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Michel CHAUMET, Edmond Proust, MAIF, résistance : ses combats pour la liberté, La Crèche [Deux-Sèvres] : Geste éditions, 2016, 198 p.

Bien connu pour ses travaux sur le Poitou, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale1, Michel Chaumet nous offre aujourd’hui un ouvrage sur un homme qui a marqué l’histoire du sud des Deux-Sèvres mais dont le nom est souvent ignoré de nos compatriotes. Pourtant Edmond Proust n’est pas seulement l’un des principaux fondateurs de la Mutuelle des assurances automobiles des instituteurs de France en mai 1934 ; il en est surtout dès 1935 le président (jusqu’en 1956), son principal organisateur et celui qui en assure le succès. C’est lui qui l’installe à Niort, lui consacre toute son énergie et permet à cette modeste mutuelle (lors de sa fondation elle compte 301 sociétaires) cernée par les assurances privées et mise en péril par l’amateurisme de certains de ses fondateurs, de s’affermir, de se développer pour devenir enfin un acteur majeur du secteur de l’assurance (3 millions de sociétaires aujourd’hui). Par ailleurs, pendant la Seconde Guerre mondiale, il est aussi un grand résistant, chef départemental de l’Armée secrète.

C’est donc la vie de cet homme particulièrement actif et déterminé, dont aux dires de ses condisciples le trait de caractère essentiel est «l’opiniâtreté » (p. 21). Le tient-il de ses ancêtres protestants ? je ne sais, mais sous l’Ancien régime les autorités qualifiaient volontiers les huguenots d’opiniâtres... Il naît le 20 octobre 1894 à Chenay, petit village de 1 025 habitants — dans ce sud des Deux-Sèvres si fortement marqué par le protestantisme — dans une famille de paysans, et il est issu d’une lignée de protestants installés depuis des siècles dans les villages alentours. Tout laisse penser qu’il a été baptisé par le pasteur et qu’il a suivi une instruction religieuse protestante. Toutefois l’auteur précise qu’il n’est 609pas parvenu à trouver des renseignements précis sur sa jeunesse et donc sur son éventuelle éducation religieuse, ou celle de son épouse (originaire du hameau de Loubigné, dont la grande majorité des habitants sont alors réformés, il ne serait pas surprenant qu’elle le soit aussi, mais sa confession d’origine n’est pas indiquée). De plus, M. Chaumet ignore le degré d’attachement d’Edmond Proust au protestantisme institutionnel. Il écrit à ce propos : « Tout juste peut-on supposer que le fait de naître dans une famille et une région protestante a pu favoriser chez lui la naissance d’idées progressistes associées à la conviction que l’éducation sert l’épanouissement individuel et le progrès social » (p. 17). Chemin faisant on note, certes, des éléments qui peuvent le rattacher au protestantisme, par exemple dans les années 1930 il est membre de l’association pacifiste « La paix par le droit » qui sans être ouvertement protestante a été fondée à Nîmes par des protestants. Il reste qu’il semble bien être devenu libre-penseur (p. 32), à une date qu’il est impossible de préciser. Cependant, c’est bien la vie et les combats d’un homme dont l’enfance et la jeunesse ont été marquées par le protestantisme que ce livre retrace à l’aide d’une étude très sérieuse de sources originales, souvent inédites, qui éclairent de façon neuve l’action d’E. Proust, tant à la MAAIF que dans la Résistance.

D’origine modeste, Edmond Proust suit la filière classique à l’époque pour les enfants qu’on estime doués pour les études : après l’école primaire à Chenay, il va au « cours complémentaire » du chef-lieu de canton (La Mothe-Saint-Heray) et enfin l’Ecole normale d’instituteurs de Parthenay. Mais il a 20 ans en 1914 ; mobilisé, blessé en 1915, il termine la Guerre avec le grade de sous-lieutenant et la Croix de guerre. En septembre 1919, il est nommé instituteur dans le village de Saivres (dont un tiers des habitants sont protestants). Il s’y montre un enseignant exigeant et très efficace. De plus, particulièrement actif, il est un « militant dans l’âme » : syndicaliste, homme de gauche (dans les années 1930 il est le secrétaire général du comité départemental du Rassemblement populaire), membre de la Ligue des droits de l’homme, de la Fédération des officiers de réserve républicains, etc. Toutefois, à partir de 1934, il consacre « une bonne partie de son temps et de son énergie à la création d’une mutuelle d’assurance automobile pour ses collègues instituteurs » (p. 40). Et l’ouvrage explique fort bien les raisons de la fondation de cette mutuelle et, surtout, les luttes initiales d’E. Proust contre certains de ses premiers promoteurs, Fernand Braud en particulier, dont l’amateurisme a bien failli faire capoter l’entreprise. Il suit aussi l’affermissement de la mutuelle, l’aide du Syndicat national des instituteurs, les difficultés nombreuses qu’affrontent ces hommes que leur formation n’a pas préparé à la gestion d’une telle entreprise, d’autant plus que certains sociétaires ne partagent pas leur idéal « mutualiste ». Cependant, en 1940 la partie semble gagnée, puisque la mutuelle compte 35 000 adhérents. Arrive alors l’épreuve de la guerre, tandis qu’E. Proust, à peine libéré de son camp de prisonniers, s’engage dans la Résistance. Et M. Chaumet décrit ses activités clandestines, les risques qu’il prend, mais aussi les luttes internes qui divisent les résistants. Ainsi, par exemple, il montre bien qu’Edmond Proust est certes hostile au communisme pour des raisons morales (p. 17), mais aussi qu’il estime nécessaire de travailler avec les communistes pour combattre les nazis.

Au total, une biographie claire, très bien informée, sur un homme de gauche d’origine protestante, militant réaliste et efficace.

André ENCREVÉ

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1. Voir, en particulier, le compte rendu de son livre (co-écrit avec Jean-Marie Pouplain) La Résistance en Deux-Sèvres, dans le Bulletin de la SHPF, 2012, p. 811.