Book Title

Jean-Charles TENREIRO (dir.), Juifs et protestants. Une fraternité exigeante, Lyon : Olivétan, 2015, 381 p.

Juifs et protestants ont une longue proximité historique, culturelle, spirituelle, mais une proximité complexe, d’où ce sous-titre de « fraternité [qui signifie aussi parenté] exigeante », car elle n’accepte pas tout. Cet ouvrage se situe entre longue durée et actualité. Il se présente comme une interrogation interne au protestantisme : il n’exprime pas une position officielle, mais donne des jalons pour une réflexion. Déjà en 2010, s’était tenu un colloque « Foi protestante et judaïsme » ; à sa suite, à la demande de l’Eglise Réformée de France, un groupe a été constitué, dont J.-Ch. Tenreiro a été le modérateur et le coordinateur, pour regrouper les positions déjà existantes, tant au niveau national qu’œcuménique interconfessionnel. Il réunit douze intervenants, tous protestants, auxquels ce livre ajoute six autres et de nombreux textes.

Le premier point à préciser, c’est le sens des mots employés car, au cours des siècles, ils ont souvent changé. Ainsi bien faire la distinction entre judaïsme (une religion) et judaïté, désignée comme un phénomène biologique, une race, un peuple, ce qui amène à écrire Juif avec une majuscule, alors que le tenant de la religion est juif. Beaucoup de mots ont une pluralité de sens : Israël, sionisme, Bible… et les contraires : antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme. Le pasteur Roland Poupin, président de la Commission de la Fédération protestante de France (FPF) pour les relations avec le judaïsme, dès son introduction, attire l’attention sur ce problème, le sens des mots employés, et il y revient dans un chapitre intitulé « Eléments de vocabulaire des relations judéo-protestantes ».

La première partie, « Jalons bibliques », est consacrée à l’exégèse, comparant la façon dont textes et personnages ont été compris dans les deux religions. Malgré leur clarté et leur grand intérêt, nous ne les commenterons pas, préférant nous concentrer sur les apports des historiens dans ce débat. La deuxième partie concerne l’état des dialogues entre juifs et chrétiens, par les Églises orthodoxes, catholique romaine, protestantes et le Conseil œcuménique des Église (COE). On trouve là leurs textes officiels et l’on constate (pasteur Alain Blancy) que la théologie chrétienne a évolué à partir de la Shoah. Les premières initiatives de rapprochement, dues à Jules Isaac, datent de 1947. Il y avait de nombreux protestants dans son entourage ainsi que dans la jeune Amitié judéo-chrétienne. Foi et Vie publie en 1947 son premier Cahier d’Études juives dans lequel le pasteur Westphal, qui soutient Jules Isaac, appelle à demander pardon.

La troisième partie a pour titre « Juifs et protestants en France ». Dans un premier chapitre, Patrick Cabanel rappelle les points communs : l’attachement à l’Ancien Testament, le fait que pasteurs et rabbins ne sont pas des prêtres, leur relation décomplexée à l’égard de l’argent (ce qui en fait des entrepreneurs et des banquiers), leur situation d’ultra-minoritaires ayant connu les persécutions, l’affaire Dreyfus vue comme une répétition de l’affaire Calas, enfin, leur attachement à la République et à la laïcité qui en a fait les premiers soutiens de la Troisième République, ces « fous de la République » que voue aux gémonies la droite extrême, Charles Maurras mêlant dans la même réprobation, le protestant, le juif et le franc-maçon. Ce sont ces « affinités électives » que développe P. Cabanel en rappelant, notamment, l’aide que les protestants ont apportée aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et l’importance des Justes protestants par rapport au faible nombre de réformés. André Encrevé, avec force textes éclairants, développe deux de ces points, l’affaire Dreyfus et cette aide pendant la Guerre à l’égard des « frères de la Bible », et il en traite un troisième, la façon positive et souvent enthousiaste dont les protestants ont accueilli la création de l’État d’Israël, « terre promise », « peuple de Dieu » étant les expressions répétées. Qui alors, après le choc de la Shoah, se soucie de « la situation dramatique des Palestiniens » ? Mais, comme le rappelle P. Cabanel, depuis 1967, cette attitude positive n’est plus le fait, aujourd’hui, que d’un courant de plus en plus minoritaire. Alain Massini, qui a été président de l’Amitié judéo-chrétienne, développe les mêmes thèmes, mais en remontant au XVIe siècle et rappelle les positions différentes de Luther et Calvin, ce que résume avec humour Michel Leplay : « Luther vocifère et Calvin légifère ». Massini montre bien la fracture qui s’est opérée dans le monde protestant, à l’égard d’Israël, depuis 1967, fracture qui repose sur des bases plus idéologiques ou politiques que théologiques. Et il conclut qu’il existerait deux approches théologiques : une « théologie du peuple d’Israël » et une « théologie des droits de l’homme » qui relaye la protestation prophétique pour le droit et la justice et qui est devenue majoritaire chez les protestants. Ce chapitre contient aussi des documents comme les thèses de Pomeyrol ou les décisions des synodes nationaux de l’ERF. Enfin, la FPF ayant organisé un colloque « Foi protestante et judaïsme » en octobre 2010, plusieurs contributions trouvent ici leur résumé.

Le titre de la quatrième partie « Questions politiques autour de l’État d’Israël » indique assez son orientation. François Sheer l’étudie d’un point de vue diplomatique ; Danièle Morel Vergniol, qui a coordonné pour la France le programme d’accompagnement du COE en Palestine, nous fait écouter le cri des Palestiniens chrétiens, dépouillés, colonisés, abandonnés de la communauté internationale, le « cri d’espoir dans l’absence de tout espoir », cri d’amour venant du cœur de la souffrance, appel aux Eglises du monde. Elle y revient en donnant l’essentiel de la Conférence internationale de Hofgeismal (février 2012) organisée par le Forum œcuménique Palestine-Israël. Une délégation juive était invitée. Le livre de Josué avait été choisi à cause de sa violence et parce qu’il a servi, et sert encore, pour justifier la colonisation et il a été le point d’appui de débats fructueux. Le livre se termine par une riche bibliographie et un « Parcours d’accompagnement pour des groupes », sous forme de questions pouvant entraîner des discussions. Ceci souligne l’aspect pratique de cet ouvrage qui, par la richesse de ses réflexions et des textes ici regroupés, peut servir à la fois aux théologiens, aux historiens et aux paroisses.

Gabrielle CADIER-REY