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« Il y en a de sages & de fols »

Innocent Gentillet et la scission entre huguenots « patiens » et « vindicatifs » au lendemain de la Saint-Barthélemy (1574-1577)

José Luis Egío1

Max-Planck-Institut für europäische Rechtsgeschichte – Frankfurt am Main

Introduction

Dans les manuels d’histoire des idées politiques les plus connus, on réduit encore l’apport des réformés français du xvie siècle à la théorie de la résistance2. On doit spécialement aux importants travaux publiés récemment par Hugues Daussy3 et Paul-Alexis Mellet4, héritiers de l’esprit critique d’Arlette Jouanna et de Mario Turchetti, l’émergence d’une nouvelle perspective sur la pensée politique huguenote qui nous alerte à propos de faux points de repère au niveau conceptuel et de schémas excessivement rigides et téléologiques construits jadis dans la tradition historiographique.

En effet, le vieux stéréotype du huguenot forcément républicain, ennemi de l’autorité absolue des rois et ami des libertés populaires5, ne fait plus l’unanimité. Turchetti avait déjà exprimé des doutes vis-à-vis d’une tradition historiographique tendant à souligner le contenu subversif, républicain ou même révolutionnaire6 que des historiens de plusieurs époques avaient cru trouver dans la pensée politique élaborée par les huguenots au lendemain du massacre de la Saint-Barthélemy. Dans ce sens, quelques années auparavant, il avait proposé de remplacer la notion de « monarchomaques », concept historiquement polémique, par celui de « tyrannomaques7 ». D’un autre côté, Turchetti a mis en rapport les arguments de Bèze, de Hotman et des « monarchomaques » classiques avec la longue tradition anti-tyrannique occidentale, dans laquelle ils feraient plutôt figure de continuateurs des raisonnements politiques précédents que d’innovateurs exceptionnels. Grâce à l’élargissement du répertoire de textes et du cadre chronologique dans lequel les huguenots français ont construit les arguments politiques utilisés pendant les Guerres de Religion, tâche entreprise dans les travaux récents d’Hugues Daussy8, une vision plus ample et nuancée de leur pensée politique a pu être dégagée9.

Le travail publié récemment par Paul-Alexis Mellet suit aussi cette nouvelle ligne interprétative. L’historien considère d’abord que le nombre de traités spécifiquement « monarchomaques » qui se trouvent dans la très ample production polémique élaborée par les huguenots pendant les guerres de religion est assez limité (il réduit ce nombre à dix10). Mellet discute ensuite la rigueur de l’explication qui fait des théories « monarchomaques » un résultat naturel de l’indignation huguenote après la Saint-Barthélemy. Même s’il dédie seulement quelques pages à la pensée politique d’Innocent Gentillet – sujet auquel est consacré cet article –, Mellet présente sommairement quelques grandes différences entre des traités « monarchomaques » comme les Vindiciae ou la Franco-Gallia et des écrits modérés comme le Discours contre Machiavel de Gentillet, considéré par lui comme l’un des traités représentatifs des positions adoptées spécifiquement par le soulèvement bi-confessionnel des Malcontents11.

Pourquoi Gentillet ?

La complexité des positions politiques défendues par Gentillet peu après la Saint-Barthélemy, son attitude conciliatrice vis-à-vis de la Couronne ou la filiation diversifiée de ses idées politiques, profondément enracinées dans la très hétérogène tradition de pensée politique française des xve et xvie siècles, rendent difficile le classement de ce juriste huguenot, né à Vienne en Dauphiné, dans le spectre idéologique de l’époque. Dans cet article, nous nous arrêterons sur quelques-uns de ces éléments, surtout sur sa conceptualisation de l’autorité royale et le soutien apporté à la monarchie française lors d’une de ses crises les plus profondes. On s’intéressera également à ses fréquents éloges de la Rome classique et du droit public de l’Empire romain, qui éloignent Gentillet de la dérive franco-gauloise et anti-romaine dont des huguenots « monarchomaques » comme Hotman ont été les principaux représentants.

Dans le cadre du contexte politique et religieux bouleversé à la suite du massacre de Paris, alors qu’une partie des plumes réformées semblait incliner à la contestation violente de la puissance royale, Gentillet est resté à l’écart de ce courant radical et en est même arrivé à critiquer ouvertement les positions régicides, comme nous le verrons dans la section qui suit.

Prise de distances par rapport aux huguenots « fols » et « difformez » dans la Remonstrance de 1574

Gentillet fit son entrée sur la scène publique pendant le soulèvement des Malcontents (1574-1576), première initiative bi-confessionnelle depuis le début du conflit destinée à mettre fin au différend religieux qui avait brisé l’union politique des sujets du roi de France. Il s’agit d’une révolte triomphante à laquelle même François d’Alençon, frère d’Henri III12, a pris part. Dans un passage de la Remonstrance à Henri III (157413) par laquelle Gentillet fit ses débuts en qualité de polémiste politique, le juriste exhortait Henri III à négocier, tant qu’il en était encore temps, avec les huguenots « sages » et « patiens » qui, tout comme lui, étaient favorables à la conciliation avec le roi. Gentillet avertissait ainsi le monarque que d’autres huguenots, plutôt « fols » et plus « difformez » que « reformez », voulaient surtout déchaîner leurs désirs de vengeance. Selon le polémiste huguenot, si la guerre civile continuait, ils n’hésiteraient pas à recourir à des magiciens pour accomplir leurs projets pleins de haine. Il s’agit là d’une menace qui devait faire trembler un Henri III monté sur le trône après la mort prématurée de deux de ses frères :

Car le monde est plus empoisonné aujourdhuy de magiciens, enchanteurs, & sorciers, qu’il ne fut il y a cinq cens ans. Voire mais, dira quelqu’un ces Huguenots sont trop conscientieux, pour employer telles gens. Je respon, qu’il y en a aujourdhuy de plusieurs sortes. Il y en a de conscientieux, & d’autres non. Il y en a de sages & de fols, de patiens & de vindicatifs, plus sans comparaison de difformez que de reformez. Et n’y a-il pas aussi une infinité de Catholiques mal-contents, & d’Atheistes peu satisfaicts, qui ne feroyent point de scrupule d’employer les magiciens pour se venger14 ?

Bien que dans ce passage, Gentillet ait parlé de ces huguenots « fols » ou « difformez » avec une intention éminemment instrumentale, celle de convaincre Henri III d’accepter les conditions que voulaient lui imposer les chefs des Malcontents, il nous semble que ses propos servent à illustrer de manière pertinente les dissensions existantes dans le parti huguenot durant la période 1573-1576.

En ce sens, il convient de souligner que durant l’année 1574, date de parution de la Remonstrance susmentionnée, ont été publiés quelques-uns des principaux traités « monarchomaques », conçus comme des mises au défi de la monarchie face aux massacres de réformés. Gentillet était sans doute conscient des troubles suscités par ces écrits irrévérencieux, et cette conscience l’a probablement conduit à se démarquer explicitement de ses coreligionnaires les plus radicaux.

Au lieu de menacer Henri III, le juriste dauphinois a préféré demander ou « remonstrer » au jeune roi de gouverner avec justice et bonhomie. De façon très seysselienne15, Gentillet recourt même à l’artifice consistant à prophétiser et à louer (avec des vers empruntés à Horace et adressés originalement à Auguste) des actions d’Henri qui n’ont pas encore eu lieu. Gentillet préconise qu’Henri, motivé par les bonnes qualités qu’on lui attribue, avance résolument vers la paix :

[…] Que toy HENRY restabliras en France,

Si que partoy nous aurons abondance

De blé, de vin, & tout autre fruictage.

C’est toy, C’est toy, qui feras en nostre eage

Renouveller le vieil siecle doré,

Dont tu seras à jamais honoré.

Tu fermeras de Janus les portaux,

Par sainctes loix dechasseras les maux,

Et dessous toy les arts refloriront […].

Les habitans de toutes pars de France

Luy presteront loyale obeissance.

Et n’y aura, aucuns, grands ny petis,

Qui osent rompre un seul de ses Edicts.

Et nous estans en paix & en repos,

Jusques au ciel eleverons son loz,

En priant Dieu que le sceptre François

Soit eternel en tige de Valoys16.

La rhétorique joue un rôle important dans ces éloges, mais ceux-ci ne devraient pas être considérés comme purement circonstanciels. Ils montrent clairement que Gentillet n’a jamais proposé une transformation républicaine de la monarchie française. Au contraire, depuis les débuts de son activité de polémiste, son projet principal semble axé sur deux points fondamentaux : l’acceptation des huguenots comme sujets « obéissants » du roi de France et la fin des persécutions organisées contre eux.

Le projet politique qu’on aperçoit dans ces vers est celui d’une « vieille » monarchie française où les rois gouvernent de façon débonnaire et sont toujours prêts à faire des concessions à leurs sujets ; ces sujets sont, à leur tour, toujours obéissants et reconnaissants envers leur roi. Gentillet affirme aussi le rôle central du roi comme celui qui donne les lois au royaume. Dans ce sens, il rêve d’un monarque forgeur de « sainctes loix », aptes à « dechasser les maux » subis par la France. La généralisation de l’obéissance (parmi les « grands » et les « petis ») à l’autorité du monarque est un trait supplémentaire de cette monarchie utopique où personne n’osera « rompre un seul des Edicts » royaux.

Conceptualisation de l’autorité royale dans le Discours contre Machiavel (1576)

Selon les théories développées dans la Remonstrance de 1574, dans une deuxième Remonstrance écrite en 157617 et, surtout, dans l’œuvre la plus connue de Gentillet, son Discours contre Machiavel, publiée aussi en 157618, la crise de la Couronne de France était le résultat d’une substitution radicale de ses lois et traditions de gouvernement par des nouvelles maximes tyranniques introduites à la Cour par les conseillers italiens qui occupaient les plus hautes magistratures du royaume19. Pour Gentillet, il s’agissait d’un gouvernement « à l’italienne » ou « à la florentine » qui avait introduit dans le jadis stable et pacifique royaume de France les mêmes divisions et affrontements qui caractérisaient l’espace maudit de la ville italienne :

Il seroit à desirer que Machiavel et ceux de sa nation, qui estiment les seditions utiles et profitables, les eussent gardees pour eux […]. Et quant à la France, elle se fust bien passee que les machiavelistes fussent venus d’Italie, par deça les monts, pour y semer et nourrir les seditions et partialitez que nous y voyons20.

L’exercice tyrannique du pouvoir, que Machiavel recommandait dans des écrits comme Il principe, était comparé dans le Discours de Gentillet à une image idéalisée de la France historique, où les bons rois issus du sang de saint Louis, malgré la « puissance absolue » qui leur garantissait le droit et son institution divine, avaient toujours préféré résoudre ce genre de situations difficiles avec l’accord et l’aide de leur noblesse et de leur peuple.

On trouve la même image d’une monarchie française caractérisée par un gouvernement doux et modéré dans les écrits de la plupart des historiens et juristes français du xvie siècle. Ceci dit, leurs opinions tendent à se diviser au moment de considérer si la modération avec laquelle avaient gouverné des rois comme Philippe le Bel, Louis XII ou Charles le Sage était une obligation juridique consolidée dans l’exercice coutumier de l’autorité royale (comme on le lit dans les écrits d’Hotman, Bèze, Duplessis-Mornay, Coras ou Daneau) ou s’il s’agissait, plutôt, d’un simple témoignage de l’amour gracieux porté par les rois de France à leurs sujets. Selon cette deuxième conception, ces manifestations d’affection, même répétées, ne pouvaient être considérées comme des obligations juridiques stricto sensu.

Malgré son appartenance à la faction clairement lésée par l’exercice absolu et non consensuel du pouvoir royal pendant les Guerres de Religion, Gentillet est le premier juriste huguenot à reconnaître (après les tueries de 1572) le droit des rois de France à exercer leur « puissance absolue ». En effet, pour le polémiste dauphinois, au-delà des trois « lois fondamentales de la Couronne » (loi salique, inaliénabilité des domaines de la Couronne et convocation occasionnelle des États Généraux), des prescriptions divines et de la raison naturelle, aucune loi ni coutume ne constituait une borne infranchissable pour l’autorité du monarque.

La puissance absolue est celle qui ne peut ny doit estre aucunement limitee, ains s’estend à toutes choses quelles qu’elles soyent, si ce n’est quant aux lois de Dieu et de nature, et à celles qui sont le fondement de sa principauté et estat […]. Mais en toutes autres choses s’estend la puissance absolue du prince, sans limitation : car il est par-dessus les loix, lesquelles il peut faire et desfaire, et a puissance sur les corps et biens de ses sujets, sans restriction, purement et simplement. Vray est qu’il doit temperer l’usage de ceste puissance absolue par la moderation de sa seconde puissance, qui est civile, comme nous dirons ci apres21.

Gentillet avait entrepris cette réflexion sur la nature de l’autorité royale dans une digression autour de la bonhomie montrée historiquement par les rois de France à l’heure de demander des contributions fiscales à leurs sujets. Le juriste huguenot conseillait à Henri III d’employer ces mêmes procédures pacifiques (assemblée des États, consultation de son conseil, etc.) pendant son règne, tout en admettant son droit à imposer de nouvelles taxes sans le consentement préalable de ses sujets. De cette matière, Gentillet est même arrivé à contester les opinions d’un auteur de l’importance de Philippe de Commynes22, plus proche des « monarchomaques » (probablement les destinataires implicites des propos de Gentillet) dans la dispute autour de la potestas fiscale des rois de France :

Mais parce qu’il pourroit sembler de prime face à plusieurs qui liroyent ce passage là dedans de Commines, qu’il voulust limiter et restreindre la puissance du prince, je veux icy par manière d’interpretation de son dire, esclaircir quelque peu ce point. Il faut donc entendre et presupposer qu’au prince souverain il y a deux puissances, mesmes selon ce que les docteurs du droit en disent : L’une s’appelle puissance absolue, et l’autre puissance civile […], il faut entendre que de Commines a voulu parler de ceste seconde puissance au passage que nous avons cy dessus allegué, et non pas de la puissance absolue du prince. Car selon icelle il est certain que le prince a bien pouvoir d’entreprendre guerres, et lever imposts sur ses sujets, sans le consentement d’iceux23.

La remarque de Gentillet est importante dans la mesure où elle crée un écart entre le domaine du droit ou de la « puissance absolue », à laquelle appartiennent l’ensemble des potestates que le droit de la Couronne assignait aux rois de France, et la sphère éthico-normative de la « puissance civile ». Ce second domaine est construit par Gentillet avec des exemples du gouvernement modéré et consensuel que le juriste attribuait aux meilleurs rois de France et avec des maximes prudentielles en accord avec la morale chrétienne. Cette perspective bivalente permet à Gentillet de conseiller à Henri III l’implication de la noblesse dans l’administration des affaires du royaume ou la réunion des États pour l’approbation de nouvelles taxes sans faire de ces « bonnes » mesures des obligations juridiques stricto sensu.

Dans le schéma théorique employé par Gentillet, la « puissance civile » apparaît donc comme le complément de la « puissance absolue » :

L’autre puissance, qu’on appelle civile, est celle qui est reiglee, et comme limitee par les bornes de la raison, du droict et de l’equité, et de laquelle il faut presumer que le prince use et veut user ordinairement en tous ses commandemens, sinon que par expres il face declaration qu’il veut et ordonne cecy ou cela de puissance absolue, et de sa certaine science. C’est ceste puissance seconde, qui est gouvernee par prudence et bon conseil, et qui donne une douce temperature et contrepoids à la puissance absolue […]. C’est ceste puissance laquelle les bons princes ont tellement pratiquee, (laissant leur puissance absolue en surseance, sans en user sinon en une demonstration de majesté, pour rendre leur estat plus venerable et mieux obey) qu’en toutes leurs actions, et en tous leurs commandemens ils se sont tousjours voulu soumettre aux lois et à la raison24.

Ce passage montre que, dans les écrits de Gentillet, la modération qui caractérise le gouvernement « civil » recommandé dépend presque exclusivement de la prudence du monarque, d’où son appel à la « raison » du roi, à sa « certaine science » (notion toujours présente dans la littérature politique proto-absolutiste) et à la valeur de l’« équité ». Il en va de même pour l’éloge de la disposition gracieuse des « bons princes » à gouverner selon des lois dont ils pourraient se passer. L’exercice de la « puissance absolue » n’est pas condamné par Gentillet, qui cherche plutôt à restreindre et rationaliser son emploi. En fait, la plupart des longs excursus historiques qui remplissent les pages du Discours contre Machiavel semblent avoir été conçus pour démontrer que, contrairement à l’opinion du secrétaire florentin, un prince réussirait mieux à « conserver et augmenter ses domaines » en prenant pour habitude de recourir à sa « puissance civile » et ne faisant appel à sa « puissance absolue » que de façon exceptionnelle. Dans cette perspective, l’usage de cette seconde puissance ne se justifie que dans les situations « extraordinaires », où une « une demonstration de majesté » est requise afin de « rendre leur estat plus venerable et mieux obey25 ».

Gentillet n’est ici pas original, Même si dans cet article nous nous concentrons sur ses écrits et ne pouvons pas examiner en détail les antécédents de sa pensée politique, il est important de dire que ce sont là des conceptions classiques de la réflexion politique engagée par les théoriciens français dès le règne de François Ier. L’évêque et conseiller de Louis XII, Claude de Seyssel, est la principale source d’inspiration de la pensée politique de Gentillet26. Le juriste huguenot reprend seulement ces conceptions et les adapte à un nouveau contexte historique marqué par des violences périodiques que seulement un gouvernement modéré pourrait arrêter.

Appel au Droit politique de l’Empire Romain et exhortation à l’auto-modération des princes

Les exemples tirés des histoires de la Rome classique et les références au droit public de l’Empire ressortent parmi les autorités invoquées par Gentillet27 pour affirmer le caractère non restreint de la puissance des monarques français. Le Dauphinois suit, par exemple, l’Histoire de Rome de Dion Cassius (iie-iiie s. apr. J.-C. 28) et tient pour sûre la « donation » d’un « pouvoir absolu » aux empereurs romains de la part du populus29 :

Par ce que par la loy royale sus mentionnee le peuple romain donna toute pareille puissance au prince qu’il avoit luy-mesmes, pour en user envers le peuple et contre le peuple, et luy donna pouvoir absolu sans astriction à aucunes loix ni ordonnances [Dion in Augusto] 30.

La perspective « romaniste » de Gentillet trouve son complément dans l’éloge de la lex Digna vox de Valentinien III (qu’il attribue par erreur à Théodose). Gentillet la mentionne dans une de ses exhortations aux rois de France à respecter les lois coutumières. À cet égard, le Dauphinois met devant leurs yeux les exemples « glorieux » des meilleurs empereurs romains, synthétisés dans la lex Digna vox qui figure dans le Corpus Iuris Civilis de Justinien :

Et à la verité tous les bons empereurs romains ont tousjours tenu ce langage, et ont ainsi pratiqué leur puissance, comme nous lisons par leurs histoires : et mesmes l’empereur Theodose en a fait une loy expresse, laquelle (parce qu’elle est belle et bien remarquable) je veux icy traduire de mot à mot. C’est parole (dit-il) digne de la majesté de celuy qui regne, de se dire prince lié aux loix, tant pend nostre authorité de celle du droict. Et à la verité c’est plus grand’ chose que l’empire mesme, de soumettre son empire et puissance aux loix. Et ce que nous ne voulons nous estre loisible, nous le remonstrons aux autres princes par l’oracle de nostre present edict […]31.

Comme on peut le voir, Gentillet a eu recours à l’autorité des juristes de Justinien et des glossateurs pour renforcer ses définitions de « puissance absolue » et « puissance civile ». Grâce à la citation du Codex, la réélaboration conceptuelle opérée par Gentillet, relativement innovatrice, pouvait être facilement interprétée par tous les lecteurs de son œuvre ayant des connaissances élémentaires en droit romain32. Par ailleurs, la lex Digna vox résume parfaitement l’esprit modéré des idées de Gentillet sur l’autorité royale. Cela traite d’un idéal de gouvernement où le gouvernement des princes, s’obligeant à respecter des lois non contraignantes d’elles-mêmes, se rend digne de l’office royal et acquiert l’éclat extraordinaire propre à la puissance exercée avec justice et magnificence (maiestas).

Les familiers des écrits de Hotman comme l’Antitribonian (1567) ou la Franco-Gallia (1574), très influents parmi les juristes de leur temps, ne manqueront pas de noter l’énorme distance entre les positions adoptées par Gentillet et Hotman dans la polémique sur l’actualité et la valeur que l’on devait assigner au droit romain dans la seconde moitié du xvie siècle. Tandis que Gentillet le considère comme une source fondamentale pour le droit public de son temps, voire comme un des critères normatifs à suivre par les rois de son époque, Hotman l’a attaqué avec véhémence, le considérant comme un vieil et inutile masque érudit servant seulement à travestir en science des préceptes tyranniques comme cette lex Regia louée par Gentillet :

[…] apres que l’estat populaire fut renversé, & la tyrannie occupee par les Cesars, incontinent fut remise & resveillee l’ancienne loy Royale [lex Regia], contenant une sommaire declaration de la puissance & autorité souveraine du Monarque : le magistrat des Tribuns, qui maintenoit l’estat populaire, les comices & assemblees du peuple, les provocations, l’autorité du Senat & autres choses semblables en peu de temps s’aneantirent. Le peuple auparavant donnoit la loy, ordonnoit les magistrats, & faisoit la paix, la guerre, & les alliances. Tout cela fut mis entre les mains de l’Empereur33 (Hotman 1980, 8).

Daneau critique la « double puissance royale »

Les idées de Gentillet sur l’autorité royale ont suscité la réponse explicite de coreligionnaires de l’envergure de Lambert Daneau, qui s’est opposé à la distinction entre puissance absolue et puissance civile dans ses Ethices christianae (1577). Il s’agit d’une critique fondamentale34 pour comprendre les profondes différences existantes entre les positions de plusieurs polémistes réformés :

Ergo non est absoluta Magistratus potestas, sed certos fines & limites habet, quos egredi non debet […]. Item falsum est Duplicem esse Regum potestatem : Unam quidem liberam & quam vocant absolutam, quae nullis nisi propriae voluntatis fraenis coerceatur. Alteram autem civilem, quae intra legum fines se coerceat. Nulla est enim Regum voluntas tam libera. Haec enim solius est Dei propria, ut praeclare docetur in lib. De Iure Magistrat35.

Gentillet n’est pas mentionné directement (rappelons que son Discours et ses Remonstrances avaient été publiées de façon anonyme), mais la référence à son Discours ne pourrait pas être plus claire. Daneau s’est en fait référé aux termes employés par son collègue pour expliquer la double nature de l’autorité royale. En restreignant la puissance absolue au champ théologique, son domaine d’origine36, Daneau affirmait que Dieu seul pouvait être considéré comme titulaire d’un pouvoir non limité37.

Daneau a renvoyé les lecteurs séduits par l’explication conciliatrice de Gentillet sur la potestas royale au traité De iure magistratuum (1574) du « maître » Bèze. À nos yeux, ce renvoi paraît démontrer que l’enjeu de la dispute entre Daneau et Gentillet était l’établissement d’une « orthodoxie » politique dans le parti huguenot au lendemain de la Saint-Barthélemy. D’autre part, le conflit ouvert (et jamais résolu, puisque Gentillet ne modifia pas ses idées sur le sujet dans la réédition augmentée, signée cette fois-ci avec son nom, de son traité anti-machiavélien, publiée en 158538) entre les deux polémistes permet de prouver que cette orthodoxie ne s’est jamais construite, pas même au lendemain d’une effroyable attaque comme celle de la Saint-Barthélemy, où la soif de vengeance tendait à rassembler les huguenots autour des doctrines tyrannomaques médiévales.

Signalons avant de conclure que les différences théoriques et stratégiques que nous venons de mentionner n’ont pas provoqué de rancunes personnelles entre Gentillet et les « monarchomaques », Daneau y compris. En fait, Daneau est considéré comme l’auteur de la traduction latine de ce même Discours dont il avait réfuté les concepts clés39. Par ailleurs, Daneau loue son coreligionnaire indocile tant dans cette traduction40 que dans les Politicorum Aphorismorum Silva (1583) ou les Politices Christianae Libri Septem (1596) 41.

Le droit de résistance à l’autorité royale, une question marginale dans les écrits de Gentillet (1574-1576)

Échappant à la dérive primitiviste d’Hotman, qui prétendait faire remonter la monarchie française à des formes de domination caractéristiques du passé gaulois et franc, Gentillet est aussi resté à l’écart des conséquences les plus radicales impliquées par ses doctrines. Par exemple, il ne s’est référé que très brièvement, commentant le De tyranno de Bartole, aux conditions qui légitimaient la déposition ou l’assassinat des rois devenus tyrans42, question qui paraissait obséder à cette époque les principaux polémistes « monarchomaques ».

Il faut distinguer sur ce point les théories d’un Discours dédié à réfuter les maximes machiavéliques en vogue et à recommander des moyens alternatifs pour « bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou autre principauté » (comme le signale son titre) des traités dites « monarchomaques ». Tandis que ces derniers, essentiellement « destructifs », précisent les conditions qui justifieraient la résistance armée contre le tyran et les moyens légitimes pour la mener à bien, le Discours de Gentillet prête une attention marginale à ces sujets.

Il est vrai que, commentant Bartole, Gentillet voit en la violation des droits naturels et divins l’élément qui fait du roi un tyran et le fondement de la résistance armée à son encontre. Ceci dit, dans le Discours, des questions essentielles des traités « monarchomaques » demeurent dans l’imprécision. Par exemple, qui doit déclencher et guider la révolte contre le tyran ? Ou encore, l’intervention d’un roi étranger pour aider le peuple opprimé à se délivrer du tyran est-elle légitime ? Toujours conciliateur, Gentillet n’a pas voulu entrer dans ces discussions polémiques, que ce soit dans le Discours susmentionné ou dans ses deux Remonstrances.

Comme nous l’avons montré, les idées politiques de Gentillet se différencient sur plusieurs points des théories développées à la même époque par ses coreligionnaires « monarchomaques ». Cette diversité idéologique apparaît sans doute de la manière la plus frappante dans l’importante partie constructive (une compilation de maximes politiques destinées à redresser la Couronne de France) qui caractérise ses Discours et Remonstrances. Si l’on considère que, malgré les reproches exprimés par des compagnons comme Daneau, Gentillet n’a pas modifié ses points de vue dans des écrits postérieurs, on peut conclure que le désaccord entre les juristes et théologiens huguenots a persisté durant les décennies suivantes.

Conclusion

Notre présentation des idées sur l’autorité royale d’une des grandes plumes du mouvement réformé français dans les décennies 1570-1580, le juriste Innocent Gentillet, permet d’ajouter un nouvel élément à la remise en question contemporaine du stéréotype du huguenot nécessairement rebelle et républicain. L’existence d’interventions comme celle de Gentillet, qui se montre plus proche de juristes proto-absolutistes comme Chasseneuz, Bodin ou Pasquier que du « triumvirat monarchomaque » sur plusieurs points, montre bien la complexité et diversité de la pensée politique élaborée par les huguenots à cette époque. Notre perspective prétend avant tout souligner qu’au sein d’un mouvement pluriel, et dont l’évolution idéologique fut constante puisqu’il s’agissait de s’adapter à des conjonctures politiques extrêmement changeantes, toute recherche d’essences ou d’identités fixes serait d’avance condamnée à l’échec.

La lecture des Remontrances et Discours écrits par Gentillet dans la période 1574-76, sources alternatives aux fameux traités de Bèze, Hotman ou Duplessis- Mornay, ne met pas en évidence une seule théorie calviniste, mais plusieurs positions politiques de huguenots dont l’appartenance confessionnelle est souvent masquée ou non reconnue. Ce sont là des exemples qui confirment la justesse des perspectives nuancées que des spécialistes contemporains de la pensée politique des huguenots comme Jouanna, Daussy ou Mellet ont forgé en se référant à l’ensemble de la production polémique écrite par les reformés pendant les Guerres de Religion.

Au-delà du contexte post-Saint-Barthélemy, les écrits de Gentillet deviennent importants si nous les replaçons dans le contexte d’une histoire élargie de la pensée politique huguenote. En effet, si l’on ne tient pas compte de la persistance des attitudes conciliatrices et des positions « loyalistes » au sein du parti huguenot pendant les différentes phases des Guerres de Religion – ce qui a été bien illustré par Hugues Daussy pour la période 1557-157243 –, il est impossible de comprendre les accords conclus périodiquement entre réformés et catholiques afin de mettre fin aux guerres civiles qui se sont succédées jusqu’en 1598. En insistant sur l’existence de lignes de continuité

« loyalistes » et, de façon plus générale, en essayant de relier les écrits politiques des réformés avec la tradition politique française des Seyssel, Commynes, Monstrelet ou Froissart44, on ne perd pas de vue que ceux qu’on appelle aujourd’hui « calvinistes » ont été avant tout français. En ce sens, ils auraient écrit sur la monarchie et l’autorité royale, certainement inspirés par leurs convictions théologiques spécifiques, mais aussi par toute une série d’idées politiques et sociales héritées d’une tradition proto-nationale très appréciée et revendiquée par des polémistes huguenots qui se positionnent en rupture à d’autres égards.

Puisque le texte que nous présentons ici se limite aux écrits de Gentillet, nous nous sommes efforcés de laisser de côté plusieurs tâches qui pourraient s’avérer utiles dans la réévaluation du calvinisme politique initiée par les spécialistes susmentionnés. Un premier objectif à atteindre serait de déterminer avec plus de certitude si les écrits de Gentillet ont constitué une exception ou plutôt la règle dans la production polémique huguenote de la période 1573-75. Il serait important d’identifier systématiquement les autres « Gentillets » dans ce triennat, c’est-à-dire les figures qui, modérant des désirs de vengeance bien compréhensibles après les affreuses tueries de 1572, ont conservé une attitude conciliatrice vis-à-vis de la monarchie. Il faudrait déterminer ensuite dans quelle mesure leurs écrits sont représentatifs d’un certain courant de pensée au sein du parti huguenot et discerner si ce courant est majoritaire, minoritaire ou presque à égalité avec les tendances qui préconisent l’insurrection armée contre le roi dans ces années agitées. Pour répondre à cette question, il faudrait analyser de façon exhaustive les actes des assemblées des députés des Églises réformées de France qui ont servi à préparer le soulèvement bi-confessionnel des Malcontents, publiés en 1578 par Simon Goulart45, et les Remonstrances écrites par des polémistes reformés au cours de cette cinquième guerre de religion. Une analyse en profondeur de ces sources contribuerait à élargir une perspective générale souvent construite à partir des grands traités.

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1.Institut Max-Planck d’histoire européenne du droit, Francfort-sur-le-Main. Institut de Philosophie, Université Goethe, Francfort-sur-le-Main. Académie des Sciences et des Lettres, Mayence. Je tiens à remercier Audrey Dauchy et Richard Greiner de m’avoir aidé à corriger les fautes de français.

2.Robert Kingdon, « Calvinism and resistance theory, 1550-1580 », dans James Burns (éd.), The Cambridge History of Political Thought 1450-1700, Cambridge : Cambridge University Press, 1991, p. 206-213. Quentin Skinner, « Calvinism and the theory of revolution », dans Quentin Skinner, The Foundations of Modern Political Thought, vol. II : The Age of Reformation, Cam- bridge : Cambridge University Press, 1978, p. 189-348.

3.Hugues Daussy, Les huguenots et le roi : le combat politique de Philippe Duplessis-Mornay (1572- 1600), Genève : Droz, 2002 ; Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève : Droz, 2014.

4.Paul-Alexis Mellet, Les traités monarchomaques (1560-1600), Genève : Droz, 2007.

5. « [… ] nous voudrions essayer de montrer que les Réformés sont les véritables fondateurs de nos libertés modernes, les initiateurs de notre constitution actuelle, du gouvernement démocratique, de l’autorité souveraine et imprescriptible du peuple » : Paul Moussiegt, Hotman & Du Plessis-Mornay. Théories Politiques des Réformés au xvie siècle, Cahors : Coueslant, 1899, p. 7.

6.Dale Van Kley, The religious origins of the French Revolution : from Calvin to the civil constitutions, 1560-1791, New Haven : Yale University Press, 1996.

7.Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, Paris : PUF, 2001, p. 418.

8. « C’est à travers l’analyse d’une littérature de combat spécifiquement huguenote, dont les premières manifestations remontent à 1557, mais aussi grâce à la lecture des premières histoires des troubles publiées par les réformés, qu’il est possible de retracer la genèse et de déterminer les caractères constants du portrait politique du sujet huguenot ». Hugues Daussy, « L’invention du citoyen réformé. L’expression de l’identité politique huguenote dans la littérature polémique et les premiers ouvrages historiques réformés », dans Philip Benedict, Hugues Daussy, Pierre-Olivier Léchot (éd.), Histoire, mémoire et identités en mutation. Les huguenots en France et en diaspora (xvi e-xxi e siècles), Genève : Droz, 2014, p. 37.

9.Auparavant définie et même essentialisée à partir du bref nombre de traités « monarchomaques » publiés entre 1573 et 1579.

10.Les traités monarchomaques (1560-1600), op. cit., p. 16.

11.Ibid., p. 83-88.

12.Mack Holt, The Duke of Anjou and the Politique Struggle during the Wars of Religion, Cambridge : Cambridge University Press, 1986 ; Arlette Jouanna, Histoire et dictionnaire des guerres de reli- gion, Paris : Robert Laffont, 1998, p. 228-241.

13. [Innocent Gentillet], Remonstrance au roy tres-chrestien Henry III. de ce nom, roy de France et de Pologne, sur le faict des deux edicts de sa Majesté donnez à Lyon, l’un du X. de septembre, et l’autre du XIII. d’octobre dernier passé, presente année 1574. touchant la necessité de paix, et moyens de la faire, Francfort [Genève : Jean Berjon pour Jean I Lertout], 1574.

14.Remonstrance au roy Henry III, op. cit., p. 91-92.

15.Entre autres idées, Gentillet a partagé avec Seyssel une croyance commune dans le caractère normatif et l’efficacité politique de la louange. Claude de Seyssel, Louenges du roy Louys XII (1504), « Introduction » de Patricia Eichel-Lojkine et Laurent Vissière, Genève : Droz, 2009, p. 27-29, 91-92.

16.Remonstrance au roy Henry III, op. cit., p. 100-101.

17. [Innocent Gentillet], Briève remonstrance à la noblesse de France sur le faict de la Declaration de Monseigneur le Duc d’Alençon, faicte le 18. de septembre 1575, Aygenstain [Genève] : Gabriel Jason [Jacob Stoer], 1576.

18. [Innocent Gentillet], Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou autre principauté : divisez en trois parties, a savoir, du conseil, de la religion et de la police que doit tenir un prince : contre Nicolas Machiavel Florentin : à trèshaut et très-illustre prince François duc d’Alençon, fils et frère de roy, [Genève : Jacob Stoer], 1576. Nous citons le texte de l’édition contemporaine la plus répandue : Anti-Machiavel. Édition de Charles Edward Rathé, Genève : Droz, 1968.

19.José Luis Egío, « Si le Lorrain, l’Italien, ou quelque autre de mesme farine blesse la Couronne. Black Legend, Patriotic Construction of Alternative Enemies and Religious persecution after the St. Bartholomew’s Day Massacre (1574-87) », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. 76, n° 3 (2014), p. 451-469.

20.Anti-Machiavel, op. cit., p. 555.

21.Ibid., p. 74.

22.D’autre part, Commynes est la principale source de Gentillet quand il se prononce sur les événements les plus importants de l’histoire de la Couronne.

23.Anti-Machiavel, op. cit., p. 73-87.

24.Ibid., p. 85-86.

25.Le concept de « demonstration de majesté » auquel Gentillet se réfère dans ce passage n’est pas défini dans les passages qui suivent. L’ambiguïté résulte peut-être de la volonté du Dauphinois de ne pas glisser dans un terrain compliqué. Considérons aussi que, par définition, l’exceptionnel du politique ne se prête pas à une analyse précise et exhaustive. À notre avis, dans ces passages, la pensée de Gentillet se rapproche de celle des théoriciens du coup d’État au xviie siècle comme Gabriel Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État, [Rome] : [s.n.], 1639.

26.Nous avons souligné son influence décisive (bien que non reconnue) sur la pensée de Gentillet dans notre thèse de doctorat. José Luis Egío, Calvinismo, galicanismo y antimaquiavelismo en el pensamiento político de Innocent Gentillet (1532-1588), Murcia : Universidad de Murcia, 2015, p. 151-184.

27.Il a aussi eu recours à des passages bibliques comme 1 Samuel 8, 1 pour soutenir que les princes ont « toute puissance sur les biens et personnes de leurs sujets », Anti-Machiavel, op. cit., p. 87. Il s’agit d’un passage sur lequel Calvin était aussi revenu au chapitre XX de son Institution de la religion chretienne et dans les sermons prononcés en 1561-1562, peu après l’éclatement de la vio- lence interconfessionnelle. David Hall, The Genevan Reformation and the American Founding, Lanham : Lexington Books, 2003, p. 109.

28.Éditée en latin en France depuis 1541, Andrew Pettegree, Malcolm Valsby, French Books III & IV : Books published in France before 1601 in Latin and Languages other than French, Leiden : Brill, 2011, vol. I, p. 566-567. L’Histoire de Dion Cassius a été aussi publiée plusieurs fois en langue française depuis 1542, Des faictz et gestes insignes des Romains, Paris : L’Angelier, 1542.

29.Il s’agit cependant d’un point polémique sur lequel les historiens français du droit ont discuté jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Dans l’entrée « Loi Royale » du Dictionnaire universel raisonné de justice naturelle et civile (Yverdon : De Felice, 1777, t. VIII, p. 578-581), Fortunato De Felice et son collaborateur H. M. l’ont qualifiée d’« invention » de flatteurs comme l’historien Dion Cassius et les juristes Tribonien et Ulpian.

30.Anti-Machiavel, op. cit., p. 87.

31.Ibid., p. 86.

32.La lex Digna vox a été glosée par la plupart des civilistes qui écrivirent entre le xiie et le xve siècle : Accurse, Odofrède, Cynus de Pistoie, Albéric de Rosate, Bartole, Balde. Joseph Canning, The Political Thought of Baldus de Ubaldis, Cambridge : Cambridge University Press, 1987, p. 74.

33.François Hotman, Antitribonian (1567), Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint- Étienne, 1980, p. 8.

34.Parmi les travaux consultés, seule la monographie classique de Georges Weill, Les théories sur le pouvoir royal en France pendant les guerres de religion (1891), Genève : Slatkine Reprints, 1971, signale ce passage des Ethices christianae, p. 152-153.

35.Lambert Daneau, Ethices christianae libri tres : in quibus de veris humanarum actionum principiis agitur : atque etiam legis divinae, sive decalogi explicatio, illiusque cum scriptis scholasticorum, jure naturali sive philosophico, civili Romanorum, et canonico collatio continetur, Eustache Vignon, 1577, p. 196v. [Traduction de la citation]. « Par conséquent, la puissance du Magistrat n’est pas absolue, mais a des fins et des limites précises, qu’elle ne doit pas franchir […]. Il est également faux que la puissance des Rois soit Double : l’une des deux étant libre et qu’on appelle absolue, qui n’est limitée par rien d’autre que par les freins de sa propre volonté. L’autre, par contre, civile, bornée par les fins des lois. Il n’y a pas, alors, une volonté des Rois qui soit si libre. Une telle puissance n’est propre qu’à Dieu, comme très clairement est montré dans le livre De Iure Magistratuum ».

36.Consulter, à cet égard, le travail de Francis Oakley, « Jacobean Political Theology : The Absolute and Ordinary Powers of the King », Journal of the History of Ideas 29, n° 3 (1968), p. 323-346.

37.L’attribution aux rois d’une puissance absolue fut considérée comme un « blasphème » théologico- politique par les juristes dits monarchomaques. Voir, par exemple, la doctrine contenue à cet égard dans La Gaule Françoise (1574) de Hotman : « […] pourautant que la puissance Royale, si on ne luy donne quelque mors, comme dit Platon, qui la tienne un petit en bride : & qu’on luy souffre de s’elever iusques en un degré supreme de souveraineté & de puissance absolue en toutes choses : adonc il y a grand danger qu’estant là, ne plus ne moins que sur un precipice glissant, elle ne se laisse choir en tyrannie », Cologne [Lausanne], Hierome Bertulphe [Jean & François Lepreux], p. 12.

38.Innocent Gentillet, Discours d’Estat sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou autre principauté. Divisez en trois livres par le president Gentillet. Contre Nicolas Machiavel florentin. Derniere edition corrigee & augmentee de plus de la moitié, Lausanne : Jehan Chiquelle, 1585.

39.Voir les arguments d’Antonio D’Andrea et Pamela Stewart dans leur édition de l’Anti-Machiavel, Firenze : Casalini Libri, 1974, p. lxi-lxv.

40. [Innocent Gentillet], Commentariorum de regno aut quovis principatu recte et tranquille admi- nistrando, libri tres. In quibus ordine agitur de Consilio, Religione et Politia, quas principes quilibet in ditione sua tueri et observare debet. Adversus Nicolaum Machiavellum Florentinum, [Genève : Jacob Stoer], 1577. Dans la lettre qui ouvre les Commentariorum, Daneau considère son auteur anonyme comme un « doctissimo & prudentissimo viro », ibid., s.p.

41.Dans ses Politicorum Aphorismorum Silva (1583), Daneau explique à ses lecteurs qu’il n’a pas abordé les maximes du fameux Machiavel parce qu’elles avaient déjà été réfutées par un auteur « eruditissimo », Lambert Daneau, Politicorum Aphorismorum Silva, Antwerp : Christophe Plan- tin, 1583, « Lectori Benevolo », s.p. Passage répété dans la lettre « Ad lectorem benevolum » qui ouvre ses Politices Christianae Libri Septem, Genève : Héritiers d’Eustache Vignon, 1596, s.p.

42. « Et finalement il [Bartolus] conclud qu’à tels tyrans par le droit et la raison on ne doit rendre obeissance, ny comparoir par devant eux, ains qu’ils doyvent estre deposez de leur estat », Anti- Machiavel, op. cit., p. 270.

43.Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), op. cit.

44.Dans notre thèse doctorale nous avons retracé l’influence exercée sur la pensée politique de Gentillet par les grands chroniqueurs de la monarchie française aux xive et xve siècles. Calvinismo, galicanismo y antimaquiavelismo en el pensamiento político de Innocent Gentillet (1532-1588), op. cit., p. 98-106.

45.Publiés par Simon Goulart dans le troisième volume des Mémoires de l’estat de France sous Charles IX, Meidelbourg [Genève] : Henrich Wolf [Eustache Vignon pour Claude Juge], 1578, p. 405-410v.