Nicolas Breton Pour Dieu, pour le roi, pour soi. Les engagements politiques et religieux des membres de la maison de Coligny-Châtillon du milieu du xv e au milieu du xviie siècle, thèse d’histoire moderne
Le Mans Université, 2 vol., 1398 p.
Thèse soutenue par Nicolas Breton, le 30 septembre 2017 à l’Université du Mans. Préparée sous la double direction de Laurent Bourquin, professeur à l’Université du Mans et de Hugues Daussy, professeur à l’Université de Franche-Comté, la thèse a été soutenue devant un jury composé de Céline Borello (Université du Mans, présidente), Laurent Bourquin, Denis Crouzet (Université Paris Sorbonne, rapporteur), Hugues Daussy, Mark Greengrass (Université de Sheffield) et Nicolas Le Roux (Université Paris-XIII, rapporteur).
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Si la thèse devait à l’origine étudier le rôle et l’influence des clientèles des Coligny sur leurs engagements et sur leurs parcours politiques et religieux au cours du xvie siècle, la découverte à la Bibliothèque nationale de France du récit de conversion de Gaspard IV de Coligny publié en 16431, a ouvert de nouvelles pistes stimulantes. Comment expliquer que soixante et onze ans après l’exécution de l’amiral Gaspard II de Coligny, chef du parti huguenot, Gaspard IV de Coligny ait décidé de quitter la foi protestante ? Comment expliquer également que ce dernier soit inhumé dans la nécropole royale de Saint-Denis en 1649, tandis que son arrière-grand-père avait quant à lui été exécuté dans les premières heures de la nuit de la Saint-Barthélemy en 1572 avant même d’être condamné comme criminel de lèse-majesté ? Cet extraordinaire renversement de situation et toutes les interrogations qui en découlent semblent ne pouvoir s’expliquer que par l’étude de leurs engagements politiques et religieux. Cette thèse s’attache donc à analyser les causes, les processus, les mécanismes, les manifestations et enfin les conséquences de ces engagements (définis comme des choix personnels défendus publiquement) sur un temps long de presque deux siècles – de leur premier engagement au service du roi de France en 1465 jusqu’à l’extinction du lignage en 1649. Mais retrouver la pensée, reconstituer les mécanismes de l’engagement d’hommes et de femmes qui ont vécu il y a un demi-millénaire sont des objectifs aussi passionnants que délicats. Or ces hommes et ces femmes n’ont laissé derrière eux presque aucune trace écrite de leurs ambitions les plus intimes, aucun témoignage de leurs pérégrinations spirituelles, de leurs doutes ou encore de leurs certitudes. L’exploration de fonds d’archives en France, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie ou encore en Belgique a toutefois permis de constituer un corpus de documents manuscrits suffisamment éclairants pour pouvoir proposer quelques pistes et quelques réponses. Afin de faciliter le dépouillement des sources épistolaires, un inventaire détaillé de la correspondance de 27 Coligny (12 femmes et 15 hommes) répartis sur cinq générations a été réalisé et constitue le second volume de la thèse. Au total, ce sont quelques 3 373 lettres qui ont été recensées, parmi lesquelles 1 921, soit un petit peu plus de la moitié, sont a priori encore inédites. Toutes ces lettres ont ensuite été complétées, confrontées et recoupées avec d’autres documents et notamment avec des dépêches diplomatiques, qu’elles soient anglaises, italiennes ou espagnoles, ainsi qu’avec de nombreuses sources imprimées.
De ces lectures et de ces relectures, a émergé l’idée qu’entre le milieu du xv e et le milieu du xviie siècle, les Coligny-Châtillon s’engagent pour le service de Dieu, pour celui du roi et pour eux-mêmes. Le plan général de la thèse ne répond toutefois pas à ce triptyque, mais obéit à une logique chronologique.
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La première partie, intitulée « Vers le sommet » met en lumière les dynamiques mal connues de l’ascension fulgurante de cette Maison d’origine modeste. Au début du xve siècle, les Coligny sont principalement établis aux confins de la Bresse et du Revermont où ils sont à la fois clients et vassaux des puissants ducs de Bourgogne et ducs de Savoie. Enserré, voire étouffé entre ces deux fidélités, Jean III de Coligny fait le choix de s’affranchir de cette tutelle pesante en s’unissant avec Éléonore de Courcelles dont la famille est solidement ancrée à la cour de France. Aussi, lorsqu’il prend le parti de Louis XI lors de la guerre dite du Bien Public, le seigneur de Châtillon-sur-Loing jette les bases d’une nouvelle Maison, désormais entièrement consacrée au service de la Couronne. Engagement également motivé par la recherche d’une plus grande élévation et qui lui ouvre rapidement les portes du Conseil du roi. Cet engagement fondateur est ensuite poursuivi par ses deux garçons, Jacques II et Gaspard Ier de Coligny. Le premier parvient à se faire remarquer pour sa bravoure et à devenir un des plus intimes compagnons de Charles VIII puis un capitaine apprécié de Louis XII. Mais il meurt en 1511 sans avoir eu d’enfant de ses deux mariages. Le second apprend de l’expérience de son frère et réalise l’alliance la plus prestigieuse et la plus bénéfique jamais contractée par un Coligny. Le 1er décembre 1514, il épouse en effet Louise de Montmorency qui est issue d’une des plus anciennes et des plus prestigieuses familles du royaume. Fille du premier baron de France, elle est aussi la sœur d’Anne de Montmorency, proche parmi les proches du jeune duc d’Angoulême qui devient roi de France un mois seulement après la célébration de ce mariage, le 1er janvier 1515. L’avènement de François Ier est donc particulièrement profitable à Gaspard Ier de Coligny qui est très tôt nommé maréchal de France. Mais lorsqu’il meurt en 1522, il n’a pas encore eu le temps de pérenniser sa situation et ses quatre garçons sont tous encore mineurs. Placés sous la tutelle de leur oncle Anne de Montmorency, bientôt Grand-Maître puis connétable de France, Odet, Gaspard et François de Coligny atteignent très rapidement le sommet du pouvoir. Au crépuscule de la décennie 1550, Odet de Châtillon est cardinal de l’Église romaine et conseiller du roi ; Gaspard de Coligny, lui aussi conseiller du roi, est, entre autres, amiral de France, quand François d’Andelot est quant à lui colonel-général de l’infanterie française. Cette position avantageuse, tous les trois décident néanmoins de la compromettre en se convertissant au protestantisme ou, à tout le moins, en s’éloignant des frontières de l’orthodoxie catholique. Ces engagements religieux retentissants affectent considérablement leurs relations avec le pouvoir royal qui, au fil des ans, ne cessent de se dégrader.
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Renversant la devise calviniste, cette seconde partie intitulée « Post lux, Tenebras » analyse en détail le basculement progressif des frères Châtillon dans le protestantisme et les conséquences de ce choix spirituel sur les relations qu’ils entretiennent alors avec le pouvoir royal. Selon toute vraisemblance, François d’Andelot et Gaspard de Coligny se convertissent tous deux au milieu de la décennie 1550 à la foi calviniste. Mais conversion ne rime pas avec engagement. Tant que cette nouvelle foi n’est ni exposée ni assumée dans l’espace public, tant qu’elle demeure dans la sphère intime, elle ne relève que du simple choix de conscience. Il faut ainsi attendre 1558 et l’appel lancé par Jean Calvin aux nobles français pour voir véritablement agir François d’Andelot en faveur des Églises réformées, et 1560 pour que Gaspard de Coligny prenne publiquement en main la défense politique de la minorité calviniste. Le cas d’Odet de Châtillon est encore plus complexe. Évêque et cardinal, toute sa fortune, toute son influence et tout son pouvoir ne résident en réalité que dans sa qualité d’homme d’Église. Or dès la début de la décennie 1550, il partage avec d’autres prélats l’espoir de pouvoir engager le royaume de France dans une voie religieuse nouvelle, sans rompre avec le pape. C’est cette attitude ambiguë, parfois mal comprise, parfois peu compréhensible, souvent à la limite de l’orthodoxie catholique, qui est qualifiée dans la thèse de « sfumato-confessionnel ». Si l’hypothèse d’une conversion officielle au calvinisme lors des fêtes pascales de 1561 soutenue jusqu’à présent par l’historiographie traditionnelle paraît peu vraisemblable, il est incontestable qu’il finit par s’engager politiquement en faveur de la Cause huguenote à partir de 1567. Ainsi les Châtillon s’engagent-ils différemment dans la défense de la minorité calviniste. Si le cardinal s’investit essentiellement sur la scène diplomatique en devenant par exemple l’ambassadeur du parti huguenot en Angleterre entre 1568 et 1571, Gaspard de Coligny et François d’Andelot agissent principalement sur les champs de bataille. L’échec des armes les encourage alors à rechercher une plus grande sécurité pour leurs coreligionnaires tant en France qu’en Europe. Mais toutes ces formes d’engagement constituent un réel tournant dans les relations qu’ils entretiennent avec la Couronne. Leur situation se précarise ainsi au fur et à mesure que leurs engagements se radicalisent. Parce qu’ils sont donc regardés avec méfiance par la Couronne en dépit de leurs protestations de fidélité, les frères Châtillon s’efforcent de conserver les meilleures relations possibles avec Charles IX et Catherine de Médicis. Pendant près d’une décennie, ils mettent tout en œuvre pour les convaincre que les protestants comptent parmi leurs plus loyaux sujets. Aussi la Saint-Barthélemy, décision royale assumée de mettre à mort les chefs huguenots présents à Paris pour le mariage de leur chef Henri de Navarre avec Marguerite de Valois, constitue-t-elle donc une rupture fondamentale entre les huguenots et le roi, et plus particulièrement entre le roi et les Coligny.
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En trois générations seulement, les Coligny parviennent pourtant à recouvrer l’honneur, le prestige, l’autorité, la fortune et l’estime de la monarchie dont la nuit de la Saint-Barthélemy les avait si spectaculairement privé. Aussi la troisième et dernière partie de cette thèse est-elle consacrée à l’étude de cette « Reconquête » qui s’achève par l’inhumation de la dépouille de Gaspard IV de Coligny, arrière-petit-fils de l’amiral, dans la nécropole royale de Saint-Denis en février 1649. Lorsque le fils aîné de l’amiral, François de Châtillon, rentre de son exil suisse où il a pu échapper au massacre, il s’engage dans un bras de fer périlleux avec la monarchie pour restaurer l’honneur et la mémoire de son père et pour recouvrer les terres confisquées, les biens saisis et l’argent perdu par sa Maison depuis 1572. En partie satisfaites au début de la décennie 1580, ces exigences disparaissent et laissent place à un engagement plus politique en faveur des droits d’Henri de Navarre sur la Couronne de France. Il œuvre également pour que ce dernier se réconcilie enfin avec le roi Henri III. Cette recherche de l’estime de la monarchie française aboutit finalement à un repositionnement complet de la Maison de Coligny en 1621-1622. À cette date, Gaspard III de Châtillon (fils aîné de François de Châtillon) décide de quitter les rangs de l’armée huguenote pour se rallier définitivement au pouvoir royal, bien aidé il est vrai par son exclusion de tout commandement militaire prononcé par une assemblée réunie par son rival, le duc de Rohan. Les Coligny renouent alors progressivement avec la Couronne. C’est cette fidélité presque exclusive qui les (re)conduit peu à peu jusqu’au sommet de la faveur. Mais bien que devenu maréchal et duc et pair de France, Gaspard III de Châtillon refuse toute sa vie de se convertir. Dans le but de se conformer plus encore à ce que la Couronne attend d’un fidèle et loyal sujet et serviteur, et dans le but également de se rapprocher davantage de son mentor, le prince Louis de Bourbon-Condé, Gaspard IV de Coligny décide, lui, d’abjurer la foi calviniste au grand dam de ses parents. Cette première liquidation du « capital identitaire2 » des Coligny s’accompagne bientôt d’une seconde étape, lorsque ce même Gaspard IV de Coligny tente de convaincre le prince de Condé de porter les armes contre les troupes de ce cardinal Mazarin qui lui refuse si obstinément de nouvelles et prestigieuses charges dont il s’estime pourtant digne.
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À travers le double prisme de la notion d’engagement – défini comme un choix personnel défendu publiquement – et du concept de « capital identitaire » développé par Denis Crouzet, cette thèse se trouve au croisement de l’histoire de la noblesse, du protestantisme, des guerres de Religion et de l’affirmation de l’État royal en France au début de l’époque moderne. Sa publication est en projet.
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1. François Véron, Les Justes motifs de la conversion à la religion catholique du Marquis d’Andelot, fils de Monseigneur le Maréchal de Chastillon ; Représentez à la Royne Mere Regente, Paris : Louis Boulanger, 1643.
2. Ce concept permet d’appréhender tout un nombre de facteurs (la foi, les succès militaires, les rapports avec le pouvoir royal ou avec les princes du royaume, l’honneur ou encore l’auto-perception) qui constituent l’identité – au sens d’une caractérisation ou d’une définition – d’un lignage. Denis Crouzet, « Capital identitaire et engagement religieux : aux origines de l’engagement militant de la Maison de Guise ou le tournant des années 1524-1525 », dans Joël Fouilleron, Guy Le Thiec et Henri Michel (dir.), Sociétés et idéologies des Temps modernes. Hommage à Arlette Jouanna, Montpellier, Publications de l’université Paul-Valéry Montpellier- III, 1996, tome 2, p. 573-589. Ce concept a notamment été développé ensuite par Éric Durot, François de Lorraine, duc de Guise entre Dieu et le Roi, Paris : Classiques Garnier, 2013.