église, manger des saucisses avec de la moutarde…
41.Uly v. Stauffen est le jeune noble qui s’admire dans le miroir ; le chevalier Peter, un chevalier d’autant plus orgueilleux qu’il est de naissance obscure ; quant au nom de Griff (< greifen), il dénoncerait la rapacité de ceux qui savent se débrouiller en toutes circonstances.
42.Laurence Bobis explique que le chat, d’abord venu d’Égypte, n’est pas réellement domestiqué jusqu’à la fin du Moyen Âge, et qu’il n’entre guère dans les maisons, parce qu’il y porterait le malheur. Le chat est un animal secret et négatif, il vagabonde, il est lié au démon, vit la nuit et serait adoré des sectes hétérodoxes… Sa réhabilitation ne se fera que lentement, notamment en tant qu’il contribue à la lutte contre les rats et les souris (Une Histoire du chat, Paris : Seuil, 2006). Quant à la désignation du chat par le rappel de son ronronnement, elle est traditionnelle en Allemagne, et sera reprise jusqu’au célébrissime Chat Murr de Hoffmann.
43.Ésope et ses dérivés, dont l’Edelstein donné par Ulrich Bonner à Bamberg fournit un exemple imprimé et illustré dès les années 1461.
44.Reynke de Vos, Lübeck, [Imprimeur à tête de pavot (Hans von Ghetelen)], 1498 (GW 12733). Trad. en bas-alld, avec des illustrations xylogr., du poème Van den Vos Reinaerde rédigé aux Pays-Bas vers 1375 et publié par Henric van Alckmaer à Anvers entre 1487 et 1490. William Foerste, « Von Reinaerts Historie zum Reinke de Vos », dans Münstersche Beiträge zur niederdeutschen Philologie, 6 (1960), p. 105-146. Amand Berteloot, Loek Geeraedts, Hubertus Menke (éd.), Reynke de Vos – Lübeck 1498. Zur Geschichte und Rezeption eines deutsch-niederländischen Bestsellers, Münster : Niederlande-Studien, Kleinere Schriften, 5 (1998).
45.Nous sommes aussi devant une procédure fondée sur le système du rébus : une lettre, une série de lettres, une syllabe, un mot, une phrase sont présentés sous forme de motif iconographique. C’est aussi le cas avec les armes parlantes, comme l’illustrent nombre de marques typographiques : un enfant chevauche une grenouille chez Froschauer tandis que des lapins ornent le blason de Colines (ce sont « les cuniles de Colines »). Nous avons vu que Murner, en tant que clerc et que pédagogue, était d’ailleurs un spécialiste de l’utilisation de l’image pour l’apprentissage et la mémorisation. Dans le cas de la polémique, le procédé est aux antipodes de la substitution humaniste savante du nom latin en place du vernaculaire (Brant = Titio, Schwarzerd = Melanchthon, etc.) : le but n’est pas de se distinguer pour se reconnaître, mais bien d’exclure.
46.Murnarus Leviathan, vulgo dictus Geltnar oder Genß Prediger, Strasbourg : Johann Schott, 1521.
47.VD16, M. 7063.
48. « Les monstra tirent leur nom de monstrare, en ce qu’ils montrent quelque chose en le signifiant » (De Civitate Dei, 21, 8). Sur le plan psychologique, la zoomorphie fait paraître le personnage intérieur, qui se cache derrière son enveloppe apparente.
49.Hans Heinrich Freyermut, Triumphus veritatis. Sick der Wahrheit, Speyer, Johann Eckhart, 1524 (VD16, ZV 6175).
50.Il représente cette même année l’évêque de Strasbourg à la diète (Reichstag) de Nuremberg.
51.Thomas Murner, Die Disputation von den XII Orten, Luzern : Thomas Murner, 1527 (VD16, M 7033 ; Murner 1987, F 9).
52.Frédéric Barbier, « Entre la plume et la presse : l’intellectuel au xve siècle », dans Alain Riffaud (dir.), L’Écrivain et l’imprimeur [Actes du colloque du Mans, 8-9 octobre 2009], Rennes : PUR, 2010, p. 21-45.
53.Mais le phénomène ne se limite évidemment ni aux affaires religieuses, ni à la géographie de l’Allemagne, comme le montrent, en France, les publications de propagande royale sorties à la suite de la défaite de Pavie et de l’emprisonnement de François Ier.
54.Frédéric Barbier, « Les débuts de la Réforme en France : transferts culturels et histoire du livre, 1517-1523 », Journal des savants, 2018 (1), p. 71-95.