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Luther clandestin dans un abécédaire
en français (1534-1560)

Marianne CARBONNIER-BURKARD

Institut Protestant de Théologie, Paris

À la mémoire de Francis Higman († 2015)

Il n’avait pas suffi d’interdire dans le royaume les livres de Luther, depuis 1521, et de sévir, car les « luthériens » avaient des ruses pour dissimuler leur propagande et des complices pour échapper aux peines. Vingt ans plus tard, la « semence d’erreurs » « pullulait » : Luther (sa doctrine) passait toujours en clandestin, mêlé à d’autres, dans des écrits anonymes1. Gardienne de la « droite doctrine » de l’Église, la Faculté de théologie de l’université de Paris a donc redoublé d’attention dans sa traque des livres hérétiques. Le 25 mai 1542, elle censurait même des abécédaires en français. Il faut dire que ces petits livres pour apprendre aux enfants à lire et à prier, traditionnellement en latin, devenaient suspects en langue vulgaire, porte ouverte à des « nouveautés » dangereuses. Parmi ces abécédaires, un texte intitulé Introduction pour les enfans, où les théologiens relevaient « une certaine confession des péchés de Luther », motivant la censure2.

Cet ouvrage imprimé à Paris en 1542 est connu depuis l’étude d’Eugénie Droz, en 1970, qui a identifié son auteur présumé, le curé parisien François Landry, adepte de « l’évangélisme qui se tait », et repéré des rééditions à Lyon3. Cependant, en 1979, Francis Higman a découvert des éditions anversoises de l’Introduction pour les enfants, la première de 1534, d’un « évangélique » anonyme, avant Landry, et conclu au durcissement de la censure en 15424. En outre, grâce à sa bibliographie de la littérature de piété francophone, on peut rassembler une bonne douzaine de rééditions de l’Introduction pour les enfants jusqu’en 1560 au moins5. La relative fortune éditoriale de ce mini-livre jugé « luthérien », promis à la disparition, pose question et justifie de reprendre le dossier au fond.

Dans l’édition de Paris, les « Sorbonnistes » ont donc flairé Luther à propos d’un modèle de confession des péchés, motivant la condamnation d’un livre qui circulait déjà depuis plusieurs années et qui a continué à circuler. Mais s’agissait-il bien du même livre en 1534, en 1542, en 1560 ? On recherchera d’abord l’empreinte de Luther dans la première édition d’Anvers, puis ce qu’elle est devenue après censure, au fil des éditions, en examinant les rares exemplaires conservés dans les bibliothèques6.

Luther dans l’Introduction pour les enfans d’Anvers, 1534 ou 1535

L’Introduction pour les enfans imprimée pour la première fois à Anvers porte l’adresse de Martin Lempereur7. Venant de Paris, l’imprimeur s’était installé en 1524 à Anvers, la grande métropole commerçante des Pays-Bas, et y a fait carrière d’imprimeur-libraire, spécialisé dans les éditions humanistes et « évangéliques ». Il était même une des chevilles ouvrières de l’internationale humaniste et évangélique, en relation avec Bâle, Strasbourg, Cologne, et surtout Paris. A Paris il avait affaire avec Chrétien Wechel, Simon Du Bois, Robert Estienne, imprimeurs et libraires aux accointances évangéliques plus ou moins ouvertes8. Sous sa première devise « Sola fides sufficit», il a publié en français Érasme, Luther, le recueil des oraisons de la Bible de Brunfels. À partir de 1530, il freine ses éditions de luthériens, change sa devise pour « Spes mea Jesus », et publie surtout des traductions bibliques en français, d’abord la traduction de la Bible complète par Lefèvre d’Etaples, interdite en France.

Le petit livre ne porte pas de date, mais a dû être publié entre 1534 et 1536, car il inclut un bénédicité en vers de Marot, sorti à Paris fin 1533, à la suite du Miroir de l’âme pecheresse de marguerite de Navarre qui déplut tant à la Sorbonne, et Lempereur meurt en 1536. La présence (anonyme) de Marot dans ce petit livre indique déjà la provenance évangélique française du manuel. L’année 1534, le réseau évangélique, jusque-là plus ou moins protégé par Marguerite de Navarre, au moins sur ses terres, est frappé à plusieurs reprises. D’abord à Alençon, où à la suite de troubles une vague d’arrestations fait s’enfuir le curé Pierre Caroli, ancien « biblien » de Meaux, et Simon Du Bois, principal imprimeur de livrets évangéliques en français. Puis dans tout le royaume, avec l’affaire des placards en octobre 1534, qui déclenche une série d’exécutions et provoque la fuite de Paris de Simon Du Bois et de Marot. Début 1535, afin d’empêcher la propagation de l’hérésie, de nouvelles mesures sont prises pour resserrer le contrôle sur les livres. Mais déjà en 1534, mieux valait ne pas republier à Paris le Livre de vraye et parfaicte oraison : ce recueil de piété composite, mêlant des sermons de Luther sur le Pater et le Credo dans la version de Farel, les psaumes pénitentiels, mais en version évangélique, la dévotion à la Vierge et des oraisons traditionnelles, était pourtant publié depuis 1528 par Chrétien Wechel9. C’est Martin Lempereur, qui sort à Anvers, en 1534, une nouvelle édition de ce recueil, remanié dans un sens plus fortement « luthérien ». Dans le même temps, l’imprimeur a sous presse, reçue de Paris, l’« Introduction pour les enfans ».

Lempereur imprime le texte sur 8 petits feuillets, en caractères gothiques, comme toute sa production en français. Pour ce simple manuel, le titre, Introduction pour les enfans, n’est qu’une mention au-dessus de l’alphabet. Conformément à l’usage, l’alphabet, qui tient sur deux lignes, est précédé par une croix de saint-André : ce signe graphique indique le geste du signe de croix à faire par l’enfant au début de la leçon de lecture. Sitôt après l’alphabet, on attendrait le Pater, suivi de sa traduction en « Notre Père », puis l’Ave Maria et le Credo, le bénédicité et les grâces, toutes prières en latin, éventuellement les dix commandements de Dieu (en vers français), les sept œuvres de miséricorde, les sept péchés capitaux, le Confiteor : tel est le contenu traditionnel des abécédaires de l’époque.

Depuis la fin des années 1520, de nouveaux catéchismes avaient fait leur apparition du côté des Réformateurs évangéliques, en Allemagne et en Suisse. Il s’agit de manuels en langue vulgaire — l’allemand, par questions et réponses, rapidement dominés par le Petit catéchisme de Luther (1529), traduit aussi en latin10. Un petit alphabet-catéchisme tout entier en français, mais sans la forme de questions et réponses, est aussi imprimé en 1533 à Genève (clandestinement, car les partisans de la Réforme n’ont pas encore gain de cause dans la cité épiscopale) : l’Instruction des enfans, qui est due à un humaniste maître d’école, Pierre-Robert Olivétan, attelé parallèlement à la traduction de la Bible en français, sur l’hébreu et le grec.

Sortie un ou deux ans plus tard à Anvers, l’Introduction pour les enfans est aussi un alphabet-catéchisme en français, sans forme dialoguée, mais très différent de celui d’Olivétan. En effet, il est présenté sur une trame discursive qui en explique l’usage : c’est l’instruction d’un pédagogue pour un enfant « parvenu à discretion ». Cette dernière expression évoque le canon du IVe concile de Latran (1215), au sujet de la « confession auriculaire » : tout baptisé ayant l’âge de « discrétion » (raison), est tenu de confesser ses péchés « à l’oreille du prêtre » de sa paroisse, au moins une fois l’an, avant la communion de Pâques11. Le contexte de l’instruction doctrinale est ainsi esquissé.

Quatre grandes lettrines à figure marquent quatre points dans le parcours d’instruction de l’abécédaire d’Anvers : 1. « Que c’est de Dieu », « que c’est de l’homme » ; 2. La Loi : les dix commandements ; 3. Les articles de la foi ; 4. La prière du Notre Père. Ces quatre points ne sont pas simplement juxtaposés, mais articulés entre eux.

Le premier point est un exposé succinct, sans référence explicite à l’Écriture, « en premier » sur la nature et l’œuvre de Dieu, « secondement » sur l’homme. Cette présentation ressemble à celle de Robert Estienne dans son « sommaire des livres de la saincte bible » (dans les éditions d’Anvers en français, vers 1534, ou celles en latin, de Paris, à partir de 1532), et à celle de Guillaume Farel à même époque.

« Que c’est de Dieu » entrelace des demi-phrases de Farel, de Estienne et de la 1re Epître aux Corinthiens dans la traduction de Lefèvre :

Dieu est puissance, sapience & bonté infinie, sans commencement et sans fin, vérité immuable, juste & misericordieux : ung seul Dieu en trois parsonnes, Pere, filz & Sainct Esperit : auquel sont toutes choses, par lequel sont toutes choses faictes : & duquel sont données toutes choses (f. A1r)12.

« Que c’est de l’home » met l’accent sur le péché originel :

L’home est creé à l’image de Dieu, par le peché de nostre premier pere Adam rendu povre, meschant, ignorant le bien, inconstant, desyrant honneur, hypocrite, subject à peché, auquel il est naiz & conceu (f. A1r-v)13.

La fin du premier point de l’instruction — l’homme pécheur — permet le passage au second point :

Pour se congnoistre tel, fault qu’il [l’enfant] aprengne la Loy de Dieu, laquelle monstre ce qu’il doibt faire & non faire : & sont les dix commandemens (f. A1v).

Les dix commandements, placés dans la bouche de Dieu — « Dieu dit, Je suis ton Seigneur Dieu » — sont simplement énumérés, suivant le découpage de la Vulgate14. Ils sont donnés dans la traduction de Lefèvre, telle qu’on la lit dans le Livre de vraye et parfaicte oraison ou la Bible d’Anvers (1530, 1534)15.

Après les dix commandements, le texte amorce alors un nouveau tournant :

Et pour ce que la loy le monstre pecheur & qu’il ne trouve point de bien en luy, il fault qu’il scache que son salut est en Jesu Christ (f. A2r).

Pour aller plus directement à Jésus Christ le Sauveur, c’est l’annonce de l’ange Gabriel à Marie — jointe à la bénédiction d’Élisabeth, qui est citée, dans l’Évangile de Luc, selon la traduction de Lefèvre :

Je te salue Marie plaine de grace, le Seigneur est avec toy. Voicy tu conceveras en ton ventre & enfanteras ung filz, & appelleras son nom Jesus. Tu es benoicte entre les femmes, & beneict est le fruict de ton ventre Jesu Christ (f. A2r-v).

Coupé de sa finale traditionnelle, la salutation angélique n’est plus l’Ave Maria, prière adressée à la Vierge, que conserve le Livre de vraye et parfaicte oraison. La louange christologique introduit au troisième point de l’instruction, la confession de la foi, mobilisant la bouche et le cœur. La foi au cœur, l’acte de croire mis en paroles, est la clef du salut :

Apres, luy fault apprendre comment il pourra parvenir à salut, ascavoir par croire de cueur et confesser de bouche ce que s’ensuyt (f. A2v)16.

« Ce que s’ensuyt », c’est le Symbole des apôtres (expression savante qui n’est pas employée dans l’abécédaire). Le texte suit presque mot à mot le Credo du Livre de vraye et parfaicte oraison, peu différent de celui de Farel dans Le Credo et le Pater en françois (1524), mis à part « je croy […] la saincte Église catholique » (« la saincte Église universelle » chez Farel). Après avoir récité l’ensemble des articles, l’enfant déclare s’en approprier le sens, mettant sa confiance dans l’œuvre du salut pour lui :

Je croy à tous ces articles, non pas seullement que ainsy est et a esté faict, mais aussy que pour moy il est ainsy, et que ainsy a esté faict pour mon salut.

La distinction entre la foi comme simple connaissance, et la foi comme confiance dans la promesse de salut vient tout droit de Luther17. Mettant sa foi dans les énoncés de la foi, l’enfant actualise le baptême qu’il a reçu enfant, par un engagement personnel :

Par quoy maintenant croyant que en ceste foy suis baptisé au nom du Pere, & du filz et du sainct esperit, je renonce au diable & à toutes ses œuvres & ses pompes, & desire de servir a Dieu seul. Amen (f. A3r).

Cet engagement requiert l’aide de Dieu, d’où la liaison avec le quatrième point de l’instruction pour les enfants, la prière du Notre Père :

Et pour avoir grace de ce faire, fault quil la demande par l’oraison que Jesuchrist enseigna à ses disciples, de laquelle pour toute ayde, congnoissant sa necesssité, et soy confiant en l’abondante misericorde de Dieu, doibt ainsy prier (f. A3r).

Suit le Notre Père (f. A3r-v), dans la traduction d’Olivétan (1533)18.

Là s’achève l’instruction doctrinale. Celle-ci reconfigure le modèle d’une catéchèse baptismale, puisqu’elle tend au renouvellement des voeux du baptême. Marquée typographiquement en quatre points, elle est synthétisée pour finir en trois points : la loi, la foi et l’oraison (f. A4v), la partie « Que c’est de l’homme », « que c’est de Dieu », n’étant que le préliminaire à la loi. On reconnaît les « trois points fondamentaux » de Luther, trois points dont « la connaissance est nécessaire pour tout chrétien » : le décalogue, le Symbole des apôtres et l’oraison dominicale. Où l’Ave Maria est déboulonné de sa place d’honneur, ramené à l’Évangile de Luc19 ; et le décalogue mis en position souveraine, sans l’appendice ordinaire des « commandements de l’Église ». Dans la préface de son « petit livre de prières » (traduit en latin dès 1525), Luther explique que ces trois points sont articulés entre eux comme en un « faisceau », qui « résume toute l’Ecriture sainte » : la loi pédagogue nous découvre pécheurs et nous conduit à « miséricorde de Dieu en Christ », confessé dans les « articles de la foi chrétienne » ; alors, ce que Dieu exige de nous, nous pouvons le demander par la prière20. C’est ce schéma pédagogique tout entier concentré sur le salut du sujet croyant que reprend pour l’enfant l’auteur de l’abécédaire d’Anvers.

L’instruction doctrinale a une finalité pratique : non pas, comme le Petit catéchisme de Luther, la participation à la cène, ici prudemment absente, mais la confession des péchés. À vrai dire, depuis 1531, le Petit catéchisme intègre aussi, à la fin, une section sur le « pouvoir des clefs et la confession ». En effet, tout en critiquant la confession auriculaire telle que prescrite dans le droit canonique de l’Église, Luther maintient l’utilité de la confession « secrète », « remède des consciences affligées21 », tandis que les Réformateurs suisses, de même que Farel et le « groupe de Neuchâtel », rejettent toute pratique qui puisse ressembler à la confession auriculaire honnie22.

Dans l’Introduction pour les enfans, la partie sur la confession s’enchaîne au Notre Père qui précède. En effet, la demande du pardon de nos offenses implique de se reconnaître pécheur devant Dieu :

Et pour se preparer deuement à obtenir ce quil demande, fault premier quil se esprouve soy congnoissant et confessant premierement à Dieu disant… (f. A3v)

C’est à Dieu que l’enfant confesse prioritairement ses péchés :

Je me confesse à toy, Seigneur Dieu tout puissant : que moy miserable pecheur ay offensé contre ta loy toute ma vie, par pensée, par parolle, et par œuvre, tellement que par ma seulle coulpe suis digne de damnation. Mais je te prie, Seigneur Dieu, que par le merite et passion de ton filz Jesu Christ, tu aye mercy de moy povre pescheur. Amen. (f. A3v)

Cette confession des péchés se moule dans la forme du Confiteor traditionnel — parfois présent dans les abécédaires-catéchismes. Mais ici la confession, qui s’adresse à Dieu, présente le péché comme un mal radical, la transgression de la Loi de Dieu « toute la vie », valant la « damnation » ; et le pardon est demandé à Dieu « par le mérite et passion » de Jésus Christ.

Un second temps est prévu : le cas échéant, « quant le temps et necessité » sont là, la confession des péchés se poursuit devant «l’home à ce commis », dit aussi « confesseur ». Sous ces termes vagues, on peut entendre le besoin éprouvé par le pécheur de se confesser en privé, aussi bien que la pratique obligatoire de la confession auriculaire. S’ouvre alors un dialogue, le seul dans l’Introduction pour les enfans, entre l’enfant et son confesseur.

L’enfant redouble sa confession des péchés, maintenant devant Dieu et devant le confesseur. C’est à nouveau la forme du Confiteor qui est réemployée. D’abord la reconnaissance du péché, en termes généraux, non pas « par le menu » comme l’exigerait la confession auriculaire : « dès ma nativité ny a en moy nul bien venant de moy, mais tout mal y abonde ». Puis une prière de demande qui s’adresse à Jésus Christ « médiateur de tous pecheurs », et au confesseur:

Et pourtant treschier, je vous requiers que priez pour moy, et que par la parolle de Jesu Christ me donnez conseil et confort, affin que je croie que mes pechez me sont pardonnez, en sentant en moy amour de vertu et hayne de peché, et que desormais aye le remede pour moy garder. Amen. (f. A4r)

Ce que demande ici l’enfant au confesseur, c’est «conseil » et « confort » (réconfort), pour changer son cœur, lui donner foi (confiance) dans le pardon de ses péchés, et la résolution de ne plus pécher.

Le confesseur répond par une prière de «consolation », un « Misereatur » centré sur le « mérite » du Christ :

Le seigneur Dieu tout puissant, par le merite de Jesu Christ ayt misericorde de vous, et vous vueille pardonner toutes voz defaultes. (f. A4v)

Après le « Amen » de l’enfant pénitent, le confesseur clôt la séquence de la confession par ces mots :

Mon frere, puis que avez bon desir, ayez confidence en Jesu Christ, Voz pechez vous sont pardonnez : allez en paix, et ne pechez plus (ibid. ).

Ainsi le confesseur assure l’enfant du pardon de ses péchés par la confiance (foi) en Jésus Christ et le laisse en paix23. Pas un mot sur les paroles d’absolution sacramentelle — Ego te absolvo —, ni sur la « satisfaction », sous forme de pénitences ou d’oraisons, deux éléments nécessaires au sacrement de pénitence selon la doctrine traditionnelle de l’Église catholique. Façon de dire la justification par la foi seule.

Toute cette séquence sur la confession des péchés suit la doctrine de Luther et plus ou moins le modèle de confession proposé à la fin du Petit catéchisme, à partir de 1531 : la confession des péchés au confesseur consiste en deux points - la reconnaissance des péchés, sans les détailler24, et la confiance que le pardon déclaré par le confesseur — le pardon annoncé dans la parole de Dieu, est le pardon de Dieu lui-même ; au confesseur, ministre de la parole de Dieu, il est demandé conseil et consolation par la parole de Dieu25. Cependant, on peut noter le flou concernant le statut du confesseur, dit aussi « l’home à ce commis », dans l’Introduction pour les enfans. À aucun moment le terme de prêtre n’est employé. Le confesseur appelle celui qui se confesse « mon frère », et celui-ci lui dit « treschier » (mais les deux se vouvoient)26. Tandis que dans le Confiteor traditionnel, le pénitent, même adulte, s’adresse au confesseur comme à un père (« pater »). En effet, la situation à laquelle se réfère l’abécédaire d’Anvers n’est pas celle des nouvelles Églises organisées en Saxe, avec des ministres de la Parole, mais de petits groupes clandestins de « frères », dans le cadre de l’Église traditionnelle.

Cette présentation du confesseur comme un rôle échangeable entre frères est bien dans l’esprit de Luther, dans son traité De la captivité babylonienne de l’Église (1520). Mais « l’homme à ce commis » évoque surtout une expression désignant le confesseur dans un catéchisme anonyme offert à Marguerite de Navarre, vers 1530. Ce catéchisme, repris pour l’essentiel des catéchismes « jumeaux » du luthérien Johann Brenz traduits en latin en 152927, comporte à la suite une partie originale sur la confession des péchés. Où la confession « à un homme » est envisagée après « la maniere de soy confesser à Dieu » :

maintenant sil est question de vous confesser à ung homme, comme à ung prebstre, vostre curé, etc, vous le feres, non point pource que les hommes le vous commandent, car ce seroit hypochrisie et faintise. Mais affin qu’il vous donne quelque bonne consolation et quil vous propose la parolle de levangile de Dieu28.

Les thèmes de Luther sur la confession sont bien présents dans le catéchisme offert à Marguerite, avec un fort accent christologique, qui le rapproche aussi de l’Introduction pour les enfans. Mais le contexte français de répression anti-évangélique y est aussi présent, portant l’auteur à justifier une pratique semi-« nicodémite » de la confession : l’« homme » peut être le curé, la pénitence imposée par le confesseur au titre de la satisfaction peut être une concession acceptable29. Si ce catéchisme est resté manuscrit, la partie sur la confession a été développée et imprimée sous le titre Breve instruction pour soy confesser en verite, sans nom ni adresse d’imprimeur, en réalité Simon Du Bois, l’imprimeur de Marguerite de Navarre, à Alençon, vers 1530 ou 1531. L’auteur anonyme de l’Introduction pour les enfans est à coup sûr du même cercle que l’auteur du catéchisme pour Marguerite et de la Brève instruction.

La séquence sur la confession, qui achève les trois points principaux de l’instruction donnée dans l’abécédaire d’Anvers, est suivie de deux séries de modèles de prières en français, toutes nouvelles. Le premier lot comporte sept prières. Elles sont formulées en « nous », pour être dites par un groupe d’enfants en classe ou en famille. La première est pour l’enfant après la première instruction du catéchisme, «s’il veult poursuyvir oultre à l’estude » :

Seigneur donne-nous entendement et mémoire par ton sainct esperit : affin que par la congnoissance des escriptures nous puissions scrutiner en ta loy et en ta justice, pour les garder a tousjours. Amen. (f. A4v)

C’est le seul endroit de l’Introduction pour les enfans où il est question des « Ecritures », dont les traductions sont interdites en France. Requérant l’éclairage du saint Esprit dans l’entendement et la mémoire, la lecture des Ecritures est une seconde étape après l’initiation, pour « scrutiner » (scruter) et garder la loi et la justice de Dieu.

La deuxième prière est prévue pour « quant le temps vient de soy tourner en quelque estat », au moment de choisir un métier :

Seigneur, donne-nous à congnoistre la voie et l’estat auquel nous debvons cheminer et vivre, en nous monstrant tousjours tes voyes et la manière de te servir. Amen. (f. A4v-B1r)

Suivent cinq prières pour les différents moments de la journée, que « le chrétien » -non pas seulement l’enfant-doit mémoriser par une pratique quotidienne (f.B2r) : au réveil, puis avant de commencer son travail, avant et après le repas, avant de se coucher. C’est dans cette série que prend place le Bénédicité de Clément Marot, déjà imprimé en 1533 dans le Miroir de Marguerite de Navarre :

Nostre bon pere tout puissant
Qui gouverne ta creature
Ouvre ta main nous beneissant,
Pour sobrement prendre pasture.
Donne nous par ton escripture
Que noz esperitz soient nourris
Et tes biens donnez par ta cure
Aussy de toy soient beneis (f. B1v)

Ce bénédicité est suivi de « grâces après le repas », souvent attribuées à Marot :

Pere eternel te rendons grace
De tous les biens que nous a fait,
Nous inclinans devant ta face
Sy par exces avons fourfait.
Nous te prions pour tout mal faict,
En disant la saincte oraison
Que ton filz Jesus nous a faict,
Pour obtenir de toy pardon (B1v-B2r)

Une seconde série regroupe « aucunes oraisons particulières », à savoir dix prières « occasionnelles ». Les deux premières sont pour le croyant se recueillant avec d’autres (« nous ») dans une église ou une chapelle :

Premierement, quant il se trouvera à léglise ou en quelque lieu pour prier, dira : Seigneur Dieu, ton filz Jesu Christ nous a promis que tout ce que nous te demanderons en son nom, tu le nous donneras, moyennant que le demandions en foy sans vaciller, que les aureilles de ta misericorde soyent maintenant ouvertes aux prières de ceulx qui te supplient : & affin que misericordieusement tu nous donne ce que te demanderons, fais nous demander ce qui est à la gloire de ton sainct nom. Amen. (f.B2v)

Cette prière à Dieu associe la paraphrase d’une parole de Jésus d’après l’Evangile de Matthieu (ch. 21), mettant l’accent sur la foi, et la traduction d’une collecte de la liturgie romaine30.

L’oraison suivante, adressée à « Jesu Christ nostre redempteur », évoque discrètement l’eucharistie :

Je te salue sauveur du monde, parolle et sapience du pere, par lequel sommes formez et rachetez, qui es le pain vif descendu du ciel pour estre vray Dieu et vray home et pour faire saincte oblation pour tout le monde, aye mercy de nous. Amen. (f.B2v)

Il s’agit là de la traduction d’une oraison au saint Sacrement, au moment de l’élévation, présente dans des livres d’heures ou des abécédaires-catéchismes traditionnels31. Cependant le rite est non-dit.

C’est encore Jésus rédempteur qui est invoqué « si [le chrétien] va en quelque voyage » :

… ainsy que tu te accompaignas avec les deux qui alloyent en Emaüs le jour de ta resurrection : sois maintenant avec nous en ce voyage. (f. B3r)

Les autres oraisons sont dites presque toutes par un seul (« je », « moy »). C’est l’homme « fort oppressé de péchez », ou en souci des biens de ce monde, ou tourmenté de « concupiscence », ou en position soit de serviteur soit de chef, ou « malade ou en quelque tribulation ». La dernière oraison, entrelacs du Psaume 15 et du Psaume 30, est pour l’heure de la mort :

Seigneur qui es la part de mon heritage et le trefond de ma possession, tu es celluy qui restitueras mon heritaige. Je recommande mon esperit en tes mains. Seigneur Dieu de vérité tu m’as racheté. Amen. (f.B4v)

Si discret soit-il, cet abécédaire en français, pour les enfants et leurs maîtres, ou pour les familles, ne cachait pas sa provenance évangélique, subvertissant le modèle traditionnel. Une initiation religieuse toute en langue vulgaire était déjà un signe, renforcé par les mots librement agencés de Lefèvre, de Farel, d’Olivétan et de Marot. Surtout, avec sa concentration sotériologique à partir du sujet croyant, sa polarisation sur la foi-confiance dans la promesse de salut, sa réinterprétation de la pratique de la confession, le texte tout entier portait la marque de Luther. L’auteur anonyme était à coup sûr un clerc, curé ou prêcheur, du groupe de Meaux ou du réseau de Marguerite de Navarre. Il pourrait ressembler à Pierre Caroli, lié à Simon Du Bois. En 1534, l’un et l’autre en danger ont quitté Alençon. Il était impossible d’imprimer ce texte luthérien à Paris, mais Du Bois a pu le transmettre à Lempereur à Anvers, peut-être par l’intermédiaire de Wechel. En 1534 ou 1535, à Anvers, ce petit livre a échappé à la censure : il était en français et pour enfants. Mais dans les années suivantes, les théologiens ont mis le holà et imposé des changements. Qu’est-il resté de Luther ?

Luther dans les éditions remaniées à Anvers (1538) et à Paris (1542)

Après la mort de Martin Lempereur (1536), l’Introduction pour les enfans n’a pas été réimprimée telle quelle par sa prudente veuve, Françoise La Rouge. La Faculté de théologie de Louvain s’en est mêlée. C’est donc une Introduction pour les enfans recogneue et corrigée à Louvain qui est sortie à Anvers, chez la veuve Lempereur, en 1538 : méconnaissable32. L’ouvrage, qui a quadruplé de volume, se présente comme un recueil d’« expositions » sur les dix commandements, l’Ave Maria, le Pater noster et le Credo, et s’achève par deux alphabets, l’un en grec, l’autre en hébreu. L’Ave Maria, remis en prière à la Vierge, retrouve sa place traditionnelle. Les commentaires placés à la suite des textes sont tous tirés du Livre de vraye et parfaicte oraison Les censeurs ont donc encore laissé passer le commentaire du Credo venant du Betbüchlein de Luther, via Farel, donc la foi comprise comme relation personnelle à Dieu, la « saincte Église universelle » comme communauté des croyants. En revanche, ils ont fait corriger, outre l’Ave Maria, la confession des péchés. Celle-ci, faite « à prestre à ce commis », revient au Confiteor traditionnel, traduit en français, dans le cadre du sacrement de pénitence :

Je me confesse à Dieu tout puissant et à tous ses sains et à vous sire, bien cognoissant que dès ma nativité ny a en moy nul bien de moymesme, mais tout mal y abunde. Et en particulier dont n’en sui confessé, cognoy que jay offensé griesvement en ce cas et en ce et en ce, etc.…N. Le. N., auquel ma conscience juge ou doubte avoir pechié mortellement dont en crye à Dieu mercy et à vous, sire, comme son lieutenant, demande absolution et penitence pour satisfaction et que pries pour moy affin de au bien perseverer. (f. D1v)

Point de paroles de consolation du prêtre. Les deux séries d’oraisons sont placées à la suite du Confiteor, sans changement. A la fin, après les alphabets hébreu et grec (note de pédagogie humaniste conforme au programme éditorial de Lempereur), une gravure sur bois représentant une jeune femme portant la croix : « Per patientiam vestram possidebitis animas vestras », en libre interprétation.

Une deuxième édition de cette Introduction pour les enfans, selon la révision des théologiens de Louvain en 1538, paraît à nouveau à Anvers en 1540, imprimée par le successeur de la veuve Lempereur, Français réfugié lui aussi, Antoine Des Goys. Tout en reprenant intégralement l’édition de 1538, la nouvelle édition annonce au titre des « ajouts » d’humanistes en rapport avec la fonction pédagogique d’un abécédaire : l’un sur l’orthographe, par Alde Manuce, l’autre sur l’écriture en français, par Clément Marot33. l’abécédaire en tête du livret est ainsi développé en vue de faciliter l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe. Curieusement, de nouveaux textes ajoutés à l’édition de 1538 accentuent les traits traditionnels du petit ouvrage : les sept psaumes de la pénitence (toutefois dans la traduction de Lefèvre) ; des « louenges et oraisons de plusieurs solennités », dont plusieurs en l’honneur de saints, figurés par des images. Ces textes et la série de bois gravés au fil des pages, donnent à l’Introduction pour les enfans l’allure d’un livre d’heures traditionnel, mis en français.

Cependant l’adjonction, à la fin de l’ouvrage, de la Briesve doctrine pour bien et deuement escripre selon la proprieté du langaige francois peut éveiller le soupçon. En effet, il s’agit là d’un texte déjà publié par Antoine Augereau, à Paris, en 1533, à la suite du Miroir de Marguerite de Navarre34. Ce n’est pas seulement un plaidoyer, à l’usage des typographes, pour la modernisation de l’orthographe, donc pour la lecture en français. C’est aussi un tract « évangélique » à peine déguisé, achevé par « l’instruction et foy dung chrestien » de Clément Marot35. Le seul nom du poète aurait pu conduire les censeurs à interpréter les silences de ce mini-catéchisme en vers français et peut-être à revenir sur l’« exposition du Credo », Luther dans le texte, au cœur de l’Introduction pour les enfans. Mais Marot bénéficiait encore de la protection royale, jusqu’à Anvers36.

Quelques mois plus tard, vers 1541 ou début 1542, l’Introduction pour les enfans ressurgit à Paris, sans les retouches et ajouts postérieurs à la censure de Louvain, sous deux formes : l’une comme un abécédaire, l’autre comme un appendice à un recueil intitulé La fontaine de vie. L’abécédaire est connu par les censures qui en furent faites en 1543, dans l’affaire du curé François Landry37. Bachelier en théologie en 1534, curé de Sainte-Croix en la Cité en 1541, Maître Landry était un prédicateur novateur, « évangélique », dans le sillage de Gérard Roussel. Appuyé par l’évêque de Paris Jean Du Bellay, un « progressiste », Landry était aussi l’aumônier de l’hospice des Enfants-Rouges, fondé en 1535 par Marguerite de Navarre38. Comme ses sermons attiraient les foules, les théologiens de la Sorbonne, se sont inquiétés des critiques qu’on y entendait au sujet de la confession auriculaire, du culte des saints, du purgatoire. Après un premier avertissement de la Faculté en mars 1541, Landry, récidiviste, est arrêté en mars 1543 et interrogé. Il lui est entre autres reproché d’avoir donné « à plusieurs petitz enffans, tant ceulx de sa paroisse que aux enffans rouges », des « alphabets » en français, qui sont « scandaleux », contenant « erreur, choses mal sonnantes contre la confession auriculaire39 ».

Landry dut faire une rétractation publique à la cathédrale Notre-Dame, ce qui lui valut réputation de « temporiseur » ou de « nicodémite ». Dans sa déclaration, il confesse sa foi conforme à la doctrine de l’Église catholique au sujet du sacrement de pénitence et reprend les termes incriminés dans le « petit alphabet et abc » en question :

Je croy que le misereatur, c’est assavoir, ayez confidence en Jesuchrist que vous péchez vous sont pardonnez. Allez en paix et ne pèche plus, ne sont suffisants pour l’absolution sacramentalle ; ains fault que le presbtre dise ces motz : Ego absolvo te40.

Landry se défend d’avoir voulu supprimer l’absolution sacramentelle : dans « ledit livre », « l e titre dudict misereatur ne porte seullement que ces mots : C’Oraison et consolation du presbtre », ce qui n’exclut pas les paroles d’absolution du prêtre, qui doivent venir ensuite. En effet, ce livre n’est pas un Rituel, mais un abécédaire. Or « telz livres ne sont que pour l’instruction des enffans auxquels l’on a deu aprendre le confiteor et misereatur qu’il fault qu’ilz sachent ».

Les mots cités par les accusateurs comme par l’accusé sont ceux de Y Introduction pour les enfants dans l’édition de Martin Lempereur en 1534, absents dans les éditions suivantes d’Anvers. Cependant, le passage incriminé de l’ABC qui figure à la suite du relevé manuscrit de la rétractation de Landry présente deux variantes par rapport à la première édition. Dans la confession au « prêtre », un ajout pour le moins ambigu :

me donnez conseil et confort affin que je croie que mes péchez me sont pardonnez par le mérite de la passion de nostre Seigneur Jesuchrist ; et en vertu de la présente confession, en sentant en moy amour de vertu et hayne de péché, et que désormais aye le remède pour moy garder41.

Et dans la réponse du prêtre, la confiance est redoublée par la « ferme foi » :

Mon frère, puys que avez bon désir, ayez confidence en Jesuchrist, et ferme foy que voz péchez vous sont pardonnez. Allez en paix et ne péchez plus.

Il est donc probable que le « petit alphabet » de Landry n’était pas l’Introduction pour les enfans de 1534, provenant d’un stock conservé chez un libraire, mais une nouvelle édition, avec de menues variantes de précaution. Les théologiens de la Sorbonne ont considéré Landry comme l’auteur42, mais dans sa rétractation, celui-ci se contente d’assumer le rôle de diffuseur — auprès d’un public d’enfants — d’un texte qui aurait été mal traduit du latin43. Fils de libraire, Landry comptait parmi ses ouailles, discrètement évangéliques, deux grands imprimeurs-libraires de la Cité, les frères Arnoul et Charles Langelier, eux-mêmes en contact avec des imprimeurs-libraires d’Anvers. Il a donc pu faire imprimer pour son compte, par l’entremise de Langelier, en le remaniant légèrement, le petit livre de 1534 produit au sein du réseau de Marguerite. L’abécédaire ayant été déjà censuré à Louvain, mieux valait le faire passer sous un autre titre, non compromis : peut-être est-ce l’ABC pour les enfans, qui figure parmi les livres censurés par la Faculté de théologie de Paris en 1544, avec ces précisions : « … contenant ce qui s’ensuyt, L’oraison dominicale, etc, monstrant la manière de soy confesser, pour laquelle spécialement a esté condamné44 ». De cet ABC aucun exemplaire n’a subsisté.

Entre-temps, une « Introduction pour les enfans » est sortie chez Arnoul Langelier, imprimée à la fin de La Fontaine de vie : c’est l’édition qui a été censurée par les théologiens de Paris le 25 mai 1542. La Fontaine de vie, de laquelle resourdent très doulces consolations, singulierement necessaires aux cueurs affligez, était la traduction de Fons vitae…, un recueil anonyme de citations bibliques, provenant du milieu évangélique flamand, imprimé par Martin Lempereur en 153345. Pour cette traduction, en ce temps où les traductions de la Bible en français étaient interdites en France, Arnoul Langelier avait obtenu du prévôt de Paris, le 8 octobre 1540, un privilège de trois ans, attestant que ledit livre ne contenait « aucune chose digne de reprehension46 ». C’est peut-être une nouvelle impression, en 1541 ou début 1542, qu’il a complétée par l’Introduction pour les enfans (il restait des pages blanches, mais il fallut ajouter un cahier supplémentaire). Cette « introduction » venait bien d’Anvers, comme l’indique la reprise finale de la devise de Martin Lempereur, « Spes mea Jesus », mais devait être la version revue par Landry, imprimée isolément comme petit ABC vers 1540. Avant même l’affaire Landry, c’est bien la présentation de la confession des péchés — « Lutheri confessio » — qui fait rejeter par les censeurs l’Introduction pour les enfans

La censure de mai 1542 visant l’Introduction pour les enfans a contraint Arnoul Langelier à refaire à la hâte à une nouvelle édition de La Fontaine de vie, qui sort encore en 1542, corrigée des derniers feuillets occupés par l’abécédaire47. La page de titre de la Fontaine de vie annonce : Plus y est adjoustée l’instruction pour les enfans48. Mais le titre indiqué en tête de l’abécédaire reste l’Introduction pour les enfans. Le colophon reprend le nouveau titre, « l’instruction des enfans », et proclame que l’ouvrage « a esté veu & corrige par venerables docteurs en theologie, & imprime nouvellement à Paris ». À défaut de connaître l’édition Langelier censurée, disparue, il est possible de comparer l’édition corrigée par les censeurs après mai 1542 avec l’édition primitive de Lempereur en 1534 et l ABC de Landry.

Les modifications portent sur peu de mots, pesés au trébuchet. La séquence sur la confession des péchés au confesseur est celle qui a été le plus remaniée depuis 1534. Dans l’édition Langelier de 1542, l’enfant s’adresse à son « trescher pere spirituel », tandis qu’en 1534, il l’interpellait « treschier » (dans l’ABC de Landry, si la copie est correcte, « tres cher frere spirituel »). La demande du pénitent au prêtre est reformulée par deux incises (soulignées ci-dessous) :

… je vous requiers que priez pour moy, et que par la parolle de Jesu Christ me donnez conseil et confort, affin que je croye (ou pour le moins conjecture) que mes pechez me sont pardonnez par le merite de la passion, et en vertu de la présente confession, en sentant en moy amour de vertu et hayne de peché, et que desormais aye le remede pour moy garder. (f. h8v-i1r)

La formule ambiguë « par le merite de la passion, et en vertu de la presente confession » devait être déjà dans l’édition censurée en mai 1542, puisqu’elle figurait dans VABC de Landry. En revanche la parenthèse après « je croye » — « (ou pour le moins conjecture) » — est une correction après la censure : elle ébranle radicalement la foi-confiance dans le pardon des péchés. De même « l’oraison et consolation du confesseur » introduit le doute dans le pardon des péchés :

Mon frere puis que avez bon desir, ayez confidence en Jesu Christ, et jugez probablement que voz pechez vous sont pardonnez : allez en paix, et ne pechez plus. (f.i1r)

Probabilité n’est pas certitude. Inutile d’en dire plus dans une instruction pour les enfants : en apprenant ce Confiteor et ce Misereatur en français, on comprend que la foi est insuffisante à assurer le pardon des péchés, et que l’absolution du prêtre est nécessaire.

Quelques autres modifications peuvent être relevées, allant dans le sens du respect de l’institution de l’Église. Ainsi le troisième des dix commandements — « Ayes souvenance de sainctifier le jour du sabat », est complété par un commandement de l’Église — « . .. à scavoir le sainct dimenche & festes commandées » (f. h5r)49. Dans la prière « quand [le chrétien] se trouvera à l’église » — « tout ce que nous te demanderons [au] nom [de Jésus Christ], tu le nous donneras, moyennant que le demandions en foy sans vaciller », devient plus conditionnel : « moyennant que le demandions en vraye foy et pour nostre salut et amendement, ainsi et selon que tu le congnoistras aussi, presupposé que de nous mesmes n’y mettions empeschement sans vaciller » (f. i4r). La prière proposée au chrétien « s’il veult saluer Jesu Christ nostre redempteur » devient clairement le salut « au sainct sacrement de l’aultel » (f.i4v).

Ces corrections suffisaient-elles à faire de la Fontaine de vie de 1542, revue et corrigée par la Faculté, un livre de piété « orthodoxe » ? La clientèle de Langelier ne s’y trompait pas. L’unique exemplaire conservé est un petit livre précieux, en beaux caractères romains, réglé, relié à la suite du Sommaire des livres du vieil et Nouveau Testament de Robert Estienne (1543) et de La Fontaine de tous biens, vie d’honneur et de vertu (1542), traduction publiée par Charles Langelier d’un ouvrage provenant d’Anvers, du fonds de Martin Lempereur : deux titres du même milieu évangélique clandestin. Quant aux autorités ecclésiastiques, elles pouvaient s’inquiéter d’un tel catéchisme, où la foi résonnait tant, alors qu’il était silencieux sur la Vierge, les saints, l’Église, les péchés mortels, les sacrements.

L’édition de Langelier est reproduite la même année à Poitiers par les frères Jean et Enguilbert de Marnef, en rapport avec les Langelier, et à Lyon, par Étienne Dolet. Dans le seul exemplaire conservé de l’édition de Marnef, l’« Instruction pour les enfans » annoncée au titre est absente, les derniers cahiers ayant été arrachés50. Quant à la Fontaine de vie de Dolet, elle est mentionnée dans le cadre du procès en hérésie fait à l’imprimeur humaniste : en juin 1543, elle fait partie des « livres dampnés et reprouvés » imprimés par Dolet, tous livres condamnés au feu par le Parlement de Paris en février 1544. Pour être moins sulfureux, c’est un autre lyonnais sympathisant évangélique, Jean de Tournes, qui sort en 1543 une autre Fontaine de vie, aussi disparue51. L’Index imprimé de Paris en 1544 ne cite pas la Fontaine de vie, mais bien toutes les formes de l’« introduction » (ou « instruction ») « pour les enfans52 ».

Quand Jean Ruelle relance à Paris La Fontaine de vie, en 1547, il se garde d’y associer l’« Instruction pour les enfans », qu’il remplace par un catéchisme apparemment impeccable, « La Doctrine des chrestiens extraicte du Vieil et Nouveau Testament, les dix parolles ou commandementz de Dieu, les sept sacremens, les sept pechez mortels, les sept oeuvres de misericorde, plusieurs aultres vertuz et enseignemens53 ». C’est pourquoi le 13 mars 1548 (1549 n. st.), l’ouvrage de nouveau soumis à l’examen de la Sorbonne échappe à la censure : « nihil censet Facultas54 ».

À Lyon, Jacques Berjon pouvait être tranquille : il republie en 1549 La Fontaine de vie, cette fois avec l’« Instruction pour les enfans », en suivant presque exactement l’édition Langelier de 1542, tout en changeant l’épître liminaire « au liseur », et en ajoutant à la fin de l’ouvrage «L’obéissance que les enfans doivent rendre à leur parens selon Dieu », caution de bonne morale sinon de bonne doctrine55. Dans l’« instruction pour les enfans », il supprime seulement les mentions des « fêtes commandées » et du salut au saint sacrement de l’autel. C’est peut-être cette édition qu’a visée l’inquisiteur de Toulouse dans son Index des livres interdits, en 154956.

Dix ans plus tard, en 1559, l’imprimeur Eloi Gibier à Orléans reprend la Fontaine de vie de Berjon, mais en fait un beau livre, avec un titre à encadrement gravé. Il modifie l’ordre des pièces, ajoute des « oraisons extraictes de la vie de Jesus Christ57 », et tout à la fin l’« Introduction pour les enfans », prudences de Langelier comprises58. À cette date, Eloi Gibier n’a pas encore « sauté le pas » du côté des Églises réformées. Est-ce cette édition « nicodémite » que le libraire Bertrand Baudin, originaire de Nantes, réfugié à Genève, tente de vendre dans la cité de Calvin en 1560 ? Le 29 mars 1560, il est jeté en prison pour avoir mis en vente la Fontaine de vie, livre « rempli de superstitions et propre à porter au papisme », et tous les exemplaires du livre sont brûlés59.

En 1560, Jean Saugrain, imprimeur à Lyon, engagé dans la petite Église réformée clandestine de la ville, choisit de republier La Fontaine de vie, suivie de La somme et fin de l’Escriture sainte (de Robert Estienne) et de l’« instruction pour les enfans60 ». L’instruction est restructurée selon un plan conforme à celui des abécédaires de Genève, avec en tête le Notre Père, puis le Symbole des apôtres (sans la Salutation angélique), et en dernier la Loi. Cependant les dix commandements sont introduits par « Que c’est de Dieu », « Que c’est de l’homme », héritage de l Introduction pour les enfans depuis 1534. La séquence dialoguée de la confession des péchés devant Dieu et le confesseur a disparu. La confession des péchés « devant Dieu » est passée dans la partie finale, parmi les « Dévotes et chrestiennes oraisons ».

Au même moment, dans la même ville en proie à l’agitation religieuse, paraît un Alphabet ou Instruction Chrestiennepour lespetis enfans, par le célèbre imprimeur graveur Robert Granjon61. Cet abécédaire luxueux, en caractères de civilité, est dérivé d’un abécédaire lyonnais dû à Pierre Estiard (1555, 1558), empruntant aux ABC de Genève, et pour une partie des prières à Langelier62. Dans son Alphabet de 1560, Granjon reprend bien davantage qu’Estiard l’Introduction pour les enfans, mais la dissimule en l’éclatant et en la gonflant de morceaux catéchétiques catholiques : l’Ave Maria avec sa finale de prière à la Vierge, les 7 sacrements, les 7 péchés mortels, les 7 œuvres de miséricorde, les trois « choses requises au vray pecheur penitent » (confession de bouche, contrition de cœur, satisfaction de fait) (p. 12-14). Cependant, aussitôt après l’alphabet, on retrouve l’introduction héritée de l’abécédaire primitif de Martin Lempereur : « Quand l’enfant est parvenu à discrétion, doit premier savoir que c’est de Dieu : Dieu est puissance, sapience et bonté infinie, sans commencement et sans fin. Secondement doit connoistre soy mesme à savoir que c’est de l’homme63 »… (p. 5). On retrouve aussi plusieurs des prières, et parmi elles «l’oraison et consolation du confesseur » (p. 29) dans la forme qui avait été censurée en 1542, mais ici admissible sous le paravent doctrinal conformiste que Granjon a placé plus haut. Deux ans plus tard, Lyon passe sous domination réformée. Granjon republie son Alphabet, un alphabet cette fois entièrement conforme à la doctrine réformée, ne retenant que des bribes de la chaîne des éditions de l’Introduction pour les enfans dérivées du modèle d’Anvers : ainsi la confession des péchés à la manière luthérienne a disparu.

***

À l’examen, l’Introduction pour les enfans imprimée à Anvers en 1534 ou 1535 s’est révélée un petit livre hardiment luthérien, provenant du réseau évangélique français : tout en laissant en suspens l’appartenance à l’Église traditionnelle, l’abécédaire exprimait sans détour, dans une langue simple, le message du salut par la foi seule, comme initiation à la foi chrétienne et à la pratique religieuse personnelle, la prière et la confession des péchés. L’histoire de ce manuel suit celle du mouvement réformateur, réprimé en France jusque vers 1560 et passant de Luther à Calvin. Sous la pression des censures des théologiens de Louvain puis de Paris, l’hérésie de Luther a été plus ou moins camouflée, d’autant mieux que l’usage de la confession des péchés au prêtre ne semblait pas remis en question. Le texte édulcoré a été relancé en 1542 par les frères Langelier à Paris, qui lui ont fait faire cause commune avec une Fontaine de vie évangélique passable pour la censure. Quand les Églises réformées sont sorties de clandestinité, en se calvinisant, le petit livre luthérien tôt devenu « nicodémite » s’est trouvé périmé. Il n’empêche que pendant un quart de siècle, au temps des « troubles de religion », cette « introduction pour les enfants », sous des leurres ou des tentatives de synthèse, a pu faire entendre à plusieurs volées d’enfants « raisonnables », en langue du peuple, « que c’est de Dieu », « que c’est de l’homme », et à mi-mot que leurs péchés sont pardonnés.

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1. En 1529, le syndic de la Faculté de théologie de Paris, Noël Béda, publiait une apologie « adversus clandestinos Lutheranos », visant Erasme et Berquin, Lefèvre d’Etaples et le groupe de Meaux.

2. « … in quo secundo libro, cujus titulus est Introduction pour les enfans, habetur quaedam Lutheri confessio » (Charles DU Plessis d’Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus…, Paris, 1728, t. II, p. 232).

3. Eugénie DROZ, « Le curé Landry et les frères Langelier », Chemins de l’hérésie, Genève : Slat-kine,1970, t. I, p. 305-339.

4. Francis HIGMAN, Censorship and the Sorbonne (1520-1551)• A bibliographical study of books in French censured by the Faculty of Theology of the University of Paris, Genève : Droz, 1979, p. 89-90. Cf. Index de l’Université de Paris…, éd. J. M. de Bujanda, Francis Higman, James K. Farge, Sherbrooke : Université de Sherbrooke, 1985, p. 316-331.

5. Francis HIGMAN, Piety and the People. Religious Printing in France, 1511-1551, Aldershot : Ashgate, 1996. Voir aussi Marianne CARBONNIER-BURKARD, « Salut par la foi, salut par la lecture : les nouveaux abécédaires en français au xvie siècle », in : Boris Noguès — Yves Krumenacker (éd.), Protestantisme et éducation dans la France moderne, Lyon : LHARA, 2014, p. 21-52.

6. Je remercie vivement les conservateurs des bibliothèques de la Vrije Universiteit d’Amsterdam, de l’Université d’Amsterdam, de l’Université catholique de Louvain, de l’Institut d’histoire de la Réformation à Genève, et de la Réserve des livres rares de la BnF qui m’ont facilité l’accès à ces précieux exemplaires.

7. Introduction pour les enfans, Anvers : Martin Lempereur, [1534 ?], in-8°, [8] f. L’unique exemplaire conservé de cette édition, à la British Library, est relié à la suite de : [Jean LEMAIRE DE BELGES] Le Promptuaire des Conciles de Leglise Catholique avec les Scismes…, [Lyon : Romain Morin, 1532], et de Almanach spirituel et perpétuel, nécessaire à tout homme sensuel et temporel, [Alençon : Simon Du Bois, c. 1530].

8. Sur l’activité de Martin Lempereur, voir Jean-François GILMONT, « La production typographique de Martin Lempereur », in : Jean-François GILMONT — William KEMP (éd.), Le livre évangélique en français avant Calvin, éd. Nugae humanisticae, IV (hiver 2004), p. 115-129, 315.

9. Sur cet ouvrage et ses retouches successives, voir Francis HIGMAN, Lire et découvrir. La circulation des idées au temps de la Réforme, Genève : Droz, 1998, p. 179-200.

10. Parvus catechismus pro pueris in schola, traduit par Johannes Sauermann, Wittenberg : Georg Rhau,1529. Prévu pour un usage scolaire, ce « Petit catéchisme » en latin est précédé d’un abécédaire.

11. Canon 21 du IVe concile de Latran (1215) : « Tout fidèle de l’un et l’autre sexe, parvenu à l’âge de discrétion, doit lui-même confesser loyalement tous ses péchés au moins une fois l’an, à son propre curé, accomplir avec soin, dans la mesure de ses moyens, la pénitence qu’on lui a imposée et recevoir avec respect, au moins à Pâques, le sacrement de l’Eucharistie… » (G. DUMEIGE (éd.), La Foi catholique, Paris, 1969, p. 429).

12. Cf. Guillaume FAREL, Summaire et briesve déclaration…, [Neufchâtel] 1534 : « Chap. I : De Dieu : Dieu est bonté, puissance et sagesse infinie, sans commencement et sans fin, verité immuable. ».
Cf. Robert ESTIENNE : « Premièrement [les livres de la saincte Bible] nous enseignent qu’il est ung seul dieu, tout puissant, n’aiant fin ne commencement, qui de bonté infinie qui est en luy, a créé toutes choses par sa seule parolle. Duquel toutes choses proviennent : tellement que sans luy rien n’aestre. Qui faict justice et miséricorde… » [Icy est brievement comprins…, Paris, 1533 ? ; devenu La somme de toute l’Escriture, 1540].
Cf. LEFèVRE, pour I Co 8, 6 : « .. à nous il n’est que ung Dieu le Père duquel sont toutes choses. et ung seigneur Jesus Christ par lequel sont toutes choses. » (Les choses contenues en ce present livre, [Paris, Simon de Colines,1523]).

13. Cf. FAREL : « L’homme est meschant, ne pouvant rien, fol et témeraire, amibitieux, plein de fausseté et d’hypocrisie, inconstant, variable, ne pensant que mal et peché, auquel il est nay et conceu. » (Summaire et briesve declaration., op. cit., chap. II).

14. A la différence de la Bible d’Olivétan qui suit Zwingli et Leo Jud, lesquels depuis 1527 adoptent la lecture d’Exode 20, 4 faite par Origène (non celle d’Augustin) : « Tu ne te feras image taillée » comme deuxième commandement, détaché du premier.

15. On note dans l’Introduction pour les enfans une inversion entre le 6e et le 7e commandement (la même dans l’édition du Livre de vraye et parfaicte oraison, donnée par Lempereur en 1534), qui ne sera jamais corrigée dans toutes les éditions suivantes. La formulation du « 6e » commandement - « Tu ne desroberas point » - semble suivre la traduction d’Olivétan dans YInstruction des enfans de 1533.

16. Cf. OLIVÉTAN, Instruction pour les enfans (1533) : « Les articles de nostre foy, lesquelz devons croire de cueur et confesser de bouche. »

17. Voir entre autres Brève explication des dix commandements…, de la foi, … du notre Père (1520), in : Martin LUTHER, Œuvres, éd. Marc Lienhard, Matthieu Arnold, Paris : Gallimard (Pléiade), 1999, p. 417. La distinction est reprise par Farel dans le Pater noster et le Credo en françois (1524), qui oppose foi morte et foi vive (f. B4 r-v). Et par Caroli devant ses collègues de la Sorbonne, en 1525 : ceux-ci censurent sa distinction entre « foi historique » et foi-confiance, comme « insolite chez les docteurs catholiques et tirée des tromperies de Luther et de Melanchthon » (Charles DU PLESSIS D’ARGENTRé, op. cit., p. 28).

18. La traduction d’Olivétan diffère légèrement de celle de Lefèvre et du Livre de vraye et parfaicte oraison sur deux demandes : « Pardonne-nous noz offenses », « Délivre nous du mauvais ». Dans le Livre de vraye et parfaicte oraison (1528), suivant Farel (Le Pater noster et le Credo en françois, 1524) : « Et nous remets noz debtes », « Délivre-nous du maling ».

19. Dans le Petit catéchisme, l’Ave Maria est même absent, superflu, mais Luther maintient la salutation angélique dans le Bettbüchlein.

20. Enchiridion piarum precationum, Wittenberg, Hans Lufft, 1529. Cf. M. LUTHER, Brève explication des dix commandements…, op. cit., Préface, p. 403-404, et Petit catéchisme (1529), Préface.

21. Traité de la captivité babylonienne de l’Église (1520), in : M. LUTHER, Œuvres, I, éd. M. Lienhard et M. Arnold, op. cit., p. 785. Cf. Confession d Augsbourg (1530), art. 25 ((parmi les « articles où l’on traite des abus qui ont été modifiés ») : « dans nos Églises, la confession n’a pas été abolie », mais réformée en la centrant sur la foi dans le pardon des péchés.

22. Voir G. Farel, Summaire et briesve declaration…, op. cit., chap. 20, 29-31.

23. Connotation des paroles de Jésus à la femme adultère : « Je ne te condamne point. Va et ne pèche plus » (Jean 8, dans la traduction de Lefèvre d’Etaples).

24. « Ego miser homo, confiteor et conqueror tibi, coram deo Domino meo, quod sum multorum peccatorum reus, atque nullis non iniquitatibus obnoxius. Mandata Dei non servo… Nihil bonifacio… » (Parvus Catechismuspropueris in schola…, op. cit., f. B7v-B8).

25. « Da mihi, adanimae meae consolationem, fidele consilium » ; « … Quapropter quaeso, dic mihi, loco Dei, peccatorum meorum solutionem, er consolare me verbo Dei » (ibid).

26. Dans la séquence de la confession, l’enfant s’estompe, et devient tout croyant.

27. Catéchisme manuscrit, illustré et enluminé, commençant par Initiatoire instruction en la religion chrestienne pour les enffans. Conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal (Ms 5096), reproduit sur le site de la BnF. Daté de 1530 environ par Myra D. Orth, qui l’attribue en partie à Gérard Roussel, en collaboration avec Simon Du Bois (« Reconsidering Radical Beauty. », in : Jean-François GILMONT et William KEMP (éd.), Le livre évangélique en français avant Calvin…, Turn-hout : Brepols, 2004, p. 86-97).

28. Initiatoire instruction., f. 51v-52r.

29. «Quant au regard de vostre satisffaction et de la penitence (ainsi la nomment ilz) que lon a acoustume d’enjoindre au penitent, je suis bien dadvis que pour eviter scandale vous la recepvrez et la faciez. Mais gardes vous comme d’un chien enragé, et sur le peril de votre ame, de penser que par ceste votre oeuvre ou aultre, vous pourries satisfaire a la justice de Dieu pour vos peches. Ne lacceptes a celle fin ou intention » (ibid., f. 55r).

30. Collecte Pateant aures du 9e dimanche après la Pentecôte.

31. Ave salus mundi, verbum patris, hostia sacra, vera viva caro, deitas integra, verus homo. Corpus Domini nostri Jesu Christi qui me formasti, tu miserere mei. Amen.

32. Introduction pour les enfans, recogneue et corrigée à Louvain, Anvers : Veuve Martin Lempereur, 1538, in-8°, [32] f.

33. Introduction pour les enfans, recongneue et corrigée à Louvain l’an î538. Où sont adjoustees de nouveau une tresutile maniere de scavoir bien lire et orthographier, par Aide. Et la doctrine pour bien et deuement escripre selon la proprieté du langage francois, par Clément Marot, Anvers : Antoine Des Goys, 6 septembre 1540, in-8°, 64 f.

34. Sur cet ouvrage, voir Susan BADDELEY, L’orthographe française au temps de la Réforme, Genève : Droz, 1993, p. 140-148, 337-341.

35. Dans rInstruction et foy d’ungchrestien, Marot met en vers français le Pater, le Credo, l’Ave Maria, le bénédicité (republié dans la 1re édition de l’Introduction pour les enfans de 1534) et les grâces. Ces cinq pièces réunies sous ce titre figuraient déjà dans la Suite de l’Adolescence, publiée à Paris en 1534, chez la veuve Pierre Roffet.

36. Citons aussi pour mémoire (faute d’avoir pu consulter l’unique exemplaire, conservé à Cambridge), une autre édition, mais partielle, de l’Introduction pour les enfans, probablement aussi d’Anvers vers 1540 : Instruction pour les chrestiens, s.l.n.d. [1540 ?], in-16°, 16 f.

37 Voir E. DROZ, op. cit., p. 275-278.

38 Une donation de 1539 fournit des possibilités « pour le sallaire et nourriture d’une femme hon-neste pour les penser, endoctriner et instruire en la foy de Nostre Seigneur » (Maurice CAPUL, Internat et internement sous l’ancien régime. Contribution à l’histoire de l’éducation spéciale, Paris : CTNERHI, 1983-1984, 4 vol., t. I, p. 50).

39 « Extrait faict par le commandement du Roy des charges contenues ès informations faictes à la requeste du procureur général dudit seigneur contre maistre François Landry, curé de sainte-Croix en la cité de Paris » (A.N. L 428, N°43, cité par Nathanaël WEISS, « Épisodes de la Réforme à Paris. Maître François Landry… », BSHPF 37 (1888), p. 249).

40 « S’ensuit la confession faicte par ledict maistre Francoys Landry touchant iceulx articles, laquelle de point en point a confessée et confirmée en l’église cathedralle Nostre Dame de Paris, le dimanche XXIXe apvril MDXLIII » (A.N.L, 428, n°43), éd. N. WEISS, op. cit, p. 263. Confession imprimée sous le titre Déclaration de la foy chrestienne, faictepar ung bachelier en theologie, en l’église Nostre Dame de Paris, touchant aulcuns articles à luy imposez, lesquelles de point en point a conffessere & confirmees en la presence de la faculté de théologie…, [Rouen :] Jean L’Homme, [1543 ou 1544].

41. N. WEISS, op. cit., p. 266 (c’est nous qui soulignons).

42. Selon l’« Extrait faict par le commandement du Roy des charges. » (op. cit.), Landry a non seulement donné les alphabets aux enfants, mais il « est chargé les avoir faictz et composez ».

43. Dans la liste des livres censurés par la Faculté de théologie de Paris, en 1544, on trouve une Introductio puerorum, ainsi que Introduction des enfans, translatée de latin en francoys, l’une comme l’autre sans exemplaire connu. Toujours est-il que l Introduction pour les enfans de 1534, avec les citations de la Bible en français de Lefèvre, des citations de Farel, et le bénédicité de Marot ne peut avoir été traduite du latin. — Cependant, il n’est pas exclu que Landry ait pu être l’auteur de l’abécédaire de 1534 : avant d’être catéchète des « enfants rouges », tout en faisant ses études de théologie, il a été régent au collège des Bons-enfants (à noter qu’une Introduction des bons enfans a été mise à l’Index de Paris en 1544).

44 Hypothèse déjà présentée par F. HIGMAN, Censorship and the Sorbonne, op. cit., p. 90.

45. L’auteur, Willem van Zuylen van Nijevelt († 1543), avait d’abord constitué le recueil en flamand, sur la base de la Bible de Guillaume Vorsterman, elle-même sur la base de la Bible de Luther. L’édition en latin était, elle, basée sur la Vulgate.

46. Comme l’adresse « au liseur », la traduction, faite en 1540, est d’une plume évangélique chevronnée, probablement celle de Landry : elle suit de près Fons vitae, mais saute ou ajoute à l’occasion une citation, et s’inspire de la traduction de la Bible de Lefèvre d’Etaples.

47. Eugénie Droz a noté la hâte d’Etienne Caveiller, l’imprimeur auquel s’est adressé Arnoul Langelier (op cit., p. 305).

48. La Fontaine de vie de laquelle resourdent très doulces consolations, singulierement necessaires aux cueurs affligez Plus y est adjouste linstruction pour les enfans, Paris : Arnoul Langelier (impr. par Etienne Caveiller), 1542, in-16, 72 f.

49. En juin 1543, l’abécédaire-catéchisme de Robert Estienne, Le Sommaire des livres du Vieil et Nouveau Testament… est censuré par la Sorbonne pour l’absence des commandements de l’Église, à la suite des dix commandements : Estienne doit réimprimer ses Tables du Décalogue avec les Commandements de l’Église (Index… Paris, p. 404).

50. La Fontaine de vie de laquelle resourdent tresdoulces consolations necessaires aux coeurs affligez Plus y est adjoustée l’instruction pour les enfans, Poitiers, à l’enseigne du Pelican, 1542, in-8°.

51. L’exemplaire qui subsistait encore vers 1900, à la bibliothèque des jésuites de Lyon, est aujourd’hui introuvable.

52. Parmi les ouvrages cités dans l’Index de Paris de 1544 figure un autre abécédaire-catéchisme, de Strasbourg, à l’usage de l’Église des réfugiés français : Instruction et créance des chrestiens…, [Strasbourg : Rémy Guédon], 1546, in-16, 40 f. Cet ouvrage composite (découvert par F. HIGMAN, Lire et découvrir, op. cit., p. 156) reproduit neuf des oraisons de l Introduction pour les enfans. — A signaler aussi une reprise partielle en édition bilingue, sortie à Londres, An Instruction for chyld-ren/Linstruction des enfans, London : John Roux, 1543. 8°, [16] f.

53. Cependant la « Doctrine des chrestiens » pouvait être suspecte, empruntant à Robert Estienne sa première partie — « Icy est brievement comprins ce que la saincte escripture enseigne … » ; voir aussi la pièce de vers finale : « Cele ton secret, /Parle peu./. ».

54. Dans la même séance, le Livre de vraye et parfaicte oraison échappa aussi à la censure (Ch. DU PLESSIS D’ARGENTRé, op. cit., 1724, t. I, p. xvii).

55. La Fontaine de vie de laquelle resourdent très doulces consolations, singulierement necessaires aux cueurs affligez Plus y est adjoustée linstruction pour les enfans. Le tout reveu et augmenté tout de nouveau, Lyon : Jacques Berjon, 1549, in-8°, [60]f.

56. Voir « Un index du xvie siècle. Livres et chansons prohibés par un inquisiteur de la province ecclésisatique de Toulouse (1548-1549) », BSHPF 2 (1853), p. 443.

57. Ces oraisons proviennent de La vie de nostre seigneur Jesus Christ, traduction d’un ouvrage venu d’Anvers, du chartreux Guillaume van Branteghem, publiée chez Charles Langelier en 1543 (censurée par la Sorbonne comme luthérienne). Eloi Gibier en a trouvé une sélection dans les abécédaires lyonnais de Pierre Estiard (1555, 1558).

58. La Fontaine de vie, de laquelle sortent plusieurs consolations nécessaires aux coeurs affligés. Plus y est adioustée l’instructionpour les enfans., Orléans, Eloy Gibier, 1559, in-16, [64]f.

59. Bernard LESCAZE, « Livres volés, livres lus. », in : Jean-Daniel CANDAUX — Bernard LESCAZE (éd.), Cinq siècles d’imprimerie genevoise, Genève : Société d’histoire et d’archéologie, 1980, p. 146.

60. La Fontaine de vie et de vertu, extraite de toute la sainte Escriture, de laquelle sortent trèsdouces consolations salutaires, fort utiles et necessaires aux coeurs affligez Avec la somme et fin de l’Escriture sainte. Ensemble linstruction des enfans pour bien et vertueusement vivre, Lyon : Jean Saugrain, 1560, in-16, 128 p. Description par Eugénie Droz (op. cit., p. 318-320) de l’exemplaire unique entre temps disparu de la BnF.

61. Alphabet ou Instruction Chrestienne pour les petis enfans. Aveq plusieurs prieres, & sentences extraictes de la sainte Escriture, pour l’instruction des enfans, Lyon : Robert Granjon, 1560, in-8°, 68 p.

62. Sur le détail des éditions d’Estiard, voir M. Carbonnier-Burkard, op. cit., p. 31-33.

63. Granjon a pu reprendre « Que c’est de Dieu », « Que c’est de l’homme » de l’abécédaire, composite mais nettement réformé, de Pierre Habert, « maître écrivain », avec lequel il était en relation et concurrence : La première instruction pour les enfans, par laquelle ils peuvent promptement et facilement apprendre à bien lire, prononcer et escrire, Paris : Ph. Danfrie et Richard Breton, 1559, in-8°, 32 f. ; réimprimé la même année sous un autre titre, pour contourner la censure ; et à nouveau vers 1573, imprimé cette fois par Robert Granjon (voir M. Carbonnier-Burkard, op. cit., p. 33-35).