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Jérémie FOA, Le Tombeau de la paix. Une histoire des édits de pacification (1560-1572), préface d’olivier Christin, Limoges : PULIM, 2015, index, bibliographie, 545 p.

Le Tombeau de la paix. Une histoire des édits de pacification (1560-1572) constitue une somme sur la coexistence religieuse durant le règne de Charles IX. Jérémie Foa suit le parcours de plus d’une soixantaine d’hommes envoyés par la Couronne pour établir la paix dans le royaume, au lendemain des premières guerres civiles. Les prédicateurs enflammés, les capitaines et les victimes héroïques cèdent la place à des commissaires laborieux qui, parfois au risque de leur vie, essaient de restaurer le lien social rompu par la violence religieuse. De 1563 à 1572, quarante-trois des cinquante villes les plus importantes du royaume ont été visitées et vingt-et-une à deux reprises. La politique irénique de Charles IX n’est donc pas un affichage et mérite une analyse détaillée, certes parfois un peu dense.

Cet ouvrage, à l’origine une thèse de doctorat, s’inscrit dans le sillage du texte fondateur d’Olivier Christin sur les paix de religion en Europe et dont l’auteur fut le directeur de Jérémie Foa1. Mais ce dernier reconnaît aussi bien volontiers sa dette à une tradition anglo- saxonne plus sensible à la mise en œuvre pratique des décisions de l’autorité centrale2. Voilà pourquoi il reprend la question d’une pacification imposée par le haut pour l’articuler aux instances locales des corps de ville, de leur clergé et de leur minorité. Les commissaires sont des témoins et des acteurs de « la construction d’une paix négociée, à la croisée des incitations royales et des propositions locales. » (p. 34). Ceux-ci bénéficient d’une liberté qui résulte d’une mission contradictoire. D’un côté, ils doivent oublier les excès et abus durant la guerre civile, au nom de la politique d’amnistie. De l’autre, ils doivent répondre aux sollicitations des victimes pour rétablir la paix sociale. Jérémie Foa déploie cette contradiction au long de neuf chapitres chrono-thématiques. Les deux premiers présentent les tâtonnements, puis la création de ces nouveaux agents royaux, de l’édit de Janvier à la paix d’Amboise et ses suites avec les commissaires de parachèvement. Puis six chapitres déclinent une étude fine d’un corpus de cent-cinquante-huit remontrances, étayée de cas choisis dans tout le royaume. Celle-ci révèle non seulement l’impressionnant enquête archivistique, mais aussi des analyses sophistiquées grâce auxquelles toute une société locale est dévoilée par ses conflits, à la manière de la microstoria. Enfin, un dernier chapitre conclusif interroge l’échec des derniers commissaires, les « surintendants de justice », amorce d’une institution stable, mais fauchée par le massacre de la Saint-Barthélemy.

Le premier apport de ce travail est la découverte de ces peace builders de la Renaissance tardive. Dans le sillage de l’édit de Janvier, les premiers échouent, trop suspects aux yeux des gouverneurs et des Parlements. Aussi, à la suite de la paix d’Amboise en 1563, la Couronne désigne des commissaires choisis au sein de la robe parisienne, moyen de réintroduire les conseillers du Parlement dans le jeu de la paix. Cependant, face aux difficultés locales de la coexistence, elle désigne plus tardivement de nouveaux agents désormais enracinés dans leur province. Les commissaires de l’édit de Saint-Germain en 1570, bien moins nombreux, sont, quant à eux, des maîtres de requêtes, plus jeunes et sous la férule directe de Charles IX. À la différence des premiers, ils sont destinés à être sédentarisés, mais les tueries de la Saint-Barthélemy mettent fin à l’expérience.

Par cette invention, le pragmatisme de la royauté en quête d’un apaisement viable est démontré. Mais au-delà d’une histoire institutionnelle ennuyeuse, Jérémie Foa nous fait entrer dans le quotidien de ces acteurs politiques. Comment sont-ils choisis ? Quels sont leurs réseaux ? Comment sont-ils reçus dans les villes ? La reconstitution de leur itinéraire montre que ce sont des « hommes de frontière », frontière confessionnelle, sociale et géographique. Ils en jouent, d’ailleurs, pour mieux se légitimer face aux doléances des sujets.

Ces suppliants, quoiqu’ils en appellent au bien commun, réclament justice en vertu de leur appartenance confessionnelle. La mutation séculière par la pacification n’est donc que partielle. Les griefs, découlant des prérogatives des commissaires, sont prioritairement les litiges dus au culte, la restitution des biens pillés durant la guerre, le solde des impositions extraordinaires et enfin le retour des exilés. Si les commissaires semblent parvenir à politiser les différends et à faire du roi l’arbitre souverain, la minorité réformée s’avère défavorisée. C’est ce que l’auteur démontre de manière convaincante. Les religionnaires ayant dû fuir leur cité durant les troubles ont bien du mal à récupérer leurs biens et leur honneur. Ils ne parviennent pas, sauf exception, à avoir des représentants dans les échevinages, tandis qu’ils sont lourdement taxés pour épurer les dépenses militaires. Enfin, leur culte est marginalisé par son exclusion hors du bourg.

Toutefois, les huguenots sont combattifs et profitent des ambiguïtés de la législation pour affirmer leur visibilité. Ce sont, par exemple, des boutiquiers qui travaillent ou font bonne chair les jours de fête catholique ou de Carême. Ils imposent ainsi par le regard — sur l’ouvroir — ou par les sens — l’odeur du fumet —, leur présence dans la cité. Les guerres de Religion redéfinissent ainsi la frontière du domestique et du public, qui tend de plus en plus à coïncider avec la sphère privée. Jérémie Foa souligne avec pertinence que « le domestique ne devient pas “privé” par l’effet magique d’une attraction irrésistible vers la modernité ni par une intériorisation spontanée des normes de pudeur ou de l’intime : c’est parce que la promiscuité traditionnelle de voisinage engendre, en contexte de coexistence, d’interminables conflits qu’il importe de l’atténuer » (p. 425). L’auteur renouvelle ainsi l’approche éliasienne de l’histoire en la contextualisant au plus près du sociopolitique et du local.

Enfin, en 1571, le fiasco des derniers agents de la paix, envoyés dans quatorze villes pourvues d’une forte minorité protestante, éclaire le massacre de la Saint-Barthélemy. Jérémie Foa met en lumière la contradiction de la mission, tantôt bienveillante au lendemain d’Amboise, tantôt sévère quand les troubles reprennent. Cependant, le projet d’une institutionnalisation à travers la sédentarisation des commissaires dénote l’irénisme des Valois, à la veille de la tuerie. Mais il révèle aussi le recours monarchique à l’extraordinaire à travers ceux-ci comme il le sera quelques mois plus tard dans la brutalité.

L’auteur conclut sur l’échec des commissaires de paix de religion. Leur isolement, l’engorgement des audiences, les obstructions à la cour et le parasitage de la guerre constituent des causes objectives. Mais Jérémie Foa souligne également le caractère fictionnel de leur neutralité confessionnelle, à l’aune d’une pratique privilégiant la majorité catholique. « Les commissaires trouvent une solution au vivre-ensemble non pas en imposant aux deux religions de disparaître de l’espace public mais bien en confinant les huguenots, sauf exception, à l’intérieur de leurs demeures ou en les exilant à l’intérieur des villes. » (p. 483).

Avec cet ouvrage, Jérémie Foa renouvelle notre vision de la plus violente décennie des guerres de Religion. Il en déploie toute la complexité à travers une paix paradoxale plutôt que le spectaculaire du massacre, mais qui s’avéra toute aussi déterminante pour saisir le premier déclin des religionnaires.

David EL KENZ

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1. Olivier CHRISTIN, La paix de religion. Tautonomisation de la raison politique au XVIe siècle, Paris : Seuil, 1997.

2. Penny Roberts a poursuivi une enquête similaire publiée au même moment. Son essai moins volumineux, qui s’attache à l’ensemble de la période des guerres de Religion l usqu’à l’édit de Nantes, est moins détaillé. Il recoupe les conclusions de Jérémie Foa, mais centrées sur une histoire plus strictement politique. Peace and authority during the french religious wars c. 1560-1600, Parlgrave : Macmillan, 2013.