Frans P. van Stam, The Servetus Case. An Appeal for a New Assessment
Genève : Librairie Droz, 2017, 341 p.
Michel Servet figure parmi les personnages les plus connus de la Réforme. Sa vie audacieuse et sa mort dramatique ont été le sujet de plusieurs études historiques. Il est habituellement présenté comme un des premiers martyrs de la liberté de penser et un symbole important de la nécessité d’une certaine tolérance contre l’opinion de la majorité de ses contemporains, car ni les protestants, ni les catholiques ne voulaient accepter ses idées antitrinitariennes, jugées dangereuses et hérétiques. Sa conception singulière de la trinité et, en particulier de la seconde personne, est à l’origine d’un parcours intellectuel et physique de l’Espagne vers Toulouse, Paris, Lyon, Vienne et finalement Genève. Bien qu’il ait toujours gardé un certain anonymat, il n’a jamais hésité à publier ses opinions théologiques et à les faire circuler parmi ses ennemis les plus implacables. Sa vie se termina tragiquement le 27 octobre 1553, lorsqu’il fut brûlé vif sur le bûcher à Genève. Ainsi, ses pensées fixent les limites d’une réforme acceptable par les autorités politiques catholiques et protestantes, tout autant que son exécution marque le début des appels à la tolérance dans le domaine religieux.
Pendant longtemps, les spécialistes de la Réforme ont supposé que Jean Calvin était le principal acteur du procès et du destin de Servet. Parmi les unitariens actuels, par exemple, Calvin, bien loin de la figure d’un des héros de la Réforme, conserve une réputation de fanatisme et de méchanceté. Mais, et c’est la question principale posée par Frans P. van Stam, qui furent les vrais responsables du procès et de l’exécution de Servet ? En s’appuyant sur une lecture approfondie des sources manuscrites – principalement la correspondance de Calvin et les actes judiciaires – Frans van Stam propose un réexamen du rôle de Calvin dans cette affaire. Cette nouvelle évaluation – « new assessment », selon le sous-titre du livre – reprend les interprétations historiques de longue date sur les dernières semaines de la vie de Servet. Calvin était-il vraiment le tyran de Genève et devait-il porter le blâme principal du destin tragique de Servet ?
Bien que la contribution la plus notable de cette étude soit l’examen précis des événements qui se déroulent autour du procès, elle commence par une longue introduction sur les activités de Servet avant son arrestation par les autorités genevoises. Le contexte genevois – les circonstances politiques et religieuses – prend une importance particulière dans le schéma interprétatif, car les tensions profondes qui ont dominé Genève constituent un arrière-plan essentiel pour bien comprendre le sort de Servet. Cette situation délicate a dû peser lourdement sur Calvin. De profondes divisions politiques déchiraient la ville, les Genevois étaient de plus en plus affectés par le flot de réfugiés arrivés de France et les pasteurs, qui étaient presque tous Français, cherchaient, par le moyen du consistoire, à remodeler la piété des gens et à imposer un ordre moral strict. Tous ces éléments ont contribué à une situation dans laquelle les Genevois ont été saisis par l’anxiété. En tout cas, van Stam affirme que Calvin était moins dominant à Genève que les historiens l’ont autrefois supposé, et que par contre ses adversaires étaient puissants, en même temps que mécontents.
Un autre aspect important du contexte est l’audition initiale de Servet devant la cour catholique à Vienne, où il a utilisé son habileté et son inventivité pour tromper les juges. Après avoir échappé à la prison à Vienne, il est allé à Genève, où il a été immédiatement arrêté. À nouveau mis en procès, il a adopté une nouvelle tactique. Lors de l’interrogatoire par les autorité genevoises, Servet a répondu de manière modérée. Néanmoins, après une semaine, il a lancé une attaque furieuse contre Calvin. Face à la vive dispute entre Servet et Calvin, le Conseil des Deux-Cents de Genève a vacillé et s’est trouvé dans l’impasse. Ainsi, les membres du Conseil ont décidé de s’engager dans une consultation avec leurs alliés réformés – les villes-États de Bâle, Berne, Schaffhouse et Zurich – avant de rendre une décision. Mises à part ses fortes différences théologiques avec Calvin, Servet a été victime des profondes divisions politiques de Genève. Le parti des « Enfants de Genève », dirigé par Ami Perrin était plus ou moins favorable à Servet, principalement parce que ses membres étaient des adversaires de Calvin. Désireux d’éviter la suspicion d’hérésie, ils ne cherchaient pas tant à défendre Servet lui-même qu’à s’en servir comme d’un instrument pour se débarrasser de Calvin. La décision de Servet de rejoindre les « Enfants », groupe de pression non négligeable, s’avéra désastreuse. L’affaire s’enchevêtra dans les rivalités politiques et, selon van Stam, Servet se serait imprudemment aventuré dans cet imbroglio.
Van Stam a bien réexaminé et réévalué de près les sources manuscrites et en conséquence, fournit une analyse des divers intérêts rivaux autour du procès de Servet. L’affaire s’est déroulée dans le cadre de la contestation municipale sur la direction de la réforme religieuse, du rôle de Calvin et d’autres pasteurs français, de l’afflux de réfugiés, et du pouvoir politique des principales familles qui avaient traditionnellement dominé la ville. C’est sans doute l’aspect le plus original de l’étude. Pourtant, l’argumentaire n’est peut-être pas aussi convaincant que l’auteur le souhaiterait. Bien que Servet ait été jugé et condamné par le Conseil des Deux-Cents de Genève, c’est incontestablement à l’instigation de Calvin. Ce qui ressort très clairement tout au long de ce livre est, dans un certain sens, la réévaluation du rôle, voire la réhabilitation de Calvin, dont la réputation a été gravement ternie par l’affaire. Il est à noter pour terminer que le texte du livre aurait beaucoup profité d’une lecture approfondie par quelqu’un dont l’anglais est la langue maternelle. Il y a trop de phrases peu claires, d’erreurs grammaticales, et un vocabulaire parfois inexact qui contribuent à obscurcir la démonstration.
Raymond Mentzer