Samuel Bourguet, L’aube sanglante. Un artilleur visionnaire dans les tranchées.
Préface de Marie-Noëlle Bourguet. Ampelos, 2017, 177 pages.
En 1917, la veuve de Samuel Bourguet fait paraître sous le titre « Aube sanglante », la correspondance qu’elle a reçue de son mari colonel tué en Champagne le 25 septembre 1915. Norton Cru a reconnu que le témoignage qu’offraient ces lettres attestait d’une vraie expérience personnelle du front et d’une conception défensive de la guerre proche de « l’esprit poilu ». Mais en même temps, il déplorait la censure qui avait amputé ce témoignage. Aujourd’hui, la petite-fille de Samuel Bourguet, professeur d’histoire des universités, veut, par cette nouvelle édition, à la fois restaurer le texte entier et expliquer ce que fut, pour la hiérarchie militaire, ce que Norton Cru a qualifié de « crime impardonnable d’hérésie » aux yeux de la hiérarchie militaire. Cependant, les trente dernières pages sont des hommages à ses idées et à son action.
Samuel Bourguet, fils de pasteur, naît en 1864 à Berlats, dans les monts de Lacaune. Son père meurt l’année suivante et sa mère rejoint ses parents à la campagne où il passe toute son enfance. Interne boursier au lycée de Montauban puis à l’École polytechnique, il choisit à sa sortie la voie militaire et, plus particulièrement l’artillerie. De garnison en garnison, il connaît une lente succession de promotions. Sa raideur de caractère et les exigences de sa conscience d’officier républicain le rendent souvent inadapté à la sociabilité militaire. Cela va encore se compliquer quand il tombe amoureux d’une jeune fille catholique d’origine polonaise, juste sortie de l’École normale supérieure de Sèvres, mais qui ne peut fournir la dot exigée de la future femme d’officier supérieur, soit 24 000 francs, donnant une rente annuelle de 1 200 francs. Les deux familles s’opposent à ce mariage. Mais Samuel Bourguet fait deux emprunts et passe outre à toutes les oppositions. Le mariage a lieu à Paris, au temple de Pentemont, en 1891, les enfants devant être élevés dans le protestantisme, chaque époux restant fidèle à sa confession. Si déjà la religion est un défi à vivre, combien l’est autant le manque d’argent du ménage pour arriver à « tenir son rang », puisqu’une femme d’officier ne peut travailler. Les problèmes d’argent sont souvent très présents dans la correspondance. Samuel aurait dû « avancer » plus vite, mais sa carrière a été bloquée. La raison est à chercher, outre son caractère, dans l’Affaire Dreyfus. Pendant qu’il est à l’École de Guerre (1899-1901), il refuse de s’associer à des propos antisémites. Cela le poursuivra dans son dossier personnel, et il n’a pas eu la carrière qu’il espérait. Un autre trait marque sa personnalité, son intérêt pour la théorie et la tactique militaires. Après l’École de Guerre, il publie plusieurs articles et brochures dans les revues militaires. Sa position est originale ; alors que la doctrine française est l’offensive, la guerre de mouvement, lui insiste sur la fonction défensive de l’artillerie, et sa subordination à l’infanterie dans la conduite des opérations. Ces idées ont intéressé, en Allemagne, le général Rohne. En 1913, Samuel Bourguet est envoyé au Pérou pour faire partie de la Mission militaire. Il dirige l’École supérieure de Guerre. Sa famille le rejoint un an plus tard, mais bientôt, la déclaration de guerre les ramène tous en France. Après quelques passages dans des dépôts d’artillerie, Samuel Bourguet rejoint le front, en mars 1915, et demande à être versé dans l’infanterie. Le 25 septembre, à la tête de son régiment, drapeau déployé, il est tué. La veille, son fils Paul, chasseur d’Afrique, avait pu venir le rencontrer.
Cette correspondance, restituée ici dans son intégralité et annotée, montre l’intérêt concret qu’il porte à ses soldats par son souci de leur hygiène, la lutte contre l’alcoolisme et l’amélioration de la nourriture, qui doit être la même pour les officiers et leurs hommes. Il n’hésite pas, non plus, à monter en première ligne et il constate : « Quel réconfort pour ces braves gens ! Ils n’en voient pas assez auprès d’eux des artilleurs galonnés… » Il développe, autant qu’il le peut, les constructions défensives, renforce les tranchées et les abris, en liaison avec l’artillerie de première ligne, et quelquefois il a la satisfaction de voir ses idées reprises. Néanmoins, la doctrine de l’état-major reste la guerre de mouvement, l’attaque, et c’est ainsi qu’il trouve la mort.
Gabrielle Cadier-Rey