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Jean-Paul Eyrard et Georges Krebs, Chronique de la colline aux quatre vies, le campus de l’École supérieure des affaires de Beyrouth et son histoire (1866-2016), Beyrouth : Editions ESA-Beyrouth, 2016, 258 p.

Poursuivant leurs recherches sur le protestantisme au Liban1, J.-P Eyrard et G. Krebs nous donnent aujourd’hui une étude centrée sur les quatre implantations qui se sont succédé sur la colline Aïn-el-Mréissié, l’un des quartiers de Beyrouth, et dont la première concerne directement l’histoire du protestantisme. En effet, en 1866 un hôpital protestant prussien y ouvre ses portes. Cela fait suite à diverses tentatives d’évangélisation protestante dans cette région depuis le début du xixe siècle, avec un succès assez modeste toutefois : en 1914 on dénombre seulement 7 000 protestants dans l’ensemble du Levant. Il reste qu’au milieu du xixe siècle des protestants européens résident à Beyrouth et qu’une œuvre protestante allemande, le Jerusalemverein fondée en 1852, y organise en 1856 une modeste paroisse protestante, où les cultes sont célébrés en allemand et en français. Puis, en 1860 les émeutes antichrétiennes en Syrie et au Liban – elles provoquent le massacre de 22 000 chrétiens (300 villages chrétiens détruits, 560 églises brûlées, etc.) – conduisent les puissances européennes à s’intéresser à cette région. Or, depuis 1851, une maison de diaconesses allemandes (affiliée à l’œuvre fondée en 1833 à Kaiserswerth par le pasteur Fliedner) est implantée à Jérusalem. Pour venir en aide aux rescapés des massacres, en octobre 1860, elles s’installent à Beyrouth, y fondent un orphelinat et une école de filles, puis en 1861 elles ouvrent un hôpital pour femmes et enfants à Saïda. Par ailleurs, la branche prussienne, et protestante, de l’Ordre de Malte (l’Ordre de Saint-Jean-de-Brandebourg) décide de fonder un hôpital pour hommes à Beyrouth. D’abord installé dans des bâtiments provisoires loués, il est ensuite transféré sur la colline Aïn-el-Mréissié où des locaux neufs et fonctionnels sont construits en 1866 ; et les diaconesses y délèguent quelques une d’entre elles pour y servir d’infirmières. Cette collaboration dure jusqu’en 1918. Et c’est à la vie de cet hôpital que toute la première partie de l’ouvrage est consacrée. Il devient peu à peu un établissement d’excellence, recevant gratuitement chaque année environ 600 à 700 malades. Les auteurs évoquent de façon très claire et très précise (autant que les sources leur permettent de le faire) son fonctionnement, son encadrement et les diverses phases de son développement. De fait, à partir de 1871, et alors qu’il était seulement un hôpital allemand, avec un personnel médical allemand et des infirmières allemandes, il devient un hôpital d’application de la School of Medecine du Syrian Protestant college (future université américaine de Beyrouth), faculté de médecine fondée en 1867. Naturellement, cela contribue à son rayonnement. Mais la Première Guerre mondiale va lui être fatale. À la fin de l’année 1918 les défaites de l’Allemagne et de ses alliés turcs contraignent les Allemands à quitter leur hôpital tandis que les troupes françaises débarquent à Beyrouth réquisitionnent l’hôpital.

Évidemment, il cesse alors d’être confessionnel (les diaconesses quittent Beyrouth en 1920, les médecins militaires allemands étant partis dès octobre 1918). Toutefois, l’article 438 du Traité de Versailles prévoit que les biens religieux allemands sont certes cédés aux Alliés, mais aussi qu’ils doivent continuer à avoir un caractère de mission et être gérés par des personnes ayant les mêmes croyances religieuses. Ce qui introduit les protestants français dans l'affaire et provoque un affrontement de plusieurs années entre l’autorité militaire française et les huguenots. Finalement, en 1929 l’État français achète l’hôpital aux protestants français, une indemnité étant par ailleurs versée à l’Ordre de Saint-Jean pour non-respect du traité de Versailles.

Ensuite le livre s’intéresse à la seconde vie de cet hôpital, devenu l’hôpital militaire français, et transformé à partir de 1941 en hôpital des Français libres. De 1946 à 1996, c’est l’ambassade France au Liban qui s’y installe. Enfin, en 1996, y est inaugurée l’École supérieure des affaires, grande école de gestion, gérée par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Et l’ouvrage décrit fort bien ces diverses évolutions, qui ne concernent plus l’objet propre de la Revue de l'histoire du protestantisme. Il reste que ce livre – par ailleurs fort bien illustré – nous permet de mieux connaître une page oubliée de l’histoire du protestantisme au Levant.

André Encrevé

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1. Voir, notamment, notre compte rendu, dans ces colonnes (BSHPF, 2010, p. 316-318), de leur livre Le protestantisme français et le Levant de 1856 à nos jours, Beyrouth et Suasbourg, Présence protestante française au Liban, et Oberlin, 2008.