Frédéric Anquetil, Annette Monod, l’ange du Veld’Hiv’, de Drancy et des camps du Loiret
Préface de Pierre Lyon-Caen ; postface de Guy Aurenche, Maisons-Laffitte : Ampelos, 2018, 199 p.
Annette Monod est née en 1909, troisième des cinq filles du pasteur André Monod, futur responsable du Comité des amitiés françaises à l’étranger. Dans sa jeunesse, dans le nord de la France, elle est très marquée par l’action du pasteur Nick, puis par celle des Quakers qu’elle rencontre lors d’un séjour en Angleterre et avec qui elle gardera des liens toute sa vie. Son empathie pour ceux qui souffrent l’amène à faire des études d’assistante sociale à l’École pratique de Service social, créée par le pasteur Doumergue en 1913. Ses premiers postes lui font connaître la misère et les fléaux sociaux de la banlieue parisienne et de la « zone ». Déjà, elle habite au milieu des populations dont elle s’occupe, pour mieux les comprendre, comme plus tard elle adoptera, au risque de tomber malade, le régime alimentaire des prisonniers. Pendant la « drôle de guerre », elle crée à Cherbourg un Foyer de marins, mais elle démissionne à l’arrivée des Allemands. Nommée à Compiègne pour organiser un centre d’accueil pour les prisonniers de guerre en transit, elle en aide de nombreux à s’évader. En avril 1941, elle démissionne, se fait embaucher par la Croix- Rouge, et bientôt se porte volontaire pour accompagner la première rafle de juifs étrangers vers les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, seule femme au milieu de 2 000 internés. Cela marque un tournant dans sa vie. « J’ai été volontaire, un peu ahurie, parce que je ne connaissais rien à la question juive. » Mais elle s’est sentie portée par ses « origines protestantes » et par ses lectures de l’Ancien Testament. Après quatre mois, elle est mutée au camp d’internement de Drancy qui accueille alors des juifs français, avocats, médecins, intellectuels… Son souci : les occuper intellectuellement et manuellement pour leur éviter le désespoir. Elle reprend les méthodes qui furent celles de Florence Nightingale en Crimée, de Madeleine Barot à Gurs : créer une bibliothèque, une salle de jeux, un service social, une baraque cultuelle pour rendre possible la vie religieuse. Elle s’occupe de leur permettre de manger casher ; elle fait passer messages et nourriture. En février 1942, les Allemands la renvoient « pour excès d’activités » et « relations indésirables avec le monde extérieur ». Un mois plus tard, le premier convoi part pour Auschwitz. Malgré ses efforts, Annette ne peut retourner à Drancy, mais des six mois qu’elle y a passés, elle a reçu de nombreux témoignages de reconnaissance.
Elle est nommée un temps au camp de Voves (Eure-et-Loir) qui regroupait des communistes français et espagnols. C’est son premier contact avec des « politiques ». La rafle du Vel’d’Hiv’ la ramène à Paris. 13 000 juifs sont arrêtés et entassés là. Rien n’a été prévu. « Désordre, imprévoyance, pagaille, impuissance, chaos ». Consciente de ne pouvoir rien faire, Annette part alors pour les camps de Beaune-la-Rolande et Pithiviers qu’elle connaît et par où ces gens passeront. Elle y assiste à la séparation des familles, des enfants de leurs mères qui rapidement sont déportées. Bientôt ce sont les enfants eux-mêmes, sans parents, sans identité (qu’ils sont trop jeunes pour connaître) déjà perdus, qu’Annette voit enfournés dans des wagons à bestiaux, partir seuls vers la mort. Elle se sent « écrasée de honte » et de désespoir. Et elle comprend alors qu’elle doit agir en amont. Elle prend contact avec l’OSE (œuvre de secours aux enfants) et entre en résistance. On sait très peu de choses sur ses activités qui, par nature, sont secrètes. Elle sillonne le France pour placer des enfants. Son uniforme de la Croix-Rouge lui sert en quelque sorte de bouclier, mais elle a traversé des situations périlleuses dont elle s’est sortie par son culot, son courage, mais aussi par chance. Elle se retrouve à Drancy lors de la libération du camp, le 17 août 1944 et, par sa présence d’esprit, elle arrive à subtiliser un des fichiers du camp, ce qui va permettre l’identification de milliers de déportés. Elle avait agi de même à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande, ces fichiers étant les dernières traces laissées par les déportés sur terre.
À la Libération, prisons et camps se remplissent de nouveau, mais avec des collaborateurs et des Allemands. Elle-même passe plusieurs semaines au Lutetia, pour organiser le retour des déportés. Connue pour son accompagnement des détenus, elle est bientôt nommée par le ministère de la Justice pour s’occuper du Service social des prisons et de la formation du personnel. Comme sous-directrice de la prison de femmes, elle va rester quatre ans à Haguenau. Elle s’accroche à sa mission de réinsertion mais ses difficultés avec le personnel l’épuisent et l’amènent à démissionner. Elle est alors nommée à la prison d’hommes de Poissy et y rencontre un visiteur de prison, intellectuel résistant, musicien, Pierre Leiris. « Quinze jours après, j’étais fiancée. » Leur mariage (août 1950) fut très heureux. En octobre 1951, elle intègre la prison de Fresnes comme assistante sociale en chef, et elle va y rester vingt ans, particulièrement sensible devant les condamnés à mort et les prisonniers algériens dont elle comprenait le combat. Seule femme au Conseil supérieur de l’Administration pénitentiaire, elle se préoccupe particulièrement de la réinsertion. Elle est décorée de la Légion d’honneur en 1973. Elle perd son mari dans un accident en janvier 1975.
À la retraite, Annette Monod va consacrer son temps et son énergie à l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), une association œcuménique qui regroupe de riches personnalités. C’est là que l’auteur de ce livre, alors objecteur de conscience, fait sa connaissance. Elle renoue avec les Quakers, actifs aussi dans l’ACAT et dans la résistance non-violente. À partir des années 1980, quand se fait jour un intérêt nouveau pour la Shoah, elle va être plusieurs fois interrogée pour son action pendant la guerre et ce sont sans doute ces interviews qui la font suffisamment connaître pour qu’en 2009, un cinéaste en fasse la protagoniste du film La rafle. Ce livre qui raconte l’ensemble de sa vie si riche, appuyé sur des documents inédits et personnels, s’interroge aussi sur les valeurs qui l’ont portée, qui l’ont soutenue dans sa résistance spirituelle.
Gabrielle Cadier-Rey