Jean-Paul Autant,Michel de L’Hospital, vers 1506-1573. Un humaniste Chancelier de France au temps des guerres de Religion, Panazol : Lavauzelle, 2015, 378 p.
Plus de soixante ans après la dernière biographie sur Michel de L’Hospital, écrite par Albert Buisson (Michel de L’Hospital : 1503-1573, Paris : Hachette, 1950), voici un regard frais sur l’une des figures les plus intrigantes du xvie siècle français. Dans sa « biographie résumée » (p. 13) de Michel de L’Hospital, Jean-Paul Autant se propose d’offrir au lecteur contemporain « un portrait d’ensemble du Chancelier » et « de peindre à grands traits les principales lignes de force de sa vie replacées dans son contexte historique, politique, humain et domestique » (p. 14) – attentes auxquelles il répond pleinement. Dès la première page, on perçoit un vif désir de partager avec les lecteurs la grande passion pour une époque aussi chatoyante que la Renaissance. Dans ce but, l’auteur met tout en œuvre pour faciliter à un public d’amateurs éclairés l’accès au sujet, en se souciant d’illustrer les tenants et aboutissants, de fournir les contextes, même d’expliquer les termes techniques utilisés ; toutes affirmations peuvent être vérifiées dans le riche apparat de sources en bas de page. De plus, Autant se révèle un narrateur à la prose fluide et élégante qui sait conjuguer le langage sobre et lucide convenant à un ouvrage de vulgarisation avec une diction brillante, digne d’un grand romancier. Ces qualités font en sorte que le lecteur puisse suivre aisément son exposé.
En bon narrateur qu’il est, Autant ne commence pas ab ovo, mais entame son récit en introduisant son protagoniste « au soir de sa vie » (p. 39). Nous rencontrons Michel de L’Hospital dans l’été de l’an 1572, relégué dans son domaine du Vignay, pendant que sévissent aux alentours les luttes de religion qui culminent dans la tragédie de la Saint-Barthélemy. Le Chancelier, qui se trouve à ce moment-là dans sa bibliothèque privée, est arraché à ses pensées par le bruit d’hommes armés qui pénètrent dans son domaine. Que va-t-il se passer ? Qu’arrivera-t-il au Chancelier ? C’est au lecteur de le découvrir dans le récit qui se tissera à partir de cette scène…
Les fils conducteurs de la biographie qu’Autant dessine sont la tolérance et l’humanisme (chap. 1, p. 29). Comme le sous-titre l’indique déjà, l’accent est mis clairement sur les années de la chancellerie de L’Hospital qui coïncida avec le début des guerres de religion (avec un peu plus de 100 pages vouées à la période précédant la chancellerie contre les presque 200 pages dédiées à la chancellerie elle-même). Ceci paraît dû non seulement aux intérêts personnels de l’auteur, mais aussi à la situation documentaire qui devient moins lacunaire au fil du temps.
Aux chapitres centrés sur la chronologie des événements alternent des chapitres qui mettent plutôt l’accent sur l’essence du protagoniste ou bien sur le contexte historique : les chapitres 3 à 10 sont dédiés à la vie de L’Hospital précédant la chancellerie. Les vicissitudes biographiques évoquées vont de l’enfance et adolescence en Auvergne et des années d’études (chap. 3), à la carrière de juriste (chap. 4), l’ambassade au Concile de Trente (chap. 8), l’ascension politique (chap. 9) et l’élection à Grand Chancelier de France (chap. 10). Les maigres données biographiques sont compensées par un beau portrait en ronde-bosse : le chapitre 4 donne l’arrière-plan de la Réforme protestante et de la diffusion du calvinisme en France ; le chapitre 5 cherche à dessiner le profil moral du protagoniste entre humanisme et christianisme ; les chapitres 6 et 7 sont dédiés à L’Hospital en qualité d’homme de lettres, soit comme poète néolatin, soit comme prosateur français et promoteur de la langue maternelle. De l’espace est aussi accordé à certains contemporains, soit qu’ils furent liés d’amitié avec lui (Jean de Morel ; Jacques du Faur ; Jean du Bellay), soit qu’ils eurent une grande importance ou en matière religieuse (Erasme de Rotterdam ; Jean Calvin) ou sur l’échiquier politique de l’époque (Charles IX ; Catherine de Médicis ; le cardinal Charles de Lorraine ; le duc François de Guise).
La deuxième partie de l’ouvrage se concentre sur les guerres de religion. Ces chapitres sont scandés par la succession des éclats de violence et des brèves périodes de trêve, de l’aggravation de la crise (chap. 10 et 11) aux premières trois guerres de Religion (chap. 12-16) jusqu’à la saint-Barthélemy (chap. 17) et la suite des conflits (chap. 18-20). À l’intérieur de ce récit de guerre, apparaît la figure du Chancelier qui tente d’apaiser les oppositions, œuvre à consolider le pouvoir fédérateur monarchique, se préoccupe de l’ordre public, se bat contre la vénalité des charges et la corruption des cours, cherche à faire face aux dettes du Royaume et aspire à une simplification du droit.
Dans cette deuxième partie surtout, le lecteur pourrait parfois avoir l’impression de perdre de vue le protagoniste : Autant s’attarde sur les moments-clé des guerres de religion, comme la conjuration d’Amboise, le colloque de Poissy, le massacre de Wassy, l’édit d’Amboise… sans toujours relier ces évènements à l’activité de L’Hospital. Ce faisant, les mérites du Chancelier tendent à se perdre dans l’amas des données d’histoire évènementielle. On aurait aimé en apprendre plus sur le personnage, son attitude irénique, sa position de « moyenneur », son rapport avec les artistes de son époque. Un lecteur intéressé principalement par les guerres de religion tirera peut-être plus de profit de la lecture de manuels comme la récente contribution d’Olivia Carpi (Les guerres de Religion (1559-1598) : un conflit franco-français, Paris : Ellipses, 2012). Ici, par contre, l’accent aurait pu être mis, par exemple, sur l’édit de Tolérance de janvier 1562, dans lequel l’auteur lui-même identifie l’un des fondements du sécularisme (cf. p. 194-195) et dont L’Hospital fut promoteur, ou bien sur l’ordonnance de Moulins de février 1566 qui, toujours selon l’auteur, constitua « durant deux siècles un fondement du fonctionnement de la justice en France » (p. 251) et instaura une vaste réforme judiciaire. Pareillement, la curiosité du lecteur reste parfois insatisfaite, comme sur l ’épineuse question de la foi du biographié : était-il vraiment crypto-calviniste ? Ou bien sur son rapport difficile avec le cardinal de Lorraine : pourquoi ont-ils rompu de manière si drastique ?
Ces observations ne suffisent cependant pas à ternir le travail tout à fait méritoire accompli par Autant. Le lecteur pourra s’en convaincre en lisant les dernières pages de l’ouvrage, dans lesquelles l ’auteur rend palpable le drame personnel du Chancelier dans tout son malheur et sa solitude. De même, il lira avec grand profit la belle synthèse et le bilan au chapitre 21 qui réfléchissent au caractère du biographié, l’exemplarité de sa vie, la question de son credo religieux, son importance comme précurseur de la tolérance civile et son idéalisme associé au pragmatisme.
L’année même où les églises réformées et l’Europe toute entière commémorent les 500 ans de la Réforme protestante, ce beau livre de Jean-Paul Autant nous paraît être une contribution précieuse à une réflexion commune – et un bel hommage à un personnage qui fait à juste titre partie du « Panthéon spirituel » (p. 359) français et européen.
Christian Guerra