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Didier Poton et Pierre Prétou (dir.), Religion et navigation, de l’Antiquité à nos jours, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2016, 217 p.

Ce livre réunit les communications d’une journée d’étude tenue à Rochefort en 2012. Il traite essentiellement des pratiques religieuses en mer, dans l’espace confiné qu’est le navire, en liaison avec les dévotions des populations littorales. En dehors des travaux de Cabantous sur ce sujet et de ceux de Delumeau sur la peur, l’historiographie française est pauvre. Effectivement, ce sont les réactions de peur, notamment face aux éléments déchaînés, qui expliquent bien des pratiques religieuses. Les ex-votos (qui sont déjà pratiqués dans l’Antiquité) sont une des expressions des périls conjurés en mer. Les catholiques multiplient des cérémonies rassurantes qui s’appuient sur le culte marial ou s’adressent à Saint Nicolas. Mais que peut être l’attitudes des protestants ? Comment lutter contre les « superstitions papistes » auxquelles les marins sont habitués ? Les réformateurs protestants, pour rassurer leurs ouailles, insistent à la fois sur la crainte de Dieu et sur la tranquillité en Dieu, dosant habilement menace et réconfort, foi et abandon. Dans les pays protestants de l’Europe du nord-ouest, ont été gardées les cérémonies de bénédiction des navires avant leur départ. Des livres de prières et d’actions de grâce sont diffusés pour développer une piété personnelle. Dans la seconde moitié du xviie siècle, de tels livres sont publiés en France, pour les marins calvinistes, nombreux le long des côtes atlantiques, mais aussi pour les milliers de réfugiés qui fuient la France.

À partir de la fin du xve siècle, avec la multiplication des voyages maritimes, l’Église catholique intervient de plus en plus. Pour les marines de guerre, l’État doit répondre en c’occupant de l’encadrement religieux des équipages, mais il faut attendre 1681, l’ordonnance de Colbert, pour que soit organisée la fonction d’aumônier de marine. Messes, prières quotidiennes, obligation d’assistance, participent à la politique d’étouffement du protestantisme. Pour recruter ces aumôniers spécialisés, trois séminaires sont fondés. Le statut des aumôniers d’aujourd’hui date de 1852. Aucune communication ne traite des galères royales.

La première partie de ce livre est consacrée aux sources. Dans les dépôts d’archives, pourtant si riches, on ne trouve rien de spécifique concernant les dévotions en mer, ce qui en quelque sorte est normal, la religion étant inséparable des actes de la vie quotidienne. Aussi est-ce dans les rôles d’équipage et surtout dans les journaux de bord, que l’on trouve le plus d’indications.

La seconde partie concerne l’exercice du culte embarqué. Elle suscite quatre communications. La première étudie les bateaux romains qui, selon l’auteur, seraient des « sanctuaires flottants », tant s’y concentrait tout un mobilier votif. La seconde recherche les pratiques religieuses dans un récit de voyage à Sumatra en 1529-1530, témoignage passionnant écrit par le pilote, instruit et cultivé. La troisième concerne plus directement le protestantisme. Elle est écrite par Didier Poton. Il étudie un livre protestant de quarante-neuf prières et actions de grâce, les premières étant plus nombreuses que les secondes, les invocations que les remerciements ! Ce manuel entend avant tout répondre à la peur de la mer et des dangers de la navigation. Le protestant est seul face au péril. Il doit se confier à Dieu. La typologie de ces prières, à elle seule, indique quels dangers sont craints, les corsaires comme les naufrages. Ce manuel écrit par le pasteur Gautier est le premier en langue française. Il s’inspire largement du Book of Common Prayers qui avait une section destinée aux gens de mer. Autant qu’aux marins, il s’adresse aux huguenots qui fuient la France par la mer. Dans la quatrième communication, Yves Caluer traite des « Escales protestantes en France, Bethels, Sailor’s homes et aumôniers dans les ports hexagonaux au xixe siècle ». L’impulsion qui fonde les œuvres pour marins sur les côtes françaises est, tout comme l’évangélisation des campagnes littorales, partie de Grande-Bretagne, et elle correspond au Réveil de type méthodiste. Le mouvement est devenu un phénomène mondial. Tous les ports britanniques, hollandais, scandinaves, etc… créent des Comités Béthel (c’est-à-dire « maison de Dieu »). Là, les marins peuvent trouver au minimum une salle de réunion avec boissons non alcoolisées, quelquefois des chambres. Les Sailor’s homes se multiplient autour du monde. Aujourd’hui les Maisons du Marin dans nos ports poursuivent cette mission sociale. Mais au temps du Réveil, hisser le pavillon bleu (avec colombe et étoile) de Béthel signifiait qu’un capitaine prédicateur réunissait un auditoire essentiellement anglo-saxon, soit sur son navire, soit dans un temple à terre. Au Havre, le négociant Frédéric de Coninck tenta de créer l’Hôtel du Bon Mousse pour protéger les marins les plus jeunes. Faute de financement pérenne, il dut le fermer (1862-1864). Quelques années plus tard, les dames protestantes appartenant à la Ligue nationale contre l’alcoolisme, réussirent à créer la Maison des Marins du Havre (1892), reconnue d’utilité publique en 1905. Déjà au Havre, comme à Marseille et dans d’autres ports, les marins protestants avaient le choix entre plusieurs Sailor’s Homes car les luthériens scandinaves, les anglicans, baptistes, méthodistes. en avaient ouvert. Il y a désormais une porosité entre ces lieux d’évangélisation et les populations protestantes locales. Le Réveil naval débouche sur un prosélytisme protestant qui touche les gens de mer français.

Nous ne ferons qu’évoquer la quatrième partie de ce livre car elle concerne le culte catholique / l’envoi de religieuses ursulines vers la Nouvelle-France au xviie siècle ; la lettre qu’un missionnaire catholique adresse à sa sœur en 1838, lui relatant la traversée du Havre à New-York. En conclusion, il est souhaité que ce livre soit un premier élément d’une histoire religieuse de la navigation, de manière à restituer la pratique du culte embarqué. Mais cela demande un long travail de collecte car les sources sont éparses, que ce soit les textes ou les objets, sources manuscrites ou archéologiques.

Gabrielle Cadier-Rey