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Alain Cabantous, François Walter, Noël. Une si longue histoire, Paris : Payot, 400 p., illustrations.

Alain Cabantous (avec François Walter cette fois-ci) reprend la démarche qui fut la sienne dans L’histoire du dimanche » : étudier comparativement, dans le temps et l’espace 604 européen, un sujet à la fois social et religieux. Pourquoi et comment fête-t-on Noël ? Quels sont les permanences et les changements ? Cette fête semble tellement ancrée dans nos habitudes socio-culturelles, avec ses rites codifiés, que l’on a peine à concevoir qu’il n’en a pas toujours été ainsi et qu’elle ait donné lieu à de nombreux débats.

Et d’abord cette date du 25 décembre qui s’est imposée chez les chrétiens au ive siècle, sauf chez les orthodoxes qui célèbrent plutôt l’Epiphanie. Pour tenter d’expliquer cette date, deux hypothèses principales se recoupent. Ou bien la célébration de la naissance du Christ aurait pris la suite de celle du Dies Natalis Solis invicti. Ou bien, toujours pour profiter du symbolisme cosmique et du solstice, le pape Libère aurait choisi cette date comme contre-fête du culte solaire. L’Eglise aurait fixé les grandes dates chrétiennes de manière arbitraire, pour qu’elles coïncident avec d’importantes fêtes païennes qui sont d’ailleurs elles-mêmes souvent liées aux cycles cosmiques. Mais théologiens et historiens de l’Antiquité ne sont guère d’accord. Au cours des siècles, certains ont considéré Noël comme la fête chrétienne la plus importante, la préparant par un temps de jeûne, d’où l’importance du repas au retour de la messe de minuit, en plus de la grand’messe du 25. Les protestants, eux, ont eu des attitudes variées qui vont de l’interdiction totale du culte dans certains cantons suisses, à la célébration de la Sainte Cène dans d’autres.

Même si la célébration de Noël ne s’est imposée que lentement avant l’An Mil, elle a toujours été instrumentalisée par le pouvoir. Que l’on songe à Charlemagne se faisant couronner empereur le 25 décembre 800. Ou aux Médicis s’identifiant aux rois mages sur une célèbre fresque de leur palais florentin. Rois et empereurs présidaient à des parades urbaines, à des festivités populaires les 24/25 décembre ou les 5/6 janvier.

Qui croirait aujourd’hui, alors que la fête de Noël (ou au moins ses signes extérieurs de consommation) s’est répandue dans le monde entier, même dans des pays non chrétiens, qui croirait que, sous la pression des Réformateurs, elle aurait pu disparaître ? En effet les Réformateurs ont lutté contre « l’observation superstitieuse des jours, l’esclavage du calendrier » et ils ont affirmé que tous les jours étaient saints pour servir à la gloire de Dieu. Et Calvin de traiter de « bestes, voire de bestes enragées », les fidèles plus nombreux venus au culte le 25 décembre 1550 ! Les Réformateurs n’ont pu supprimer les fêtes religieuses qu’un temps, car ils ont dû compter sur l’enracinement des habitudes des populations. Il faut attendre 1788 pour que la Compagnie des Pasteurs de Genève adopte, pour ce jour, une liturgie spécifique. Néanmoins, il semble que dans certains milieux évangéliques du Réveil, ce jour de Noël n’ait pas été spécialement célébré, ainsi dans la famille de John Bost, comme le montre le Journal de son épouse.

Les révolutions, elles aussi, ont attaqué la célébration de Noël, comme en France, pendant la période de déchristianisation (1793-1794), en fermant les églises et en changeant de calendrier. Mêmes méthodes en Russie où il faut attendre 1991 pour que la fête soit célébrée officiellement et sans contrainte. Le pouvoir nazi, lui, a détourné les symboles chrétiens de Noël pour les remplacer par des références germaniques et nordiques. À partir de 1937, la photo du Führer, nouveau rédempteur, remplace le Christ. Les paroles des chants traditionnels ont été changées et les messages chrétiens de Noël ont disparu. La célébration de Noël subit aussi les assauts, en France, de la Libre-Pensée et de divers cléricaux (1880-1914), puis des communistes dans les années 1920 à 1936. Depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est l’inverse ! C’est au nom des valeurs chrétiennes qu’est attaquée la marchandisation de la fête de Noël et l’on se souvient de ce Père Noël qui avait été pendu en effigie aux grilles de la cathédrale de Dijon...

605 La fête de Noël aujourd’hui réunit un certain nombre de rites ou d’habitudes, religieux ou laïcisés, qui se sont succédés ou accumulés au cours des siècles. Le sapin est de nos jours quasi incontournable. Il a une origine allemande essentiellement protestante (la légende fait de Luther son inventeur). À l’occasion des cultes, les fidèles décoraient les temples et quelquefois les églises de branchages. Le sapin était le plus utilisé car il permettait de jouer sur les symboliques multiples que revêt l’arbre, image de la régénération espérée au cœur de l’hiver. C’est à Sélestat, en 1521, que l’on a la trace du premier sapin installé dans un temple. Le sapin s’impose dans l’Europe luthérienne au xixe siècle. En France, il est courant, pour son origine, de se référer à la duchesse d’Orléans, née Hélène de Mecklembourg. Mais vingt ans après il est encore peu répandu ; le premier arbre de Noël, à l’Oratoire, est dû, en 1855, à une jeune fille suisse, sœur du suffragant d’Adolphe Monod, pour les élèves des écoles du dimanche... Et, dans la famille Bost, comme chez les Reclus, le sapin, quand il y en a un, est préparé pour le 1er janvier et lié à la distribution des étrennes. La couronne de l’Avent, avec ses quatre bougies, serait une initiative des Frères Moraves. Aux Etats-Unis, vers 1900, 20 à 25 % des Américains dressaient un arbre de Noël, aujourd’hui, c’est plus de 80 %. En France, l’installation de sapins aussi bien dans les lieux publics que dans les écoles de la République montre sa complète laïcisation, ce qui n’est pas le cas des crèches.

La crèche, dans le monde catholique, a dû débuter sous forme de tableaux vivants, dans des églises ou couvents, puis a gagné les milieux aristocratiques, avant de se populariser sous des formes miniaturisées. La première crèche mentionnée serait celle de 1562 dans l’église des jésuites à Prague. La vue n’est pas le seul sens concerné. Il existe une musique de Noël, airs populaires (Christmas Carols, cantiques encore chantés aujourd’hui), et une musique savante. Entre le xviie et le xxe siècle, l’auteur a repéré au moins 36 compositeurs et une quarantaine de pièces. Au cours des xviie et xviiie siècles, la prépondérance des compositeurs germaniques et luthériens est flagrante. La littérature noélique, elle, s’est développée au cours du xixe siècle et plusieurs grands écrivains y ont participé. Dickens en est le prototype – Christmas Carol –, associant Noël au temps de « l’innocence joyeuse de l’enfance, de la chaleur humaine, de la charité et de la régénération morale ». Dans certains contes d’Andersen également, on trouve dans des histoires édifiantes le heurt entre la convivialité et la solitude, la fête et l’abandon. Le Réveil qui se caractérise par la montée de références émotionnelles est ici illustré par l’œuvre de Friedrich Schleiermacher et notamment son texte de 1805, « La fête de Noël, une conversation ». Il y décrit ce qui va devenir la norme des Noëls européens pendant un siècle et demi, le rituel de la fête bourgeoise familiale : les enfants qui attendent derrière la porte, les portes qui s’ouvrent et chacun entre dans la pièce où trône le sapin illuminé. Distribution des cadeaux, lecture de la Bible, chants de Noël, cantiques. Ce cérémonial fixe les éléments du « Noël allemand » qui se diffusera à travers l’Europe.

Quant aux cadeaux, nous avons assisté à toute une évolution. Au départ, il s’agit d’étrennes, destinées aux enfants et aux domestiques, éventuellement à des adultes pauvres. Cadeaux codifiés, des supérieurs aux inférieurs. Ces étrennes sont distribuées au 1er janvier. C’est tardivement que se fera le déplacement vers le 25 décembre. Et avec lui, l’apparition du distributeur de cadeaux variant selon les régions et les époques. Chez les luthériens, les étrennes d’abord distribuées par Saint Nicolas vont l’être par le Christkind, l’enfant Christ qu’il ne faut pas confondre avec l’enfant Jésus de la crèche, Saint Nicolas résistant dans les pays catholiques du sud. Mais peu à peu, doublant puis éliminant Saint Nicolas (et le Christkind), le Père Noël, image séculière, va s’imposer, avec son traineau tiré 606 par des rennes, chargé de joujoux. À partir des premières années du xxe siècle, c’est cette image que véhicule la publicité et qui s’imposera peu à peu dans les familles.

Le Père Noël est un élément de ce que l’on peut appeler le paysage noélique, tel que le diffusent les cartes de vœux (la première date de 1843). C’est la transformation d’une liturgie en une fête syncrétique (la neige, le froid, le houx et le gui, le sapin, l’étoile, quelquefois des scènes religieuses ou folkloriques) qui, par la mondialisation s’impose partout, même dans des familles ou des pays non chrétiens. Noël, dégagé de ses marqueurs chrétiens, est devenu une fête globale qui, grâce au développement de la consommation et aux différents medias (notamment le cinéma), concerne quasiment toute la planète, sans égard pour les cultures d’origine. Les marchés de Noël ont remplacé les foires d’autrefois et le tourisme s’en est emparé. Mais que reste-t-il d’authentique ? L’évolution contemporaine a gommé les aspects religieux. Le repas (plantureux) et la distribution des cadeaux sont devenus les moments clés de la fête. Aujourd’hui Noël est présenté comme la fête de la famille et cela, nouvelle contradiction, au temps des familles désunies et recomposées et de la solitude de tant de gens...

Gabrielle Cadier-Rey