Pauline Duley-Haour, Désert et Refuge : sociohistoire d’une internationale huguenote. Un réseau de soutien aux « Églises sous la croix » (1715-1752), Paris : Honoré Champion, 2017, 502 p.
Pauline Duley-Haour offre ici un beau livre qui s’appuie sur des sources inédites, offertes par la correspondance d’Antoine Court, pour tenter de comprendre comment s’organise, à travers l’Europe (une Europe bien entendu protestante : Suisse, Provinces-Unies, Grande-Bretagne, Suède, Danemark), l’aide aux Eglises réformées françaises en pleine reconstruction après la révocation de l’édit de Nantes. La chronologie recoupe ce que l’historiographie appelle le « premier Désert » et l’auteure précise justement sa méthode en fonction de ses sources en réalisant deux sondages chronologiques : 1715/25 (soit les débuts de la réorganisation des Eglises avec la rencontre des Montèzes qui reste fondatrice) et 1740/1752 (ce que Pauline Duley-Haour considère comme « l’apogée du réseau » dans l’immense correspondance d’Antoine Court). La méthode est en effet judicieuse et salutaire pour permettre une telle recherche alors que l’historienne annonce plus de de 7 000 lettres dans la correspondance de Court, complétées par des archives du Comité genevois pour le protestantisme français, des actes des Eglises wallonnes ainsi que d’autres correspondances.
L’enquête s’ouvre par une partie intitulée « Reconstruire sur les masures des temples », dont l’objectif est d’analyser la mise en place de l’entraide protestante. L’intérêt de ce premier volet est de comprendre comment les « pupilles » – les Eglises retombées en enfance – vont être secourues par les « tuteurs » – les membres de la diaspora huguenote correspondant avec Antoine Court – et quels sont les arguments utilisés par les uns et par les autres pour développer une entente mutuelle dans un temps de crise identitaire. Les fondements théoriques de la reconstruction des Eglises, adossés à la tradition huguenote du respect des autorités et de l’ordre ecclésial, assurent lentement l ’adhésion d’un réseau européen à la cause huguenote. Pauline Duley-Haour le montre parfaitement, en insistant de manière fine sur la stratégie épistolaire des différents correspondants. Ainsi, on ne peut qu’être sensible aux analyses lexicales de la rhétorique d’opposition, aux très belles pages sur la langue de Canaan, aux arguments théoriques métaphoriques mêlant au cœur de l’argumentaire religieux « Lumignon », « nageur à contre-courant », bataille et sport.
La seconde partie du livre, « Un réseau à l’œuvre », s’ouvre sur des résultats dans un temps où le réseau n’est plus en voie de constitution mais en plein fonctionnement puisque ce sont les années 1740/1752 qui intéressent. L’absence de comptabilité centralisée et régulière rend difficile l’analyse de l’aspect financier de l’entraide ; en revanche, la stratégie épistolaire autour de la question de la publicité-publication/secret des actions de l’« internationale huguenote » est clairement posée. On y voit l’ambiguïté et la difficulté de toute activité clandestine autour d’une articulation complexe entre la nécessité d’informer et l’impératif de rester discret. À partir des années 1740, un des objectifs des épistoliers est en effet de convaincre les autorités françaises de la nécessaire refonte de la légalisation qui concerne les huguenots car la restructuration des Eglises n’est plus la seule action à mener. Il faut également retrouver une légitimité du culte et une reconnaissance civile. L’étude de la correspondance révèle alors l’importance vitale de « réclamer [des] droits et [des] libertés », en particulier en espérant l’aide des puissances étrangères, ce qui ne va pas toujours de soi, notamment en période de guerre. On retrouve ici un écho de ce qui est au cœur de l’histoire du second xviiie siècle huguenot, caractérisée par les tentatives de reconquête de droits anéantis par la révocation de 1685. L’étude des pistes envisagées pour parvenir à se faire entendre du roi occupe alors l’auteure, en particulier autour de la question de l’Apologie de Court, ouvrage finalement publié en 1745.
Voici donc livre qui montre fort bien, à travers l’étude d’une correspondance à l’échelle européenne ou d’ouvrages de défense de l’Eglise, à quel point l’écrit a été un moteur central de la reconstruction et de la résistance huguenote du dernier siècle d’Ancien Régime.
Céline Borello