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Yannick Fer et Gwendoline Malogne-Fer (dir), Le protestantisme à Paris

Genève : Labor et Fides, 2017, 418 p.

L’espace géographique que couvre cette étude est beaucoup plus large que le titre. Il s’agit de l’Île-de-France dans son ensemble qui regroupe un cinquième de la population française et aussi un cinquième des protestants français. Le but de ce livre est d’apporter un éclairage inédit sur les mutations que le protestantisme connaît depuis quelques décennies. Quinze auteurs y contribuent, historiens, sociologues et anthropologues, Français mais aussi un Belge, un Anglais, deux Suisses. Certains sont bien connus de nos lecteurs.

Ce livre part d’un constat, la distance sociale qui sépare un protestantisme parisien bien établi, majoritairement luthéro-réformé, socialement homogène, et les Églises protestantes évangéliques de la périphérie, issues pour une bonne part des migrations internationales. Mais il y a aussi des Églises évangéliques intra-muros et des paroisses luthéro-réformées en Île-de-France qui d’ailleurs se transforment parfois en évangéliques. Dans ce paysage complexe, s’entrecroisent les diversités sociales, culturelles, générationnelles et théologiques. Ce livre s’appuie à la fois sur une série d’enquêtes sur le terrain soutenues par la Mairie de Paris pour étudier « les enjeux de l’intégration à Paris », et sur les études faites par les contributeurs de ce livre. Il constate que l’opposition historique entre évangéliques et libéraux se maintient ; et que les migrations ont eu un rôle déterminant dans la croissance évangélique. Les immigrés en Île-de-France viennent de 192 pays différents. Ils représentent 40 % de l’immigration en France. Quant aux protestants de la Région parisienne (d’après un sondage), ils sont par rapport à l’ensemble des protestants français, plus jeunes, plus diplômés, appartenant aux classes moyennes supérieures ; un tiers sont célibataires ou divorcés ; ils participent aux activités d’Église ; ils sont plus ouverts à la diversité culturelle et au droit de vote des étrangers, mais se sentent quand même, dans leurs paroisses, peu concernés par les enjeux de la diversité.

La Fédération protestante de France a pris conscience de cette hétérogénéité du protestantisme francilien et, dans les années 1990, a lancé le projet Mosaïc, un programme destiné à sensibiliser les pasteurs et les membres d’Église à cette diversité culturelle, à créer un lien entre anciennes et nouvelles Églises, à favoriser le dialogue. Depuis 2003, un groupe de travail cherche à faire de Mosaïc une forme d’œcuménisme intra-protestant. Les difficultés sont nombreuses, en particulier le manque de lieux de culte pour les nouvelles Églises qui demandent aux catholiques et aux protestants de leur prêter/louer leurs locaux. Mosaïc recommande à ceux-ci de ne pas se contenter de louer (quelquefois trop cher !), mais d’avoir un projet commun, une réflexion éthique ou biblique. Mais quand il s’agit de communautés non-francophones, cela est difficile. Trop souvent, le schéma accueillant/ accueilli, propriétaire/locataire est inégalitaire. Il serait souhaitable que des membres de chaque communauté siègent au conseil presbytéral de l’autre, que des activités communes soient organisées. Or les paroisses anciennes, souvent vieillissantes, ont peur d’accueillir des communautés plus jeunes, plus dynamiques qui pourraient leur faire concurrence…

La France privilégie le modèle d’intégration plutôt que le modèle communautariste anglais. L’appartenance au protestantisme pourrait-elle favoriser l’intégration de ces nouvelles populations ? Jusqu’où aller pour accueillir la diversité culturelle ? Peut-elle être prise en compte pour organiser le culte différemment ? La présence de pasteurs africains peut faciliter l’intégration. Mais les fidèles ont souvent l’habitude de changer de lieu ce culte. D’autre part, les pasteurs veulent éviter de réunir des fidèles provenant presque exclusivement d’un seul pays et d’avoir ainsi une Église ethnique car cela irait contre leur souhait de réévangéliser la France sur le modèle de la « mission inversée ».

Ce livre, qui mêle exemples concrets et développements méthodologiques, étudie en détail plusieurs exemples d’Églises ou de communautés, pentecôtistes, anglicans, wenzhou, arabophones, LGBT de la cathédrale américaine… Faute de pouvoir parler de la spécificité de chacune, nous retiendrons le cas du « temple du Marais, un modèle communautaire expérimental ». Il s’agit d’une vieille paroisse réformée, vivant dans un cadre prestigieux construit par Mansard et qui a accueilli des fidèles issus de l’immigration. Sous la houlette du pasteur Gilles Boucomont, la présence au culte a été multipliée par 10 en dix ans. Son hétérogénéité en fait un terrain privilégié d’étude sur la manière utilisée pour « Faire communauté en société ». La paroisse, ouverte à toutes les cultures, rejoint les gens là où ils sont, dans leur(s) culture(s). Les trajectoires individuelles des fidèles sont très diverses. Pour y répondre, on a un culte plus traditionnel le dimanche matin, et deux le soir avec des orientations liturgiques différentes, plutôt adressées aux jeunes, comme le font depuis une vingtaine d’années des Églises scandinaves. De plus, la vie communautaire de cette paroisse est très riche et décentralisée. Il s’agit de développer un fort sentiment d’appartenance à la communauté, où l’on vient pour donner et recevoir. Les « groupes de maison » permettent de renforcer les relations interpersonnelles pendant la semaine et de tenter l’évangélisation. En somme une communauté locale « singulière » : une paroisse évangélique au sein d’une Église réformée historique piétiste, dans la continuité du Réveil. Mais une communauté centrée sur son pasteur et qui n’a pas intégré d’autres groupes qui font chacun son culte dans sa langue, et dont la situation reste précaire.

On ne trouve pas seulement le protestantisme francilien dans les paroisses. Quelquefois il s’exprime à l’extérieur. « Manifester à Paris constitue plus que dans d’autres villes un fort enjeu de reconnaissance » car Paris est le centre du pouvoir, mais aussi pour les protestants la ville dont ils ont été longtemps exclus, et même persécutés. Ces manifestations parisiennes s’inscrivent dans un arrière-plan doublement concurrentiel : concurrence intra-protestante mais aussi ad extra vis-à-vis de l’islam jugé plus visible et plus offensif. Entre 2012 et 2015, il y eut quatre manifestations dans l’espace public parisien. En 2012, le « Marathon de la Bible » s’installe place de la Bastille pour y lire le Nouveau Testament, une lecture publique et continue sur plusieurs jours. Puis c’est la « Marche pour Jésus », de l’esplanade des Invalides au Panthéon, marche annuelle qui s’inscrit dans le cadre plus large des « Mouvements de prière urbains » charismatiques. Le nombre de participants augmente chaque année, notamment à cause de la forte implication des Églises africaines et antillaises. Pour ce genre de manifestation, il faut bien sûr avoir des autorisations administratives qu’en général les maires de gauche refusent au nom de la laïcité et ce sont les maires de droite qui les donnent. Le Festival « Jésus au cœur » se déroule au stade de la Muette. C’est une réunion interconfessionnelle (catholiques, protestants, orthodoxes) et charismatique. Les autorités catholiques ne donnent pas un sou, mais ce sont la FPF et l’ERF qui aident – et pas le CNEF ! – pour encourager un œcuménisme intra-protestant. Enfin, c’est au Parc de Bercy et place du Palais-Royal que s’est déroulé « Protestants en fête ». Le but était de mettre en scène la diversité protestante, théologique et culturelle, et favoriser la rencontre entre les membres de la FPF en développant une conscience commune du protestantisme. L’objectif était de sortir le protestantisme de son entre-soi. Mais les paroisses ne se sont pas assez impliquées, les médias ne s’y sont guère intéressés, et il y eut un déficit !

Ce livre très riche dresse un tableau du protestantisme francilien dans son hétérogénéité, à la fois théologique, culturelle, ethnique et socio-économique. Il semble que, malgré les efforts de la FPF pour nouer des relations avec les nouvelles Églises, les progrès soient très lents. La création du CNEF pour représenter les Églises évangéliques en témoigne.

Gabrielle Cadier-Rey