Magda Trocmé, Souvenirs d’une jeunesse hors normes
Édition commentée de Nicolas Bourguinat et Frédéric Rognon, Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg, 2017, 246 p. + annexes (bibliographiques et généalogiques).
Magda Grilli est connue en France par son mariage avec André Trocmé et leur action commune au Chambon-sur-Lignon pendant la guerre. Mais l’intérêt de ce livre, qui se situe justement avant son mariage, est tout autre : il raconte (à la première personne) les vingt-cinq premières années (1901-1926) d’une jeune fille née à Florence dans un milieu intellectuel, aristocratique, cosmopolite (mi-italien, mi-russe) polyglotte et essentiellement protestant. L’avant-propos de Patrick Cabanel remet le mariage de Magda et d’André dans une perspective propre à beaucoup de couples pastoraux français, l’ouverture sur d’autres horizons, alors que Frédéric Rognon, lui, rappelle l’itinéraire d’André Trocmé, puis du couple, notamment leurs engagements dans le Mouvement international de la Réconciliation, IFOR, qui sera celui de toute leur vie.
Mais le livre, c’est l’histoire d’une petite fille qui a perdu sa mère à sa naissance et qui a été élevée par des misses, fraülein, mademoiselles, chargées de lui apprendre leur langue. Heureusement, elle a pu s’appuyer sur l’affection de sa grand-mère russe, d’autant qu’elle souffrait de la jalousie maladive de sa marâtre. Elle a connu de longues années de pension (protestante puis catholique) d’où elle est sortie avec le Prix d’Honneur. Elle aurait aimé aller à l’université, mais sa belle-mère s’y est opposée. Elle entre alors à l’Institut Supérieur du Magisterio, sorte d’École Normale. Pendant ses études, elle fait deux séjours à Torre Pellice. Là, elle conçoit ce que pourrait être, sur le modèle du Lycée Vaudois, un lieu d’expérimentation pédagogique, ouvert à la jeunesse rurale et diffusant des valeurs d’humanisme et de tolérance. C’est sous son influence qu’ouvrira en 1938, au Chambon- sur-Lignon, l’École nouvelle cévenole.
En même temps que ses études, pour suivre l’exemple de sa grand-mère très tournée vers les œuvres sociales, elle s’occupe d’enfants de milieux populaires, notamment par l’intermédiaire des Unions chrétiennes de jeunes filles. C’est ce travail social auprès des plus démunis qui, avec ses diplômes, va lui permettre d’obtenir une bourse pour la New York School of Social Work. Là, elle loge à l’International House, où 71 nationalités se côtoient. Elle donne des leçons de français pour payer sa pension. Son travail sur le terrain, « field work », dans les différents quartiers de la ville, la passionne. C’est dans ce Foyer international que celle que l’on appelle « la belle Florentine » va rencontrer André Trocmé, venu aux États-Unis pour poursuivre ses études de théologie et comme précepteur des enfants Rockefeller. On peut parler d’un coup de foudre réciproque puisqu’ils se fiancent après s’être parlé trois fois et avoir constaté qu’ils partageaient les mêmes valeurs. Mais avant de quitter les États-Unis, Magda va passer quelques semaines dans un sanatorium. Ils se marient le 12 novembre 1926 à Saint-Quentin, dans le fief Trocmé, et ils feront leur voyage de noce en Suisse et en Italie ; là s’arrête le livre. Plusieurs fois elle se réfère à des mémoires écrits par André.
C’est parce que ce récit est bien plus que des souvenirs, d’ailleurs souvent sans repères chronologiques, qu’il méritait cette postface érudite de N. Bourguinat et F. Rognon qui replacent le témoignage de Magda dans divers contextes. D’abord dans l’histoire du xixe siècle, avec ses courants politiques, libéraux et sociaux. Ils montrent aussi que les liens entre l’Italie et la Russie n’étaient pas seulement ceux des exilés politiques, mais relevaient de raisons intellectuelles, artistiques, religieuses ou simplement climatiques. À travers l’exemple de Magda, cette postface développe également, d’une façon comparative, ce qu’était l’enseignement féminin en Italie, entre l’État et l’Église, très marqué selon les différentes classes sociales. L’itinéraire de Magda correspond à la fois à son désir d’études longues, et aux possibilités offertes par l’État. Enfin, les auteurs parlent de ce qu’André Trocmé appelait « la religion de Magda » ; ils montrent qu’elle avait suivi sa propre évolution spirituelle, refusant tout dogmatisme, donnant la primauté à la liberté, se focalisant sur les valeurs éthiques et l’engagement concret. Et c’est sur cet idéal commun de service auprès des déshérités, au service de la paix et de la justice, que s’est constitué le couple Trocmé.
Gabrielle Cadier-Rey