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Au miroir du pluralisme :
minorités protestantes et juives en Europe
du xvie au xxe siècle

Patrick Cabanel

EPHE, PSL

plutôt que les affinités électives, le thème autour duquel j’avais bâti naguère un ouvrage sur ce qui a pu unir à travers l’histoire les protestants et les juifs en France1, je propose aujourd’hui de mettre au centre de la réflexion la construction du pluralisme religieux dans des sociétés européennes qui ont compté à la fois des minorités juives et protestantes, telles la France, l’Italie, la Bohême, la Hongrie... Je m’inspire ici notamment d’un ouvrage portant sur l’émancipation, dans le cadre des Etats-nations du xixe siècle, de huit minorités, les catholiques anglais et allemands, les protestants français et italiens, les juifs dans les quatre pays susnommés. Ouvrage suggestif, même si ses deux directeurs relèvent qu’ils n’ont pu qu’accoler des études de cas, les différents auteurs convoqués n’étant spécialistes que d’une minorité à la fois2, la charge de tenter des comparaisons étant laissée dès lors aux soins du lecteur3. Le pluralisme intéressait directement ces minorités, et il s’agit de voir rapidement quels étaient leurs statuts avant son avènement, de quelle manière elles se le sont approprié et l’ont servi, et comment elles ont réagi lorsque les régimes antisémites des années 1930 et 1940 ont entendu ré-exclure les juifs de l’Etat et de la société. Le cas de la France, pour d’évidentes raisons de langue et de savoir historique, sera au cœur de la réflexion, mais chaque fois que je le pourrai je tenterai des excursus du côté d’autres sociétés, ce qui devrait permettre de vérifier si nous nous trouvons, ou non, en face d’un idéal-type du « pluralisme avec minorités religieuses historiques » – par « historiques », j’entends des minorités qui ne sont pas issues d’immigrations contemporaines mais tiennent soit à la diaspora juive, soit aux « hérésies » et autres réformations du christianisme au cours du Moyen-Âge et au xvie siècle.

Avant le pluralisme

Trois points sont ici à relever, dont seuls les deux derniers intéressent le fait minoritaire. Je passe rapidement, car il s’agit à proprement parler des affinités évoquées plus haut. Il importe de rappeler toutefois que la Réforme a ramené la Bible – toute la Bible, y compris l’Ancien Testament, et ce trait ne saurait être trop souligné – sur le devant de la scène religieuse mais aussi culturelle européenne, et que les juifs sont par là devenus plus « proches », sur le plan scripturaire, de ces populations européennes occupées à ouvrir et à lire les Ecritures, tandis que leurs théologiens et intellectuels apprennent l’hébreu et entrent dans le commerce avec les érudits et les livres juifs. Quels qu’aient été les errements antijudaïques des principaux Réformateurs – sauf un Calvin, et là encore cela ne saurait être trop souligné4 –, quelque profondément ancrée que soit restée en eux la vieille haine du peuple dit déicide, plus rien ne pouvait être comme avant, dès lors que des expressions comme « le peuple d’Israël » résonnaient chaque dimanche dans les temples et que pasteurs et pieux fidèles apprenaient, pour les Français, à parler le « patois de Canaan », une langue truffée de biblicismes, à la fois bientôt archaïque (c’est celle notamment des Psaumes de Clément Marot et Théodore de Bèze, figée dans son xvie siècle) et culturellement en avance puisqu’elle a placé ses locuteurs occitanophones, notamment, dans une situation de bilinguisme longtemps avant l’école obligatoire de la Troisième République5... Les Hébreux du Livre ne sont certes pas les juifs rencontrés ici et là dans la diaspora européenne, et pourtant leur familiarité nouvelle fait mesurer autrement la distance qui sépare les chrétiens des juifs. C’est là peut-être une forme primitive de « pluralisme », strictement scripturaire et culturel, mais dont les conséquences à long terme doivent être pesées, même si elles ne pouvaient, à elles seules, faire bouger les lignes : il a fallu que d’autres conjonctures surgissent, et principalement l’expérience minoritaire faite par divers protestantismes européens – les luthéranismes, l’anglicanisme, le calvinisme suisse et peut-être hollandais, ne sont pas concernés, et l’aire abordée par cet article se réduit drastiquement, même si c’est au bénéfice de pays dont la portion protestante est souvent passée, à tort, inaperçue...

Cette expérience minoritaire reste bien le trait majeur, pour des chrétiens d’Europe qui ne l’avaient jamais connue, si ce n’est peut-être dans certaines zones conquises durablement par l’Empire ottoman. Elle rapproche objectivement des juifs ces minorités protestantes, souvent infinitésimales (2 % dans la France d’après 1685, 2,3 % dans la Bohême-Moravie à la fin du xixe siècle, 0,0013 % dans l’Italie unifiée de 18616) ; comme la foi et la culture protestantes sont truffées de lectures et de références bibliques, et d’autant plus volontiers prophétiques et psalmiques que la persécution redouble, on a assisté, ici et là, à des formes d’hébraïsation de ces minorités, dans leur représentation d’elles-mêmes et dans le récit de leurs tribulations et de leur fidélité. Le huguenot devient un Hébreu métaphorique. Ici encore, les conséquences à long terme d’un tel rapprochement, certes tout intertextuel, ne peuvent être négligées. Que le grand chef militaire des vaudois au xviie siècle s’appelle Josué Janavel, et les prophètes et chefs militaires camisards, en 1702, Abraham Mazel, Salomon Couderc ou Élie Marion, attire l’attention. Et plus encore le nom de Désert choisi par les huguenots pour décrire, à chaud, le temps de leur captivité sous Louis XIV : l’avocat Claude Brousson, devenu leur plus grand prédicateur clandestin, au début des années 1690, intitule La manne mystique du Désert le recueil de ses sermons, dont le plus célèbre, « La colombe mystique dans les fentes des rochers », est une lecture spirituelle — l’Eglise du Christ aimant est la colombe – du Cantique des cantiques. En 1851, le pasteur Alexis Muston, un vaudois installé dans la Drôme, se fait l’historien des vaudois et intitule son épopée en quatre volumes L’Israël des Alpes7.

Une fois encore se crée et se consolide sur les plans métaphorique, historique, sociologique, un pluralisme pour l ’heure dominé et secondaire, celui des minorités juives et protestantes européennes. Il n’est pas perçu comme tel, encore moins théorisé ou légitimé, mais il produit une expérience sociale. Certains huguenots, toutefois, commencent à percevoir le parallèle des destinées et ce qu’il faudrait obtenir pour en finir avec l’intolérance. On connaît les passages qu’un Jacques Basnage, exilé à Rotterdam, consacre, dans son Histoire des Juifs (1706), à la « folie » d’un Ferdinand le Catholique « qui dépeuplait ses Etats d’un nombre considérable d’habitants riches et habiles au commerce » (le même argument, depuis Vauban, visait Louis XIV et la révocation de l’édit de Nantes, avec la perte des réfugiés huguenots), ainsi qu’à la perversité des persécuteurs dont le parti « change l’usage ordinaire des termes, et colorie la violence, sous le titre de charité pour les errants. On l ’appelle une sainte sévérité » (c’était, longtemps avant les remarques d’un Victor Klemperer sur ce que le nazisme a fait à la langue allemande8, mettre le doigt sur l’euphémisation pratiquée par les ennemis de la liberté). Basnage revient également sur la douleur de l’exil :

L’Eglise a-t-elle le pouvoir de transformer en douceur ce qui est une peine dure et insupportable chez toutes les nations du monde ? Est-ce que ces milliers de juifs, bannis de l’Espagne, que la famine et la misère firent périr, ne souffraient point ? ou que la nécessité de quitter tout, et de s’exposer au péril évident de la vie, devait être regardée comme une persuasion qui ne donnait aucune atteinte à leur liberté ? Qu’on parle nettement9.

On est là face à une expérience partagée : Basnage parle des juifs d’après 1492, pas des Hébreux du Livre ; et de juifs qu’il a pu croiser dans les grandes villes portuaires des Provinces-Unies, où se pressent également ses coreligionnaires. Mais ce partage de la diaspora – le Refuge, pour les huguenots, le philosophe Pierre Bayle ayant salué dans ces Provinces-Unies « la grande arche des fugitifs10 » – a-t-il véritablement rapproché les minorités juives et protestantes, wallons, vaudois et hussites précédant ou rejoignant ici les huguenots ? L’enquête a été ouverte par Myriam Yardeni qui signale, même si les documents caractérisés semblent rares, au-delà d’un certain nombre d’ouvrages (dont Bayle, Jurieu, Basnage), des « aspects d’un philosémitisme naissant aux Pays-Bas » ; aux côtés de ce philosémitisme subsiste ou surgit, notamment dans la Prusse marquée par la forte intégration des huguenots, un antijudaïsme tranché11. Après le grand livre de Basnage, je m’en tiendrai ici à convoquer Daniel Marot (16611752), réfugié en Hollande, qui est à la fois le fils de Jean Marot, l’auteur de très belles coupe et perspective du temple de Charenton près de Paris, rasé en octobre 1685, et l’architecte de la synagogue portugaise de La Haye, qui n’est pas sans ressemblances avec le monument disparu12. Mais c’est du côté des juifs que l’on aimerait saisir des documents sur la manière dont ils ont pu percevoir l’arrivée de ces compagnons de défaite et d’exil – si tant est qu’ils aient vu en eux des êtres partageant une expérience similaire. Ces traces, je les ai trouvées, abondantes et caractéristiques, mais pas avant le xixe siècle et le surgissement d’une historiographie « israélite » de langue française13: mais s’agit-il d’une vraie mémoire communautaire qui aurait été alors mise par écrit, ou d’une reconstruction opérée à titre rétrospectif à partir de l’expérience vécue dans la France du pluralisme que je vais maintenant aborder ?

Dans la construction d’une société pluraliste

Les processus d’émancipation pour les protestants et les juifs, dans les Etats qui comprennent deux minorités de ce type, sont parfois contemporains. Ce n’est pas le cas en Autriche, qui accorde la tolérance aux luthériens et aux réformés dès 1781, mais seulement dans les années 1860 aux juifs ; il est vrai qu’alors, après l’abrogation du concordat qui avait été signé en 1855, les choses marchent de pair, en dépit des protestations de la hiérarchie catholique ; et plus encore du côté hongrois de la double monarchie, à partir de 1867. En France, en revanche, les protestants sont reconnus citoyens à part entière en 1789, les juifs deux ans plus tard. Le judaïsme entre dans le système des cultes reconnus en 1808, six ans après les articles organiques des cultes protestants (et catholique) qui accompagnent la promulgation du Concordat de 1801 en loi de la République ; il est organisé sur le modèle protestant, la même circonscription administrative dite du consistoire régissant les deux cultes14. Le Piémont-Sardaigne accorde plus tardivement, mais dans un seul et même texte, exemplaire de ce point de vue, le Statuto de 1848, la reconnaissance aux juifs et aux vaudois. Ce processus s’inscrit dans celui d’une sécularisation croissante de la politique dans la péninsule :

The change of attitude of the Savoy authorities towards the Waldensian coincided with the political change in attitude of the leading liberal group, which still had strong links to the « neo-Guelph » Catholic tradition in the early 1850s, became more laical in the 1860s and turned potentially anticlerical towards the end of the century15.

En retour, l’auteur de cette étude montre combien les vaudois ont manifesté leur loyauté et leur reconnaissance au Piémont-Sardaigne puis à l’Italie – quelques milliers d’entre eux participant à la guerre d’indépendance de 1866.

Ce parallélisme des « sorties » juridiques et métaphoriques du Désert et du « ghetto » et des entrées en citoyenneté et en égalité peut être suivi et mesuré de bout en bout. Il lie en France, en Italie, en Hongrie également, les destins des deux groupes d’une manière exceptionnelle, sur les plans historique, juridique, politique, sociologique. Il y a là une expérience que l’on peut considérer comme idéal-typique, et qui outrepasse largement les affinités entre minorités, puisqu’il y va du destin objectif de nations pourtant restées massivement ou majoritairement (la Hongrie) catholiques sur le plan des appartenances et des pratiques mais entrées dans des processus de sécularisation, de laïcisation, à tout le moins de déprise du théologico-politique qui les caractérisaient jusqu’à ce siècle. Peut-on comprendre la France du xixe siècle, notamment sous la Monarchie de Juillet puis sous la IIIe République, sans cet événement fondateur de la double émancipation des protestants et des juifs ?

C’est bien la France, de fait, qui illustre le mieux ce qu’ont pu être les effets sociaux du pluralisme à minorités religieuses historiques, quand bien même la population reste catholique à 98%. La double présence protestante et juive, d’une part, contraint le pays à « faire avec » (c’est l’ancien sens de la « tolérance ») : bâtir une coexistence sociale et maintenant juridique, et le faire de manière positive (l’égalité l’emportant sur la tolérance octroyée, ou supportée, par la majorité). Signalons que l’édit de 1787 sur les non catholiques, dérisoire par sa durée de vie mais important par son contenu et l’idéologie qui a présidé à sa rédaction, concevait déjà l’organisation d’une nation avec les minorités, et que les juifs ont tenté de l’utiliser à leur profit, du fait que le texte avait pris garde de ne pas nommer les seuls protestants mais l’ensemble des « non catholiques », selon un dessein pluraliste (pour les seuls minoritaires) explicité et légitimé par Malesherbes dans des textes préparatoires à l’édit. La loi de 1802 et les articles de 1808 sur les juifs n’ont pas fait que rétablir le catholicisme après la tourmente révolutionnaire et organiser les cultes non catholiques : ils ont lié pour un siècle catholicisme, protestantismes et judaïsme, offrant une base sans précédent à la pluralisation juridique de la société. Il faut insister sur cette belle et forte expression de cultes reconnus qui caractérise le siècle : ce pluriel de noms communs a contribué à gommer la personnalité écrasante de l’Eglise catholique et à normaliser la situation des groupes religieux minoritaires16.

L’autre partie s’est jouée dans des domaines non religieux : dans le politique, l’économique, le social, le sociétal. En d’autres termes dans l’immense chantier de la modernisation des Etats et des sociétés, mais aussi des cultures. J’évoquerai rapidement quelques exemples. C’est tout d’abord la France des années 1820-1840, dont l’entrée en révolution industrielle, bancaire, ferroviaire, scolaire, politique, doit beaucoup à des hommes comme Benjamin Constant, Benjamin Delessert, François Guizot, les patrons de Mulhouse, les Rothschild, les Péreire, les d’Eichtal, les protestants et juifs saint-simoniens – et aussi à des femmes comme Emilie Mallet (la fille de l’ industriel Oberkampf). On observe à propos des d’Eichtal un premier grand exemple de mariage entre membres des élites juives et protestantes (les Mirabaud, en l ’occurrence) et de passage à cette occasion de juifs au protestantisme ; le Second Empire offre d’autres exemples, ceux des banquiers Emile d’Erlanger et Achille Fould, dans un contexte de modernisation qui n’est pas sans similitudes avec celui des années 183017 – on trouve dans l’Italie contemporaine le ministre Sidney Sonnino (1847-1922), juif par son père, protestant par sa mère, une Galloise, et de confession anglicane18. Ce sont ensuite les premières années de la République, avec son grand œuvre de la laïcité : je prends ici la liberté de renvoyer à deux ouvrages, celui de Pierre Birnbaum sur les juifs d’Etat, ces « fous de la République », et le mien sur le « Dieu de la République », écrit pour partie sous l’influence du premier19. Des protestants, surtout, et des juifs œuvrent ensemble à la modernisation scolaire et familiale. Le député juif Camille Sée fait voter la loi sur l ’enseignement secondaire des jeunes filles, la fille de pasteur Julie Velten (Mme Jules Favre) dirige l’Ecole normale supérieure de jeunes filles de Sèvres et lui donne, sinon une spiritualité, du moins un esprit particulier, bien étudié. L’Ecole forme les premières générations de professeurs et de directrices des lycées de jeunes filles, dans lesquelles les protestantes sont surreprésentées. Les deux hommes qui ont mené une campagne très dynamique, en 1879-1880, pour tenter d’obtenir un enseignement public de l’histoire des religions sont le protestant Maurice Vernes, maître de conférences à la Faculté de théologie protestante de Paris, et le juif bordelais Elie-Aristide Astruc, alors grand rabbin de Belgique.

Dans un autre domaine, le député juif Alfred Naquet dépose un projet de loi sur le divorce, un protestant (Eugène Pelletan, descendant direct d’un pasteur du Désert) et un juif (Edouard Millaud) font partie des trois sénateurs (sur sept), avec l’historien Henri Martin, un proche du protestantisme, qui soutiennent le projet au sein de la commission chargée de l’examiner. Un médecin protestant, Louis Fiaux, venait de publier La Femme, le mariage et le divorce. Etude de physiologie et de sociologie ; il y admettait le divorce par consentement mutuel, voire pour incompatibilité d’humeur (sous conditions), et pour sanctionner la transmission de la syphilis ou de pratiques sexuelles jugées humiliantes pour la femme – l’adultère du mari est pris en compte par la loi, grâce à l’intervention du pasteur et sénateur Edmond de Pressensé. Ce dernier a rappelé que les Réformateurs étaient favorables au divorce pour faute, y compris lorsque le mari est en cause ; à ses yeux, le projet de loi déposé par Naquet est « conforme à l’Evangile, à la raison, aux bonnes mœurs20 ». Mgr Freppel, symétriquement, dénonçait un « mouvement sémitique » dans la campagne en faveur du divorce et estimait que ce dernier ne peut convenir qu’à des pays comme les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Allemagne... On pourrait prolonger la démonstration, en évoquant la place de protestantes et de juives à la tête des premières associations féministes françaises, avant et même après la Première Guerre mondiale ou, plus près de nous, étudier comment un juriste protestant, Jean Carbonnier (par ailleurs conservateur du Musée du Désert, dans les Cévennes), et une femme politique juive, Simone Veil, ont modernisé le droit privé et le statut de la femme (divorce, autorité parentale, avortement.).

Au même moment, la Hongrie vit une expérience que l’on peut rapprocher de celle de la France sous la Monarchie de Juillet comme sous la IIIe République : élites calvinistes et juives, les unes et les autres ici bien plus nombreuses, en chiffres absolus et relatifs (les protestants, très nombreux en Transylvanie, composent 14 % de la population du pays en 191021 ; les juifs, environ 5 %), jouent un rôle moteur dans la modernisation du pays. Sur le plan politique, les comtes Tisza, calvinistes, assurent longuement la charge du gouvernement au lendemain du dualisme, puisque Koloman Tisza est à la tête du pays de 1875 à 1890, son fils Istvan de 1903 à 1905 et de 1913 à 1917 : il est assez rare que des hommes d’Etat de premier plan, en dehors de la suisse et des Pays-Bas, appartiennent au calvinisme, pour que le fait soit souligné22. Les juifs jouent un rôle essentiel d’agents de la modernisation dans cette Hongrie en voie d’indépendance et de développement. Victor Karady, sans toutefois préciser l’appartenance confessionnelle de la noblesse libérale hongroise (mais un Lajos Kossuth comme les Tisza sont calvinistes), a insisté sur la force de l’alliance historique qu’elle a nouée avec les juifs :

Cette bonne entente fondée sur les intérêts partagés se transformera dès le Vormärz en véritable alliance politique entre la fraction la plus libérale de cette noblesse – en lutte pour l’indépendance nationale et pour la création d’un Etat-nation moderne sous sa propre direction – et la bourgeoisie juive montante en mal d’intégration sociale. Le gage de cette alliance sera, du côté juif, la magyarisation culturelle et le soutien sans réserve accordé à la cause indépendantiste et, du côté nobiliaire, la protection contre l’antijudaïsme et une politique de sécularisation et de modernisation, donnant libre cours à la mobilité professionnelle des juifs23.

Karady use de la belle formule d’un « contrat social assimilationniste », qui voit les deux parties se donner mutuellement des gages, la noblesse jouant pleinement le triple jeu de l’émancipation des juifs, de leur protection fasse à l’antisémitisme, et de la laïcisation, notamment celle du droit du mariage et de la famille. Le livre de François Fejtô sur l’histoire des juifs hongrois24 va dans un sens identique ; il s’ouvre du reste sur une phrase du grand poète Endre Ady (1877-1919, un calviniste...) : « Dieu n’a créé qu’une seule race pour le bien du peuple hongrois : le Juif ». Dans un commentaire qu’elle a proposé de l’ouvrage, Dominique Schnapper a comparé juifs hongrois et français à l’aide d’une métaphore scolaire très caractéristique :

Réinterprétant la tradition du Livre et de l’Etude, soucieux de pénétrer dans la société nationale restée réticente, grisés par la modernité de la culture nationale et l’espoir de l’intégration et de la mobilité sociales, [les israélites] ont été les « bons élèves », peut-être les meilleurs élèves de la magyarisation de la Hongrie et de la culture nationale laïque diffusée par les républicains français – si bons élèves d’ailleurs que la déjudaïsation, dans les catégories sociales les plus élevées, a été rapide25.

Cette déjudaïsation, plus visiblement active sans doute en Hongrie, où nombre de juifs ont magyarisé leur nom, en répondant à une offre nationaliste active de la part de l’Etat (et qui visait d’autres groupes, dont les Slovaques), a eu son équivalent, mutatis mutandis, dans les rangs des protestants français, nombreux à adhérer au libéralisme théologique et à le fondre dans le vaste humanisme républicain (et dreyfusard) : à tel point qu’un avocat protestant ultra conservateur sur les plans théologique et politique, le maurrassien Ernest Mercier, a écrit au début du xxe siècle un livre pour dénoncer ceux qui, selon lui, n’auraient plus gardé du protestantisme que le nom, et le compromettraient à ce titre bien injustement ; il proposait de les appeler libéraux, pour les distinguer des [vrais] protestants26.

Cette réaction nous invite à dire un mot de la manière dont les chantiers protestants et juifs de modernisation ont été perçus sinon par l’opinion publique, du moins par la hiérarchie catholique et les partis de la droite cléricale. L’homogénéité des réactions hostiles est frappante, en France comme en Italie : le puissant réflexe complotiste ne cesse de dénoncer une entreprise judéoprotestante (je me suis gardé d’user jusqu’ici de cet adjectif trop marqué mais maintenant nécessaire pour décrire moins une alliance objective que son rejet depuis les rangs catholiques et nationalistes). Je n’insisterai pas sur le cas français, tellement bien connu depuis Toussenel, Drumont, Maurras, pour ne citer que trois grands noms d’une haine catholique ; sinon pour dire combien l’ouvrage pionnier d’Alphonse Toussenel, le socialiste fouriériste, qui est bien plus profond que les œuvres de ses deux successeurs de la droite extrême, accompagne la première rencontre objective entre élites protestantes et juives sous la Monarchie de Juillet. Toussenel unit une première fois (et d’une certaine manière tout est déjà dit par lui de manière définitive) les grandes haines antimodernes du xixe siècle, dans leurs racines réactionnaires comme socialisantes: l’antisémitisme, l’antiprotestantisme, l’anticapitalisme, l’antilibéralisme, l’anglophobie, l’antiaméricanisme27.

Le dossier des haines catholiques italiennes – proprement catholiques : en provenance de certains évêques et de la presse religieuse – est tout aussi fourni ; Raffaella Perin 1’a récemment étudié pour les diocèses de la Vénétie dans l’entre-deux-guerres. L’hebdomadaire du diocèse de Padoue, La Difesa del Popolo, publiait dès juin et juillet 1909 deux articles très significatifs, qui n’avaient rien à envier à la thèse maurrassienne (peut-être exportée) des « quatre Etats confédérés » :

L’intesa passata fra socialisti, ebrei, massoni et protestanti ; la propaganda di odio contro Dio e di corruzione delle classi specialmente lavoratrici [...] contro i sacri diritti della coscienza religiosa, della educazione famigliare, della carità cristiana, della proprietà e della libertà ecclesiastica rivelano troppo chiaramente il piano da lungo tempo preparato per distruggere, nelle sede del Pontificato, il cattolicismo e gettare l’Italia intiera nel paganesimo e nelle barbarie28.

À cette idéologie fait parfaitement écho un livre dont le statut est moins convaincant, parce que l’auteur est un prêtre alsacien, observateur du catholicisme allemand dans plusieurs ouvrages, et que lorsqu’il prétend décrire la situation hongroise on peut se demander dans quelle mesure il ne plaque pas sur sa lecture sa culture politique française. Dans Juifs et catholiques en Autriche-Hongrie (1896), Alphonse Kannengieser montre Koloman Tisza, les juifs et les « calvinistes incrédules » (sic) alliés aux francs-maçons pour accabler le catholicisme, via notamment la loi de 1894 qui a institué le mariage civil obligatoire. Tisza aurait organisé une « curée formidable » des fonctions publiques, « Juifs et calvinistes se partageaient avidement les dépouilles de la patrie hongroise », devenue « un fief du calvinisme et du judaïsme29 ».

Doué d’une intelligence remarquable, il comprit qu’il fallait d’abord détruire l’Eglise catholique, qui est la plus haute expression du christianisme. L’œuvre était ardue ; mais il fermentait tant de haine au cœur de ce sectaire qu’il se jeta dans la lutte, tête baissée, avec l’infrangible espérance de triompher. Pour réaliser son plan infernal, il appela à son secours deux alliés dignes de le seconder : la franc-maçonnerie cosmopolite, et la race juive, qui s’abattait de tous côtés sur le pays des nobles magyars. [...] Les Juifs semblaient reconnaître en lui la chair de leur chair, le sang de leur sang. Et, en effet, dans les veines de ce calviniste hautain, à l’allure tour à tour faussement humble et rageusement impertinente, il doit couler du sang israélite. À le voir à la tribune avec sa taille haute, mais voûtée, sa barbe blanche tombant sur sa poitrine, le visage émacié, le corps enveloppé dans un vieux vêtement sali et râpé, nasillant un discours terne et monotone, on songe involontairement au Juif oriental qui sévit dans la monarchie austro-hongroise. On se dit que peut-être le sémite s’est retrouvé sous le magyar, après avoir sommeillé plusieurs générations.

Le sémite s’est si bien éveillé en lui que le premier acte politique de Tisza, devenu ministre, fut l ’émancipation des Juifs. Dans la suite, il ne cessa de marcher avec eux, leur livrant les richesses du pays, en attendant qu’il pût leur livrer l ’âme hongroise. [...] Tisza poursuivit avec un acharnement farouche sa politique d’occupation confessionnelle. Peu à peu il chassa les catholiques de toutes les positions, remplaçant sur toute la ligne l’influence catholique par l’influence judéo-libérale. Il enleva au royaume marianique son véritable caractère en travaillant à la déchristianisation progressive de l’Etat. Les étapes de cette invasion juive et calviniste sont autant de coups portés au catholicisme30.

Face à la mise à mal du pluralisme (fin XIXe — années 1940)

Minorités protestantes et juives se sont retrouvées côte à côte, ou au moins sur la même rive, lorsque certains partis, mouvements d’opinion ou régimes ont entrepris de remettre en cause les émancipations et les égalités. Je n’insisterai pas ici sur la précocité, la puissance, la quasi unanimité du dreyfusisme chez les protestants français, intellectuels, pasteurs, simples fidèles, femmes comprises ; je le tiens pour « exemplaire » sur un plan idéal-typique. Il a été suffisamment étudié31 : signalons simplement les cartes que Marie Aynié a réalisées à partir de son étude de diverses pétitions dreyfusardes, et portant sur le nombre absolu de signataires et leur densité par rapport à la population de leur département. Second par le nombre (derrière Paris) et premier en densité, le département du Gard, dans ses zones protestantes ; on trouve ensuite le reste de l’ancien « croissant huguenot », outre le Béarn et, c’est à souligner, le Doubs et la Haute-Saône, là encore étroitement circonscrits à leur section protestante (pays de Montbéliard)32. C’est la géographie du protestantisme rural, ce sera aussi celle des terres de refuge pour les juifs dans les années 1940.

Dans un autre contexte national, on peut évoquer le rôle qu’a joué Thomas Garrigue Masaryk dans l’affaire Hilsner, du nom de ce jeune vagabond juif accusé du meurtre d’une couturière catholique tchèque, une accusation rapidement associée à celle du meurtre rituel que commettraient les juifs au moment de la Pâque33. Masaryk, pourtant informé du risque que son attitude, génératrice de divisions, faisait courir au nationalisme tchèque dont il était un des leaders, a préféré intervenir en faveur de l ’innocence et de la justice – c’est bien une forme de « dreyfusisme tchèque ». On sait que, né dans le catholicisme, le philosophe et homme politique en est sorti, pour se rapprocher d’un protestantisme libéral à la mode française ou nord-américaine, quelque part entre un Channing et un Ferdinand Buisson, et qu’il a épousé par ailleurs une Américaine d’origine huguenote (Garrigue)34.

Je n’insisterai pas plus sur l’attitude des protestants français face à l’antisémitisme de l’Allemagne nazie puis à celui de la France de Vichy. Là encore, les choses sont trop connues pour les aborder à nouveau dans ces pages. C’est du côté des situations italienne, hongroise, tchèque, que l’on aimerait en savoir plus – pour garder en ligne de mire les protestantismes minoritaires dans la nation, plus que les protestantismes minoritaires dans le protestantisme, à l ’image des darbystes, des mennonites, etc. On imagine la difficulté du chantier, pour des raisons de connaissances et de langues déjà soulignées. Un indice très spécifique et sans doute fragile peut être néanmoins trouvé dans le tableau nominatif des Justes membres des différents clergés que Mordecai Paldiel publie au terme de son étude de 2006 sur les Eglises européennes et la Shoah : on trouve 5 pasteurs sur 10 membres des clergés pour l’ancienne Tchécoslovaquie (50 %, pour 2,3 % de protestants dans la population) ; 8 pasteurs sur 34 pour la Hongrie (23,5 %, chiffre presque identique à celui de leur proportion dans les frontières de l ’époque : environ 21 %), 2 pasteurs sur 54 en Italie (4 %35), 54 sur 190 en France (28,4 % pour 2 %36), 60 sur 68 en Hollande (88 % pour 64 %). On semble autorisé à conclure que l’ampleur du fait minoritaire protestant est corrélée à celle du geste en faveur des juifs, même si le protestantisme hollandais majoritaire donne nettement plus de Justes que sa proportion dans la population.

Paldiel insiste à ce propos sur le rôle joué par ceux qu’il appelle les « calvinists » (la Gereformeerde Kerk), en fait une Eglise néo-calviniste fondée en 1885 et représentant environ 8 % des Hollandais des années 1940 : selon une estimation, ils auraient aidé 25 % des juifs passés à la clandestinité37. Cette remarque est susceptible de conduire vers un tout autre type de considération que le fait minoritaire : les groupes calvinistes les plus « évangéliques » ou « sectaires » auraient été – seraient, que l’on songe au sionisme chrétien – les plus proches des juifs et les plus à même de les sauver durant la Shoah. En France, la part des darbystes dans le sauvetage autour du Chambon-sur-Lignon est importante, mais difficile à évaluer dans la mesure où les dossiers des Justes, par exemple, indiquent simplement « protestant ». Les témoignages de deux pasteurs réformés du Plateau sont sans ambiguïté : « Les premiers paysans qui acceptèrent d’accueillir des juifs furent… des darbystes », selon André Trocmé ; « Les paroissiens de la périphérie, les darbystes, les libristes ont mieux compris la solidarité humaine, la réalité spirituelle de l’Eglise », confirme son collègue André Chapal38. Les baptistes, peut-être également les membres de l’Armée du salut, semblent également surreprésentés au sein des Justes d’Europe. Le pasteur baptiste Edmond Evrard, de Nice, a eu ces phrases caractéristiques au sortir de la guerre : « Nous autres chrétiens protestants, et surtout ceux de l’Eglise baptiste, sommes nourris de la Bible. L’histoire du peuple d’Israël, c’est notre histoire à nous ; la Palestine, notre seconde patrie. Nous aimons les juifs et nous les vénérons. Ce sont des braves39 ». L’historien Yehuda Bauer a écrit des baptistes de Lituanie et d’Ukraine : « Themselves persecuted as a religious minority, they saw the Jews as the Agnus Dei, to be helped and succoured whatever the risk and whatever the cost40 ».

Ainsi peut-on probablement évoquer deux modèles : l’un proprement minoritaire (qui intéresse donc les huguenots français mais pas leurs coreligionnaires hollandais), l’autre lié aux diverses formes du Réveil. Une troisième dimension, aujourd’hui en partie au moins oubliée, mais qui avait le vent en poupe à partir des années 1930, a été le barthisme. L’étude un peu systématique de la correspondance du théologien réformé suisse de langue allemande Karl Barth offrirait une piste intéressante : son influence sur les protestantismes français et vaudois, tout du moins sur une partie de leur jeunes théologiens et pasteurs, est avérée, mais aussi et d’abord, on le sait, sur l’Eglise confessante allemande ; il était par ailleurs lié au grand théologien tchèque Josef Hromadka, auquel il a écrit publiquement, le 19 septembre 1938, alors que se jouait le sort de la Tchécoslovaquie : il dit notamment espérer que les fils des vieux hussites montreront qu’il existe encore des hommes. Il y a eu, dans ces années, une forme d’« internationale » barthienne qui a penché nettement du côté de la résistance spirituelle. Un exemple en est donné par l’article du barthien italien Giovanni Miegge dans un numéro de 1940 de la revue Gioventù Cristiana : il y cite aussi bien cette lettre de Barth à Hromadka que celle que le théologien de Bâle venait d’écrire à la Noël 1939 aux protestants français, et que la censure française avait gravement amputée au moment de la laisser paraître dans Foi et Vie41. Cet article a du reste valu sa suspension à la revue italienne42.

C’est depuis les mêmes vaudois et le journal La Luce, organe officiel de l ’Eglise, que s ’était élevée l ’une des rares voix italiennes à condamner l ’antisémitisme du régime fasciste, en 1938 : au-delà de sa dénonciation, Mario Falchi y insistait sur ce que l’humanité doit aux juifs, notamment le concept de la valeur absolue de la personne humaine43. En riposte, le journal Regime Fascista menaça les vaudois d’un sort identique à celui des juifs, et le synode vaudois de 1938 fit dès lors preuve de beaucoup de prudence, même si plusieurs orateurs se déclarèrent d’accord sur le fond avec l’analyse de Falchi. Le même synode a vu s’opposer deux thèses quant à l’admission dans l’Eglise d’un certain nombre de juifs désireux de la rejoindre, notamment à Rome et Florence : selon les uns il fallait ouvrir largement la porte de l’Eglise, selon les autres il convenait de prévoir une assez longue période de probation. Mais même si la « Table » (la Tavola valdese, la commission qui dirige leurs Eglises) n’a pas pris position publiquement, renonçant à toute attitude « confessante » (l’Eglise réformée de France a montré une prudence assez comparable), les populations des vallées ont caché des juifs « à la cévenole », si l ’on peut dire, dans ce mélange efficace qui comprenait : la proximité de Turin (avec près de 5 000 juifs en 1938) et des relations habituelles entre grande ville et villégiature montagnarde ; un relief propice à l’asile discret, avec de suffisantes ressources vivrières locales ; et l’affinité minoritaire évoquée dans le présent article44. Le risque pour les juifs, comme dans les Cévennes, a pu provenir, en fin de période, de la forte activité des maquis (les partigiani)qui suscitait une série d’actions de représailles ; de jeunes juifs, là encore, ont rejoint les maquis : on possède le beau témoignage quasi ethnographique du juif turinois Emanuele Artom commissaire politique de la résistance dans les Vallées, avant d’être arrêté et torturé à mort45. La petite commune de Rorà, à près de 1 000 mètres d’altitude dans le Val Luserna, tout près de Torre Pellice, a accueilli une vingtaine de juifs (six couples et familles), soit 10 % environ de sa population de l’époque, tous sortis indemnes de la période.

La domanda che viene da porsi a questo punto è : che cosa ha spinto la popolazione di questo paesino a ospitare une cosi grande quantita di Ebrei, senza que nessuno face la spia ? [...] Secondo le Debenedetti [une famille juive cachée sur place] non ultima tra le motivazioni fu il fatto che la popolazione di Rorà era costituita par la metà da valdesi, che forse, grazie al loro passato di persecuzioni potevano capire meglio il dramma ebraico. La loro posizione di ebrei pero non era ufficialmente dichiarata, et secondo le sorelle, c’era anche une motivazione economica46.

Parmi les familles de Rorà ayant accueilli des juifs, signalons celle du futur pasteur et historien des vaudois, Giorgio Tourn47. une enquête systématique à travers les vallées vaudoises s’imposerait évidemment48. J’ai déjà cité sur ce point un texte magnifique de Giovanni Miegge, dans un petit ouvrage paru dès 1946, mais il me semble si caractéristique que je ne résiste pas au plaisir de le redonner à lire49 :

Il y avait aussi [dans les vallées vaudoises] bon nombre d’israélites : les persécutés d’aujourd’hui cherchaient un abri chez les persécutés d’hier, qui leur accordèrent une hospitalité cordiale et dévouée. Toute l’Italie, à peu d’exceptions près, leur fut accueillante, à commencer par les prêtres : il y aurait lieu d’écrire à ce sujet un émouvant chapitre d’histoire ! Mais les juifs étaient particulièrement attirés par les protestants en raison d’affinités anciennes fort compréhensibles : les uns et les autres ne faisaient-ils pas partie de minorités religieuses, et n’avaient-ils pas dans la Bible un trésor commun50 ?

Pour l’ancienne Tchécoslovaquie et l’ancienne Hongrie (avec la Transylvanie, avant qu’elle ne passe à la Roumanie au lendemain de 1945), il reste difficile d’établir des faits précis. Les pages que Paldiel consacre aux figures de Justes membres des clergés donnent les portraits d’un pasteur tchèque (le seul de son espèce en 2006), Premysl Pitter, de l ’Unité des Frères (d’origine hussite), et du pasteur hongrois Gabor Jeno Sztehlo, qui ont sauvé des dizaines de juifs, principalement des enfants ; Sztehlo et l’œuvre du Bon Pasteur (Jo Pasztor), à l’origine une œuvre regroupant des juifs convertis au protestantisme, auraient caché quelque 1 500 enfants et mamans dans trente-deux centres différents. On trouve aussi l’Ecossaise Jane Haining, une presbytérienne responsable de la Scots Jewish Mission à Budapest, morte à Auschwitz en juillet 1944 ; on peut du reste s ’étonner que de tels noms ne soient pas internationalement connus51, même si les historiens savent bien que l ’histoire des Justes risque souvent d’être une galerie de héros admirables mais à partir desquels il est difficile d’induire des contextes et des sociologies de l’aide et du sauvetage. Signalons qu’un pasteur de Budapest, Albert Bereczky, futur évêque de son Eglise et Juste des nations, a publié au lendemain immédiat de la guerre un petit volume sur l’Eglise réformée de Hongrie et la persécution des Juifs ; selon le jeune chercheur qui a résumé le contenu de la plaquette, c’est un plaidoyer pro domo, qui insiste sur les prises de parole et les interventions des responsables (l’évêque Lazslo Ravasz) et les actions de l’Eglise, dont l’œuvre du Bon Pasteur52. La précocité même de cette publication – liée à l’ampleur et à la violence de la déportation des juifs hongrois ? – invite l’historien à s’interroger ; le chantier sur les attitudes des calvinistes hongrois face à la shoah semble encore largement à explorer, surtout si l’on rappelle que le dictateur antisémite de l’entre-deux-guerres, l’amiral Horthy, appartenait au calvinisme…

Je donnerai un exemple de Tchèque en France : le pédagogue d’origine hussite Josef Fisera (Juste), un proche du pasteur Pierre-Charles Toureille (responsable de l’aumônerie des protestants étrangers et lui-même étroitement lié au protestantisme tchèque depuis le début des années 192053), qui a sauvé nombre d’enfants et adolescents juifs dans la maison d’accueil qu’il avait installée dans l’école de Célestin Freinet à Vence. Au retour de la plantation d’un arbre à son nom à Yad Vashem, en 1988, Fisera a évoqué dans sa lettre à l’un des responsables de l’institut son « attachement inébranlable (hérité de [sa] famille) à l’histoire magnifique du peuple juif et à son tribut si lourdement payé pour l’humanité entière54 ». « L’insoumission au mal n’est pas une hérésie. Il faut la comprendre au sens que lui ont donné le martyr Jean Hus et le grand exilé et fondateur de la pédagogie moderne Jean-Amos Comenius, évêque de l’Unité des Frères Tchèques55 », déclarait-il en 1992.

Le rapide parcours proposé dans ces pages paraît porteur de plus de questions et de zones d’ombre que de réponses. Des faits, pourtant, sont là : l’hébraïsation culturelle puis existentielle de certains protestantismes ; les constructions historiques du pluralisme avec les minorités protestantes et les juifs ; symétriquement, le surgissement de fortes haines antijudéoprotestantes de type complotiste ; le dreyfusisme protestant ; l’aide apportée aux juifs dans les années 1940 (2 % de protestants français ont donné près de 11 % des Justes français recensés en 2017). Deux hypothèses résistent : la dimension minoritaire des protestantismes, qui semblent toujours, dans ce cas, de type réformé (mais il faudrait faire des recherches sur les luthéranismes historiquement minoritaires de slovaquie et de Hongrie, par exemple), ce qui devrait conduire peut-être à laisser de côté les cas de la Hongrie et de la Hollande (et de l’Ecosse et de la suisse, pour d’autres raisons évidentes) ; et leur type de rapport à la foi et à la Bible : plus ce rapport est « fondamentaliste », plus est forte l’attention au peuple de Dieu connu à travers l’Ancien Testament, et ce quelle que soit la pulsion missionnaire à son encontre. Des protestantismes très différents peuvent ainsi entretenir des philosémitismes aux racines bien distinctes, mais également puissants. Les deux exemples extrêmes sont probablement le protestantisme huguenot en voie de sécularisation libérale, dans le cas français ; et le néo-calvinisme hollandais ou le darbysme. Cévennes, Nieuwlande, plateau du Chambon-sur-Lignon : trois hauts lieux du sauvetage dans les années 1940, trois contextes et cultures en vérité bien spécifiques. Mais ces remarques ne font qu’indiquer un vaste chantier collectif de recherche : il porte sur des effectifs réduits, un archipel de taches confessionnelles disséminées à travers l’Europe, d’Ecosse en Transylvanie et de Frise en vallées vaudoises, mais n’appelle pas moins de grands efforts, du fait de la difficulté des langues et de la complexité des expériences historiques. Ce qui nous fait d’abord défaut, me semble-t-il, est une histoire comparée des calvinismes européens56 et des Réveils à l’œuvre dans ces milieux. Puisse le présent article avoir attiré l’attention sur l’intérêt qu’il y aura à tenter une telle histoire.

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1. Patrick CABANEL, Juifs et protestants en France, les affinités électives XVIe - XIXe siècle, Paris : Fayard, 2004.

2. Pour les protestants français, il s’agit d’André Encrevé ; pour les juifs français, de Frances Malino.

3. Rainer LIEDTKE et Stephan WENDEHORST (éd.), The Emancipation of Catholics, Jews and Protestants. Minorities and the Nation State in nineteenth-century Europe, Manchester — New York : Manchester University Press, 1999, p. 4-5 et 191, S. Wendehorst évoquant une juxtaposition de contributions sur les minorités plutôt qu’une étude comparative. L’ouvrage dirigé par Alberto Cavaglion, Minoranze religiose e diritti. Percorsi in cento anni di storia degli ebrei e dei valdesi (1848-1948), Milan : Franco Angeli, 2001, bute sur le même écueil, s’en tenant à accoler, sans chercher de rapprochements, les actes de deux journées d’études séparées sur les juifs et les vaudois.

4. Voir notamment, en attendant la publication des actes du colloque organisé par mes soins en 2017 au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, les articles de Salo W. BARON, « John Calvin and the Jews », dans Harry Austryn Wolfson Jubilee Volume on the occasion of His Seventy-Fifth Birthday, Jérusalem, 1965, t. I, p. 141-163 ; Pierre-François Moreau, « Calvin, le peuple hébreu et la continuité des deux Testaments », dans Daniel Tollet (éd.), Les textes judéophobes et judéophiles dans l’Europe chrétienne à l’époque moderne, Paris : PUF, 2000, p. 85-96 ; Myriam Yardeni, « Calvin, le calvinisme français et le judaïsme », Annuaire de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, V section, t. 102, 1994-1995, p. 375-377 et « Juifs et judaïsme dans la théologie calviniste française du xviie siècle », Foi et Vie, CII, juillet 2003, p. 3-13.

5. Patrick Cabanel, « “Patois” marial, “patois de Canaan” : le Dieu bilingue du midi occitan au xix siècle », Les parlers de la foi. Religion et langues régionales, Rennes : PUR, 1995, p. 117-131.

6. 33 000 protestants sur 25 millions d’habitants, d’après le recensement officiel : vaudois et autres protestants d’Italie où des missions britanniques sont à l’œuvre ; 123 000 protestants en 1911, pour 34,7 millions d’habitants, soit 0,0035 %.

7. Cf. mon édition de son Journal (1825-1850), Grenoble : PUG, 2018.

8. Viktor KLEMPERER, LTI. La langue du Troisième Reich. Carnets d’un philologue, Paris : Albin Michel, 1996.

9. Jacques BASNAGE, Histoire des Juifs depuis Jésus-Christ jusqu’à présent pour servir de continuation à l’histoire de Joseph, nouvelle édition augmentée, La Haye : H. Scheurleer, 1716, livre IX, vol. 13, p. 356-357.

10. Il utilise cette expression à propos du théologien allemand Jean Kuchlin, émigré en 1578 à Amsterdam pour n’avoir pas voulu passer du calvinisme au luthéranisme (Dictionnaire historique et critique, « Kuchlin (Jean) »).

11. Myriam YARDENI, Huguenots et juifs, Paris : Champion, 2008.

12. Murk Daniël Ozinga, Daniel Marot, de schepper van den hollandschen Lodewijk XIV-stijl, Amsterdam : H.J. Paris, 1938, p. 161-164 et planche 45 ; André Berard, Catalogue de toutes les estampes qui forment l'œuvre de Daniel Marot architecte et graveur français, Bruxelles : A. Mertens, 1865.

13. Voir mon Juifs et protestants, op. cit., p. 40-45, et « Les historiens israélites français au XIXe siècle », dans Jean-Marc Chouraqui, Gilles Dorival et Colette Zytnicki (dir.), Enjeux d'histoire, jeux de mémoire, Maisonneuve et Larose, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, 2006, p. 287-300.

14. Mais la prise en charge du salaire des rabbins n’intervient qu’en 1831, avec près de trente ans de retard sur les pasteurs...

15. Gian Paolo Romagnani, « Italian Protestants », dans Rainer Liedtke et Stephan Wendehorst (éd.), The emancipation of Catholics, Jews, op. cit., p. 157 [148-168]. [Le changement d’attitude des autorités de Savoie à l’égard des vaudois a coïncidé avec le changement politique dans l’attitude du groupe libéral dominant, qui avait encore des liens étroits avec la tradition catholique « néo-guelfe » dans les années 1850, devint plus laïque au cours des années 1860 et se révéla potentiellement anticlérical vers la fin du siècle.]

16. Sur ces questions, voir l’ouvrage de Rita Hermon-Belot, Aux sources de l'idée laïque. Révolution et pluralité religieuse, Paris : Odile Jacob, 2015, et la thèse de Joël Sebban, Aux sources de la tradition judéo-chrétienne. L’État-nation, la synagogue et les Églises chrétiennes en France de Napoléon à Vichy, 1806-1940, Univ. Paris I, 2017.

17. Cf. mon article « Le judéo-protestantisme, phantasme catholique ou moment fondateur de la laïcité ? », Les cahiers du judaïsme, 9, hiver/printemps 2001, p. 88-103.

18. La presse protestante italienne hésitait sur son appartenance : L’Italia Evangelica rapporte, en 1896, que Sonnino est donné pour protestant par La Tribuna, pour israélite par 1l Secolo de Milan. Voir Giorgio Spini, Italia liberale e protestanti, Turin : Claudiana, 2002, p. 86.

19. Pierre Birnbaum, Les fous de la République. Histoire politique des juifs d'État de Gambetta à Vichy, Paris : Fayard, 1992 ; Patrick CABANEL, Le Dieu de la République. Aux sources protestantes de la laïcité (1860-1900), Rennes : PUR, 2003 (avec bibliographie pour les exemples traités ici à la suite).

20. L’Église libre, 11 février 1881, p. 42. J’emprunte ces remarques à Patrick Harismendy, « Le philosémitisme protestant d’avant l’affaire Dreyfus », dans Annette Becker, Danielle Delmaire, Frédéric Gugelot (dir.), Juifs et chrétiens : entre ignorance, hostilité et rapprochement (1898-1998), Villeneuve d’Ascq : Université Charles de Gaulle, 2002, p. 41.

21. Et près de 21 % dans la Hongrie très diminuée de l’entre-deux-guerres, avec quelque 2,8 millions de personnes, ce qui est considérable au regard notamment des effectifs du protestantisme français.

22. La France compte à la même époque des réformés qui sont ministres et même candidats (sans succès) à la présidence de la République (Léon Say, Charles de Freycinet).

23. Victor KARADY, « Les Juifs et les Etats-nations dans l’Europe contemporaine (XVIIIIe-XIXe siècles) », Actes de la recherche en sciences sociales, 118, juin 1997, « Genèse de l’Etat moderne », p. 46 (v. aussi p. 39) [28-54].

24. François FEJTÔ, Hongrois et juifs. Histoire millénaire d'un couple singulier (1000-1997), Paris : Balland, 1997. Quelques titres de sous-chapitres : « L’âge d’or de l’assimilation », « Une intégration presque parfaite », « Le rôle des Juifs dans le développement économique », « Les Juifs et la modernisation de la culture hongroise ».

25. Dominique Schnapper, « Juifs hongrois et juifs français. Les destins de l’“assimilation” », Commentaire, 87, automne 1999, p. 671-672 [669-675].

26. Gaston Mercier, L'Esprit protestant. Politique — Religion (1512-1900), Paris : Librairie Académique Perrin, 1901 : « Alors il faudra faire une distinction capitale, quand on accusera les protestants de s’être lancés tête baissée dans le mouvement dreyfusard. Le protestantisme français ne peut pas être chargé des péchés de ceux qui ne se réclament pas de lui, et qu’il a rejetés. Or ce sont précisément les libéraux que l’on voit figurer à la tête de ce mouvement, gens en place, fonctionnaires pour la plupart, préfets, professeurs, magistrats, habiles politiques, remuants et frétillants comme dirait Brantôme, toujours amis du gouvernement. Donnez-leur un nom nouveau qui convienne à leur religion nouvelle » (« Préface », p. ix).

27. Sur Toussenel, lire Jean-Philippe SCHREIBER, « Les Juifs, rois de l’époque d’Alphonse Toussenel, et ses avatars : la spéculation vue comme anti-travail au xixe siècle », Revue belge de philosophie et d’histoire, 79 (2001), p. 533-546, Ceri Crossley, « Anglophobia and Anti-Semitism : the Case of Alphonse Toussenel (1803-1885) », Modern and Contemporary France, 12-4 (2004), p. 459-472 et le compte rendu de cet article par Jean-Claude Dubos, Cahiers Charles Fourier, 2005, n°16, en ligne, http ://www.charlesfourier.fr/spip.php?article292.

28. « Cattolici, guardiamo in fondo », La Difesa del Popolo, 19 juin 1909, p. 1. [L’accord passé entre socialistes, juifs, maçons et protestants ; la propagande de haine contre Dieu et de corruption des classes spécialement laborieuses [...], contre les droits sacrés de la conscience religieuse, de l’éducation de la famille, de la charité chrétienne, de la propriété et de la liberté ecclésiastiques, révèlent trop clairement le plan ourdi de longue date pour détruire, au siège du Pontificat, le catholicisme et jeter 1 ’Italie entière dans le paganisme et la barbarie.] L’article « Non fate lo struzzo » (Ne faites pas 1 ’autruche), le 4 juillet suivant, p. 3, tente d’approfondir 1 ’analyse en montrant le socialisme qui tend la main aux juifs, maçons et protestants afin de mieux attaquer l’Eglise catholique. Cité par R. Perin, « La Chiesa veneta e le minoranze religiose (1918-1939) », dans Chiesa cattolica e minoranze in Italia nellaprima metà del Novecento. Il caso veneto a confronto, a cura di Raffaella Perin, Rome, Viella, 2011, p. 171-172 [133-223].

29. Alphonse Kannengieser, Juifs et catholiques en Autriche-Hongrie, Lethielleux, Paris : 1896, p. 224 et 250.

30. Ibid., p. 216-218.

31. André ENCREVE, « La petite musique huguenote », dans Pierre BIRNBAUM (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Gallimard, 1994, p. 451-504 ; « Des protestants dans l’Affaire », dans Michel Drouin (dir.), L'Affaire Dreyfus de A à Z, Paris : Flammarion, 1994, p. 445-457.

32. Marie AYNIÉ, Les amis inconnus. Se mobiliser pour Dreyfus 1897-1899, Toulouse : Privat, 2011, cartes p. 188-190, 213 et 215, analyse de la mobilisation protestante p. 210-224, et plusieurs lettres données en annexes.

33. Dans l’affaire de Tiszaezlar, en Hongrie, autre accusation de meurtre rituel proférée contre les juifs, en 1882, c’est Kossuth, en exil à Turin, qui fait entendre une protestation retentissante contre le déferlement d’antisémitisme dans son pays.

34. Cf. mon article « Protestantism in the Czech historical narrative and Czech nationalism of the nineteenth century », National Identities, 11, 1, march 2009, p. 31-43.

35. La Belgique présente des chiffres comparables : 3 pasteurs pour 106 membres des clergés (3 %, pour une proportion infinitésimale de protestants).

36. Encore trois pasteurs comptabilisés comme suisses par Paldiel ont-ils agi en France (camp de Gurs et plateau du Chambon-sur-Lignon) ; en les ajoutant au stock français, la proportion s’élève à près de 30 %.

37. Mordecai Paldiel, Churches and the Holocaust. Unholy Teaching, Good Samaritans and Reconciliation, KTAV Publishing House, 2006 p. 171 (tableau des Justes membres des clergés : p. 371-378).

38. Pierre Boismorand, Magda et André Trocmé, figures de résistance, Paris : Cerf, 2007, p. 143 ; témoignage de Chapal : BPF, DP 75, p. 7.

39. CDJC, CCXVIII-87, p. 6 (mars 1945).

40. Yehuda BAUER, The Holocaust in Historical Perspective, Seattle : University of Washington Press, 1978, p. 61-62. [Persécutés eux-mêmes en tant que minorité religieuse, ils ont vu les Juifs comme l’Agneau de Dieu, qu’il fallait aider et secourir quels qu’en soient le risque et le coût.] Voir aussi Mordecai Paldiel, « The Altruism of the Rigtheous Gentiles », Holocaust and Genocide Studies, 1988, 2, p. 191.

41. Voir mon analyse de la lettre et de l’épisode dans De la paix aux résistances. Les protestants français 1930-1945, Paris Fayard, 2015, p. 80-86.

42. Jean-Pierre Viallet, La chiesa valdese di fronte allo stato fascista 1922-1945, préface de Giorgio Rochat, Torino : Claudiana, 1985, p. 284. L’article est paru dans le numéro 2-3, 1940, p. 83-90 ; il comprenait également des extraits de la riposte du théologien allemand Hirsch à Barth.

43. La Luce, n° 30, 1938, cité ibid., p. 224. Reproduisant cet article dans « Gli evangelici italiani di fronte alle leggi razziali », Il Ponte, numéro spécial, « La difesa della razza », 11-12, 1978, p. 1353-1358, Giorgio Spini commente : « Avere come capo ufficio il commendator Levi o come insegnante il profesor Segre o come medico il dottor Modigliani, insomma, era une bella cosa per chi era esposto continuamente a sentirsi rinfacciare la propria “diversità” come une colpa o ad essere stangato come “anti-italiano”. » [Avoir comme chef de bureau le commandeur Levi ou comme enseignant le professeur Segre ou comme médecin le docteur Modigliani, en bref, était une belle chose pour qui se trouvait continuellement exposé à se voir reprocher sa propre « différence » comme une faute ou à être brimé comme « anti-italien ».] (ibid., p. 1354).

44. Outre les titres cités dans les notes précédentes, voir notamment Giorgio SPINI, Alberto CAVAGLION et Gian Paolo ROMAGNANI (dir.), Le interdizioni del Duce. A cinquant’anni dalle leggi razziale in Italia, 1938-1988, Torino : Albert Meynier, 1988.

45. Emanuele ARTOM, Diario di un partigiano ebreo, gennaio 1940-febbraio 1944, a cura di Guri Schwarz, Torino Bollati Boringhieri, 2008, XVIII-229 p.

46. Liceo classico statale « V. Gioberti », Adotta un piccolo comune: Rorà. Gli ebrei a Rorà nel 19431945, s.l., s.d., non paginé. [La question qui se pose à ce point est celle-ci : qu’est-ce qui a poussé la population de ce village à accueillir une aussi grande quantité de juifs, sans que personne ne fasse l’espion ? [...] Selon les Debenedetti, la moindre des raisons ne fut pas le fait que la population de Rorà était constituée à moitié de vaudois qui peut-être, grâce à leur passé de persécution, pouvaient mieux comprendre le drame juif. Mais leur qualité de juifs n’était pas officiellement déclarée, et selon les sœurs il y avait aussi une motivation économique.]

47. Le père du théologien Paolo Ricca, pasteur à Bobbio Pellice, a mis à l’abri dans son presbytère le mobilier d’une famille juive de Turin dans laquelle ses sœurs étaient employées de maison, tandis que la famille se réfugiait en Suisse (témoignage oral de P. Ricca, 2017).

48. La « thèse de licence » de Maria Bonafede propose, comme son titre l’indique, une première approche de ce que pourrait être cette enquête : Maria Bonafede, Azione a favore degli ebrei da parte dipastori metodisti e valdesi in Italia dopo lemanazione delle leggi razziali (1938-1945). Une primapanoramica, sulla base delle testimonianze raccolte, Rome, Facolta valdese di teologia, 1984.

49. ce texte de Miegge et un certain nombre d’autres références et analyses apparaissent dans ma contribution « Protestantismes minoritaires, affinités judéo-protestantes et sauvetage des juifs », à l’ouvrage dirigé par Jacques Semelin, Claire Andrieu, Sarah Gensburger, La résistance aux génocides. De la pluralité des actes de sauvetage, Sciences Po. Les Presses, 2008, p. 445-456.

50. Giovanni MIEGGE, L'Église sous le joug fasciste, Genève : Labor et Fides, coll. « La chrétienté au creuset de l’épreuve », vol. XI, 1946, p. 57.

51. 51 Sztehlo a publié son autobiographie, Isten Kezeben [Dans la main de Dieu], Budapest, 1984 ; il existe une biographie par Emil Koren, Sztehlo Gabor Elete es Szolgalata [La vie et l’œuvre de S. Gabor], Budapest, 1994.

52. Albert BERECZKY, A magyar protestanzismus a zsidoüldozés ellen [Le protestantisme hongrois contre la persécution des juifs], Budapest, 1944, 44 p., traduction synthétisée et notes par Henri de Montety, «L’Eglise réformée de Hongrie et la persécution des Juifs », Diasporas. Histoire et sociétés, « Retour, Retrouvailles », 8, 2006.

53. Tela Zasloff, A Rescuer's Story. Pastor Pierre-Charles Toureille in Vichy France, University of Wisconsin Press, 2003.

54. Dossier Fisera au Comité Français pour Yad Vashem. Les mémoires de Fisera sur sa vie dans les années 1940, publiés à Prague, vont être traduits en français chez l’éditeur Ampelos.

55. «Témoignage de Joseph Fisera », dans André Encreve et Jacques Poujol (dir.), Les protestants français pendant la seconde guerre mondiale, Supplément au BSHPF 1994, 3, p. 645.

56. Voir cependant 1’ouvrage dirigé par Menna Prestwich, International Calvinism, 1541-1715, Oxford, Clarendon Press, 1985. Et, sur 1 ’important calvinisme hongrois, Graeme Murdock, Calvinism on the frontier. 1600-1660. International calvnism and the reformed Church in Hungary and Transylvania, Oxford : Clarendon Press, 2000 ; Marta Fata, Anton Schindling (éd.), Calvin und Reformiertentum in Ungarn und Siebenbürgen. Helvetisches Bekenntnis, Ethnie und Politik vom 16. Jahrundert bis 1918, Müsnter : Aschendorff Verlag, 2010.