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LUTHER EN FRANÇAIS, EN 2017

Le 500e anniversaire de la Réforme en 2017 a été l’occasion de nouvelles éditions d’œuvres de Luther en traduction française, en contrepoint à la série des Œuvres publiées à Genève chez Labor et Fides depuis 1957 (19 volumes parus à ce jour). Présentons ici les principales nouveautés.

Martin Luther, Œuvres, tome II, édité sous la direction de Matthieu Arnold et de Marc Lienhard, Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2017, xliv-1167 p.

Le tome I, sous la direction des mêmes éditeurs, paru en 1999, offrait une sélection de textes de Luther, de 1515 à 1522, parmi lesquels, bien sûr, les « grands écrits réformateurs » de l’année 1520, et les célèbres sermons d’Invocavit 1522. Il était temps de connaître la suite de l’histoire.

La nouvelle sélection de Matthieu Arnold et Marc Lienhard comporte plusieurs dizaines de textes que Luther a écrits de 1523 jusqu’à peu avant sa mort en 1546. Elle rend compte de la multitude de sujets traités par Luther, à la demande de communautés ou de princes ou d’amis, ou de sa propre initiative, et témoigne de son inépuisable énergie pour renforcer et stabiliser le mouvement de Réforme évangélique. La sélection rend compte aussi de la diversité des genres littéraires qu’a utilisés Luther : traités, catéchisme, instructions, appels, lettres de consolation et d’exhortation, préfaces, thèses et disputes universitaires, cantiques, parodies aussi, telles la Gazette du Rhin, une feuille volante anti- reliques et la « plainte des oiseaux adressée au Docteur Martin Luther ».

Ces textes, à l’origine en allemand pour la plupart, les autres en latin, ont été traduits, ou retraduits ou révisés pour la présente édition, sur la base de l’édition de Weimar, elle-même établie sur les éditions originales. Surtout, une bonne moitié de ces écrits de Luther étaient jusqu’alors inconnus en français. Parmi les textes nouvellement traduits, plusieurs des années 1523-1525 font apparaître le réformateur à l’œuvre, encourageant les communautés de base « évangéliques », bataillant contre les « prophètes célestes » et inventant la « messe allemande ». D’autres textes permettent de remettre en perspective la doctrine politique de Luther dans différents contextes, y compris face à l’Islam (Exhortation à la prière contre le Turc, 1539). Luther face aux juifs n’est évoqué que par la Lettre à Josel de Rosheim, de 1537 (à mettre en rapport avec Que Jésus Christ est né juif, publié au tome I de la Pléiade), les textes antijuifs tardifs étant cependant signalés dans la Chronologie au début du volume1. Grâce à la Missive sur la traduction… (1530), on peut apercevoir Luther traducteur du Nouveau Testament en 1522, absent du tome I de la Pléiade. Parmi les textes connus, mais d’accès difficiles en français, citons encore de substantiels extraits du traité Les Conciles et lÉglise (1539), la lettre au sujet de la bigamie de Philippe de Hesse (1540), un choix de lettres de Luther à sa famille, la préface à l’édition des Œuvres de Luther en allemand de 1539, outre la préface des Œuvres en latin, plus connue, de 1545. Couronnant le tout, un excellent choix de cantiques de Luther, avec plusieurs préfaces de Luther à ses recueils de cantiques, traduits et annotés par Patrice Veit.

C’est dire la richesse de ce recueil d’œuvres de Luther en français, qui donne à entendre la variété des voix de Luther. Comme son prédécesseur de 1999, il satisfera les lecteurs exigeants par l’apparat critique développé en fin de volume, sans pour autant être réservé à des théologiens ou des historiens érudits. C’est à un large public cultivé que s’adressent les deux tomes de la Pléiade, en offrant le meilleur de Luther.

Martin Luther, Une anthologie, 1517-1521, éd. Frédéric Chavel et Pierre-Olivier Léchot, Genève : Labor et Fides, 2017, 336 p.

Les éditions Labor et Fides ont rassemblé en un volume un choix de textes antérieurement publiés dans leur série des Œuvres de Luther traduites en français, sans modification des traductions. Il s’agit d’écrits du « jeune » Luther, de 1517 à 1521, parmi lesquels les 95 thèses (1517), trois des « grands écrits réformateurs » de 1520 (De la papauté de Rome, Á la noblesse chrétienne de la nation allemande, La liberté chrétienne), et le Discours à la diète de Worms (1521). Ces « classiques » sont mis en contexte par un judicieux choix de brefs textes, en particulier des lettres de Luther, et mis en perspective par Frédéric Chavel et Pierre-Olivier Léchot, dans une introduction historique très pédagogique.

On notera que les éditions Labor et Fides avaient déjà republié à part, en format de poche, La captivité babylonienne de l’Église, cet autre « grand traité réformateur » de 1520, avec une nouvelle introduction de Thomas Kaufmann et une annotation de Jean-Marc Tétaz.

Martin Luther, Ainsi parlait Martin Luther. Dits et maximes de vie choisis par Marc Lienhard, et traduits de l’allemand et du latin par Annemarie Lienhard. Édition bilingue, Orbey : Arfuyen, Collection « Ainsi parlait », 2017, 138 p.

Il s’agit là d’une anthologie originale, constituée de citations de Luther, chacune de quelques lignes, extraites de l’ensemble de son œuvre et retenues par Marc et Annemarie Lienhard pour leur saveur particulière. Chaque citation en latin ou en allemand – face à la traduction française, est dûment référencée dans l’édition de Weimar ou, selon le cas, dans la Bible de Luther. L’ordre des textes est chronologique, d’un fragment des Gloses de Luther sur les Sentences de Pierre Lombard, en 1509-1510, jusqu’à une bribe de lettre de Luther à sa femme, le 7 février 1546, quelques jours avant de mourir. Les scolaires regretteront l’absence d’un index thématique, mais les autres goûteront le plaisir de la promenade au hasard des pages, à la découverte de pépites.

Signalons encore, parmi les œuvres de Luther produites en français en 2017, un pamphlet de Luther de 1523, traduit et introduit par Pierre Bühler :

Raison et justification que les nonnes peuvent quitter leurs couvents en conformité avec Dieu, dans Textes réformateurs inédits, réunis par Chrystel Bernat, Études théologiques et religieuses, t. 92, 2017/1, p. 25-34.

Ramassant les arguments de son Jugement sur les vœux monastiques (1522), ce petit texte justifie le coup de main qui permit la fuite des cisterciennes du couvent de Nimbschen, en Saxe (parmi lesquelles Catherine de Bora), dans la nuit du 4 avril 1523.

Annexons enfin à la cuvée 2017 des œuvres de Luther en français un ouvrage qui donne dans une nouvelle traduction commentée la préface de Luther à l’édition de ses Œuvres en latin (1545), pour l’insérer dans une série biographique sur Luther :

Mythologies luthériennes. Les Vies de Luther par lui-même, Melanchthon et Taillepied. Textes établis et présentés par Marion Deschamp, Postface d’Olivier Christin, Lyon : PUL, 2017, 204 p.

Trois récits de la vie de Luther : le premier par lui-même, en 1545, sous forme d’une préface au tome I de ses écrits en latin, interprétant chronologiquement son parcours spirituel et intellectuel jusqu’à la rupture avec Rome ; le second, Histoire de la vie et des actes de Luther écrit par Melanchthon après la mort de Luther (1546), dans la traduction française publiée à Genève par Théodore de Bèze en 1549 ; le troisième enfin, celui d’un polémiste franciscain, Noël Taillepied, qui construit la légende noire de Luther à l’usage du public français, en 1577.

Comme les images, qui font l’objet d’un intéressant dossier iconographique donné à la suite, ces trois récits construisent, chacun pour son public, des « mythologies luthériennes », durablement actives dans des traditions confessionnelles affrontées. Le récit de Melanchthon cherche à « réformer » l’hagiographie traditionnelle en faisant du récit de vie, en principe déconnecté de pratiques de dévotion, un mémorial autant qu’un modèle, tandis que celui de Taillepied inverse violemment l’hagiographie en hérésiographie. Dans le contexte du jubilé de Luther en 2017, Marion Deschamp donne un bon aperçu de travaux allemands sur la fabrique de la mémoire luthérienne, l’ambiguïté des reliques et des objets de musée.

Marianne Carbonnier-Burkard

 

1. L’un de ces textes, Des Juifs et de leurs mensonges (1543) a été traduit et édité par Pierre Savy, Paris, Honoré Champion (Bibliothèque d’études juives), 2015, 212 p.