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Entre référence culturelle, morale politique et incubateur économique :

le protestantisme mulhousien au xixe siècle

David Tournier

CRESAT-UHA

La réputation de tempérance dont sont traditionnellement gratifiées les catégories protestantes en Alsace s’illustre dans un dicton populaire : « un bon protestant est rarement gros1 ».

Par-delà son apparente trivialité, l’adage rend compte de la vertueuse sobriété des protestants, vécue dans la sphère familiale comme dans les engagements professionnels. Celle-ci est généralement associée à des descriptions émues de réalisations sociales de premier plan, dont l’historiographie régionale a depuis longtemps repris et fait valoir les éléments. Il conviendrait de démêler ce qui relève d’un engagement caractéristique de la culture philanthropique patronale et ce qui a plus particulièrement trait aux préoccupations religieuses des élites protestantes. Tâche ardue pour l’historien, conduit ainsi à sonder les cœurs et les âmes.

En Alsace, la cohabitation entre catholiques et protestants est la règle. Le protestantisme, dans ses deux composantes luthérienne et réformée, concerne vers 1850 le quart de la population alsacienne, guère plus du dixième de la population du Haut-Rhin, mais le tiers de la population mulhousienne. La cité de Haute-Alsace se distingue toutefois par la composante exclusivement réformée de ce protestantisme. Elle est l’un des principaux lieux d’implantation des populations réformées alsaciennes qui s’illustre au xixe siècle par son caractère insulaire. Dans le Haut-Rhin, les adeptes de la branche calvinienne se massent en effet essentiellement à l’intérieur et aux abords immédiats de Mulhouse et se disséminent très secondairement à Sainte-Marie-aux-Mines, Thann et Guebwiller2. L’Église réformée alsacienne est une Église de diaspora à l’exception notable de Mulhouse. Néanmoins, le passé autonome de la cité de Haute-Alsace confère à sa population protestante des atouts de taille, parmi lesquels une tradition de liberté religieuse assumée, une légitimité reconnue, une confiance en elle-même et en ses potentialités, bien loin de la situation des huguenots français qui ont connu les persécutions jusqu’à une période encore récente3.

Le clivage social entre patronat d’une part et catégories populaires et ouvrières de l’autre se superpose, dans l’Alsace du xixesiècle, à celui qui résulte de la dualité des cultes chrétiens. La composition sociale des populations recoupe de manière remarquable leur répartition confessionnelle, tant il est vrai que la réussite industrielle locale doit une partie de son ampleur et de son originalité au caractère protestant de ses acteurs. Nonobstant quelques nuances et contre-exemples, le fait est avéré : il procède d’éléments explicatifs qui ont suscité de solides monographies et renvoie à l’approche wéberienne des liens entre protestantisme et capitalisme. À Mulhouse, l’analyse de la structuration socio-économique du protestantisme permet de conclure à l’existence d’un gradient socio-confessionnel4. L’analyse du recensement de 1851 révèle à cet égard que le culte réformé est pratiqué par 56 % des chefs de familles exerçant dans le commerce et les professions libérales, contre seulement 21 % des ouvriers et journaliers.

Une approche de l’héritage protestant présent dans la vie mulhousienne au xixe siècle suppose donc d’interroger les réalisations initiées et conduites dans le champ économique et social par les élites patronales aux commandes.

Il s’agit cependant d’éviter l’écueil d’une assignation identitaire qui conduirait à interroger les moindres faits et gestes des acteurs de la sphère politique, socio-économique et culturelle au prisme d’un déterminisme moral, qui serait lui-même fatalement hérité d’une tradition religieuse. Approcher l’héritage protestant, c’est plutôt questionner le rôle de l’appartenance à un collectif tutélaire en tant que moteur des initiatives individuelles. C’est, autrement dit, interroger la part de soumission aux codes du groupe d’appartenance, entre affiliation idéologique et normalisation sociale. Il s’agit moins de lever le voile sur une éventuelle hétéronomie dans les prises de décision individuelles qui guident les destinées des élites protestantes et de leurs subordonnés (famille, administrés, employés) que de sonder la part de l’affiliation à une tradition religieuse dans leur représentation du monde et dans les mesures qu’ils prennent en vue de le façonner. C’est donc questionner la dimension collective d’une dynamique décisionnaire, dans un espace municipal où les membres d’une même communauté cultuelle et culturelle élaborent un modèle de gouvernance de la cité au sein duquel chacun est supposé apporter sa pierre à l’édifice, mais aussi trouver son inspiration dans le laboratoire commun auquel tous participent.

Le microcosme mulhousien du début du xixe siècle constitue en cela un champ d’investigation remarquablement cohérent et homogène, entre tradition culturelle insulaire, volonté d’autonomie politique, aventures économiques et initiatives sociales à l’heure où la cité se lance dans le processus industriel. Le cadre chronologique de ce propos s’étendra entre la Réunion de la cité à la France en 1798, et le passage de l’Alsace dans la sphère germanique à la charnière de 1870-1871.

La réflexion qui suit s’inscrira successivement dans une double temporalité : le temps long des réalités culturelles et religieuses d’une part, le temps bref des conjonctures politiques et sociales d’autre part.

Le temps long des sédiments culturels et religieux

Le protestantisme, un marqueur identitaire inhérent à l’histoire de la cité

Un bref retour sur les conditions d’implantation du culte réformé à Mulhouse au xvie siècle est ici nécessaire. La ville fut sensible aux échos des prédications de Luther. Le Magistrat y publia en 1523 deux édits d’inspiration bâloise qui marquèrent son entrée dans la Réforme. Le 15 janvier 1529 la messe fut officiellement abolie.

L’alliance de Mulhouse avec les cantons suisses permit de maintenir la cité à l’écart des luttes religieuses qui divisaient les territoires germaniques. En 1556, Mulhouse rejoignit les cantons réformés autour de la Confessio helvetica posterior rédigée par Bullinger. L’austérité religieuse influença pour longtemps la vie locale. Entre autres manifestations visibles de cette austérité, mentionnons l’obligation de l’observation du devoir dominical, la lutte contre les paroles inconvenantes, l’interdiction des mariages mixtes, la répression de la calomnie par une déambulation à travers la ville avec le Klapperstein (la pierre des mauvaises langues) de 12 livres autour du cou… Une ordonnance interdisait de sortir de la ville à l’heure des offices dominicaux, d’autres directives combattaient le luxe, codifiaient les tenues vestimentaires ou limitaient à 60 personnes le nombre d’invités à l’occasion des noces5.

La Révolution Française eut d’importantes répercussions sur la vie de la cité, tant du point de vue politique que religieux. La petite République indépendante vit ses structures administratives, judiciaires et confessionnelles profondément modifiées. Le 28 janvier 1798, l’ensemble de la bourgeoisie et le Grand Conseil acceptèrent (par 97 voix contre 5) le traité de réunion à la France. La ville entièrement protestante fut intégrée davantage par pragmatisme économique que par conviction politique dans le giron national et l’espace alsacien en 1798.

Au-delà de la perte de son indépendance politique, Mulhouse dut alors se résigner à tolérer l’exercice d’autres cultes.

La renonciation semi-consentie au « Vieux-Mulhouse » imprima durablement dans l’esprit des élites urbaines réformées un attachement nostalgique à leur cité, associée aux particularismes culturels hérités de la période d’indépendance. Cet attachement identitaire à un protestantisme au moins autant culturel que cultuel fut longtemps l’étendard d’une singularité affirmée, le creuset de la morale politique des édiles, l’instigateur de leur réussite économique et l’inspirateur de leurs réalisations sociales. Les observateurs contemporains ne manquèrent pas, tout au long du siècle, de faire l’éloge des actions patronales tant « sous le rapport du bien-être, Mulhouse est la ville où la générosité de ses grands industriels a le plus contribué à soulager et à venir en aide à la classe nécessiteuse6. »

Si la religion – entendue comme institution collective et comme source d’inspiration des actes individuels de ceux qui se reconnaissent dans le message qu’elle véhicule – apparaît bien comme l’instigatrice de comportements caractéristiques de la classe patronale, la pratique religieuse effective des notables mulhousiens se révèle en revanche assez faible dans l’ensemble. Les pasteurs du premier tiers du siècle se désolent de la non-assiduité des hommes au culte.

Aux manifestations ostensibles de leur foi et à l’exégèse des subtilités théologiques, les Mulhousiens préfèrent l’engagement dans l’action sociale, incarnation naturelle de leur rapport à la foi. Le protestantisme est pour eux une référence, à laquelle ils souscrivent sans déférence.

La relative distance des industriels dans leurs comportements individuels à l’égard du culte s’accommode très bien par ailleurs d’une conscience collective de l’utilité morale et des vertus régulatrices des Églises dans le maintien de l’équilibre social, sur lequel repose le développement économique. Ils participent d’ailleurs, en tant que membres laïcs, aux structures consistoriales.

Le protestantisme, vertu cardinale de la conduite individuelle dans la sphère familiale

Dans la sphère familiale (comme d’ailleurs dans l’univers entrepreneurial qui emprunte aux discours des philanthropes libéraux le champ lexical de la relation filiale), la cohésion du groupe s’exprime par le biais d’une relative austérité héritée de la tradition réformée : sobriété et retenue, tempérance et constance, acharnement au travail et sens de l’abnégation, goût de l’épargne, recherche de l’amélioration personnelle et d’une utilité sociale et morale, renoncement aux distractions, austérité comportementale…

Jean Zuber, président de la Société biblique de Mulhouse fondée vers 1818, prononce en 1825 un discours rapporté par son descendant et biographe :

Je ne puis oublier la foi bienveillante et cordiale de nos pères. Nous savons tous encore, combien la Bible avait un rôle capital dans les cultes de famille et dans l’éducation. Nous savons encore tous combien chacun était alors instruit de sa foi et connaissait les Saintes Ecritures. Dans la famille presqu’aucun dimanche ne passait, presqu’aucune soirée ne s’écoulait sans que la Bible ne fût lue et commentée. La Bible, le livre le plus important, se transmettait de génération en génération et l’on y inscrivait les événements principaux de la vie. Nous nous rappelons tous du temps où chaque mère se faisait un devoir de graver l’histoire sainte dans la mémoire de ses enfants, pour servir de base à l’enseignement religieux. Et quand nous nous représentons les respectables et honorables chrétiens de ce temps-là, [rappelons-nous] combien ils étaient riches en proverbes puisés dans la Bible. Combien leur esprit était entraîné à trouver dans les Saintes Ecritures un verset consolant pour chaque épreuve. Combien puissantes étaient leurs évocations, quand ils citaient, pour le conseil et l’éducation des jeunes, ces versets bibliques si simples, si au fait et si pleins de sagesse7.

Le protestantisme, moteur de l’implication sociale

Les notices nécrologiques intégrées régulièrement dans les bulletins de la Société Industrielle de Mulhouse (SIM) évoquent, en les magnifiant, les réalisations sociales de ses membres défunts. Elles leur attribuent invariablement

des sentiments élevés, des mœurs pures, une bonté de cœur incomparable, une loyauté sans tache, une franchise peu commune, une grande énergie à combattre les passions qui auraient pu [les] assaillir, l’amour inné du travail, une aspiration naturelle à chercher en tout la vérité8

Jean Zuber père, décédé en 1852,

n’a pas pensé que l’homme ait reçu de Dieu de l’intelligence et des aptitudes diverses, uniquement pour gagner de l’argent et fonder la prospérité de sa famille ; il a de tout temps senti combien on devait à ses semblables, soit de son activité, soit de sa richesse, et il y a peu de personnes qui aient concouru à plus d’œuvres utiles, tant par leurs souscriptions, que, ce qui vaut encore mieux, par leur travail et leur énergie d’impulsion9.

Les pratiques philanthropiques sont d’autant plus magnifiées qu’elles sont vues comme l’application du précepte religieux relatif à l’amour de son prochain.

Il est des hommes que la Providence semble destiner à être dans le monde comme la pratique vivante de cette maxime admirable, résumant ce que la religion a de plus sublime, et l’humanité de plus touchant : Aimez-vous les uns les autres. Toujours préoccupés du bonheur d’autrui, et empressés de répandre partout les inépuisables trésors de bonté dont leur cœur est plein, ces hommes privilégiés apparaissent sur la terre comme pour être à tous des amis serviables et dévoués ; semant libéralement sur leur passage des consolations à ceux qui souffrent, des conseils à ceux qui demandent un guide, des secours à ceux que l’infortune a frappés. Tel fut notre regretté collègue […]10.

Fondement de l’édifice social au xixe siècle, la religion polarise l’espace psychique des individus et normalise les comportements collectifs, même lorsqu’elle ne se traduit pas au quotidien par une pratique assidue. À ceux qui, parfois, s’écartent des valeurs bibliques, les ministres du culte le rappellent en maintes occasions, comme le pasteur Puaux qui, lors la cérémonie de pose de la première pierre du nouveau temple Saint-Étienne, en 1859, se lance dans une diatribe particulièrement emphatique :

Malheureusement dans notre siècle, où le culte des intérêts matériels occupe une si large place, on se préoccupe plus de l’instruction qui prépare pour le monde que de l’éducation chrétienne, qui prépare pour le ciel […]. Pierre fondamentale de l’Eglise, le Christ est aussi la pierre fondamentale de l’édifice social. Quand le comprendrons-nous ? En attendant cet heureux moment, il faut que chacun de nous se hâte, en vivant justement et saintement dans ce présent siècle. […] Protestants de Mulhouse ! nous désirons vivement que vous réalisiez, dans vos personnes, le type du vrai chrétien. Vos devoirs sont grands, vous avez chacun âme immortelle à sauver ; responsables de cette âme, vous l’êtes aussi de cette jeune génération que vous précéderez dans la tombe11.

Le protestantisme, vecteur de l’engagement industriel et entrepreneurial

Les tenants du culte réformé représentent, en 1851, 72 % des patrons, contre seulement 3 % de la population totale du Haut-Rhin12. Cette prééminence réformée au sein de la population patronale est une spécificité départementale (dans le Bas-Rhin, les patrons réformés ne sont que 6 %). Mulhouse est responsable de ce particularisme départemental.

Or, dans la religion protestante, la vocation professionnelle (Beruf) est le fondement de l’existence, et le travail le lieu, voulu par Dieu, de l’expression des vertus individuelles. Répugner à s’accomplir par le travail, c’est montrer son inéligibilité à la grâce divine.

C’est bien cet ascétisme au travail qu’Émile Souvestre dépeint encore en 1836 :

Cet homme qui gagne un million par an a moins de loisir que le plus pauvre de ses ouvriers : il se lève avant le soleil, passe le jour au milieu des miasmes fétides de l’atelier, et se délasse le soir en parcourant les colonnes de chiffres de son grand-livre ; mais c’est sa joie […]. Dieu eut besoin de se reposer le septième jour de la création ; mais le Mulhousien est plus robuste que Dieu13.

Il nous faudra toutefois apporter, plus avant, quelques inflexions à ce tableau général par son inscription dans une certaine temporalité.

Les fabricants du xixe siècle sont tout à la fois détenteurs du capital, initiateurs du processus de sa mise en valeur et soucieux des répercussions sociales et morales du travail industriel : ils anticipent ou suscitent les législations sociales, la bienfaisance, l’éducation populaire. Ils profitent avantageusement d’un développement technique qui, lui-même, accroît la production et stimule la concentration industrielle14.

Le dynamisme du phénomène industriel mulhousien a inspiré bien des hypothèses explicatives dans le champ de l’histoire économique. Plusieurs théories cohabitent pour le justifier. Citons-en cinq ici, sans hiérarchie ni prétention à l’exhaustivité. Primo, la situation de Mulhouse, ville frontière avec la France et la Suisse, a probablement aidé au démarrage industriel du début du siècle15. L’essor économique de Mulhouse est d’ailleurs concomitant de celui de sa voisine bâloise, dotée de la même spécificité confessionnelle et avec laquelle elle entretient des liens culturels. Secundo, les conditions démographiques ont joué un rôle important, les entreprises disposant, lors des conjonctures économiques favorables, d’une main d’œuvre aisément mobilisable en provenance des campagnes alsaciennes ou des pays limitrophes qu’elles pouvaient congédier en temps de crise16. Tertio, la qualité de la formation des entrepreneurs mulhousiens fut un facteur facilitant. Ils purent, notamment grâce à de nombreux voyages en Angleterre, acquérir le savoir-faire nécessaire au développement de l’industrie17. Contrairement à nombre de leurs contemporains implantés dans d’autres régions industrielles, les Mulhousiens manifestèrent très tôt un attrait pour le développement scientifique et technique, et mirent en application cette curiosité sous forme d’innovations dans leurs fabriques18. Quarto, l’homogénéité du corps patronal mulhousien et ses options patrimoniales endogames assurèrent la pérennisation des premiers acquis industriels19. Quinto enfin, la question de la relation entre capitalisme et culte protestant, appliquée aux grandes familles mulhousiennes, est sans doute un élément d’explication : la confession réformée semble bien, conformément aux thèses de Max Weber et moyennant quelques nuances ou inflexions, avoir influé localement sur le dynamisme et la précocité du démarrage industriel20. La première génération des fabricants mulhousiens du xixe siècle est particulièrement mobilisée par la réussite économique.

C’est sans doute un facteur explicatif de leur réputation de tiédeur religieuse : l’observance religieuse approximative de nombre de ces premières élites industrielles fut en effet l’objet d’une critique amère de la part des autorités consistoriales. Peu de place, dans l’existence de ces capitaines d’industries, pour les devoirs religieux, comme d’ailleurs pour toute forme de délassement. Les bénéfices personnels dégagés par les premières réussites industrielles sont aussitôt réinjectés, sous forme d’investissements, dans l’appareil économique de l’entreprise.

Imprimer dans la pierre la réussite économique

L’essor économique de Mulhouse, au fil du siècle, transforme profondément l’aspect de l’ancienne république autonome. Les besoins de main-d’œuvre suscités par le développement des premières manufactures, puis par leur concentration industrielle, ont pour effet de décupler littéralement la population urbaine en soixante-dix ans (65 000 habitants en 1870).

D’abord entièrement mobilisées par leur aventure industrielle, les élites peinent à contrôler les flux de main-d’œuvre et à concevoir un développement du bâti et une véritable politique urbanistique qui soient à la hauteur des enjeux démographiques.

Une rationalisation du développement urbain émerge à partir de la fin des années 1820. Elle s’inscrit dans une démarche volontariste de polarisation et de scénarisation de l’espace social. Nous l’éclairerons à travers trois exemples, dont deux présentés ici (d’une part la double migration des élites du centre-bourg ancien vers le Nouveau Quartier – construit à partir de 1826 –, puis vers le vignoble situé sur la colline à l’arrière de la gare, et d’autre part la construction du nouveau temple Saint-Étienne, inauguré sur la place de la Réunion en 1866) et le dernier (la fondation des cités ouvrières) que nous aborderons plus loin.

Dans les mois qui suivent la création de la SIM en 1826, Nicolas Kœchlin initie un projet de construction d’un Nouveau Quartier à même de concilier le développement des affaires et le logement des entrepreneurs21. Avec le concours de Jean Dollfus, une société est fondée en janvier 1827 : « Ses promoteurs […] avaient imaginé un jardin triangulaire entouré d’immeubles à arcades ouvertes, à l’imitation parisienne du style Empire, d’une ordonnance néoclassique. Nicolas Kœchlin avait offert à la Société Industrielle l’immeuble central, où elle s’installa avec la Chambre et la Bourse de commerce. Après la place de la Réunion (à la France) et l’Hôtel de Ville, le Nouveau Quartier symbolisait la réussite économique des pionniers industriels22. »

La construction du Nouveau Quartier s’arrête en 1841, sans que le projet initial soit parvenu à son terme. La seconde génération des élites protestantes mulhousiennes du xixe siècle, celle qui connaîtra les assauts de 1847-1848, consent à jouir de sa fortune parfois colossale23, a contrario de la génération précédente qui fut prioritairement mobilisée par la pérennisation de son activité entrepreneuriale et tentée de réinjecter ses bénéfices dans l’appareil productif. Après leur installation transitoire dans le Nouveau Quartier, les membres de la caste industrielle se replient, au cours de la seconde moitié du siècle, dans le vignoble ou autour de la ville, où ils édifient de somptueuses villas. Après 1870, les plus riches acquièrent quelques châteaux en France et en Suisse.

Louis Bergeron considère comme une « pieuse légende » la célèbre austérité mulhousienne : « Elle ne survit pas à l’évolution d’un genre de vie des classes aisées engendrées par l’industrialisation elle-même, ni à l’accumulation de fortunes industrielles considérables qui, une fois constituées les réserves nécessaires et prévus les amortissements, laissent dans les mains des patrons des bénéfices nets par millions. Comment, dès lors, résister à la tentation d’affirmer par l’étalage du luxe et la mondanité de la vie, que l’industriel a définitivement cessé d’être le parent pauvre du banquier et du grand négociant24 ? » La sévère admonestation du pasteur Puaux en 1859, citée plus haut, révèle que les protestants contemporains les plus rigoristes pensaient comme l’historien.

Le projet de reconstruction du temple Saint-Étienne occupa les édiles mulhousiens et le consistoire pendant près d’un demi-siècle. La première église paroissiale édifiée sur la place de la Réunion datait du xiiesiècle. De style roman à l’origine, elle avait subi au cours des siècles de nombreuses modifications. Au début des années 1810 l’état du bâtiment avait été jugé préoccupant, mais ce n’est qu’en 1836 que le consistoire obtint de l’autorité municipale, jusqu’alors attentiste, que des travaux conséquents soient entrepris. De longs débats s’ouvrirent entre les défenseurs d’une restauration respectueuse en particulier de l’ancien clocher jugé digne d’un certain intérêt stylistique, et les tenants d’une reconstruction. La démolition fut décidée en 1851.

Le choix d’une reconstruction à neuf permettait d’ouvrir la voie à de possibles réaménagements urbanistiques : les élites mulhousiennes pensaient désormais méthodiquement la mise en valeur d’un édifice, appelé à devenir un objet architectural et un objet d’admiration, se rangeant ainsi à une évolution des mentalités caractéristique de cette époque25. Ce que permettait la reconstruction du temple, c’était en particulier l’aménagement d’une vaste place devant l’hôtel de ville et, par là-même, la réaffirmation de l’autorité civile après les soubresauts révolutionnaires de 1848.

La première pierre fut posée le 15 août 1859, jour anniversaire de Napoléon Ier. L’inauguration eut lieu sept ans plus tard, le 1er novembre 1866. La période consacrée à l’élaboration des plans de l’édifice avait été l’occasion d’objections stylistiques qui éclairent le basculement progressif du protestantisme mulhousien de l’austérité vers la flamboyance. Les opposants au projet raillaient ainsi en particulier un style ogival jugé inadapté au culte protestant, un style « trop orné pour s’accorder avec la simplicité des cérémonies de ce culte ». À quoi la commission mixte, composée de membres du conseil municipal et du conseil presbytéral, objectait :

[…] on comprend bien qu’une église principale, élevée au centre de la ville et sur la plus grande place, exige un certain luxe d’architecture ; il faut donc que l’orthodoxie fasse ici une concession, conforme du reste aux sentiments et aux dispositions de la population protestante. Quand on réfléchit bien, on arrive à se convaincre que précisément parce que le culte protestant exclut toute ornementation intérieure par des tableaux, des statues, il convient que l’architecture par une certaine richesse vienne amoindrir cette trop grande simplicité et c’est alors l’architecture seule qui constitue l’église, qui sans elle deviendrait amphithéâtre ou salle de spectacle26.

Dans le cadre de la reconstruction du temple, les élites mulhousiennes souhaitaient rendre ostensible la prééminence du culte réformé, tout autant que la puissance économique de la ville qui était leur réussite. Le temple Saint-Étienne de Mulhouse est encore aujourd’hui l’édifice protestant le plus haut de France, avec sa flèche culminant à 97 mètres. Le financement de ce joyau architectural pouvait s’appuyer sur des dons privés conséquents. Dans le journal L’Industriel alsacien, le consistoire réformé lançait des appels à des dons présentés comme des « arrhes pour le ciel27 ». Au total, la construction du temple coûta 2 500 000 fr., un montant en grande partie couvert par des souscriptions auxquelles les industriels mulhousiens participèrent en masse.

La profondeur de leur attachement à la Réforme oriente les comportements individuels comme la dynamique collective des élites protestantes mulhousiennes, dont on peut indiquer ici les quelques traits communs : une continuité dynastique par rapport aux grandes familles de l’ère républicaine, une forte endogamie, la destinée industrielle des fils dictée par la généalogie familiale, l’importance de la famille en tant que creuset et pilier des valeurs fondamentales du groupe, un esprit d’indépendance et une volonté affirmée d’autonomie décisionnelle, la perméabilité entre les pouvoirs politique et économique, l’engagement dans la carrière politique conçu comme un soutien naturel aux intérêts industriels, une aisance matérielle conquise par la consécration au travail28.

À ce tableau général, il faut à présent apporter quelques nuances qui tiennent à des variations de conjonctures.

Le temps bref des conjonctures politiques et sociales

Le Réveil religieux

Un observateur anonyme avait noté en 1822 que « presque sans exception les principaux habitants quoique tous Protestants, affichent la plus profonde indifférence pour la religion, ne témoignent aucune considération à ses ministres et par liberté des cultes semblent entendre la liberté de n’en professer aucun29 ». À partir de la décennie suivante, la ferveur religieuse des élites mulhousiennes se ravive à mesure que la théologie du Réveil invite chacun à se redéfinir par rapport à ses valeurs fondamentales.

Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire ont montré qu’en période de conjoncture favorable sur les plans politique, économique et social, l’individu est moins taraudé par la nécessité d’une quête d’apaisement dans la foi. Lorsqu’en revanche le pessimisme l’emporte dans la lecture qu’il fait de ses rapports au monde, comme c’est le cas à l’ère romantique (dont le retour aux

« éléments » est avant tout dicté par une attitude torturée et une quête de sens), il se réfugie plus volontiers dans la foi30. En 1814, le directeur général de la Police sentait déjà poindre un regain des idées religieuses :

Je crois apercevoir, dans l’Europe, et même en France, je ne sais quelle pente vers les idées religieuses et même mystiques. Vous savez que ces idées marchent à la suite des convulsions politiques. Nous n’avons encore éprouvé qu’un ébranlement, mais il a été si fort, mais nous sommes si peu rassis que c’est peut-être le moment où les esprits tourmentés des réalités se réfugient dans l’idéal31.

Le Réveil désigne de manière générale le regain de vie du protestantisme français, après une longue période de repli provoquée par les persécutions monarchiques, mais il consiste surtout en un mouvement doctrinal promouvant le retour à une théologie proche des idées originelles de la Réforme, par opposition aux notions imprécises de « religion naturelle » de la fin du xviiie siècle et à la tentation d’adapter la religion à l’esprit du temps32. Cette théologie du Réveil a, dans une certaine mesure, pénétré les Églises réformées concordataires. Mais son influence s’est diffusée aussi au travers des « sociétés » fondées en France à partir de 181833. Celles-ci ont permis aux protestants de se rencontrer lors de leurs assemblées annuelles, qui faisaient ainsi fonction de substitut aux synodes absents.

Les sociétés étant un lieu de prédilection pour la sociabilité bourgeoise, c’est logiquement dans cette couche sociale que le Réveil a fait le plus grand nombre d’émules. Les femmes particulièrement, dans les hautes sphères de la société, ont été passionnément revivalistes. « Cette tendance du Réveil mystique, individualiste, est un moyen pour “aller au peuple” : groupés en conventicules (les protestants adorent les sociétés, les comités, les cercles), ils se penchent sur les analphabètes, sur les pauvres, sur les prostituées34. » À partir des années 1830, l’aristocratie manufacturière mulhousienne se montre de plus en plus sensible et attentionnée à l’égard des « bonnes œuvres » paroissiales. Elle considère la générosité comme un devoir moral, encouragée par les conseils appuyés de quelques grandes figures du vieux Mulhouse, tel Gabriel Spœrlin qui note en 1839 : « il devient beaucoup plus facile de nous élever à Dieu, lorsque nous sommes détachés des liens terrestres35 ». La générosité des industriels envers les œuvres religieuses atteint parfois des sommets. Ainsi André Kœchlin donne, en juillet 1860, 200 000 francs au conseil presbytéral de l’Église réformée, 200 000 francs à l’hospice civil de Mulhouse et 10 000 francs à l’école israélite d’arts et métiers36. Cet engagement individuel des Mulhousiens sur le terrain des œuvres vient concurrencer sur le terrain social les initiatives municipales qui, a contrario et très précocement, s’inscrivent dans une approche collective, rationalisée et préventive du traitement de la question sociale.

L’émergence du danger social et moral (1847-1848)

Dans le domaine de l’histoire sociale, l’historiographie alsacienne contemporaine est bien souvent prise dans un paradoxe : elle tente de nuancer la thèse simplificatrice d’un patronat local naturellement philanthrope et désintéressé, tout en donnant la juste mesure de ses réalisations à la fois originales, précoces et plus nombreuses que celles d’autres patronats régionaux. De fait, dans la première moitié du siècle, les initiatives sociales diligentées par les autorités municipales placent Mulhouse dans une dynamique singulière à l’échelle nationale. Citons deux exemples : la fondation (dès 1810) d’un établissement général des secours et de charité pour les pauvres de la ville et la centralisation des actions d’assistance, sous l’impulsion d’André Kœchlin, au sein du bureau de bienfaisance (1832), un organisme unique qui fédère les aides aux pauvres de la ville par la fusion des institutions charitables préexistantes.

Les initiatives des industriels, au sein-même de leurs entreprises, ne sont pas en reste. Préoccupés par la misère matérielle de leurs ouvriers et convaincus des vertus morales de l’incitation à l’épargne, ils initient ou promeuvent la fondation, parfois très précoce, de caisses de secours mutuel. Citons la caisse des imprimeurs chez Dollfus-Mieg et Cie(dès 1804) et celle des fileurs chez Schlumberger-Kœchlin (en 1824). En 1844, la municipalité tente de rassembler les caisses de secours mutuels sous une institution municipale, qui vise à se substituer progressivement à toutes les autres caisses.

La tentative d’enrôlement des ouvriers dans l’épargne, par l’intermédiaire de ces caisses diverses, ne peut se comprendre sans rappeler la conception de la pauvreté que partagent les élites patronales mulhousiennes. La philanthropie libérale qu’ils incarnent conçoit la pauvreté comme un mal inhérent aux ouvriers eux-mêmes. Misère sociale et misère morale sont indissociables dans leur esprit et combattre l’une ne peut s’envisager sans s’attaquer à l’autre. C’est pourquoi ils souhaitent instiller chez les ouvriers le sens de l’économie et combattre leur imprévoyance, considérée comme l’une des raisons profondes de leur immoralité. Cette approche est en cohérence avec leur lecture du système économique qui postule que l’industrie ne génère pas la misère des populations ouvrières, qu’elle ne fait qu’attirer les miséreux et se doit par conséquent, par obligation morale, de les éduquer.

C’est pourquoi, sans remettre en cause le caractère précoce et abouti de la réflexion et de l’action des Mulhousiens à l’égard de la pauvreté ouvrière, nous nous rangeons à la thèse de Marie-Claire Vitoux37pour qui les élites mulhousiennes de la première moitié du siècle, confrontées à la question sociale, privilégient les solutions essentiellement conceptuelles en lien avec leur lecture morale de la misère. Le champ lexical de cette immoralité ouvrière est particulièrement mis en exergue en 1835, dans un discours de Jean Zuber père, président de la Société biblique, relaté dans L’Industriel Alsacien :

Tout en signalant un progrès sensible, sous le rapport moral et religieux, dans une portion, à la vérité peu nombreuse, des habitants de cette cité, l’orateur n’a pas dû laisser ignorer la dépravation toujours croissante de la grande majorité de nos ouvriers, dépravation qu’on ne peut attribuer qu’à l’ignorance et à de mauvais penchans (sic) que rien ne comprime38.

Et Jean Zuber de préconiser d’œuvrer à recommander aux subordonnés la tempérance, la lecture de l’évangile et d’encourager les ouvriers à placer une partie de leurs salaires aux caisses d’épargne.

Les événements nationaux de 1848 marquent un tournant dans la « politique philanthropique » des élites sociales : ils incitent désormais les industriels mulhousiens à tenir compte du risque pour la paix civile que représente la mise au chômage de leurs ouvriers, et plus généralement à se tenir à l’écoute, dans leur intérêt bien compris, des aspirations ouvrières. Dans une lettre confidentielle, le sous-préfet adresse d’inquiètes recommandations au préfet du Haut-Rhin :

J’oserai vous prier, citoyen Préfet, de ne jamais permettre que Mulhouse reste seulement un jour sans troupes. […] Entreprendre d’aplanir les différends et de concilier les intérêts des ouvriers et des maîtres est une mission difficile, impossible, à Mulhouse. La défiance et la haine sont au fond des cœurs. Il n’y a que le temps qui les attiédira, et mieux encore le retour de la prospérité et les leçons de l’expérience39.

L’année 1848 démontre au patronat combien les ouvriers sont en prise directe avec la conjoncture économique, et combien celle-ci peut être génératrice de convulsions sociales et politiques. Les élites sont ainsi amenées à repenser l’épargne ouvrière.

C’est à cette préoccupation que répond en 1850 la fondation, à l’initiative de onze établissements industriels, d’une société d’encouragement à l’épargne. Elle voit le jour le 1er janvier 1851 et bénéficie dès l’année suivante d’un décret d’utilité publique. L’objectif affiché est, par une retenue librement consentie sur le salaire, d’assurer à l’ouvrier une pension de retraite pour sa vieillesse et, par-delà, de développer dans son esprit des habitudes d’ordre et le sens de la propriété. Mais cette tentative d’encadrement patronal de l’épargne et de la prévoyance ouvrières n’obtient pas les résultats escomptés parce qu’elle prétend contraindre l’ouvrier à épargner un excédent salarial qui, la plupart du temps, n’existe pas. Souvent dans l’impossibilité de se constituer la moindre épargne, les ouvriers se montrent avant tout soucieux de satisfaire des besoins immédiats.

La gestion patronale des coopératives ouvrières offre de ce point de vue un champ plus efficace de moralisation, parce qu’elle relève de la satisfaction de ces besoins vitaux. En 1867, on compte sept coopératives dans le Haut-Rhin, dont une à Mulhouse et une à Dornach.

Un autre aspect de la valorisation de l’épargne ouvrière concerne l’encouragement à l’accession à la propriété. La création, en 1853, de la Société Mulhousienne des Cités Ouvrières (SOMCO), répond à cette aspiration. L’initiateur en est le futur maire Jean Dollfus (1800-1888), directeur des manufactures Dollfus Mieg & Cie, et la société par actions regroupe les plus illustres manufacturiers de la ville. Construite à partir de 1853, la cité ouvrière de Mulhouse est l’un des premiers ensembles de ce type en Europe, et elle est le symbole de l’action philanthropique des industriels40.

Considérons à présent les conceptions religieuses qui ont pu accompagner sa réalisation. Les cent premières maisons furent érigées entre juillet 1853 et février 1854 le long du canal de décharge des eaux de l’Ill. Le plan de la cité prévoyait encore la construction d’équipements collectifs (salles d’asile, cantine, bains, lavoirs, fontaines). En 1854-1855, une seconde cité, rassemblant 84 maisons, vit le jour de l’autre côté du même canal41. Les habitations, entourées de jardinets, avaient toutes pour but de favoriser l’accession à la propriété. Pour devenir propriétaires, les ouvriers devaient, en 1854, débourser entre 1 850 et 2 800 francs42. Un acompte de 300 francs était nécessaire à l’achat des maisons les moins onéreuses, puis les versements avaient initialement été évalués par la Société Industrielle de Mulhouse (SIM) à quelque 20 à 30 francs par mois. À son achèvement en 1895, la cité rassemblait 1 240 maisons ouvrières où vivaient près de 10 000 habitants43.

Les préoccupations religieuses ne sont pas prioritaires dans cette initiative, mais les conceptions sociales qu’elles sous-tendent sont imprégnées de morale chrétienne. L’inspiration religieuse des membres fondateurs, puis des actionnaires, de la SOMCO est d’ailleurs perceptible au travers de la présence de ceux-ci en tant que membres laïcs des structures ecclésiales et des institutions consistoriales. Il est certes malaisé de relever, dans les statuts de la SOMCO comme dans sa politique, les traces d’une préoccupation spirituelle. On relève toutefois, sous la plume d’Achille Penot qui évoque le bien-fondé du projet en septembre 1852, une rhétorique qui mêle inextricablement la morale religieuse et une certaine conception de l’harmonie sociale :

Si au contraire nous pouvons offrir à ces mêmes hommes des habitations propres et riantes ; si nous donnons à chacun un petit jardin, où il trouvera une occupation agréable et utile ; où, dans l’attente de sa modeste récolte, il saura apprécier à sa juste valeur cet instinct de la propriété que la Providence a mis en nous, n’aurons-nous pas résolu d’une manière satisfaisante un des problèmes les plus importants de l’économie sociale ? N’aurons-nous pas contribué à resserrer les liens sacrés de la famille, et rendu un véritable service à la classe si intéressante de nos ouvriers, et à la société elle-même44 ?

Les cités ouvrières de Mulhouse contribuèrent grandement à l’amélioration des conditions de logement de ceux des ouvriers qui étaient suffisamment rémunérés pour envisager de devenir propriétaires. Mais les objectifs sociaux, pourtant avancés par les promoteurs du projet, ne furent que partiellement atteints. Car seuls les ouvriers qualifiés, mieux et surtout régulièrement rémunérés, pouvaient espérer devenir propriétaires d’une maison des cités, le prix s’avérant trop élevé pour les ouvriers sans qualification et à l’emploi aléatoire.

Dualité confessionnelle et concurrence sur le terrain des œuvres

En 1798, la population urbaine, exclusivement réformée s’élevait à 6 000 habitants. Le rapide essor démographique profite essentiellement aux catholiques : n’étant que de quelques centaines dans la première décennie du xixe siècle, leur nombre dépasse celui des protestants au cours des années 1830. Au recensement de 1851, on dénombre près de 19 000 catholiques

contre 8 500 réformés, 1 200 israélites et une soixantaine de luthériens.

C’est au contact de l’altérité que s’affine la connaissance de soi-même et de ce qui fonde le système de valeurs constitutif d’une collectivité dans laquelle l’individu entérine sa propre inscription. Avec l’émulation provoquée par l’émergence, au cours du siècle, d’un catholicisme de plus en plus puissant, l’implication des protestants dans les pratiques d’assistance va s’approfondir. Si l’on examine le recentrage des initiatives de charité des premières décennies en une action philanthropique cohérente et soucieuse de préserver l’équilibre social, les œuvres protestantes à Mulhouse s’éclairent au moins partiellement à la lueur de la comparaison avec le catholicisme émergent. À l’œuvre catholique de Saint-François-Régis répond, côté réformé, la société des Amis des Pauvres, vouée à la régularisation des unions illégitimes entre indigents protestants, « pénétrée qu’elle est de toute l’importance de porter remède à un mal envahissant, et déplorable pour la morale publique45 ». À la société catholique de Saint-Vincent-de-Paul et à la présence des sœurs de Niederbronn font face, chez les réformés, deux institutions dont l’origine est immédiatement postérieure à 1848 et dont on présentera ici sommairement les réalisations : le comité des dames patronnesses et la Maison du Diaconat.

Fondée en 1847, la maison strasbourgeoise des diaconesses réunissait à l’origine quelques jeunes filles s’engageant à consacrer leurs dimanches à apporter des secours matériels et spirituels à des malades indigents ou isolés. Mme Nicolas Kœchlin fils fit appel, au début du Second Empire, à l’une de ces sœurs pour soigner les malades à domicile. Dans ce but, une quête fut organisée à Mulhouse. « Pour rendre cette quête aussi abondante que possible », le consistoire proposa qu’elle fût organisée par les dames patronnesses des salles d’asile, des lavoirs et des sociétés de bienfaisance de la ville, présidées par Mme Jacques Schlumberger. Parmi les quêteuses figuraient les épouses de quelques-uns des plus grands industriels mulhousiens, comme Joseph Kœchlin, Jean Risler ou Edouard Schwartz. La quête servit à solder partiellement le prix d’acquisition de la future maison des diaconesses46. À partir de 1853, les diaconesses furent chargées successivement de la direction de sept « diaconats » pour les différents quartiers de la ville. La participation financière active des membres de l’Église réformée permit, en 1860, la création de la Maison du Diaconat.

Cette institution n’avait d’autre rapport que le nom avec ce que, dans les Églises protestantes, l’on appelle diaconat47. Bien que placé sous l’autorité spirituelle du consistoire, le Diaconat de Mulhouse entre dans la catégorie des établissements de bienfaisance et de charité. Il est fondé dans le but de pratiquer la charité chrétienne et spécialement destiné à recueillir les malades, les infirmes et les enfants sans famille, ainsi qu’à faire donner des soins aux malades pauvres de la ville. Sœurs de charité du culte protestant, les diaconesses interviennent soit comme institutrices dans les salles d’asile et les écoles primaires, soit comme garde-malades dans les maisons de santé et les hôpitaux.

La Maison du Diaconat devient bientôt l’un des centres de soins les plus importants de Mulhouse. Un décret impérial de 1865 la reconnaît comme établissement d’utilité publique.

Fondamentalement corrélé à l’œuvre du Diaconat, le comité des dames patronnesses, espace d’expression privilégié de la philanthropie protestante féminine, fut fondé le 21 février 1854, dans le but de « faire parvenir aux malades pauvres de l’église protestante les soins et secours matériels et spirituels que leur état pouvait exiger48 ».

Ce comité, dirigé par une sœur diaconesse, organisa une collecte au profit de l’achat de la maison des diaconesses. À chacune des dix dames composant le comité en 1855, toutes épouses de capitaines d’industrie, était assigné un district particulier ; elles visitaient une fois par semaine les familles qui leur étaient indiquées dans leurs quartiers, afin de « seconder les efforts de la diaconesse pour le soulagement des familles ou individus visités et d’exercer sur eux une espèce de patronage pendant la durée de la maladie49 ». Le mode de secours considéré comme le plus efficace et le plus utile était la distribution de soupes.

La rupture de 1870

La guerre de 1870 et l’annexion de l’Alsace au nouvel empire constituent à bien des égards un basculement, un point de rupture. Le désastre militaire et le séisme politique national qu’il entraîne produisent à l’échelle régionale un bouleversement de la structure démographique, qui n’est pas sans incidence sur l’équilibre confessionnel.

Les clauses du traité de Francfort (10 mai 1871) prévoient, pour les populations du territoire annexé, la possibilité d’opter pour la nationalité française à condition de transférer en France leur résidence (circulaires de mars 1872). De fait, près d’un dixième de la population mulhousienne part pour la France50. En dix ans, la population catholique d’Alsace-Lorraine recule ainsi de 20 000 âmes, sans doute en lien avec la mise en œuvre de la politique bismarckienne du Kulturkampf (1871-1878). Durant la même période, le nombre des protestants, par ailleurs majoritairement luthériens, s’accroît de 30 000 âmes. L’arrivée en masse de militaires et de fonctionnaires prussiens est à l’origine de cette augmentation. À l’échelle mulhousienne, la population catholique ne retrouve qu’en 1875, avec 43 000 âmes, son niveau de 186551.

CatholiquesProtestants
18711 223 161250 698
18801 202 999281 840

Populations catholique et protestante en Alsace-Lorraine (1871-1880)52

Cette mutation démographique s’accompagne d’une prise en main de la presse, de l’enseignement et des charges de fonctionnaires par le protestantisme. Dès lors, la question religieuse acquiert une importance politique nouvelle, à mesure qu’elle se politise et se nationalise. Le clergé catholique alsacien affirme désormais, parallèlement à ses préoccupations sociales, son attachement à l’identité alsacienne, en opposition au régime d’outre-Rhin. En 1880, le curé mulhousien et député au Reichstag Landolin Winterer fustige « en Alsace-Lorraine un double envahissement du protestantisme : l’envahissement de la population protestante et l’envahissement des idées protestantes53. » L’argument local de collusion entre le protestantisme et l’empire allemand contribue à gonfler les tirages d’une presse catholique désormais décomplexée et à promouvoir l’argument d’un protestantisme ennemi de classe. La philanthropie protestante marque le pas.

Si la définition de l’identité protestante par les seules caractéristiques physiques de ceux qui la composent (« rarement gros », selon l’adage…) est illusoire, est-il pour autant possible de cerner le protestantisme mulhousien à travers des attributs moraux et des habitus comportementaux ? Par-delà l’incongruité d’une telle approche essentialiste, qui ferait abstraction des divergences idéologiques opposant par exemple, au sein d’une même famille, deux cousins comme le libéral Nicolas et le conservateur André Kœchlin, l’homogénéité culturelle du corps patronal protestant de Haute-Alsace doit être soulignée. Il semble que le laboratoire économique et social que ses membres bâtissent dans leur cité participe à une prise de conscience du caractère spécifique de leur identité protestante.

Est-ce le protestantisme nominal des élites mulhousiennes qui nourrit et oriente leur lecture des réalités socio-économiques, ou bien serait-ce plutôt la spécificité du développement industriel de la ville qui oriente et ajuste les représentations du monde forgées dans l’esprit du patriciat réformé mulhousien ?

Initiateurs de premier plan dans le domaine économique, fins lecteurs des réalités sociales qu’engendre le développement industriel, les représentants de ce patriciat font preuve de réactivité pour élaborer au plus près des conjonctures les réponses inhérentes au devoir moral dont ils se sentent investis. À cet égard, la spécificité mulhousienne n’est pas qu’une construction historiographique. Elle est un sentiment profondément ancré dans la manière dont les contemporains observent l’évolution de leur ville et transparaît régulièrement dans les écrits des élites économiques, des administrateurs et des observateurs sociaux. Ce sentiment de spécificité est conforté par des réalités locales objectives.

– La précocité industrielle et la rapidité du développement économique de la ville au regard de la situation nationale ;

– Le particularisme politique, avec l’indépendance municipale jusqu’en 1798 et la permanence tardive d’une tradition d’autarcie qui en découle ;

– La spécificité socio-économique, qui confie les leviers du pouvoir politique à une seule et même caste industrielle ;

– L’originalité philanthropique, qui place longtemps Mulhouse à la pointe dans le domaine des réponses apportées à la question sociale.

En définitive, et par-delà ces réalités objectives, demeurent des traces plus ténues, voire hors d’atteinte, qui échappent à l’historien faute de sources à même de les consigner. Des travaux de recherche portant sur des champs d’investigation, des méthodologies et des empans chronologiques a priori très éloignés de la présente étude soulignent à quel point tout ce qui est important dans un fonctionnement communautaire peut en définitive relever de l’implicite54. Ce que les protestants mulhousiens du xixe siècle ont en partage, c’est peut-être le sentiment de n’avoir pas à se livrer pour être compris.

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1. « E gueter Proteschtant isch selte fett. » – Dicton populaire cité par Huguette Dreikaus, Le monde d’Huguette : Petites leçons pour Alsaciens débutants, Strasbourg : DNA La Nuée Bleue, 1997, chapitre « Les Protestants », p. 46.

2. Quelques villages bas-rhinois, comme Bischwiller, prolongent vers le nord cet archipel réformé.

3. L’édit de tolérance, signé en 1787 par Louis XVI, n’accordait pas la liberté de culte mais seulement un état civil.

4. David Tournier, L’église, le temple et la fabrique, Relations sociales et interconfessionnelles à Mulhouse au xixe siècle (1798-1870), Thèse, Paris-Sorbonne, 2007, p. 323.

5. Georges Livet – Raymond Oberlé (dir.), Histoire de Mulhouse des origines à nos jours, Strasbourg : DNA-Istra, 1977.

6. Daniel Kiefer, Annuaire administratif et commercial de l’arrondissement de Mulhouse, Impr. Baret, 1863, introduction.

7. Paul René Zuber, Frédéric Zuber, Cahier de la famille n° XIII, Colmar, 1954 (ronéotypé), p. 8.

8. Notice nécrologique d’Edouard Schwartz, par A. Penot, 28 mai 1862 – BSIM n° XXXII, p. 306.

9. Notice nécrologique sur Jean Zuber père, Discours du Dr Weber, 27 octobre 1852 – BSIM n° XXIV, p. 276.

10. Notice nécrologique sur Edouard Schwartz, par A. Penot, 28 mai 1862 – BSIM n° XXXII, p. 287.

11. Pose de la première pierre fondamentale du temple protestant allemand à Mulhouse, le 15 août 1859, Mulhouse : Risler, 1859, p. 8-9.

12. Nicolas Stoskopf, Les patrons du Second Empire, Alsace, Paris : Editions CNRS, Picard Cenomane, 1994, p. 19.

13. Emile Souvestre, « Mulhouse », extrait de la Revue de Paris n° 3, 17 juillet 1836, Mulhouse : Thinus et Baret, s.d.

14. Paul Leuilliot, « Essai sur l’industrialisation à Mulhouse et dans le Haut-Rhin sous le Second Empire », Bulletin du Musée Historique de Mulhouse, 1973, p. 154-155.

15. Robert Levy, Histoire économique de l’industrie cotonnière en Alsace, étude de sociologie descriptive, Thèse, Paris, 1912.

16. Sur cette question, voir Sybille Panke, L’immigration à Mulhouse au xixe siècle, Mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Luc Pinol, Strasbourg, 1993, 103 p.

17. Francis Hordern, L’évolution de la condition individuelle et collective des travailleurs en Alsace au xixe siècle (1800-1870), thèse, Paris, 1970, 2 tomes, t. I, p. 56.

18. Dès le début du xixe siècle, Daniel Kœchlin s’affirme par exemple comme l’un des coloristes les plus réputés d’Europe.

19. C’est la thèse soutenue en particulier par Nicolas Stoskopf, Les patrons du Second Empire, op. cit.

20. Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, 1905, rééd. Plon, 1969 ; H. Laufenburger et P. Pflimlin, L’industrie de Mulhouse, Paris : Sirey, 1932 ; M. Hau, L’industrialisation de l’Alsace (1803-1939), Strasbourg, 1987.

21. Stephan Jonas, Le Mulhouse industriel : un siècle d’histoire urbaine (1740-1848), 2 tomes, Paris : L’Harmattan, 1994.

22. Georges Livet – Raymond Oberlé, op. cit., p. 175.

23. Citons par exemple André Kœchlin qui multiplia la valeur de son patrimoine par 800 entre 1813 et 1875, ses avoirs étant alors estimés à vingt millions de francs. – Michel Hau, op. cit., p. 344.

24. Louis Bergeron, Les capitalistes en France (1780-1914), Paris : Gallimard, coll. Archives, 1978, p. 207.

25. On passe, selon la formule de Jean-Michel Leniaud à propos des édifices catholiques, d’une conception de « cathédrale-forum » à celle de « cathédrale-objet » : J.-M. Leniaud, Les cathédrales au xixe siècle, Paris : Economica, 1993, p. 458.

26. AMM, M2 Ba12 : Observations de la commission mixte, avril 1855.

27. L’industriel Alsacien, 1847, n° 18.

28. Cette analyse est en particulier développée dans l’ouvrage de Michel Hau et Nicolas Stoskopf, Les dynasties alsaciennes, Paris : Perrin, 2005, 607 p.

29. Témoignage d’Alsaticus en 1822, repris par Paul Leuilliot dans « Un manuscrit inédit sur les protestants de Mulhouse et d’Alsace (1822) », Bulletin du musée historique de Mulhouse, 62 (1954), p. 83-104.

30. Gérard Cholvy – Yves-Marie Hilaire, Histoire religieuse de la France, t. I : Entre raison et révélation, un xixe siècle religieux ? (1800-1880), Toulouse : Privat, 2000.

31. AN, F7 9181 : lettre du directeur général de la Police Beugnot au préfet impérial du Bas-Rhin Lezay Marnesia,10 septembre 1814.

32. André Encrevé, Les protestants en France, 1800-2000, Toulouse : Privat, 2001, p. 23

33. la Société biblique protestante (1818), la Société des traités religieux (1821-1822), la Société des missions évangéliques parmi les peuples. non-chrétiens (1822-1823), le Comité pour l’encouragement des écoles du dimanche (1826), la Société pour l’encouragement de l’instruction primaire parmi les protestants de France (1829).

34. Janine Garrisson-Estèbe, L’homme protestant, Paris : Hachette, 1980, p. 215. L’auteur cite à cet égard la figure du mystique Frédéric Zuber, de Rixheim, ainsi qu’une autre figure régionale, la baronne Krudener.

35. CERARE, 99A 2990 : Composition française manuscrite sur Mulhouse, la charité et l’industrialisation, par Gabriel Spoerlin (1839).

36. L’Industriel Alsacien, n° 58, 19 juillet 1860.

37. Voir en particulier Marie-Claire Vitoux, « Ethique protestante et philanthropique libérale : le cas mulhousien au xixe siècle », Histoire, économie et société, 14 (1995), p. 595-607.

38. Allocution du président de la Société, J. Zuber père, in L’Industriel Alsacien, 1835, n° 8.

39. ADHR, 10M8 : lettre confidentielle du sous-préfet d’Altkirch au préfet, 6 août 1848.

40. Voir Stephan Jonas, Philippe Heckner, Jean-Michel Knorr, La cité de Mulhouse (1853-1870) : un modèle d’habitat économique et social du xixe siècle, 2 tomes, Strasbourg : Arias, 1981 ; Stéphane Jonas, La révolution industrielle, les questions urbaines et du logement à Mulhouse (1740-1870), thèse, Strasbourg II, 1989 ; pour une approche historiquement et géographiquement plus large, Rémy Butler – Patrice Noisette, De la cité ouvrière au grand ensemble, la politique capitaliste du logement social (1815-1975), Paris : Maspero, 1977, 193 p.

41. ADHR, 9M24 : situation des locataires et des acheteurs, 21 avril 1856.

42. 48 maisons sont au prix de 2 800 francs, 32 au prix de 2 500 francs, et 20 au prix de 2 150 et 1 850 francs. – ADHR, 9M24 : lettre des gérants de la SOMCO au ministre de l’Intérieur, 15 février 1854.

43. Florence Ott, La société industrielle de Mulhouse, 1826-1876 – Ses hommes, son action et ses réseaux, Strasbourg : PUS, 1999, p. 514-515.

44. Achille Penot, « Les cités ouvrières de Mulhouse » (30 août 1865), in BSIM n° XXXV, p. 389.

45. Délibération du conseil presbytéral, 23 avril 1860.

46. ACM15 : lettre du 10 janvier 1851.

47.« Le corps des diacres établi dans la plupart des Églises protestantes de France sous les auspices et le contrôle des conseils presbytéraux pour la visite et le soulagement des pauvres de la communauté constitue, en général, le diaconat. L’établissement charitable de Mulhouse n’a sans doute reçu ce nom que par allusion aux diaconesses qui le desservent. » – AN, F19 10 170 : lettre du ministre des Cultes au ministre de l’Intérieur, 10 mars 1865.

48. ACM15 : lettre du 13 mars 1855.

49. ACM15 : lettre du pasteur Joseph, 6 juin 1858.

50. Georges Livet – Raymond Oberlé, op. cit., p. 263-264.

51. Claude Muller, « Politique et religion dans l’Alsace allemande, Extraits de la correspondance de Landolin Winterer », in Annuaire Historique de la Ville de Mulhouse, t. I, 1988, p. 140.

52. ADBR, 1V1110 : chiffres fournis dans un rapport de Landolin Winterer (1880).

53. Ibid.

54. Catherine Roth, La Nation entre les lignes. Médias invisibles, discours implicites et invention de tradition chez les Saxons de Transylvanie, thèse, Panthéon-Assas, Paris, 2013, 750 p. Catherine Roth y reprend en particulier la notion de « communauté de sécurité », développée en 1957 par le sociologue et politologue Karl Wolfgang Deutsch.