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Eugénie Bost, Femme de tête, de cœur et de foi, texte de son « Journal », établi, annoté et introduit par Gabrielle Cadier-Rey, Paris : Ampélos, 2016, 514 p.

Qui ne connaît John Bost, le fondateur des Asiles de La Force, réputés tant par leur ampleur que par leur modernité ? Mais qui connaît son épouse, Eugénie Meynardie-Ponterie ? Pourtant, sans son aide – tant par sa fortune que, surtout, par son labeur quotidien à ses côtés – John Bost ne serait probablement pas parvenu à mener à bien son entreprise.

Ce livre nous permet de faire connaissance avec elle et de bien mesurer l’importance de sa contribution à la mise sur pied, le développement, et la bonne marche des Asiles voulus par son mari. En effet, de janvier 1867 au 30 octobre 1881, date de la mort de ce dernier, elle rédige son Journal presque chaque jour. Et cet ouvrage nous en propose une édition quelque peu abrégée, accompagnée de nombreuses et fort intéressantes notes rédigées par Gabrielle Cadier – bien connue de nos lecteurs notamment pour ses travaux sur les femmes protestantes – qui identifient les principales personnes citées, et fournissent les renseignements nécessaires à une bonne compréhension. De fait, ce Journal montre à quel point le rôle d’Eugénie a été fondamental, non seulement lors des – nombreuses – absences de son mari, qui part souvent pour collecter des fonds en France et à l’étranger, mais aussi quand il est sur place, car il ne s’occupe guère des questions matérielles. Il met aussi en lumière l’amour qui unit John et Eugénie. En effet, en 1844 Jean-Antoine, dit John, Bost, devient le pasteur de l’Eglise libre de La Force. Comme il n’y a pas encore de presbytère, durant quatre ans il loge au domicile d’un homme fortuné propriétaire de près de 400 ha de terres cultivables, Pierre-François Meynardie de Ponterie-Escot (1784-1861). Il est le père de deux enfants – dont une fille née en 1834 et prénommée Eugénie –, auxquels J. Bost sert de précepteur. En 1849 celui-ci, qui a déjà fondé en 1848 un Asile, nommé « La famille évangélique », quitte cette vaste demeure pour s’installer dans le presbytère de La Force et il déploie une grande énergie pour en créer deux nouveaux, Béthesda (1855) et Siloé (1858). Mais ce qu’on appelait alors « un tendre sentiment » s’était établi entre les deux jeunes gens. Pourtant son père s’oppose à leur union, parce qu’il « craignait de voir le domaine familial dilapidé en constructions, charitables certes, mais terriblement dispendieuses » (p. vii). Cependant, sur son lit de mort il consent à leur mariage, célébré trois mois plus tard, en juillet 1861.

Que trouve-t-on dans ce Journal ? C’est, tout d’abord, un témoignage sur la vie d’une famille protestante de province, assez exceptionnelle, il est vrai. Elle est fortunée, mais elle ne cherche nullement à jouir de cette fortune en menant une vie oisive. Au contraire – et sans qu’elle ne s’en explique de façon directe dans son Journal – il est clair qu’Eugénie n’hésite pas à utiliser l’argent dont elle a hérité pour aider son mari à accueillir dans des

Asiles – au nombre de neuf au total – « au nom du Maître tous ceux qui étaient rejetés » (comme l’a écrit John) en particulier des handicapés physiques et mentaux. Et à plusieurs reprises, ce Journal laisse deviner qu’elle renfloue les caisses quand c’est nécessaire. De plus, il est clair que c’est avec elle que traitent intendants et fournisseurs.

Ce Journal est très vivant car Eugénie y consigne sa vie au jour le jour. Elle mentionne aussi bien ses préoccupations spirituelles, que la vente d’un cochon, les études des enfants, les problèmes de tel ou tel Asile, la visite impromptue d’un ami ou ses relations, pas très simples, avec sa mère. Evidemment, tout ce qui concerne la gestion de son domaine tient une grande place, car c’est elle la gestionnaire. Cela nous vaut de nombreux détails pittoresques et montre qu’elle y consacre une grande partie de son temps, d’autant plus – par exemple – qu’elle doit tenir table ouverte, car elle ne sait jamais combien son mari ramènera d’invités, connus ou inconnus. Par ailleurs, et bien qu’elle n’ait pas de fonctions officielles dans la gestion des Asiles, elle fait fonction de directeur-adjoint et elle inspecte ces Asiles presque chaque jour. De plus, les continuelles difficultés financières de ceux-ci sont pour elle un sujet permanent de préoccupations ; elles lui imposent aussi de nombreuses visites, une très vaste correspondance ainsi qu’une grande fatigue, dont elle s’ouvre dans son Journal. De fait, à la lecture de ce texte on se demande ce que John aurait pu faire sans elle, sans son soutien affectif certes, mais aussi et sans l’énorme labeur qu’elle abat chaque jour, tout en restant dans l’ombre. Evidemment, il est aussi très souvent question de ses enfants et son texte montre tout l’amour dont elle les entoure ; elle veille, ainsi, avec une grande attention à leur éducation, qui lui cause bien des tracas. Il nous fait, également, prendre conscience de l’amour qui l’unit à son mari, où se rejoint leur commune foi en Dieu. Car la religion est très souvent présente dans ce Journal, non seulement dans ses aspects extérieurs (assistance au culte, etc.) mais aussi dans ses aspects personnels. On mesure, aussi, que la vie avec un homme tel que John Bost est loin d’être facile car il a, de toute évidence, un caractère difficile et qu’il est aussi de santé fragile. Eugénie en souffre et cela transparaît parfois dans son Journal, en particulier au début de l’année 1871 lorsque leur couple connaît une véritable crise de confiance qui l’affecte profondément. Elle écrit, par exemple : « la grande tristesse est revenue et John me tient à grande distance » (p. 106) ; « John toujours bien froid avec moi [...] je n’y puis rien comprendre » (p. 106) ; « il [John] a été violent, il a je crois, dépassé ce qu’il avait le droit de dire » (p. 107), etc. Certes, il s’agit là d’une crise et telle n’est naturellement pas la tonalité générale du Journal. Il reste que pour Eugénie Bost la vie est loin d’avoir été un long fleuve tranquille.

Notons que ce Journal, très long, a été abrégé, G. Cadier précisant qu’elle a choisi de « privilégier la femme de cœur, aimante, dévouée, toujours inquiète pour la santé des siens […] la femme de foi qui confie à Dieu sa route » (p. xiv).

André Encrevé