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Pierre-Antoine Fabre, Nicolas Fornerod, Sophie Houdard et Maria-Cristina Pitassi (dir.), Lire Jean de Labadie (1610-1674). Fondation et affranchissement

Paris : Classiques Garnier, 2016, 297 p.

Cet ouvrage est le résultat de deux journées d’études qui se sont déroulées à Genève et à Paris en 2010 et 2011 autour de la personne de Jean de Labadie et plus particulièrement de sa production textuelle.

L’introduction présente, à partir principalement de l’ouvrage de Trevor J. Saxby, The Quest for the New Jerusalem, Jean de Labadie and the Labadists, 1610-1744 (Dordrecht, 1987) dans un premier temps les principaux jalons biographiques du personnage. Né à Bourg en Guyenne en 1610, mort à Altona en Allemagne en 1674, Jean de Labadie a été jésuite (1645-1639), puis prêtre séculier (1639-1650), avant de se convertir au protestantisme en 1650, de devenir pasteur à Montauban (1652-1657), Orange (1657- 1659), Genève (1659-1666) et Middelbourg (1666-1669). Ses écrits et les relations conflictuelles qu’il peut entretenir avec des pasteurs du Refuge expliquent sa suspension et la création de sa propre Église, autour de ses disciples, qui s’installe en Allemagne à Herford puis à Altona. Labadie a retenu l’attention de nombreux historiens comme Michel de Certeau, Leszek Kolakowsky ou Daniel Vidal. Si le premier voyait en Labadie un « nomade », le second le considérait comme « un homme à la recherche permanente d’un ancrage d’un enracinement, d’une stabilité ». L’objectif des auteurs est de s’intéresser à une œuvre abondante et multiforme de Labadie, « de concevoir l’unité non pas d’une vie mais d’une œuvre dont pourraient être découverts un certain nombre de traits discursifs structurants ».

Pour étudier la production textuelle de Jean de Labadie vue « comme les éléments constituants d’une œuvre » (p. 28), Nicolas Fornerod s’intéresse tout d’abord aux vies publiées sur Jean de Labadie, autant celles dont Labadie est l’auteur (sa Déclaration de 1650 et sa Lettre de 1651), que celles de ses adversaires catholiques – Arnauld (1651), Hermant (1651), Mauduit (1662 et 1663) – ou réformés (les frères Desmarets en 1670), et de ses défenseurs (van Schurman en 1673 et Yvon en 1703). Il évoque ainsi « la production d’une mémoire labadienne », une « mémoire en perpétuelle refondation ». Parmi les étapes importantes de la vie de Jean de Labadie, un jalon qui est à la fois une « rupture fondatrice » à l’origine de nombreux écrits, c’est le départ de la Compagnie de Jésus en 1639 après quinze ans passés en son sein. Cette étape est étudiée par Pierre- Antoine Fabre. Labadie fait de ce départ « la source – la source négative, mais la source – de son salut ». Mais aussi, « Labadie devient le héros d’un antijésuitisme “de l’intérieur” dans lequel la critique de la Compagnie de Jésus devient en dernière instance un titre de gloire de l’institution », rejoignant ainsi des recherches précédentes. Cette opposition entre la Compagnie de Jésus et Labadie est au cœur de la contribution d’Isabelle Brian qui analyse, à partir principalement d’un manuscrit de la BnF, le passage de Labadie à Amiens : « le recoupement des témoignages dessine donc l’image d’un Labadie complexe, dont certaines affirmations sont de toute évidence rigoristes et même jansénistes, et dont certaines positions sur la grâce le rendent proches du calvinisme mais l’ex-jésuite se situe encore dans l’indétermination ».

À partir des différents textes de Labadie étudiés par les auteurs, plusieurs personnages apparaissent. Un mystique. Comme le souligne Patrick Goujon, « la vie mystique est chez Labadie sans commencement ». Labadie n’écrit-il pas en 1650 dans sa Déclaration, « de plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai mémoire d’avoir senti des impressions de son Esprit que mon enfance ne me permit pas de discerner quand je le reçus, mais que j’ai parfaitement connu et senti depuis, n’être et n’avoir été que le sien » (p. 45). Une pensée joachimiste et millénariste ? Jacques Le Brun s’interroge sur ce lien et conclut : « on constate plutôt un effort […] de la part d’un homme pour penser et vivre ce que la théologie n’a jamais vraiment penser, l’existence d’une institution humaine où se réaliserait le Royaume de Jésus-Christ dans le monde, avant le jugement final ». Un réformateur du pastorat. Daniela S. Camillocci étudie les conditions de réformation du pastorat et la construction d’un « corps prophétique » de « bons pasteurs » exhortant à la régénération spirituelle. Un poète. Julien Goeury s’intéresse aux liens entre le processus de « Réformation générale du christianisme » et la publication de recueils en vers français entre 1642 et 1673 : c’est une poésie avant tout théologique qui doit chercher à catéchiser et à s’adapter à un public divers, mais aussi qui constitue « le symptôme avéré d’une pratique religieuse d’intensité radicale ». Enfin, un directeur spirituel. Adelisa Malena et Xenia von Tippelskirch reviennent sur les figures des « âmes élues » que sont principalement Anna Maria van Schurman et Antoinette Bourignon.

Cet ouvrage témoigne à la fois d’un intérêt qui ne se dément pas pour ce personnage, mais surtout de la volonté d’une nouvelle approche de ses œuvres et d’une analyse renouvelée.

Didier Boisson