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Julien Léonard (dir.) Prêtres et pasteurs. Les clergés à l’ère des divisions confessionnelles xvie- xviie siècles

Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2016, 371 p.

Cet ouvrage de 371 pages est issu du colloque Clergés en contacts à l’ère des divisions confessionnelles (xvie- xviie siècle) qui s’est tenu à Nancy du 16 au 18 octobre 2014. Vingt contributions, encadrées par une belle introduction et par une conclusion stimulante, proposent d’étudier les clergés à l’heure des divisions interconfessionnelles. Si, selon ce qu’explique dans l’introduction Julien Léonard, maître de conférences à l’université de Metz et directeur de l’ouvrage, ce sujet peut sembler rebattu, l’originalité de ce livre tient dans les « éléments nouveaux » qu’il propose, à partir « d’études de cas peu connus, des problématiques révisées et des points de vue déplacés par rapport aux centres d’intérêt de l’histoire religieuse des dernières décennies » (p. 11). L’auteur y défend en particulier une idée force, celle « des clergés ». Dans la continuité des travaux pionniers de Luise Schorn-Schütte, il souhaite enrichir l’étude des élites religieuses (pasteurs, prêtres, évêques etc.) dans une démarche comparatiste (p. 14-17). Julien Léonard appelle ainsi à « décloisonner » la recherche en histoire religieuse : certes, « étudier chaque clergé dans une perspective confessionnelle » a un sens, mais c’est minimiser, lisser, voire laisser de côté la question des influences réciproques entre ces clergés. L’auteur, qui souhaite une nouvelle spécialisation dans l’histoire religieuse, propose ainsi les termes de « hommes de Dieu » ou de « gens d’Églises » – au pluriel donc – pour qualifier ce nouveau champ d’études et dépasser les problèmes historiographiques que la notion de « clergés » peut susciter chez les chercheurs français en particulier (p. 16-18). Le livre est ainsi structuré en cinq parties. Les deux premières étudient les enjeux, l’attitude et le comportement des clergés lorsqu’ils se retrouvent « Face à l’autre, côte à côte » (1re partie) et « Face à face : modèles et contre-modèles » (2e partie). Les « Controverses et prédications » dont l’analyse constitue la 3e partie interrogent les rapports de force entre les clergés. Si le champ d’étude est européen, « Le laboratoire français » (4e partie), est le plus étudié avec six contributions. Enfin, la 5e et dernière partie dépasse le seul cadre de la confrontation pour interroger la construction identitaire de ces clergés en contact (« La constitution d’identités cléricales »).

Deux contributions, seulement, forment la 1re partie. Anne Brogini analyse tout d’abord les conséquences du développement de la Réforme sur l’Ordre de Malte. Après la suppression de la Langue d’Angleterre et l’affaiblissement de celle de l’Allemagne, les règles du monastère sont observées avec beaucoup plus de rigueur et les décrets du concile de Trente sont appliqués avec enthousiasme. En parallèle de cette stricte observance qui dure près d’un siècle – entre 1560 et 1660, même si elle est déjà battue en brèche dès 1630 – les chevaliers-moines réaffirment leur identité cléricale en remettant au premier plan l’Hospitalité, la charité et enfin la guerre sainte contre les musulmans. Catherine Ballériaux propose ensuite une approche comparatiste des missions catholiques (essentiellement des jésuites français) et calvinistes (surtout des Puritains anglais) sur la frontière américaine. Elle met ainsi en évidence qu’aux relations cordiales, succèdent, au xviiie siècle, de véritables guerres intercoloniales qui affinent et renforcent les identités « religieuses et nationales » dans les écrits des missionnaires (p. 50). Les stratégies de conversion changent alors : les missionnaires ne recherchent plus uniquement à forger des chrétiens, mais des Anglais ou des Français.

Laurent Jalabert ouvre la 2e partie avec une contribution dont le titre sonne comme une parfaite transition entre les deux premiers axes : « Face à face, côte à côte ? Les aumôniers des armées d’Empire entre coexistence, ignorance et affrontement (xviie-xviiie siècle) ». Contrairement aux États, les armées ne sont pas toujours confessionnalisées, ce qui pose donc le problème de la coexistence, des échanges et du rôle de l’armée dans la confessionnalisation ou l’aconfessionnalisation. Si cette problématique est particulièrement délicate à traiter – l’auteur développe d’ailleurs essentiellement des exemples pour le xviiie siècle –, elle ouvre deux principales pistes de réflexion : questionner l’identité de l’aumônier – est-il aumônier avant d’être prêtre ou pasteur ? – et étudier les aumôniers chrétiens face à l’ennemi commun, le Turc. Autre cas particulier dans le Saint-Empire romain germanique, celui de la Bohême, étudié par Nicolas Richard. Deux clergés cohabitent au sein du royaume de Bohême – catholique et hussite, dit utraquiste – sous le régime de la « double foi légale ». Cette cohabitation pose ainsi le problème des échanges et des influences. Longtemps, les abus du clergé catholique ont été mis à l’actif de leurs fréquentations utraquistes. Est-ce vrai à l’inverse ? Malheureusement, cette passionnante interrogation s’avère bien trop vaste pour pouvoir trouver une réponse ici. Aussi Nicolas Richard propose-t-il d’apporter quelques éléments à partir de l’analyse d’un document précieux et rare : l’inspection des paroisses de Brandýs nad Labem en 1594 par l’archevêque de Prague. Dans certaines paroisses, l’attrait des hussites pour les cérémonies catholiques et le chant en tchèque des lectures de la messe se conjuguent et se côtoient. Mais bien que Mgr Berka dresse un portrait accablant des prêtres qu’il a interrogés, aucun n’est excommunié. Tous sont en effet pardonnés après avoir récité le Credo car l’archevêque ne voit pas dans leurs abus ou dans leurs dérives la trace d’une quelconque influence des hussites, mais seulement la preuve de leur ignorance ; ignorants, mais pas hérétiques. Nicolas Richard conclut que le jeu de pouvoirs entre autorités civiles et autorités ecclésiastiques pour maintenir traditions et privilèges est bien plus prégnant alors qu’une véritable influence de nature religieuse. La dernière contribution de cette partie, signée par Andras Nijenhuis-Bescher, dépasse le cadre des contacts nécessaires et inévitables pour s’intéresser au parcours du chanoine parisien Claude Joly. Ancien frondeur, proche du duc et de la duchesse de Longueville, il est un témoin privilégié des négociations qui ont alors lieu en Westphalie au milieu de la décennie 1640. Trente ans plus tard, en 1670, il met en forme les notes prises au cours de ces quelques années et les publie sous le titre de Voyage fait à Münster. L’auteur relève la curiosité intellectuelle de Claude Joly et de son goût pour les échanges religieux. À Münster même, il rencontre par exemple le médiateur apostolique Fabio Chigi, qui sera élu pape quelques années plus tard en 1655 sous le nom d’Alexandre VII. Dans les terres huguenotes qu’il traverse, il achète de nombreux ouvrages et notamment ceux de Jansen qui sont pourtant déjà mis à l’Index. Aux Pays-Bas, il démontre son intérêt pour le protestantisme en discutant de la prédestination avec l’artiste Anna Maria van Schurman, mais aussi pour le judaïsme lorsqu’il débat de la virginité mariale avec le rabbin Menasseh Ben Israël. Il visite même la nouvelle synagogue d’Amsterdam le 27 août 1646 avec la duchesse de Longueville. « Ces rencontres intellectuelles et débats théologiques, conclut l’auteur, révèlent une acceptation pragmatique de la diversité confessionnelle au sein de la Chrétienté » par cet esprit curieux, désireux de connaître les positions, les rites et les singularités des autres confessions ou religions (p. 110).

Tous les contacts et les échanges ne sont pourtant pas aussi empreints de sérénité et de curiosité, loin de là. Beaucoup se sont transformés en affrontements verbaux et doctrinaux. Cinq contributions proposent de nouveaux éclairages sur cette question et sont regroupées dans la 3e partie du livre, intitulée « Controverses et prédications ». Tout d’abord, Jérémie Foa revient sur le parcours atypique du pasteur du Pont-de-Veyle, en Bourgogne, Théophile Cassegrain (v. 1556-1637). Tout au long de sa vie, ce dernier s’est senti déclassé, estimant ne pas être traité à sa juste valeur. Pasteur d’une petite bourgade, il peine en effet à imposer son nom parmi les plus grands et prestigieux controversistes de son temps. Constamment à la recherche du coup d’éclat qui le fera connaître, Cassegrain multiplie les

« provocations à la dispute » (p. 122). En 1597, par exemple, il rédige un « défi universel » à tous les théologiens du royaume, puis provoque nominalement Jacques Davy Du Perron, sans succès. Cette volonté farouche de briser la règle d’homologie dans les disputes ne lui vaut que les railleries des théologiens illustres et des hommes de lettres comme Pierre- Victor Palma-Cayet. Mais en définitive, toutes ces « provocations » ont suscité l’intérêt ou l’implication des grands personnages religieux de l’époque et, pour Jérémie Foa, « la visibilité du pasteur de Pont-de-Veyle tient ce faisant dans sa capacité à faire surgir des noms célèbres autour de sa propre histoire » (p. 140). À cette histoire de rendez-vous manqués succède l’article de Clarisse Roche consacré à la prédication dans Vienne sous le règne de l’empereur Maximilien II, c’est-à-dire à l’opposition entre le Verbe « cohésif » et le Verbe « confessionnel » ; entre restauration de l’unité chrétienne et recherche de conversion. Cette problématique conduit naturellement l’auteure à analyser les guerres contre les Turcs ainsi que, pour finir, l’émergence d’une parole de « distinction » dans la société viennoise. Stefano Simiz s’intéresse quant à lui à la prédication chrétienne, essentiellement dans la Lorraine du xviie siècle. Après avoir comparé les rythmes des prêches et des prédications entre catholiques et calvinistes, il étudie la très fine frontière qui peut parfois exister entre le contact et la confrontation. Cette thématique de l’affrontement se retrouve ensuite au cœur de la contribution de Christabelle Thouin-Dieuaide qui se consacre à l’étude du livre Trois sermons faits en presence de Peres Capucins qui les ont honorez de leur présence publié par le pasteur Pierre Du Moulin (1568-1648) en 1641. L’auteure se demande en particulier si l’on peut déceler et analyser l’influence des destinataires (les capucins) dans les sermons prononcés par le pasteur de 72 ans. De fait, si le discours de Pierre Du Moulin s’adapte bel et bien à ses auditeurs catholiques, c’est pour pouvoir mieux renverser ensuite leurs arguments. Œuvre « combattive plutôt qu’édifiante », œuvre de confrontation, elle est en définitive le point de départ de toute une série d’ouvrages polémiques entre Du Moulin et les capucins ; elle sera d’ailleurs condamnée à être brûlée par le parlement de Bordeaux en 1642. Enfin, en se fondant essentiellement sur les manuels d’éloquence à destination des pasteurs, Céline Borello enquête sur une potentielle influence catholique sur les prédications calvinistes dans la France du xviiie siècle. Trois auteurs sont plus particulièrement étudiés : Benjamin-Sigismond Frossard (1754-1830), Étienne-Salomon Reybaz (1739-1804) et Louis Bonifas-Laroque (1744-1811). Ce dernier donne parfois l’avantage aux auteurs catholiques ce qui, en définitive, rend « poreuse la frontière entre les deux religions pour ce qui est de l’éloquence de chaire et du bien prêcher » (p. 186), tandis que le premier – pour ne retenir que ces deux exemples – ne compare pas les auteurs et leurs ouvrages en fonction de leur confession, mais de leur nationalité : les auteurs français parlent au cœur, tandis que les Anglais ne parlent qu’à l’esprit et la raison. « Pourquoi ces noms et références catholiques et protestants mêlés ? Pourquoi les critiques vont-elles parfois vers les protestants, alors que les catholiques sont portés aux nues ? », s’interroge Céline Borello. « Car ce qui importe dans la prise de parole publique réussie, ce sont des questions qui n’ont rien de théologique ou de controverse entre confessions. La technicité dans l’écriture du sermon dépasse le clivage confessionnel » (p. 189). En somme, le contact, l’influence et l’échange sont rendus possibles par l’atténuation, voire par l’absence d’enjeu confessionnel et théologique.

Souvent croisé jusqu’alors, « Le laboratoire français » est plus particulièrement étudié dans la 4e partie du livre. Philippe Moulis propose pour commencer une étude de cas : les relations entre catholiques et protestants dans les diocèses de Boulogne-sur-Mer et de Saint-Omer, aux xvie et xviie siècles. Si le protestantisme est présent dans le Boulonnais et qu’il s’épanouit dans le Calaisis, il est très durement réprimé jusqu’à la fin du xvie siècle dans les Flandres et notamment à Saint-Omer. Le régime de l’édit de Nantes favorise pourtant un afflux considérable dans ces territoires frontaliers de protestants néerlandais qui fuient alors la terrible répression catholique dans les Pays-Bas espagnols. Mais au fil du xviie siècle, la situation se dégrade et l’auteur, qui s’appuie sur les cahiers de représentations des États d’Artois de 1661 à 1700, montre bien que la population est de plus en plus hostile à la présence protestante. Aussi, après la Révocation, nombreux sont ceux qui émigrent vers l’Angleterre et les Provinces-Unies. Toujours dans les provinces septentrionales du royaume, Sarah Dumortier étudie les rapports entre les clergés à travers la question du célibat ecclésiastique. L’auteure souligne que, sur ce « terreau protestant » (p. 210) que sont les diocèses de Cambrai, Tournai, Namur et Liège, près de 7 % des ecclésiastiques se sont convertis au calvinisme entre 1521 et 1679. Mais, si la vie conjugale protestante peut attirer certains prêtres – ne vont-ils pas pour quelques-uns jusqu’à promettre à leur maîtresse de les épouser aux Provinces-Unies ? –, elle n’est qu’une raison parmi d’autres de leur conversion. Sans pouvoir affirmer avec certitude que cette forte proportion de conversion/ mariage des ecclésiastiques catholiques (78 % des convertis se marient ensuite) résulte d’une influence directe des pratiques matrimoniales protestantes, Sarah Dumortier conclut que ce qui est en revanche certain, c’est que cette proximité (et certaines dérives) oblige à la constitution d’une norme plus stricte et à une observance plus rigoureuse de la règle du célibat. Cette réaffirmation des normes et des règles essentielles se retrouve également au cœur de la contribution de Frédéric Meyer. Jacques Fodéré, moine franciscain observant fait paraître en 1619 un ouvrage monumental de près de 1 300 pages dans lequel il revient sur l’histoire des couvents franciscains et clarisses de Bourgogne. Frédéric Meyer démontre bien que, dans cet espace de contacts interconfessionnels, les frontières à l’intérieur de l’ordre sont plus fortes que l’union contre les protestants (p. 223). Estelle Martinazzo développe elle aussi cette problématique du repositionnement du clergé catholique et de son refus progressif du contact avec les protestants. Prenant pour champ d’étude les clergés toulousains, elle se demande si les missions intérieures que conduisent les catholiques ne visent pas « avant tout à convertir des populations catholiques tout aussi suspectes au niveau du dogme que les huguenots, invisibles aux yeux de l’Ordinaire » (p. 239). Après s’être penchée sur le cas des conférences théologiques et la publication des ouvrages de controverse ou des récits de conversion qui sont, démontre-t-elle, essentiellement le fruit du clergé régulier, elle s’intéresse plus particulièrement aux visites pastorales réalisées par le clergé séculier. Elle met alors en avant que l’Église s’est d’abord souciée de mieux former son propre clergé avant de se tourner plus spécifiquement vers les réformés invisibles. Dans les deux dernières contributions de cette partie, la focale s’inverse pour se consacrer à l’étude des pasteurs et des professeurs protestants. À Sancerre d’abord, Didier Boisson étudie le « face-à-face pasteurs-ecclésiastiques sous le régime de l’édit de Nantes ». Le cas est d’autant plus intéressant que la ville a connu un épisode particulièrement marquant des guerres de Religion : le terrible siège de 1573. Bien qu’affaiblie, la communauté réformée doit alors faire face aux assauts des ecclésiastiques « désireux de mettre à fin à l’existence de la minorité réformée » (p. 252). Ce sont donc essentiellement des conflits qu’analyse Didier Boisson, et ceux-ci se multiplient au tournant de la décennie 1680. La controverse religieuse est en effet particulièrement active entre 1682 et 1684, sans parler des tensions qui agitent la ville après la conversion au catholicisme de jeunes enfants en 1684 et, la même année, de la conversion, pourtant interdite, d’une jeune fille au calvinisme. Mais, contrairement à d’autres villes ligériennes comme La Charité-sur-Loire, les autorités ne parviennent pas à s’imposer. Le clergé catholique échoue à détruire la communauté réformée dans la ville, ce que déplore encore en 1777 l’abbé Poupart. Cet « échec du clergé » catholique, Didier Boisson l’explique par la solidité de l’identité réformée et il conclut qu’en définitive, « seul le pouvoir civil – et militaire – est en mesure de lutter contre la communauté réformée » (p. 261). Tous les rapports entre catholiques et protestants au xviie siècle ne se transforment pourtant pas en confrontation plus ou moins violente. Ils peuvent être pacifiques, parfois même empreints d’irénisme. C’est notamment le cas à Saumur qu’étudie Bruno Maes. Le succès de l’académie ouverte en 1607 dans cette ville par Philippe Duplessis-Mornay explique la fondation d’une l’école oratorienne en 1630. Mais, loin de s’opposer, les deux institutions vivent en bonne intelligence, au grand dam de certains catholiques, à commencer par Henri Arnauld, évêque d’Angers.

L’ultime partie de cet ouvrage explore une notion entraperçue jusqu’alors, l’identité cléricale. Federico Zuliani propose pour commencer de revenir sur le parcours original de Pier Paolo Vergerio (1498-1565). Évêque de Capodistria et nonce pontifical, il est contraint de fuir la péninsule italienne après qu’un procès pour hérésie a été ouvert contre lui en 1549. Élu ministre de Viscoprano la même année, il y réside jusqu’en 1553 lorsqu’il devient conseiller du duc Christophe de Wurtemberg avec lequel il est entré en contact dès 1551, peu à l’aise dans sa nouvelle communauté. Mais ce que retient et ce qu’analyse plus particulièrement Federico Zuliani, c’est la porosité qui existe alors, tant chez Vergerio que chez les fidèles protestants des Grisons italophones du milieu du xvie siècle, entre le ministre et l’évêque. En effet, au début de son ministère, Vergerio est appelé « évêque », bien que ministre, par les fidèles calvinistes comme par ses amis protestants. Lui-même se pare du titre d’« évêque du Christ » car, contrairement à d’autres prélats passés à la Réforme, il théorise et explique sa position en s’incluant dans ce qu’il appelle « i veri vescovi » ; titre qu’il finit par abandonner en 1554. Ce temps de construction de l’identité réformée, Nathalie Szczech l’étudie quant à elle à Genève. Comment, après le retour de Calvin dans la cité lémanique, se forme la légitimité du pasteur et comment Genève vit sa séparation avec ce clergé catholique qui reste son voisin ? Sous l’impulsion du réformateur, les pasteurs de la ville se voient attribuer une autorité nouvelle par rapport aux modèles bernois et zurichois : la surveillance des fidèles doublée d’un pouvoir inédit de sanction. Cette innovation ne va cependant pas de soi et des voix discordantes se font alors entendre. De cette opposition naît ainsi une nouvelle identité cléricale : « car si une identité cléricale naît incontestablement de l’autorité donnée aux pasteurs de convoquer, de juger, de sanctionner dans le cadre du consistoire, cette identité se forge aussi dans le discours des opposants qui considèrent les pasteurs comme un groupe, un groupe à part, voire comme un groupe de clercs » (p. 306). En définitive, écrit Nathalie Szczech, « le processus de cléricalisation se nourrit ainsi paradoxalement à Genève de l’anticléricalisme des fidèles » (p. 307). Des pasteurs genevois, il en est également question dans la contribution de Geneviève Gross. Deux d’entre eux, Nicolas Colladon en février 1571 et Jean Le Gagneux en décembre de la même année, sont condamnés par le Petit Conseil et doivent quitter leur ministère. Pourtant, l’un et l’autre jouissent depuis quelques années –1562 pour le premier et 1557 pour le second – de la qualité de bourgeois de la ville. Or, cette qualité leur conférait aussi des devoirs (sédentarité et participation à la vie économique de la ville) : l’auteure se demande donc en quoi cette accession à la bourgeoisie a eu un impact sur leur ministère, puisqu’ils sont condamnés pour avoir abusé de cette « liberté du ministère ». Irène Plasman-Labrune, enfin, consacre son article à un cas intéressant et très particulier : celui des ministres étrangers dans le royaume de France. Thème délicat s’il en est, tant la notion même d’« étranger » est difficile à définir. C’est à l’occasion de l’enregistrement de la paix de Montpellier de 1622 que le parlement de Bordeaux profite de l’occasion en 1623 pour interdire aux pasteurs étrangers de prêcher dans son ressort. Décision locale, mais qui finit par avoir un écho national. « Minoritaires à l’intérieur d’une minorité […], les pasteurs étrangers bénéficient à leur corps défendant d’une attention disproportionnée » au début du xviie siècle. Or ils deviennent le support « involontaire de la construction d’une norme nationale qui assimile progressivement l’impératif de loyauté à la naissance dans le royaume, puis à l’impératif de la communauté de foi » (p. 334).

Au terme de l’ouvrage, Yves Krumenacker remet en perspective les différentes contributions, les insère et les interroge dans le cadre d’une réflexion plus générale sur la confessionnalisation en Europe. Il minimise parfois les contacts qui ont pu exister et conclut que devant la complexité des cas, on ne peut définitivement pas parler de simple clergé, catholique, luthérien ou calviniste : « Les phénomènes religieux sont la résultante d’alchimies complexes, qu’on ne peut réduire à des corps de doctrine bien délimités. […] Les clergés en contact ne sont pas que des affaires de confrontation de doctrine portées par des ecclésiastiques, mais aussi des affaires d’hommes situés dans des contextes bien précis. […] L’historien, dont la tâche est non seulement de décrire, mais surtout de comprendre, s’efforce de classer, de typologiser, mais la réalité résiste dans son infinie variété et dans son obstination à ne pas se laisser enfermer dans une seule catégorie » (p. 345-346).

Pour stimulante que soient ces réflexions autour de la question des clergés, il est toutefois regrettable que le terme de « contact » qui figurait au cœur de l’intitulé du colloque ait disparu du titre de l’ouvrage qui en est issu. Car ce sont bien les contacts, plus encore que la notion de « clergés » qui structure en réalité le fond de la totalité des contributions ; n’est-ce pas d’ailleurs une typologie des « contacts » et non des « clergés » qui structure l’ensemble du livre ? Cette dernière remarque n’enlève cependant en rien la grande qualité de cet ouvrage, cohérent, problématisé, bien structuré, stimulant, et au terme duquel figure un index précieux des noms de lieux et des noms propres, encore trop rare dans les actes de colloque.

Nicolas Breton