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David Feutry, Rebelles de la foi. Les protestants en France (xvie- xxie siècles)

Paris : Belin, 2017, 256 p.

Encore une nouvelle histoire des protestants en France ! Après la grande épopée de Patrick Cabanel, parue en 2012, et l’histoire d’une minorité proposée par Jean Baubérot et Marianne Carbonnier en 2016, le récit que propose David Feutry pourrait sembler ne rien apporter de nouveau. C’est tout le contraire, dans la mesure où l’auteur nous invite à adopter un nouvel angle de lecture : celui des sources. Le livre de David Feutry est bien celui d’un chartiste, attaché à une lecture serrée des documents du temps et à une reconstitution de l’histoire fondée en priorité sur ceux-ci. De la correspondance de Marguerite de Navarre à un discours de Jacques Chirac en passant par les mémoires du cardinal de Richelieu ou les thèses de Pomeyrol appelant à la « résistance contre l’occupation nazie », l’auteur propose de lire l’histoire des protestants en France au travers de l’édition et de la présentation de sources diverses, certaines très connues, d’autres moins (plusieurs d’entre elles, directement tirées des archives, sont mêmes inédites). Bref, l’histoire qu’il nous raconte se construit autour de moments historiques illustrés par des textes, mais des textes qui, en vérité, résument une période bien plus qu’ils ne saisissent un instant précis de cette histoire. De ce simple point de vue, le livre de David Feutry vaut d’être lu.

Quelques remarques critiques méritent cependant de lui être adressées. Tout d’abord, toute histoire du protestantisme en France, quelle qu’elle soit, ne saurait faire l’impasse sur le rôle de Calvin et de Genève dans la constitution du protestantisme français, que ce soit du point de vue de sa théologie ou de ses pratiques – ne serait-ce que pour le relativiser. C’est pourtant le cas ici, puisque l’auteur nous fait passer directement des origines du protestantisme dans le Royaume (avec l’affaire des Placards de 1534, dont il attribue un peu rapidement selon nous la paternité au « groupe » de Neuchâtel) aux guerres de religion, illustrées par le poignant récit de la nuit de la Saint-Barthélemy tiré des mémoires de Marguerite de Valois.

Autre point de débat : la discussion de la thèse de Max Weber à propos des rapports entre éthique protestante et esprit du capitalisme à laquelle se livre l’auteur. Dans le sillage de Fernand Braudel et de sa mise en évidence d’une origine italienne et donc catholique du capitalisme, David Feutry semble tenir pour fausse la thèse d’une origine calviniste du capitalisme souvent rattachée, mais à tort, au nom du sociologue allemand. Car ce n’est pas à proprement parler de cela qu’il s’agit pour Weber ; son but consiste bien plutôt à souligner les affinités électives entre l’esprit du capitalisme, qui peut donc préexister au calvinisme, et une éthique de l’effort sans consommation des bénéfices du travail qui implique, presque logiquement pour ainsi dire, la consciencieuse constitution d’un capital et son réinvestissement. On comprend que, comme le notait Braudel, les historiens aient tant de peine à se débarrasser d’une thèse certes critiquable mais séminale.

Dernier point de discussion : la place qu’occupent, selon l’auteur, les évangéliques dans la sociologie protestante contemporaine. David Feutry les associe à un mouvement de réveil venant compenser le reflux d’un protestantisme historique en perte de vitesse dans les sphères de l’économie (en particulier dans le domaine de la banque) et de la politique (malgré la « parenthèse » de 1981 et le moment Jospin de 1997 à 2002). Cette thèse, bien connue, rejoint l’avis de nombreux sociologues. Pourtant, selon certains travaux récents, que l’auteur signale du reste dans sa conclusion, il faut probablement relativiser cette vision des choses. Si les protestants évangéliques sont effectivement en croissance en France depuis plusieurs années, les protestants historiques semblent rassembler autour d’eux de plus en plus de Français désolidarisés du catholicisme et qui se retrouvent dans des valeurs « protestantes » comme la tolérance, l’ouverture à la modernité ou le regard bienveillant porté sur la diversité culturelle. En outre, les Églises luthéro-réformées et méthodistes ainsi qu’une frange importante des protestants évangéliques se trouvent rassemblés au sein de la Fédération protestante de France qui apporte régulièrement son soutien aux Églises de tendance évangélique issues de l’immigration. L’image d’une certaine coupure entre les deux mondes, induite par l’idée d’une concurrence permanente que semble accréditer l’auteur, mériterait donc d’être affinée.

Ces quelques éléments critiques soulignent en fait l’orientation principale qui est celle du livre de David Feutry, au-delà de sa concentration sur les sources : son récit du devenir protestant en France est moins une histoire religieuse, culturelle ou sociale qu’une histoire politique de la minorité protestante. Peut-on se satisfaire d’une telle approche ? C’est bien là toute la question.

Pierre-Olivier Léchot