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Sylvie DAUBRESSE et Bertrand HAAN (dir.), La Ligue et ses frontières. Engagements catholiques à distance du radicalisme à la fin des guerres de Religion, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, collection « Histoire », 2015, 258 p.

Le présent volume, résultat d’une journée d’étude organisée en mars 2013 à l’université Panthéon-Assas (Paris II), rassemble douze contributions. De façon globalement éclairée l’ouvrage traite de la période des troubles de la Ligue et dépeint le parcours de tant de régnicoles français qui, tout en se revendiquant bons catholiques, ont opté pour un rejet assumé des partis royaliste et ligueur, pour une adhésion conditionnelle et/ou intéressée à la Ligue ou pour une condamnation de celle-ci. Autrement dit, on est loin des Ligueurs de l’exil étudiés par Robert Descimon et Ruiz Ibanez et plutôt du côté d’une modération nuancée. L’originalité de cet effort collectif réside à la fois dans le fait d’offrir une interprétation d’engagements dont les motivations sont pour la plupart peu ou prou explicitées et dans le choix d’interroger le phénomène au prisme des individus, des corps constitués ou des communautés rurales et citadines, sans le restreindre à un unique groupe social.

La contribution de Nicolas Le Roux ne figure pas en tête de volume, mais elle pourrait faire office de chapitre initial car elle fournit un état des forces rassemblées par les camps royaliste et ligueur peu après l’assassinat des frères Guise à Blois et son éventuelle évolution au lendemain de l’assassinat d’Henri III. Elle précise donc les enjeux des troubles de la Ligue. Fondée en partie sur deux analyses de la France politique composées en 1589 par Giovanni Maria Manelli, secrétaire du cardinal de Gondi, la démonstration de Le Roux suggère que la crise ouverte par les assassinats des Guise a vraisemblablement durée autant en raison de l’équivalence des forces déployées par les deux partis. Si d’après Manelli, le parti royaliste a rallié la majorité de la noblesse du royaume et les princes du sang, la Ligue a de son côté pris, sous son contrôle, une plus vaste portion de royaume, mais, surtout, un plus grand nombre de villes, y compris plusieurs capitales régionales avec, à leur tête, Paris. Or, comme le fait remarquer Le Roux, la maîtrise des villes était essentielle pour peser dans un conflit. Encore faut-il qu’il y ait unité et cohésion à l’intérieur des partis. Si cela vaut aussi pour le parti royaliste, la Ligue illustrée dans ce volume a en tout cas été traversée par des fragmentations multiples, notamment déterminées par la présence en son sein d’acteurs aux aspirations on ne peut plus différentes.

Tout d’abord, plusieurs contributions laissent apparaître les difficultés rencontrées par la Ligue à s’attacher les engagements d’individus qui se sont perçus avant tout comme membres de communautés d’intérêts, voire comme rouages de « cet autre corps du roi, qui persiste légitimement, même sans le roi, autrement dit “l’État et couronne de France” » (p. 220). C’est le cas des magistrats des cours souveraines au centre des contributions signées par Sylvie Daubresse, Olivier Poncet et Stéphane Gal. Nombre d’entre eux se sont rangés du côté de la Ligue pour des raisons n’étant pas toujours reconductibles au schéma d’une adhésion sincère aux idéaux ligueurs. S. Daubresse, dans le cas des magistrats du Parlement de Paris, et O. Poncet, dans le cas des magistrats de la Cour des monnaies, s’efforcent avec brio de les restituer, malgré le manque de témoignages directes. Quoi qu’il en soit, beaucoup de magistrats ont bien rallié la Ligue. En ce qui concerne la Cour des monnaies, son personnel a même quasiment fait bloc derrière la Ligue jusqu’à la reddition de Paris. Ces nombreuses adhésions individuelles, au grand dam d’Henri III et d’Henri IV, ont par ailleurs acquis à la Ligue des éléments essentiels du corps politique du royaume, les cours souveraines, en mesure d’apporter une caution légale au contre-pouvoir ligueur. Mais c’est justement là que le bât blesse. Ce que ces magistrats pouvaient accepter en tant qu’individus, selon leur conscience, ils ne pouvaient pas nécessairement le valider en tant que gardiens de la continuité de l’État et de l’intérêt général. Que l’intérêt général ait été confondu pour un temps avec quelque chose d’autre que le camp royaliste n’oblitère pas le fait que les magistrats, en rupture avec Henri III et Henri IV, ont (finalement) fait primer leur ethos professionnel quand celui-ci s’est montré incompatible avec leur foi.

Ainsi s’explique, par exemple, l’arrêt Le Maistre de 1593, œuvre des magistrats du Parlement de Paris, suite à la menace alitée par les différentes instances ligueuses d’un transfert de la couronne de France à une puissance étrangère. Ou encore les nombreux exemples, mobilisés par O. Poncet, de blocages opposés par la Cour des monnaies, pourtant alignée à la Ligue, mais gardienne de la stabilité monétaire, aux tentatives initiées par le duc de Mayenne de manipuler les frappes monétaires pour renflouer les caisses de la Ligue.

Le même souci du devoir à accomplir qui a eu raison d’une initiale réticence à accepter un roi non catholique sest manifesté chez les magistrats du parlement du Dauphiné étudiés par S. Gal, bien qu’avec une issue différente et singulière. S. Gal, par le biais du premier président Rabot d’Illins, reconstruit l’histoire d’un groupe de magistrats demeurés jusqu’en 1590 à Grenoble, pourtant ville acquise à la Ligue, qui a refusé haut et fort de s’aligner aux deux partis en lutte pour leur opposer une troisième voie : la voie de la justice, placée au-dessus des partis, et seule capable de préserver l’ordre et la continuité de l’État.

En dehors du monde judiciaire et des cours souveraines, d’autres types des groupes arborant des intérêts collectifs ont à la fois façonné et compliqué l’histoire du mouvement ligueur. Dans sa contribution Fabien Salesse évoque le cas de la ville de Riom qui entre le choix de se soumettre aux instances supérieures de la Ligue et le choix de préserver son intérêt menacé de « ville principale et capitale d’Auvergne » a plutôt opté pour le second choix. D’ailleurs, F. Salesse démontre bien que l’adhésion de Riom à la Ligue s’est surtout produite pour déposséder la ville de Clermont, elle restée dans le camp royaliste, du statut de capitale d’Auvergne qu’elle détenait. Quant à la contribution de Philippe Hamon, parmi les plus novatrices du volume, elle met en scène les laissées-pour-compte de l’historiographie sur les guerres de Religion : les communautés rurales, en particulier les Gautiers en Normandie et les « communes » en Bretagne. Dans les deux cas, entre 1589 et 1590, il y a eu mobilisation armée en faveur de la Ligue, sollicitée per les chefs ligueurs locaux ou tout simplement spontanée. Les paysans impliqués dans ces mobilisations n’ont pas légué à la postérité, comme c’est souvent le cas d’ailleurs, les raisons de leur engagement. Cependant, contrairement à ce que peuvent laisser penser les témoignages ligueurs et royalistes de l’époque, repris par certains historiens contemporains, leur intervention n’aurait pas été motivée, selon Ph. Hamon, par des questions d’ordre religieux ou par une volonté de subversion sociale. Les preuves convoquées par l’auteur, en effet, ne confortent pas ce type d’interprétation. La priorité n’est pas donnée à la défense d’un parti politico- religieux, mais plutôt à la lutte contre « les fauteurs de désordre que le contexte de la guerre civile vient compliquer sans le remettre en cause » (p. 105). Or, pour les paysans examinés par Ph. Hamon, mus par un fort esprit communautaire et le désir de s’intégrer à la société politique du royaume par le service armé, la menace de l’ordre, croient-ils, provient des troupes royalistes. Ainsi naît l’engagement en faveur de la Ligue situé, cependant, en marge de ce parti. En somme, autant d’exemples d’une modération assumée, d’une absence de radicalisme, voire d’une Ligue décalée.

Mises à part les contributions de Fabrice Micallef, portant sur les louvoiements de la haute noblesse catholique de Provence, et de Luc Racaut, revenant sur la trajectoire originale du prêtre René Benoist et son habilité à s’adresser à des sensibilités religieuses différentes au risque de passer pour un politique et un dissimulateur, les autres contributions du volume introduisent des personnages ayant par la parole ou par l’écrit critiqué le recours à la violence pour ramener l’unité de la foi.

Thierry Amalou se focalise sur un prêche au ton irénique prononcé en novembre 1588 en annexe des États de Blois par Claude d’Angennes, évêque du Mans. Ce prélat, par ailleurs favorable à la réception du concile de Trente, préconise lors du prêche, ensuite censuré par faculté de théologie de Paris, de ranger les armes et de ramener les huguenots à la foi catholique par voie de douceur. Par cet acte d’Angennes se pose clairement à contre-courant par rapport à la majorité du clergé venue siéger aux États pour prôner, entre autres, une intransigeance vis-à-vis des huguenots, et dont T. Amalou esquisse un portrait général. Gregory Bereiter, pour sa part, exhume un texte de 1594 inédit et intitulé Oraison sur les miseres de la France qu’il attribue, peut-être trop hâtivement, à Arnaud Sorbin, évêque de Nevers. Dans ce texte l’auteur anonyme, à l’instar de Claude d’Angennes cinq ans plus tôt, y condamne l’usage de la violence perpétrée au nom de Dieu. S’il n’y propose pas un rapprochement entre catholiques et huguenots, ni une reconnaissance d’Henri IV, il ouvre la voie à une désarmement en niant sur des bases scripturaires le recours à la violence au nom de la foi. Le jurisconsulte gallican Guy Coquille, au centre de la contribution de Nicolas Warembourg, témoin depuis trois décennies de la faillite de la violence comme instrument apte à rétablir l’unité de la foi porte également un regard critique sur l’usage de la violence pour cause de religion. Il l’exprime à travers plusieurs écrits composés, avant et durant les troubles de la Ligue, et utilisés par Warembourg pour démontrer que Coquille, jugeant avec sévérité les empiètements du politique sur le religieux et la primauté du pape, estimait que le seul remède pour sortir du chaos passait par une réformation de l’Eglise gallicane, soit un remède religieux pour un problème strictement religieux.

Pour conclure, il faut saluer la parution de ce volume qui, outre qu’il met en lumière la variété des instances agissantes à la fois dans les camps royaliste et ligueur, mais aussi en dehors, aborde efficacement la problématique des engagements en temps de crise à l’aune de la double articulation individuel-collectif. Dernier mérite de cet ouvrage, et pas des moindres, la cohésion des contributions réunies qui, en se recoupant sur de nombreux points, se complètent et formulent des conclusions généralisables.

Tomaso PASCUCCI