Book Title

La formation
de la « tradition judéo-chrétienne » en France.

Entre exégèse critique de la Bible, institutionnalisation du
pluralisme religieux et construction de la laïcité républicaine

Joël Sebban

Postdoctoral Fellow au Department of Near eastern languages
and civilizations à Harvard University
Prins Foundation Fellow au Center for Jewish History

L’expression « morale judéo-chrétienne » est volontiers convoquée dans le langage quotidien autour de questions de mœurs. La véhémente critique de Nietzsche à la fin du xixe siècle, puis la « révolution sexuelle » des décennies 1960-1970 en ont fait l’incarnation même de l’interdit. C’est sous la figure de la culpabilité jetée sur les corps et les âmes que cette notion semble s’ancrer dans notre vocabulaire : la lutte contre la morale judéo-chrétienne prendrait alors place dans ce grand mouvement d’émancipation des esprits, tracé par les philosophes des Lumières, qui libère l’homme de la toute-puissance des récits révélés. La morale judéo-chrétienne ne serait en somme qu’une version remaniée, pure de tout soupçon d’antisémitisme, d’une morale chrétienne conservatrice1.

La généalogie – ou la genèse2 – de la morale judéo-chrétienne que nous allons relater est autrement plus complexe. La morale judéo-chrétienne n’est pas une morale chrétienne conservatrice remise au goût du jour qui, nous dit-on, devrait sa fortune à la lutte contre l’antisémitisme nazi, puis contre le communisme dans le monde de la « guerre froide3 ». Elle n’est pas davantage un simple artifice de langage qui permet aux consciences chrétiennes d’occulter, par la grâce d’un trait d’union, la douloureuse question des liens entre l’antijudaïsme théologique et l’antisémitisme racial aux lendemains du génocide juif.

On parle couramment de « tradition judéo-chrétienne » et ce dernier terme rend davantage compte de l ’épaisseur historique de cette notion que celui de morale. Une tradition naît, est inventée comme toute autre tradition, nous dirait Eric Hobsbawn4 ; elle se nourrit d’un patrimoine de symboles, de rites, d’une mémoire et d’un langage propres. L’exploitation politique contemporaine de la tradition judéo-chrétienne, des deux côtés de l’Atlantique, n’est finalement qu’un formidable témoignage de son enracinement dans les cultures occidentales. Il est d’ailleurs tout à fait significatif de constater que, malgré les multiples critiques portées à son encontre, en particulier au sein du monde juif, la tradition judéo-chrétienne n’en continue pas moins d’être couramment invoquée en Europe et aux Etats-Unis. Dès 1969, l’écrivain américain Arthur A. Cohen dénonce avec fracas ce qu’il appelle le « mythe de la tradition judéo-chrétienne5 ». La référence à la tradition judéo-chrétienne porterait l ’empreinte de cette vision dégradante du judaïsme, transmise à la fois par la théologie chrétienne et par la philosophie des Lumières6, qui lui confère la seule dignité de « figure », d’annonce de la religion chrétienne.

Il demeure que le « mythe » a une étonnante persistance. La tradition judéo-chrétienne n’est pas seulement une réalité américaine comme une historiographie anglo-saxonne, longtemps seule à se pencher sur la question, l’a affirmé. Des travaux récents ont montré à quel point cette notion avait été centrale entre 2003 et 2005 dans les débats sur le traité constitutionnel européen, en particulier au moment de la rédaction de son préambule qui s’attelait à définir les valeurs européennes. La référence à la tradition judéo-chrétienne avait été fustigée par ses détracteurs comme le retour à une vision prioritairement chrétienne de l ’Europe et le présage d’une fermeture à des cultures religieuses qui ne sont ni juive ni chrétienne, en particulier à l’islam7. Quelle que soit l’intention réelle des promoteurs d’une telle notion à ce moment, identifier la tradition judéo-chrétienne à un rappel, même très lointain, de l’Europe chrétienne est occulter sa modernité radicale.

Si celle-ci a encore aujourd’hui tant de force, c’est qu’elle exprime davantage qu’un enracinement dans une foi particulière. La tradition judéo-chrétienne est perçue, par ses partisans, comme la source de l’État de droit, des valeurs de liberté, d’égalité, de la démocratie en tant que telle, de tous ces concepts qui fondent l ’unité européenne au regard des rédacteurs du traité constitutionnel. C’est également ce qu’expriment les chrétiens conservateurs américains lorsqu’ils invoquent cette tradition : ils ne font plus référence à une identité européenne, mais à un « exceptionnalisme américain » qui lierait, de manière consubstantielle, les principes judéo-chrétiens aux valeurs des Pères fondateurs de la nation8.

La modernité du trait d’union : « judéo-chrétien », pas «. hébraïsme »

Il nous faut comprendre comment cette tradition judéo-chrétienne a pu se former et faire corps avec les valeurs libérales et démocratiques, avant d’être appropriée par différentes formes de nationalisme sur le vieux et le nouveau continent. Le terme de judéo-christianisme est introduit dans les années 1830 comme une simple catégorie de l’exégèse biblique au sein du protestantisme libéral allemand : le théologien Ferdinand Christian Baur, très influencé par la dialectique historique hégélienne, distingue, au sein de l’Église naissante, une Église judéo-chrétienne, attachée à la stricte observance des lois hébraïques, et une Église pagano-chrétienne, désireuse de s’ouvrir au monde non-juif9.

Mais nul ne songe alors à faire du judéo-christianisme le fondement spirituel d’États-nations en construction, et encore moins d’une « civilisation occidentale » qui se veut à l’avant-garde de l'histoire humaine. Il n’est qu’un particularisme religieux zélé, un culte servile de la loi contre lequel s’érige le noble universalisme paulinien. Et pourtant, un siècle plus tard, dans l’entre-deux-guerres, lorsque les premières associations de dialogue judéo-chrétien voient le jour en Europe et aux Etats-Unis, certaines d’entre elles opposent la « civilisation judéo-chrétienne », qualifiée de « libérale », face aux « néo-paganismes » nazi et communiste.

Cette rhétorique est très diversement évoquée selon les pays. Ce n’est qu’en France et aux Etats-Unis que les valeurs judéo-chrétiennes se placent véritablement au cœur du dialogue interreligieux : celles-ci y sont présentées comme l’incarnation, l’accomplissement même, des principes libéraux de la nation tout entière. La première association américaine de ce type est créée en 1927 et prend le nom de National Conference of Christians and Jews (« Conférence Nationale des Chrétiens et des Juifs ») : on y célèbre l’« Amérique aux trois religions » (Tri-Faith America) et la tradition judéo-chrétienne qui en constituerait le socle10. En France, apparaît en 1936 l’union civique des croyants qui défend l’« inspiration judéo-chrétienne » de la civilisation française11. Nulle part ailleurs le dialogue judéo-chrétien ne porte une telle dimension civique dans l’entre-deux-guerres.

En Autriche, par exemple, la catholique Irene Harand, l’auteur d’un tonitruant Sein Kampf (« Son combat ») en 1935 en réponse au Mein Kampf d’Hitler, ne fonde pas une association interreligieuse à proprement parler. Son mouvement, Weltbewegung gegen Rassenhass und Menschennot (« Mouvement mondial contre la haine raciale et la souffrance humaine »), se veut international avant d’être national. Harand s’oppose à l’antisémitisme nazi en tant que catholique, mais certainement pas au nom de convictions libérales et d’une civilisation judéo-chrétienne qui en serait le fondement : elle se fait un soutien fidèle du régime autoritaire et corporatiste du chancelier Dollfuss qui se réclame à la fois de la doctrine sociale de l’Eglise et de la culture plurinationale de la Vienne des Habsbourg12.

En Angleterre, patrie du libéralisme, se constitue en 1927 une Society of Jews and Christians qui défend, dans une certaine mesure, le pluralisme religieux. Celle-ci ne se présente néanmoins pas comme nationale. Anne Summers, qui a consacré une étude à ce groupement, nous en donne la raison fondamentale : elle tient à l ’inégalité de statut entre l ’Eglise anglicane, Eglise établie dont le Gouverneur suprême est le souverain du royaume, et les autres religions, en particulier la seule religion non chrétienne, la religion juive13. Il aurait alors été inconcevable de placer sur le même plan l’église anglicane et le judaïsme et de faire de cette égalité des cultes le symbole de l’unité de la nation.

La thèse d’une origine anglaise de la tradition judéo-chrétienne a été avancée par Mark Silk dans un article pionnier sur l’origine de cette notion aux États-Unis. L’historien en retrouve les prémices dans l’essai Culture and Anarchy du poète anglais Matthew Arnold, paru en 1869, où l’« hébraïsme » et l’« hellénisme » sont définis comme les « deux grandes disciplines spirituelles de l’Occident14 ». Mais se référer à une tradition hébraïque comme le fait Arnold et évoquer une tradition judéo-chrétienne n’est pas la même chose : il y a un saut qualitatif entre ces deux notions.

Arnold cherche à retracer les deux grands courants qui ont contribué à forger la culture anglaise de son temps. Lorsqu’il définit l’hébraïsme dans les termes d’une stricte discipline éthique personnelle, il songe aux réformateurs puritains britanniques des xvie et xviie siècles dont certains avaient émigré vers les colonies d’Amérique. Son « hébraïsme » témoigne bien d’une nette insistance, au sein du monde protestant, sur l ’Ancien Testament, mais il se passe des juifs contemporains et de la lecture que ceux-ci pouvaient donner de la Bible juive comme du Nouveau Testament.

La tradition judéo-chrétienne marque, en revanche, la reconnaissance d’une intégration des juifs, et plus encore de la religion juive, dans l’État et dans la société. Certes, la vision qu’elle nous donne du judaïsme est biaisée : celui-ci s’y trouve réduit à l’Ancien Testament des chrétiens. Le Talmud, cette Bible orale, indispensable contrepartie de la Bible écrite dans le judaïsme rabbinique, est largement ignoré. Il en est de même des différences entre les canons bibliques des deux religions qui modifient grandement l’intelligibilité du texte – le judaïsme n’est ni ancien, ni testament, selon une formule de Martin Buber15.

Mais cela ne signifie nullement que les juifs n’ont pris aucune part à la construction de la tradition judéo-chrétienne. La réflexion juive moderne sur les Évangiles, la société et les Églises chrétiennes y a joué un rôle fondamental. Les juifs d’Europe ou d’Amérique, qu’ils cherchent à parfaire leur émancipation au sein de nations chrétiennes ou à l’encourager, ont eu également tendance à mettre davantage en avant leur attachement à la « Bible écrite », commune aux deux religions, qu’à la littérature talmudique16.

La tradition judéo-chrétienne n’est, en définitive, pas plus spécifique à un monde protestant qui a rendu la lecture de l’Ancien Testament toute familière à ses fidèles qu’elle n’est catholique ou juive. Transcendant ces clivages, elle se rattache à une construction particulière du « religieux » et du « séculier » au sein des Etats-nations dont l’émancipation du judaïsme, en tant que religion, est l’un des traits fondamentaux : celle-ci sépare les Eglises de l’Etat et tend ainsi à établir une égalité entre les cultes juif et chrétiens au regard d’un pouvoir politique qui incarne la souveraineté nationale.

Un «paradigme confessionnel»

C’est bien parce que ces deux républiques, la française et l’américaine, ont progressivement instauré un régime de séparation entre les Eglises et l’Etat que les premières associations judéo-chrétiennes de ces deux pays ont pu voir en la tradition judéo-chrétienne le fondement religieux du « génie national ». Ses membres juifs et chrétiens promeuvent davantage que cette égalité des droits accordée aux juifs pour la première fois par les révolutionnaires français et américains à la fin du xviiie siècle. Ils voient dans l’égalité entre leurs religions respectives, fût-elle inachevée et d’ordre purement institutionnel, le symbole de la construction de l’identité républicaine de leur nation. La célébration du pluralisme religieux renvoie directement à celle du pluralisme libéral et démocratique.

Les valeurs judéo-chrétiennes dont se réclament ces associations trouvent leur origine dans la lente construction institutionnelle d’un Etat séculier, séparant les Eglises de l’Etat, et dans la réévaluation théologique et exégétique des doctrines juive et chrétienne qui l ’accompagne. ce sont, en d’autres termes, les sources séculières de la tradition judéo-chrétienne qu’il nous faut retracer et le champ est immense. Le dialogue interreligieux n’est que le point de cristallisation d’une redéfinition bien plus large des relations entre l’Etat-nation et les communautés religieuses.

La séparation des Eglises et de l’Etat est le produit d’un processus séculaire, en France et aux Etats-Unis, qui remonte à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle et qui n’a rien de linéaire. Il y a loin, en effet, entre les décisions séparationnistes de la Cour suprême dans la seconde moitié du xxe siècle et le premier amendement de la constitution américaine qui interdit l’établissement d’une religion au seul niveau fédéral. De la même manière, la grande loi républicaine de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, incarnation de la laïcité républicaine française, est indissociable d’une évolution amorcée sous les régimes politiques précédents. Cette loi met fin au « système des cultes reconnus », pour reprendre l’expression classique de Jean-Marie Mayeur, initié sous le Consulat et le Premier Empire17. Mais, elle est aussi l’héritière de cette législation antérieure sur les cultes qui avait refusé tout régime de religion établie ou de religion d’État et mis progressivement au même plan les Églises chrétiennes et la Synagogue.

En 1807, Napoléon réunit un « Grand Sanhédrin » qui a pour objectif de démontrer la compatibilité entre le judaïsme et le patriotisme français, six ans après avoir reconnu le catholicisme et les confessions protestantes luthérienne et réformée en tant que cultes par la loi du 8 avril 1802. Le système des cultes reconnus fait des religions juive et chrétienne des institutions de droit public dont la mission est prioritairement civique. Cette conception trouve son origine dans la philosophie des Lumières qui met en avant le critère de l’utilité sociale de la religion et dans le gallicanisme politique, érigeant l’État en garant de l’unité spirituelle de la nation18. La relation traditionnelle entre la foi et la morale, entre la doctrine et la pratique s’y trouve renversée. Le catholicisme est reconnu comme un fait majoritaire, non comme « vérité officielle », ainsi que cela était le cas sous l’Ancien Régime.

L’unité qui résidait auparavant dans le dogme est donc placée sur le terrain moral, ce qui permet la reconnaissance d’un pluralisme religieux. Mais cette morale se fonde encore sur un patrimoine textuel particulier : la Bible19. C’est au nom d’une « concordance » entre les religions juive et chrétienne que le judaïsme sera pleinement reconnu par le législateur. À la fin du xixe siècle, les républicains anticléricaux chercheront à construire la laïcité française en dénouant ce lien entre l’État et les morales révélées. Et c’est précisément dans cette béance, laissée ouverte par la rupture progressive entre l’État et les cultes reconnus, que la notion de « morale judéo-chrétienne » va émerger.

La « morale judéo-chrétienne » peut paradoxalement être définie comme une proposition laïque, au sens où la laïcité érige la société en valeur première, pour reprendre les mots d’Emmanuel Levinas20. Ses partisans ne pensent plus dans les termes de l’attachement à une communauté religieuse. Ils placent comme horizon suprême l’amour de la nation et subordonnent l’expression publique de la foi à l’exigence collective de la paix sociale. Ils voient dans la construction d’une égalité entre les cultes juif et chrétiens le fondement d’une morale religieuse pluraliste qui puisse servir de ciment à la république naissante. Le croyant d’une autre religion, voire le non-croyant, sont alors perçus non pas uniquement comme prisonniers d’une erreur, mais comme détenteurs d’une vérité partielle et de valeurs partagées.

Le système des cultes reconnus tend ainsi à conférer aux religions juive et chrétienne une fonction morale identique, au-delà de leurs divergences doctrinales. En étant progressivement placées à « égale distance » de l’Etat, la Synagogue et les Eglises chrétiennes sont amenées à changer le regard qu’elles portent les unes sur les autres. La théologie de la substitution qui voit dans le judaïsme un simple peuple témoin de la victoire de la Chrétienté, érigée en Israël véritable, peut bien demeurer inchangée. Néanmoins, une acculturation des différentes communautés au pluralisme religieux est à l’œuvre qui passe d’abord par la contrainte d’un cadre institutionnel et par l’expérience du voisinage entre les cultes. La Synagogue et les Eglises chrétiennes sont appelées à ne plus se concevoir en termes politiques et doivent réinterpréter leurs doctrines respectives à l’aune de cette égalité nouvelle entre les cultes.

La notion de tradition judéo-chrétienne rend compte de la convergence de ces mouvements profonds de relecture des traditions religieuses qui placent les écritures juives dans un cas, les écritures chrétiennes dans un autre, à la genèse des valeurs libérales et pluralistes de l’Etat-nation. La filiation entre judaïsme et christianisme antiques, très longtemps occultée aussi bien par les confessions chrétiennes, soucieuses de ne pas entacher l’incomparable nouveauté du texte évangélique, que par le judaïsme rabbinique, est redécouverte sous un prisme particulier : des penseurs juifs et chrétiens s’efforcent de présenter cet héritage commun comme l’accomplissement des valeurs révolutionnaires. Ils réévaluent tout particulièrement l ’importance de la conception juive du messianisme, centrée sur la préoccupation temporelle de la justice terrestre, au sein de la pensée chrétienne. Le recours à une transcendance est présenté comme le prolongement du principe d’égalité, si central dans l’héritage de la France révolutionnaire, en particulier après l’avènement de la Troisième République21.

La notion de tradition judéo-chrétienne s’inscrit certainement dans un mouvement plus ancien de réinterprétation libérale des écritures juive et chrétienne. Eric Nelson nous a montré, par exemple, à quel point la pensée politique républicaine, des xvie et xviie siècles, avait pu se nourrir de la relecture des textes juifs, y compris des sources rabbiniques post-chrétiennes22. Du côté juif, la redécouverte de la judéité de Jésus, amorcée dans la seconde moitié du xviiie siècle, accompagne la réflexion sur les formes de l’intégration des communautés juives au sein des nations européennes23.

Ces relectures multiples des textes révélés vont prendre une forme singulière en s’articulant aux cultures politiques issues des révolutions française et américaine, à l’origine de la notion de tradition judéo-chrétienne. Notre étude, centrée sur le cas français, n’envisage l’histoire américaine qu’à partir du regard qu’en donnent les acteurs français du dialogue interreligieux. Mais une analyse comparée, même sommaire, de l’usage de la notion de tradition judéo-chrétienne en France et aux États-Unis dans les années 1930 et 1940 suffit à montrer son ancrage dans les héritages politiques, culturels et sociaux spécifiques de ces deux États-nations. Son trait dominant y est l’idée d’égalité en France et celle de liberté individuelle aux États-Unis.

À Paris, dans les années trente, l’union civique des croyants ne se restreint pas à la célébration des « gestes de bonne volonté » (religious goodwill) entre les différents cultes qui est le credo au même moment de son homologue américain, la National Conference of Christians and Jews24. Elle reprend les revendications de « juste travail » et de « juste salaire », si chères à la doctrine sociale de l’Église catholique inaugurée à la fin du xixe siècle25. Dans l’Amérique des années 1940 et 1950, les théologiens protestants Reinhold Niebuhr et Paul Tillich redécouvrent la centralité de l’Ancien Testament dans la foi chrétienne essentiellement à travers l’idée, développée par Karl Barth, de distance absolue entre Dieu et ses créatures26. Le « péché » du communisme athée est surtout, pour ces théologiens américains, de brimer la liberté des individus au profit d’un culte idolâtre de l’État, institution bassement terrestre. Pour les membres de l’association interreligieuse française, le communisme a d’abord le tort de détacher l’idéal de justice collective de la vie spirituelle.

L’empreinte des cultures religieuses majoritaires, catholique ou protestante, des deux nations se lit nettement dans ces deux visions de la tradition judéo-chrétiennes. Mais, ces cultures religieuses ont été profondément remodelées par les politiques séculières. Le dialogue interreligieux n’est que le prolongement d’un mouvement interne de réforme religieuse qui travaille des communautés pressées de s’adapter à la sécularisation de l’Etat et de la société. La tradition judéo-chrétienne peut bien contenir une charge violente contre l’individualisme libéral accusé de faire de la « créature » humaine la mesure de toutes choses. Elle a néanmoins totalement assimilé la culture politique de la France post-révolutionnaire au point de ne plus concevoir de dignité de la personne humaine sans un respect absolu de l’Etat de droit.

Nietzsche, le plus grand pourfendeur de la morale judéo-chrétienne, nous donne finalement le meilleur témoignage de l’identification de cette notion aux principes libéraux et démocratiques. Dans la Généalogie de la morale et L’Antéchrist qui paraissent en allemand respectivement en 1887 et 189527, Nietzsche ne définit pas uniquement la « morale judéo-chrétienne, ou plutôt la « morale juive-chrétienne » – traduction plus exacte de l’allemand « jüdisch-christliche Moral » – comme la loi de révélation et de sanction à laquelle elle est si souvent résumée. Celle-ci a une traduction politique. En appliquant à la pensée de Nietzsche sa propre critique généalogique – non pas la pure et unique origine d’un concept, mais cette attention « aux méticulosités et aux hasards des commencements » dont parle Foucault28 – nous voyons s’y dessiner une condamnation radicale du régime démocratique.

Nietzsche oppose, de manière transparente, la morale judéo-chrétienne à une morale grecque dite « aristocratique », plus en accord avec les instincts humains. Le christianisme, puisant dans la morale du ressentiment forgée par l’esclave hébreu contre ses maîtres, a « semé », à ses yeux, le poison de la doctrine « des droits égaux pour tous ». « Et n’estimons pas à une trop faible valeur la fatalité qui du christianisme s’est glissée jusque dans la politique ! », martèle Nietzsche. « Personne aujourd’hui n’a plus l’audace des privilèges, des droits de domination, du sentiment de respect envers soi et son prochain29 ». La critique nietzschéenne porte à son excès les craintes du Français Alexis de Tocqueville sur la passion légitime de l’égalité qui, dépravée, porte « les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau » et réduit « les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté30 ».

La filiation entre judaïsme et christianisme n’est plus du tout interprétée ici de la manière dont le faisaient Voltaire et le baron d’Holbach, même s’il s’agit encore de trouver la cause première des « vices » du christianisme dans ses origines juives31. Si Voltaire et d’Holbach accusaient le fanatisme du Dieu hébreu d’être responsable de l’intolérance chrétienne, Nietzsche fait appel à quelque chose de fondamentalement moderne en liant judaïsme et christianisme par un trait d’union : le judaïsme est devenu l ’incarnation de la modernité démocratique et c’est, en filigrane, au legs de la Révolution française qu’il est désormais indissolublement associé.

Repenser les modèles français et allemand d’émancipation des minorités juives

L’intégration de la minorité juive dans des sociétés à majorité chrétienne constitue cette trame sur laquelle se déploie la construction de la morale judéo-chrétienne. Elle lui donne son épaisseur sociale et culturelle. Elle en fait en somme une tradition, susceptible de trouver un écho dans les États qui, dans le sillage des révolutionnaires français et américains, émancipent progressivement leurs juifs. La tradition judéo-chrétienne apparaît à mesure que juifs et chrétiens adoptent des modes de vie et de pensée communs.

Ce processus d’acculturation est profondément asymétrique : il s’exerce dans un sens comme dans l’autre, mais concerne bien davantage la petite minorité juive que la majorité chrétienne32. Les historiens du judaïsme émancipé, en Europe centrale et occidentale et en Amérique, ont montré comment les minorités juives avaient progressivement adopté les mœurs de la société englobante tout en cherchant à maintenir leur particularisme33. Ils ont mis en avant, de manière plus ou moins nette, l’intériorisation d’une conception chrétienne du judaïsme au sein de ces différentes communautés. Dans une synthèse brillante How Judaism Became a Religion, Leora Batnitzky a cherché à déterminer les origines d’un tel processus : à ses yeux, les penseurs juifs modernes se sont appropriés, à partir de l’œuvre de Mendelssohn et dans le contexte de la construction des Etats-nations, une définition piétiste protestante de la religion qui se centre sur la dimension personnelle de la foi34.

Notre étude nous amène à approfondir une telle thèse en l’élargissant aux Eglises chrétiennes : si les juifs émancipés reprennent bien une vision chrétienne de la religion, c’est celle d’un christianisme refondu, comme le judaïsme, dans les cadres de l’Etat-nation. La communauté juive française est édifiée sur les canons de ce « catholicisme éclairé », assimilé aux principes de la religion naturelle, qui incarne, aux yeux du pouvoir napoléonien, la véritable religion35. Le judaïsme qui était tout à la fois « religion, culture et nationalité » avant l’émancipation, comme l’écrit Batnitzky36, se constitue en « Synagogue française », à la manière des Eglises chrétiennes ; soit prioritairement en tant que confession religieuse, adhésion à un corps de doctrines et à des pratiques cultuelles.

Mais, la toute nouvelle Synagogue française prend pour modèle un catholicisme qui est lui-même forcé de se contenir dans des bornes plus étroites, à devenir un «culte », fût-il majoritaire. Les penseurs juifs français mettent en avant la centralité du culte public dans la vie religieuse et se définissent autour de l’idée catholique de « communion », de communauté des croyants, image de l’unité de l’Etat-nation. À la différence des réformateurs allemands, en particulier d’un Abraham Geiger, ils n’ont pas tendance à présenter la contribution du judaïsme à la pensée libérale sous la forme d’un seul monothéisme éthique. Ils s’efforcent de réhabiliter le judaïsme dans sa dimension collective, politique même, sous la forme du « mosaïsme ». Il ne s ’agit pas de justifier un statut juridique particulier pour les juifs, mais de montrer que l’« Etat hébreu » originel – celui de Moïse, non des rois d’Israël – est la préfiguration de l’Etat-nation moderne, hérité de la Révolution française.

La réflexion sur l’Eglise des premiers temps est d’abord un acte de majorité pour les juifs émancipés, bien avant d’être un signe d’ouverture à la religion chrétienne. Ce n’est pas un hasard si c’est en France que Joseph Salvador écrit la première vie juive moderne de Jésus dès les années 183037 ! Des publicistes et des savants, issus d’une religion si longtemps dénigrée par les églises chrétiennes, se permettent de juger les Évangiles, d’y séparer le « bon grain » juif de l’« ivraie » païenne. L’émergence du dialogue interreligieux et, en son sein, de la notion de tradition judéo-chrétienne, suppose d’abord que judaïsme et christianisme se hissent à une même hauteur.

La « strate judéo-chrétienne » de la sécularisation

En mettant en exergue le caractère décisif de l’intégration institutionnelle et sociale du judaïsme dans la construction moderne du « religieux » et du « séculier », l’étude des origines de la tradition judéo-chrétienne apporte une perspective nouvelle sur des concepts qui, d’origine grecque ou latine, sont tous empruntés au vocabulaire chrétien : ceux de confessionnalisation, de laïcité et de sécularisation38. Notre usage du terme de confessionnalisation ne nous vient pas de l ’historiographie allemande qui en a fait une catégorie centrale de sa compréhension du contexte germanique des xvie- xviiie siècle39, mais des recherches menées sur le judaïsme émancipé. Celle-ci y désigne le processus par lequel le judaïsme est redéfini prioritairement en tant que culte, reléguant la dimension politique de l ’identité juive au second plan40. Nous parlons d’un « paradigme confessionnel », pour éviter toute confusion, qui présente des degrés différents selon les États-nations et qui concerne tout autant le judaïsme que les Églises chrétiennes. Les Églises chrétiennes sont réduites par l ’État à leurs expressions confessionnelles alors que la minorité juive est précisément appelée à épouser ce modèle confessionnel chrétien.

L’émergence d’une laïcité française doit être pensée dans les termes de cette construction progressive du « religieux » et de « séculier ». Les deux notions sont profondément interdépendantes comme l’anthropologue Talal Asad l’a bien montré41. La loi de séparation des Églises et de l’État est ainsi, en premier lieu, une non-reconnaissance de cultes anciennement reconnus. La destruction de cette structure légale ne signifie pas l ’effacement tout entier des cadres de pensée qui l’ont portée. Les religions juive et chrétienne demeurent après 1905 profondément marquées par le « moule » qu’a constitué le système des cultes reconnus. Le pluralisme juif et chrétien a contribué, à l’inverse, à forger la morale laïque. La tradition judéo-chrétienne apparaît dans l’entre-deux-guerres comme le plus emblématique vestige d’une laïcité française qui a pu être pensée, un temps, à la fois pluraliste et religieuse, indépendamment de tout credo confessionnel.

S’ouvrant au-delà du cadre français, la notion de tradition judéo-chrétienne nous invite enfin à une analyse fine du processus de sécularisation en Europe et aux Etats-Unis qui ne se fonde plus prioritairement sur les cultures religieuses majoritaires, catholique ou protestante, des différentes nations. Dans le sillage des travaux de David Martin, Françoise Champion et Jean Baubérot ont pu se prévaloir d’une telle distinction pour dissocier la « laïcisation » dans les pays catholiques de la « sécularisation », adaptée aux pays anglo-saxons de culture protestante42.

Avec le terme de laïcisation, l’insistance est portée sur la relation conflictuelle entre l’Etat-nation et une Eglise catholique supranationale et, en conséquence, sur le rôle de la puissance souveraine dans la définition des fonctions légitimes du religieux. En France, dit Jean Baubérot, les politiques laïques qui soustraient les différentes institutions publiques à la tutelle des Eglises englobent, par scansions violentes, le mouvement plus large de sécularisation de la société – autrement dit, les mutations causées par la contestation du monopole que la religion revendiquait dans la vie sociale et culturelle. À l’inverse, dans les pays de culture protestante, le terme de sécularisation met en valeur des formes de coexistence plus pacifique entre l’Etat et les religions placées sous sa tutelle.

Mais aucun de ces deux modèles, ainsi entendus, ne permet de comprendre l ’émergence de cette tradition judéo-chrétienne et le processus spécifique d’intégration du judaïsme à l’Etat-nation dont elle est issue. L’étude de cette notion nous pousse à rapprocher les constructions du « religieux » et du « séculier » en France et aux Etats-Unis, deux pays qui sont pensés comme l’incarnation des trames bien distinctes de la laïcisation et de la sécularisation. L’un est de culture catholique, l’autre de culture protestante ; l’un est vu c omme un « Etat fort », l ’autre, sans doute trop sommairement, c omme un Etat faible (weak State43). Des travaux récents ont tâché de réévaluer les

similitudes entre révolution des relations entre l’État et les communautés religieuses dans ces deux pays durant les dernières décennies : on y observe une inclusion de plus en plus grande des Églises à l’action des pouvoirs publics et une interprétation de plus en plus ouverte du principe de séparation des Églises et de l’État44.

L’étude des origines de la tradition judéo-chrétienne inscrit une telle concordance dans la longue histoire de la sécularisation de ces deux États-nations depuis les révolutions française et américaine. Elle nous invite à considérer comme fondement de l’analyse de ce processus, non pas les politiques publiques à strictement parler, ni les cultures chrétiennes majoritaires, mais les configurations particulières des relations entre les Églises et l’État-nation et la réinterprétation des traditions religieuses qu’elles initient ou accompagnent.

La tradition judéo-chrétienne est d’ordinaire présentée comme la dernière expression d’une lecture chrétienne de la sécularisation et, plus largement, de la modernité occidentale. De multiples travaux ont vu dans la Réforme protestante le facteur décisif du processus de sécularisation45 ou retrouvé ses origines en amont dans la querelle entre le sacerdoce et l’Empire au Moyen Âge46. À l’ âge de l’ émancipation des juifs, le judéo-christianisme semble être placé, à son tour, à la source des valeurs libérales et de la séparation du politique et du religieux. Notre étude ne vient mettre en cause ni l’importance de la distinction entre pouvoirs spirituel et temporel dans l’Europe chrétienne médiévale sur le processus de sécularisation, ni la contribution de la Réforme protestante à l’émergence de la culture politique libérale. Mais, à l’opposé de toute interprétation religieuse essentialiste, elle nous amène à insister sur la centralité du principe de souveraineté nationale, tel qu’il est promulgué par les révolutionnaires français et américains, dans notre compréhension moderne du fait religieux47.

Si la notion de liberté religieuse a pu naître sur les décombres d’une Europe ensanglantée par les guerres entre catholiques et protestants, l’ère séculière est inaugurée par la construction d’une égalité entre les religions juive et chrétienne au tournant des xviiie et xixe siècles. L’intégration de la Synagogue à l’Etat-nation se fait au nom de ce même principe qui avait permis aux révolutionnaires d’accorder la citoyenneté aux juifs : l’égalité des hommes, en droit, par la naissance et l’idée emblématique des Lumières, au cœur de l’idéal laïque, de « régénération » de l’homme par l’éducation. Le principe de liberté religieuse permettait encore de penser l ’Etat, la société, la civilisation comme chrétiens. L’égalité accordée aux Eglises chrétiennes et à la Synagogue, longtemps perçue comme l’« autre » de la Chrétienté, fait advenir un postulat fondamentalement laïque qui refuse de conférer une primauté à une vérité quelconque. Seule la construction de l’Etat laïque a permis d’unir par un trait d’union deux religions qui se pensent comme des vérités révélées, exclusives l’une de l’autre.

____________

1. Dans Christian Human Rights (Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 2015, p. 4, p. 23-24), Samuel Moyn situe l’origine de notre compréhension actuelle des droits de l’homme dans la référence à la dignité de la personne humaine brandie par des chrétiens, et en premier lieu par la papauté, à partir de la fin des années 1930. Cette « invention chrétienne des droits de l’homme » servirait un idéal religieux et conservateur dont la gauche progressiste et laïque est appelée à s’affranchir. Après-guerre, la célébration des valeurs judéo-chrétiennes serait l’un des étendards de ces « droits chrétiens de l’homme » qui se concentrent sur les libertés religieuses.

2. Nous empruntons ce mot à la thèse de doctorat de K. Healan Gaston : The Genesis of America’s Judeo-Christian Moment : Secularism, Totalitarianism, and the Redefinition of Democracy, U.C. Berkeley, 2008.

3. K. Healan Gaston passe en revue un certain nombre d’études sur la question, dont certaines sont évoquées plus haut, dans « Interpreting Judeo-Christianity in America », Relegere (2012), 2, p. 291-304. Citons, entre autres, Mark Silk, « Notes on the Judeo-Christian Tradition in America », American Quarterly 36 (1984), p. 65-85, Deborah Dash Moore, « Jewish GIs and the Creation of the Judeo-Christian Tradition », Religion and American culture (1998), n° 8,

4. Eric Hobsbawn, « Introduction », dans Eric Hobsbawn et Terence Ranger (éd.), The Invention of Tradition Cambridge : Cambridge University Press, 1983, p. 1-14.

5. Arthur A. Cohen, The Myth of the Judeo-Christian Tradition, New York : Harper and Row, 1969.

6. Voir notamment le numéro : « Les Lumières et les religions », Social Compass (1997), v.44/2, p. 195-282.

7. Le texte final renvoie aux « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit ». Voir Emmanuel Nathan, Anja Topolski (éd.), Is There a Judeo-Christian Tradition ? A European Perspective, Berlin-Boston : De Gruyter, 2016. Nous nous permettons de renvoyer à une étude personnelle : « La genèse de la morale judéo-chrétienne. Étude sur l’origine d’une expression dans le monde intellectuel français », Revue de l'histoire des religions 2012, n° 1, p. 85-118.

8. Citons les derniers mots du discours du sénateur républicain Ted Cruz, après sa victoire lors du caucus de l’Iowa durant la campagne républicaine pour l’élection présidentielle le 1er février 2016 : « [...] ce soir est le témoignage de l’engagement du peuple à revenir vers nos principes fondamentaux : la liberté d’entreprise, les libertés constitutionnelles et la tradition judéo-chrétienne qui a bâti cette grand nation ».

9. Ferdinand Christian Baur, « Die Christuspartei in der korintischen Gemeinde, der Gegensatz des petrinischen und paulinischen Christenthums in der ältesten Kirche, der Apostel Paulus in Rom », Tübingen Zeitschrift für Theologie (1831), pt. 4, p. 61-206. Voir Simon C. Mimouni, « Le judéo-christianisme ancien dans l’historiographie du xixe siècle et du xxe siècle », Revue des études juives n° 151 (1992), p. 419-428 et Carsten Colpe, « ‘Das Deutsche Wort « Judenchristen’ und ihm entsprechende historische Sachverhalte », dans S. Shaked et al. (éd.), Gilgul Leiden-New York : Brill, 1987, p. 57-68.

10. Voir Kevin Schultz, Tri-Faith America, op. cit., p. 15-42.

11. La Cité française (1936), n°1, p. 7.

12. Voir Christian Klosch et al., Gegen Rassenhass und Menschennot: Irene Harand, Leben und Werk einer ungewöhnlichen Widerstandskampferin, Innsbruck : StudienVerlag, 2004.

13. Anne Summers, « False Start or Brave Beginning ? The Society of Jews and Christians, 19241944 », The Journal of Ecclesiastical History, n° 65 (2014), p. 827-851.

14. Mark Silk, art. cit., p. 71-72.

15. Citation reprise par Emmanuel Levinas dans « Martin Buber », L’Arche n° 102 (1965), p. 10-11.

16. Sur la réflexion juive moderne sur le christianisme, voir notamment Matthew Hoffman, From Rebel to Rabbi : Reclaiming Jesus and the Making of Modern Jewish Culture, Stanford : Stanford University Press, 2007 ; S. Heschel, Abraham Geiger and the Jewish Jesus, Chicago, University of Chicago Press, 1998 et Dan Jaffé, Jésus sous la plume des historiens juifs du xx siècle, Paris : Cerf, 2009.

17. Jean-Marie Mayeur, La question laïque, xixe-xxe siècles, Paris : Fayard, 1997, p. 13-28.

18. Voir notamment Bernard Plongeron, Théologie et politique au siècle des Lumières, Genève : Droz, 1973.

19. Prêtres et pasteurs doivent jurer sur les « saints Évangiles » alors que les membres des nouveaux « consistoires israélites » prêtent serment sur la « sainte Bible » (Décret impérial, 19 octobre 1808, dans Achille-Edmond Halphen, Recueil des lois, Paris : Bureau des Archives israélites, 1851, p. 54). Cela a pu faire dire à Jean Baubérot, hâtivement au regard de l’apparition du concept lui-même, mais non sans une certaine justesse, que « les cultes reconnus véhiculent la même morale judéo-chrétienne qui est à la base de la civilisation et permet le lien social » (« Laïcité », Encyclopédie Universalis, Corpus 13, France, p. 415-420).

20. Emmanuel Levinas, « La laïcité et la pensée d’Israël », dans A. Audibert (éd.), La laïcité Paris : PUF, 1960, p. 45-58, p. 48.

21. Comme l’écrit Jürgen Habermas, « De la tolérance religieuse aux droits culturels », Cités (2003), n°13, p. 151-170, p. 161, les grandes religions « sont forcées de se réapproprier les bases normatives de l’Etat libéral dans les termes de leurs propres prémisses, même lorsque – comme dans le cas européen de la tradition judéo-chrétienne – il existe un lien généalogique entre cette base normative et ces religions ». La tradition judéo-chrétienne est en réalité le produit du processus même que décrit Habermas. Sur le rôle majeur que joue l’Etat dans la conception française de l’égalité, cf. Pierre Rosanvallon, La société des égaux, Paris : Seuil, 2011.

22. Eric Nelson, The Hebrew Republic. Jewish Sources and the Transformation of European Political Thought, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 2010.

23. Matthew Hoffman, From rebel, op. cit.

24. Kevin Schultz, op. cit., p. 52.

25. La Cité française [LCF], janv. 1935, v. 1, p. 3-4.

26. Paul Tillich, « Is There a Judeo-Christian Tradition ? », Judaism (1952), v.1, p. 106 ; Rheinold Niebuhr, The Self and the Dramas of History, New York : Scribner, 1955 (cités dans M. Silk, art. cit., p. 72-73).

27. Friedrich ietzsche, Généalogie de la morale (1887), Paris : Société du Mercure de France, 1900, et L’Antéchrist. Essai d’une critique du christianisme (1895), Paris : Société du Mercure de France, 1899.

28. Michel Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », Hommage à Jean Hyppolite, Paris : PUF, 1971, p. 145-172, p. 150.

29. Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, op. cit., section XLIII.

30. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Bruxelles : L. Hauman et Cie, 1835, v.1, p. 69-70.

31. Voir David Nirenberg, Anti-Judaism : A Western Tradition, New York-London : Norton, 2013 ; Arthur Hertzberg, The French Enlightenment and the Jews, New York : Columbia University Press, 1968 ; Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, t. 3 : De Voltaire à Wagner, Paris : Calmann-Lévy, 1968, et Ronald Schechter, Obstinate Hebrews : Representations of Jews in France, 1715-1815, Berkeley : University of California Press, 2003.

32. Dans le cas de la France, la communauté juive ne compte que quarante à cinquante mille âmes en 1800, au sein d’une nation d’environ trente millions d’habitants, catholiques à une écrasante majorité (voir Phyllis Cohen Albert, The Modernization of French Jewry. Consistory and Community in the Nineteenth Century, Hanover-New Hampshire : Brandeis University Press, 1977, et Daniel Bensimon, Socio-démographie des juifs de France et d'Algérie, 1867-1907, Paris : Publications orientalistes de France, 1976).

33. Voir notamment Paula Hyman, The Emancipation of the Jews of Alsace : Acculturation and Tradition in the Nineteenth Century, New Haven : Yale University Press, 1991 ; Frances Malino, The Sephardic Jews of Bordeaux. Assimilation and Emancipation in Revolutionary and Napoleonic France, Alabama : The University of Alabama Press, 1978 ; Jacob Katz, Out of the Ghetto : The Social Background of Jewish Emancipation 1770-1880, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1973 ; Todd Endelman, The Jews of Georgian England, 1714-1830, Ann Arbor : University of Michigan Press, 1999.

34. Leora Batnitzky, How Judaism Became a Religion, op. cit.

35. Rita Hermon-Belot, « La République ne reconnaît aucun culte » : une histoire française de la reconnaissance des cultes », Cahiers Parisiens/Parisian Notebooks, 2006/2, p. 81-92, p. 87.

36. Leora Batnitzky, How Judaism, op. cit., p. 186.

37. Joseph Salvador, Jésus-Christ et sa doctrine, Paris : Guyot et Scribe, 1838 (Matthew Hoffman, From Rebel, op. cit., p. 27). Selon le grand orientaliste Ernest Renan, Salvador est également « le premier en France » à avoir abordé « le problème des origines du christianisme » (« De l’avenir religieux des sociétés modernes », Revue des Deux Mondes, 15 octobre 1860, p. 761-790, p. 764).

38. Voir Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation. Théologie politique et philosophies de l’histoire de Hegel à Blumenberg, Paris : Vrin, 2002, et Christophe Duhamelle, « Confession, confessionnalisation », Histoire, Monde et Cultures religieuses, 2013/2, v. 26, p. 59-74.

39. Voir notamment Philippe Büttgen, « Qu’est-ce qu’une culture confessionnelle ? Essai d’historiographie », dans Philippe Büttgen – Christophe Duhamelle (éd.), Religion ou confession. Un bilan franco-allemand sur l'époque moderne (xvie- xviie siècles) Paris : Éd. MSH, 2010, p. 415-439.

40. Voir par exemple Martine Cohen, « De l’émancipation à l’intégration : les transformations du judaïsme français au xixe siècle », Archives de sciences sociales des religions (1994), n° 88, p. 5-22.

41. Talal Asad, Formations of the Secular, Stanford : Stanford University Press, 2003, p. 1-21.

42. David Martin, A General Theory of Secularization, Oxford : Blackwell, 1978 ; Françoise Champion, « Entre laïcisation et sécularisation. Des rapports Eglise-Etat dans l’Europe communautaire », Le débat, nov.-déc. 1993, p. 46-72 ; Jean Baubérot, « Laïcité, laïcisation, sécularisation », dans Alain Dierkens (éd.), Pluralisme religieux et laïcité dans l'Union européenne, Bruxelles : Ed. de l’Université libre de Bruxelles, 1994, p. 9-20.

43. Voir Pierre Birnbaum – Bertrand Badie, Sociologie de l'État, Paris : Grasset, 1995 ; William J. Novak, « The Myth of the “Weak” American State », The American Historical Review, n°113 (2008), p. 752-772.

44. Philippe Portier, « L’Amérique et la France face à “l’esprit de religion” », Social Compass, n° 57/2 (2010), p. 180-193.

45. La relation entre l’éthique protestante et la modernité politique, économique, intellectuelle a été mise en valeur par maints auteurs, Max Weber ou Ernst Troeltsch bien sûr, mais également dès le xixe siècle, par Tocqueville. Selon Marcel Gauchet, la Réforme « vaut effectivement inauguration des temps modernes », en marquant « la dé-hiérarchisation et l’égalisation pratiquées entre l’ici-bas et l ’au-delà, clé de voûte de la transformation générale de l ’activité humaine à venir » (Le désenchantement du monde, Paris : Gallimard, 1985, p. 228). Il souligne néanmoins qu’on ne voit pas apparaître les notions de liberté de conscience chez Luther et Calvin et leurs héritiers (Un monde désenchanté ?, Paris : Éd. de l’Atelier, 2004, p. 126).

46. Voir notamment Harold Berman, Law and Revolution, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1983.

47. Nous allons là dans le sens de René Rémond pour qui la Révolution française est à l’origine d’une « ère nouvelle » dans les relations entre religion et société (Religion et société en Europe, Paris : Seuil, 2001, p. 17). Nous rejoignons également Peter Van der Veer pour qui l’État-nation a défini les limites du « religieux » et du « séculier » (Imperial Encounters. Religion and Modernity in India and Britain, Princeton : Princeton University Press, 2001).