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Les éditions de Luther
à la Bibliothèque nationale de France

Geneviève GUILLEMINOT

Bibliothèque nationale de France

À l’occasion de l’« année Calvin » en 2009, nous avions examiné la place que tenait l’œuvre calvinienne dans les collections de la Bibliothèque nationale de France (précédemment royale, nationale, impériale selon les régimes)1 en distinguant les trois grandes étapes de la constitution de ses fonds actuels : les ouvrages entrés avant la Révolution, les confiscations révolutionnaires et les saisies des guerres impériales, et les acquisitions, achats ou dons du XIXe au XXIe siècle. l’examen des estampilles et marques de provenance et la consultation des anciens inventaires et catalogues permettent en effet de répartir les exemplaires dans ces catégories, même s’il est le plus souvent impossible de dater l’entrée précise d’un volume dans l’institution où l’attribution d’un numéro de don ou d’acquisition et l’enregistrement administratif correspondant ne sont instaurés qu’en 1832-1834. La même réflexion peut être proposée pour les œuvres de Luther2, dont Gabriel Naudé, le futur bibliothécaire de Mazarin, justifie en 1627, avec quelques précautions oratoires, la présence dans une bibliothèque savante :

[Il convient] de ne point negliger toutes les œuvres des principaux heresiarques ou fauteurs de religions nouvelles et differentes de la nostre plus commune et reverée, comme plus juste et veritable… C’est pourquoy puisqu’il est necessaire que nos docteurs les trouvent en quelques lieux pour les refuter, que M. de T.[hou] n’a point fait difficulté de les recueillir, que les anciens peres et docteurs les avoient chez eux, que beaucoup de religieux les gardent en leurs bibliotheques… ; je croy qu’il n’y a point d’extravagances ou de danger d’avoir dans une bibliotheque (sous la caution neantmoins d’une licence et permission prise de qui il appartiendra) toutes les œuvres des plus doctes et fameux heretiques, tels qu’ont esté Luther, Melanchthon,. Calvin, Beze3

L’œuvre latine de Luther est au XVIIe siècle aisément accessible dans les grandes bibliothèques parisiennes grâce aux multiples éditions des Opera omnia parues à Wittemberg et à Iéna. la célèbre bibliothèque de de Thou vendue en 1679 conserve l’édition de Wittemberg, 1558, tout comme la Bibliotheca Colbertina vendue en 1728. La bibliothèque de Jacques-Bénigne Bossuet, vendue en 1742 après la mort de son neveu et héritier, contient l’édition de 1582. Les jésuites dans leur maison professe de Paris possèdent seulement l’édition de Wittemberg, 1549, en sept volumes in-folio, tandis que le collège de Clermont en détient trois, celles de Iéna, 1579, Wittemberg, 1582 et Iéna, 16124. Enfin Debure, dans sa Bibliographie instructive5, signale sans commentaire l’édition de Wittemberg de 1554.

La Bibliothèque royale en possède deux séries, toutes deux composites, qui figurent dans le premier catalogue Clément établi en 16846. Elle s’enrichit peu après d’une autre édition de Iéna7. Ces collections sont jugées suffisamment importantes pour que Buvat, le copiste de Clément, en donne un dépouillement très minutieux dans le deuxième catalogue Clément achevé en 1697. Ce dépouillement ne sera pas repris dans le Catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque du Roi8 où ces œuvres figurent avec leur cote en tête de la section Ouvrages de Luther et des principaux auteurs luthériens. D’après le premier catalogue Clément, la Bibliothèque royale possédait aussi les Loci communes de 1594 et de 1651, l ’Epistolarum farrago de 1525, les Epistolae atque libelli de 1529 et le « Circa tumultum » de 1533, devenu Excusatio de tumultibus in Saxonia Germanice dans le catalogue imprimé, et identifiable avec Verantwortung der auffgelegten Auffrur von Hertzog Georgen. Il faut y ajouter la Sententia de adiaphoris de 1549, insérée dans un recueil qui provient de l’échange avec la Bibliothèque Mazarine effectué en 1661 : le volume relié en maroquin rouge aux armes royales porte une pièce de titre avec la mention Lutheranorum opuscula ; il est caractéristique du mode de conservation pratiqué par Naudé dans la bibliothèque de Mazarin, mais aussi dans nombre de bibliothèques d’érudits ou d’étude où des œuvres peu épaisses concernant une thématique proche étaient reliées ensemble. Enfin deux autres titres révèlent l’intérêt pour des écrits de nature différente, la Supputatio annorum mundi de 1541 et l ’Etymologia, c’est-à-dire les Aliquot nomina de 16119.

Certaines Bibles luthériennes apparaissent aussi dans les catalogues de Clément, celle allemande de Strasbourg, 1620, la version danoise de 1550, l’islandaise de 1644 qui comporte un ex-dono de Thorlaeus Srulonius à Laurentius Martinus Scavenius, professeur de théologie à l’académie royale de Copenhague, avec la précision « misi ex Islandia, 1647 », la suédoise de 1655, et la finnoise de 1642. Le second catalogue Clément comprend aussi l’édition de Lubeck en idiomate inferioris Saxoniae de 1533 et celle de Wittemberg, 157210.

Le Catalogue des livres imprimés ajoute quelques titres aux œuvres déjà connues par les catalogues Clément, notamment un remarquable recueil de pièces en latin imprimées de 1518 à 1521 concernant la Disputatio de Leipzig et ses conséquences11 et bien sûr des ouvrages récents : Enucleata praeclara enarratio psalmi II, Supplementum epistolarum, Liber de servo arbitrio et du Commentarius in S. Joannis Epistolam catholicam12.

L’apport le plus significatif de cette période provient de l’intérêt porté aux langues du Nord et aux éditions des pays de l’Europe septentrionale où les textes luthériens tiennent une place considérable. Déjà en 1697, avait été organisé un échange de doubles entre les bibliothèques royales de Paris et de Copenhague par l’intermédiaire de Frédéric Rostgaard, savant danois qui séjournait à Paris. Mais le principal enrichissement a lieu en 1734, quand le comte de Plélo, ambassadeur au Danemark, envoie un choix de sept cents volumes publiés dans les langues des différents pays d’Europe du Nord13.

Le Catalogue des livres imprimés classe l’Écriture sainte par version et par langue : Versions allemandes ou Versions en langue des pays septentrionaux ; dans la table, à l’entrée Luther, la langue des Bibles est aussi soigneusement notée : germanice, germanice et saxonice, danice, suecice, finnonice. Outre les versions déjà relevées dans les catalogues Clément, on y trouve des Bibles allemande, danoise et islandaise, suédoise, finnoise, le Nouveau Testament en suédois et un catéchisme danois14. Les livres séparés sont plus rares : on relève en latin deux volumes de Psaumes — il est intéressant de constater que le catalogue attribue la version de 1529 à Luther (studio Martini Lutheri) dont le nom n’apparaît pas dans l’ouvrage —, ainsi que le Psautier allemand-latin de 1615, le Commentarius… in psalmum secundum de 1728, le De Judeis et eorum mendaciis de 154415. En allemand, apparaissent quelques livres de la Bible de Lunebourg, une version en bas-allemand du Nouveau Testament de Hambourg, 1605, l’édition de Leyde, 1646 et celle d’Amsterdam, 1697, toutes deux accompagnées de Psaumes16.

L’intérêt pour les langues rares s’étend aux catéchismes, en islandais, en portugais imprimé à Tranquebar, alors colonie danoise, sous le titre A Explicaçao da doutrina christaã segunda a ordem do Catecismo do B. Luthero, et en langue « virginienne ou barbaro-virgineorum », le Catechismus ofwersatt på american-virginiske språket17. Un examen plus approfondi de la section du catalogue consacrée à la liturgie fournirait encore d’autres exemples, car les catéchismes de Luther imprimés à la suite de textes liturgiques comme dans les lectionnaires finnois de 1646 et de 166818 ne sont pas indexés au nom de Luther dans la table par auteur.

Cette curiosité pour les ouvrages en langues septentrionales se retrouve dans les grandes bibliothèques du temps : l’archevêque de Reims Charles-Maurice Le Tellier possède ainsi la Bible danoise de 1633 et la Bible finnoise de 1642 qui passent ensuite en 1716 à la bibliothèque des Génovéfains, tandis qu’un autre exemplaire de la Bible finnoise figure dans la bibliothèque colbertine.

Dans les années qui suivent la publication du catalogue imprimé, entre un seul texte en allemand paru du vivant de Luther, le Der Prophet Jona, en même temps que la traduction latine de ses commentaires sur Habacuc19. Cependant les livres d’Europe du Nord continuent à arriver : aux côtés de divers ouvrages d’instruction religieuse d’auteurs variés figurent encore des catéchismes de Luther en danois, en letton, et en islandais20. Dans la langue du Réformateur, on trouve quelques Bibles et un psautier en « bas allemand » dont une note manuscrite traduit le titre « Pseautier en Bas-allemand composé pour l’utilité des hollandais qui habitent l’isle d’Amagre près Copenhague21… ». Toutes les éditions en langue rare étaient en effet soigneusement identifiées à la Bibliothèque royale par un spécialiste qui en comprenait l’origine et l’intérêt et préparait une petite note, collée par un cachet de cire en tête de l’exemplaire. Le Nouveau Testament suédois de 1526 est ainsi décrit : « Le Nouveau Testament en suédois ! Imprimé à Stockholm en 1526 par ordre du Roy Gustave : au commencement du luthéranisme dans ce païs-là. »

À la veille de la Révolution, l’œuvre latine de Luther est donc accessible aux lecteurs de la Bibliothèque royale grâce à la présence de plusieurs éditions des Opera omnia, mais la Bibliothèque ne détient quasiment aucun écrit allemand contemporain du Réformateur. Les rares pièces latines de la première moitié du XVIe siècle sont le plus souvent des textes qui s’inscrivent dans l’histoire des débats, du colloque de Worms ou de Ratisbonne, ou des affrontements avec la papauté, et sont insérés dans des recueils factices. Le nom de Luther ne se répète qu’au titre des œuvres en langues des pays du Nord, objets de curiosité plus qu’ouvrages destinés à la lecture.

Une part notable des éditions anciennes de Luther conservées à la Bibliothèque nationale de France a été estampillée sous la monarchie de Juillet ou sous le Second Empire. Il s’agit alors à peu près exclusivement d’ouvrages provenant des confiscations révolutionnaires effectuées en France ou des prélèvements imposés au fil des conquêtes de la Révolution et de l’Empire. Malheureusement ces textes étaient souvent de petits formats, reliés en recueils qui ont été pratiquement tous démembrés au XIXe siècle, ce qui a détruit la majeure partie des marques de provenance. Seuls quelques dizaines de volumes, des bibles pour la plupart, ont encore une mention permettant de connaître leur origine.

Les communautés religieuses parisiennes sont naturellement les institutions les plus représentées. les bibliothèques des augustins déchaussés et des prêtres de l’üratoire22 conservaient ainsi quelques éditions de la Bible, en allemand ou polyglotte. ün trouve aussi l’ex-libris des jacobins de la rue Saint-Honoré ou de la rue Saint-Jacques, ou plus rarement encore des récollets23, des cordeliers24, des jésuites de Paris ou du Collège de la Sorbonne. L’abbaye de Saint-Victor possédait une Bible danoise sur laquelle étaient portées les mentions « Dannois. Lutherienne25 ». À la différence notable des écrits de Calvin, ces exemplaires ne portent pas de trace de lecture catholique. Les capucins, qui annotaient Calvin pour mieux débattre et prêcher, sont totalement absents de ce relevé. On remarque tout juste une mention « Bible hérétique » sur une Bible allemande de 1558 provenant des grands augustins, après avoir appartenu à Jean Le Tort26, ou ce jugement définitif « Cave quia est impius, haereticus, Lutheranus» porté par Jullien, docteur de la Sorbonne et chanoine de Meaux, sur un volume qui passa ensuite à Paris à la maison Saint- Charles des pères de la doctrine chrétienne27.

Les marques de lecture les plus exceptionnelles figurent sur un exemplaire provenant de l’Oratoire : une traduction genevoise des commentaires de Melanchthon et de Luther sur Daniel28 a suscité d’importantes annotations et commentaires de son possesseur, un huguenot qui commence par célébrer en vers Melanchthon :

Il faut donc maintenant, Philippe, que tes os
Sous le faix du tombeau en garde soient enclos ?

[suivent dix autres vers]

puis Luther :

Par valeureux effort Rome domta le monde
Le pape a subiugué Rome par trahison
Quel doncques est Luter, dont la plume faconde
Deffaict Rome et le pape et brise leur prison ?
Vante ores ton Hercule, o Grece a ta coustume
Sa massue n’est rien au prix de ceste plume.
Il mourut le 17 fevrier 1546 en l’aage de 63 ans. Il estoit aleman.

Notre lecteur compose une table des chapitres et annote abondamment en marge. Certaines notes sont des repères, soulignant le mot essentiel du passage, d’autres sont des références bibliographiques qui renvoient aux sermons de Calvin sur Daniel, au De la providence de Viret, à XInstruction chrétienne de Calvin, au discours de La Noue sur les Turcs, à la Supputation de Luther, au Martyrologe. Il mentionne régulièrement des dates : du dernier jour de may 1584 à Baussay, du jeudy 9 août 1584 (puis 16, 23 août, 6 septembre), du dimanche a l’apresdiner 21 mai 1589 par M. de Claireville, Sermon de M. de Claireville, 4 septembre 1589. Ce M. de Claireville peut sans doute être identifié avec le pasteur N. de Clairville, ministre de Loudun en 1579, et le lieu cité Baussay doit renvoyer à la châtellenie de Baussay qui relève du château de Loudun. Il s’agirait donc d’une lecture studieuse effectuée en présence d’un ministre. Des notes de la même main, mais sans référence au pasteur Clairville, se retrouvent sur une autre traduction genevoise, le Commentaire sur les revelations des prophetes Ioel, et lonas, par Martin Luther, aussi parue chez Jean Crespin29, avec la mention A jamais louable portée au titre, et une même tentative poétique :

Jonas hors de la mer et du poisson terrible
Denonce du seigneur le jugement horrible,
Et son cry fait bransler de Ninive le cœur.

Quelques exemplaires saisis en France permettent de connaître d’anciens possesseurs, aristocrates ou érudits. Des Bibles et des recueils de cantiques en allemand portent ainsi un cachet aux armes de la famille d’Orléans. L’exemplaire de la Bible de Strasbourg de 1630 est relié aux armes du Palatinat et comporte des notes manuscrites en allemand datées de 1709 à 1720 avec les mentions de Marly et de Saint-Cloud. Elisabeth Charlotte, duchesse d’Orléans, dite la Princesse palatine, possédait donc ces quelques volumes parmi lesquels l’exemplaire des Psalmen de Francfort, 1676, avec cet élégant envoi : « Pour moi En quel estat que je seray reduit, l’honneur me sert de loy, et la vertu de conduite. C’est la devise de celuy qui pretend de mourir, Madame ma très chère Tante, Votre Treshumble et très obéissant Serviteur, Charles30. »

Parmi les autres provenances, on relève Dominique-Barnabé Turgot, évêque de Sées de 1710 à 1727, qui possède une édition des Opera omnia31, la Bible dite Polyglotte de Hambourg aux armes de Thomas-Louis de Hénin-Liétard, cardinal d’Alsace32. La présence de l’Alcoranus Franciscanorum latinogallicum, qui contient une préface de Luther dans la collection de Guyon de Sardière33, et d’une version de L’Alcoran des cordeliers illustrée par Bernard Picart, et enrichie d’une gouache du même, dans celle du duc de Penthièvre34 relève de la tradition bibliophilique du XVIIIe siècle.

Si l’apport des confiscations effectuées en France, avec une provenance avérée, reste faible, l’identification des saisies faites à l’étranger est encore plus décevante : une seule origine se retrouve plusieurs fois, le collège des jésuites de Trèves qui détenait la Bible de Zurich en dialecte alémanique, et toujours en allemand celle de Bâle, 1552, un fragment de la Polyglotte de Nuremberg et l’Ancien Testament allemand de 1524, ce dernier exemplaire portant la précision supplémentaire de la main de Joseph Van Praet : « Belgique35 ».

Face au volume des saisies, plus rares sont les écrits de Luther entrés dans les collections par don ou acquisition. Le legs de l’abbé Grégoire comprend le Von der babylonischen Gefencknuss der Kirchen, avec cette mention manuscrite de la main de Grégoire : « Cet ouvrage m’a été donné à Francfort sur le Mein le 8 septembre 1805 par M. Matthias directeur du gymnase de cette ville », et une Bible allemande qui avait appartenu au spécialiste des langues indiennes Anquetil du Perron36.

Le 12 juin 1839, Paul Gaimard, président de la commission scientifique du Nord remet à la Bibliothèque royale un exemplaire de la grande Bible islandaise de 1584, qui porte la mention « Thorleinsen, médecin en chef de l’Islande37 ». Médecin et botaniste, Paul Gaimard revenait de plusieurs campagnes d’exploration en Islande et en Arctique où il devait effectuer un vaste programme scientifique établi par les institutions savantes françaises. Il était aussi chargé de renouer des contacts avec des libraires et des bibliothécaires des pays nordiques.

Le legs de Louis Joseph Hubaud remis le 14 septembre 1866 procure à la Bibliothèque un petit ouvrage exceptionnel par l’intérêt bibliophilique qu’il suscita, le Contrapapatum romanum a diabolo inventum, dont les bibliographes complètent le titre lacunaire par D. Doct. Mar. Luth, e germa. latine redditum per Justum Jonam38. L’exemplaire, sans doute unique, est passé aux mains de prestigieux collectionneurs, Girardot de Préfond, Gaignat, le duc de La Vallière avant la Révolution, et était connu de Debure et décrit par Brunet.

Un volume en anglais, A Commentarie of M. doctor Martin Luther upon the Epistle of S. Paule to the Galathians39, un des rares exemples de Luther en cette langue détenu par la Bibliothèque, provient en 1884 du legs de Victor Schoelcher qui s’intéressa aux questions religieuses et aux débats politiques anglais pendant son exil à Londres sous le Second Empire. Bien que constituée essentiellement de livres anciens appartenant au monde germanique, la collection de l’homme de lettres strasbourgeois Paul Ristelhuber, entrée en 1900, ne contient guère que les Vitae patrum [sancti Hieronymi], in usum ministrorum Verbi, avec une préface de Luther, et un autre exemplaire de L’Alcoran des cordeliers de 173440. Le legs de la baronne Adèle de Rothschild en 1922 fait entrer à la Bibliothèque nationale la collection de Salomon de Rothschild qui comprenait nombre d’éditions allemandes illustrées, parmi lesquelles des Psaumes en allemand de 157041. Enfin, parmi les vélins laissés par le comte Chandon de Briailles, figure un Nouveau Testament allemand dans une reliure à décor doré42.

Dons et legs reflètent donc les intérêts de leur possesseur, pour qui le nom de Luther n’importe guère. Les acquisitions enregistrées à partir de 1832 révèlent une recherche un peu plus systématique d’ouvrages en langue allemande où des écrits luthériens trouvent leur place. Le 8 mai 1840 entre ainsi un exemplaire en reliure chargée d’ornements métalliques d’une Bible allemande de 169343, tandis que le 29 octobre 1840, le libraire Asher (de Berlin ou de Londres ?) fournit une très grosse commande de livres allemands qui comprend notamment les deux grandes éditions des œuvres allemandes de Luther44. En 1899, le De Servo arbitrio figure dans un lot de livres (non détaillés) achetés à la vente de la bibliothèque de l’historien du protestantisme rouennais Emile Lesens45. Quelques acquisitions de pièces en langue allemande se font auprès du libraire Claudin en 190246 et 1904 et de la librairie Klincsieck en 1905 et 190647. le 10 novembre 1904, la librairie parisienne le Soudier livre une importante commande de livres allemands contemporains, qui comprend aussi cinq numéros provenant du catalogue Lutherdrucke de la librairie C. G. Boerner de Leipzig48. Ces achats, assez disparates, semblent s’interrompre par la suite.

Il convient aussi de mentionner les quelques acquisitions qui relèvent plutôt d’une recherche bibliophilique. Joseph Van Praet, qui avait dû restituer en 1815 à la bibliothèque de Wolfenbüttel les « magnifiques » exemplaires sur vélin de la Bible d’Augsbourg, 1535, de celle de Lunebourg, 1629 et du psautier de Nuremberg, 1525, réussit ensuite à acquérir deux livres de la Bible de 1535 sur vélin, coloriés, et le Psautier de 1525 sur vélin, aussi enluminé49. Un exemplaire peint de Uber das erst Buch Mose predigete Mart. Luth, est acheté le 29 avril 1836 de M. Clariond50. De la même démarche procède l’achat, à la vente des livres du bibliophile lyonnais Nicolas Yemeniz en 1867, des éditions illustrées du Passional Christi und Antichristi et du Das Babstum mit seynen gliedern gemalet, textes attribués à Luther51. La qualité de la reliure aux réformateurs sur Etliche Trostschrifften und Predigten52 justifie aussi le prix élevé de 200 F payé en décembre 1888 à Alfred de Champeaux, un spécialiste des arts décoratifs. Au même groupe se rattache l’Exposition de l’histoire des dix lépreux, acheté 160 F à la Vente Leclerc en 190153.

À travers cet examen rapide des ouvrages de Luther acquis par l’institution, il s’avère qu’il n’est pas possible de parler de fonds ou de collection. Plus encore que pour les exemplaires des œuvres de Calvin, qui permettent une lecture en creux de l’histoire des protestants français à défaut de fournir les textes nécessaires à l’étude des écrits du Réformateur, le caractère hétérogène de ce corpus domine. Il est cependant intéressant de noter l’importance attachée au fil des siècles à la collecte des ouvrages en langues rares, qui, par contrecoup, ont enrichi la bibliothèque en versions luthériennes de l’Écriture sainte. Fascinés par les premières éditions des Bibles et catéchismes en islandais, finnois, letton, etc., collectionneurs, érudits et bibliothécaires ont ainsi reconnu indirectement l’importance de la réforme luthérienne et son influence culturelle et linguistique.

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1. « Les éditions de Calvin à la Bibliothèque nationale de France », BSHPF 155 (2009), p. 335-343.

2. Nous avons retenu les ouvrages conservés par la Bibliothèque nationale dans son ancien département des Livres imprimés. l’Arsenal, aujourd’hui département de la Bibliothèque nationale de France, a connu longtemps une histoire spécifique qui n’entre pas dans notre propos. Notre examen a porté sur les éditions de Luther du XVIe au XVIIIe siècle. Nous avons aussi pris en compte les Bibles et les catéchismes quand le nom de Luther apparaît au titre ou dans des pièces liminaires. Pour chaque exemplaire cité, nous donnons en note la cote de la Bibliothèque nationale de France.

3. Gabriel NAUDÉ, Advispour dresser une bibliothèque, seconde édition, Paris : Rolet Le Duc, 1644 (reproduction, Paris : Aux amateurs de livres, 1990), p. 52-55.

4. Catalogue des livres de la bibliothèque de la maison professe des jésuites, Paris, 1763, n° 2324 ; Catalogue des livres de la bibliothèque des… jésuites du collège de Clermont, Paris, 1764, n° 866-868.

5. Guillaume-François DEBURE, Bibliographie instructive ou traité de la connoissance des livres rares et singuliers, t. I, Paris, 1763, p. 371 : Ecrits des nouveaux réformateurs et premierement des Luthériens, Nation allemande, n° 634.

6. T. 1, Iéna, 1556, t. 2, 1557, t. 3, Wittemberg, 1553, t. 4, Iéna, 1558 (D2. 7) ; Wittemberg, t. 1, 1582, t. 2, 1563, t. 3, 1583, t. 4, 1574, t. 5, 1554, t. 6, 1580, t. 7, 1558 (D2. 8).

7. Iéna, t. 1, 1612, t. 2, 1600, t. 3, 1603, t. 4, 1611 (D2. 9).

8. Paris : Imprimerie royale, Théologie (3 tomes, 1739-1742). Les catalogues manuscrits établis par Clément et le catalogue imprimé du XVIIIe siècle ne donnent jamais de titres en allemand ou autres langues nordiques ; tous sont traduits en latin avec la précision Germ. ou germanice. Dans la section Liturgie, les titres sont souvent adaptés en français, ce qui rend l’identification parfois hasardeuse.

9. Loci communes, Magdebourg, 1594 (D2. 538) ; Londres, 1651 (D2. 539) ; Epistolarum farrago, Haguenau, 1525 (D2. 3242) ; Epistolae atque libelli, Leipzig, 1529 (D2. 537/1) ; Verantwortung, Wittemberg, 1533 (D2. 537/2) ; Sententia de adiaphoris, s.l., 1549 (D2. 3236/8) ; Supputatio annorum, Wittemberg, 1541 (G. 3677/2) ; Aliquot nomina, 2e partie de Manuductio ad linguam latinam de Christian Becman, Wittemberg, 1611 (X. 7565/2 : cet exemplaire ?).

10. Bible, Strasbourg, 1620 (A. 392) ; Bible, Copenhague, 1550 (A. 448) ; Bible, Hoolum, 1644 (A. 452) ; Bible, Stockholm, 1655 (A. 454) ; Bible, Stockholm, 1642 (A. 456) ; Bible, Lubeck, 1533 (A. 409) ; Bible, Wittemberg, 1572 (exemplaire de la Bibliothèque royale non retrouvé).

11. Comprend notamment Sermo de triplici justicia, 1519, Sermo de penitentia, Acta Lipsiae, 1519, Epistola Lutheriana ad Leonem decimum summumpontificem, 1521 (D2. 535).

12. Enucleata, Helmestadt, 1701 (D2. 540) ; Supplementum, Halle, 1703 (D2. 541) ; Liber de servo, Strasbourg, 1707 (D2. 542) ; Commentarius, Leipzig, 1708 (D2. 3243).

13. Nicolas-Christian-L. Abrahams, Description des manuscrits français du moyen âge de la bibliothèque royale de Copenhague, précédée d’une notice historique sur cette bibliothèque, Copenhague, 1844, p. VI. Simone Balaye, La Bibliothèque nationale des origines à 1800, Genève, 1988, p. 127.

14. Bible, Hambourg, 1596 (A. 64) ; Copenhague, 1589 (A. 449) ; Copenhague, 1633 (A. 450) ; Copenhague, 1647 (A. 2473) ; Copenhague, s.d. [1716] (A. 5970) ; Copenhague, 1717 (A. 2474) ; Copenhague, 1732 (A. 5972) ; Bible islandaise avec le titre Biblia sacra, islandice seu runice (exemplaire de la Bibliothèque royale non retrouvé) ; Bible, Upsala, 1541 (A. 453) ; Bible, Turku [7urusa], 1685 (A. 2477) ; Nouveau Testament, Stockholm, 1526 (A. 546) ; Catechismus, Copenhague, 1732 (B. 4987).

15. Psautier, Wittemberg, 1529 (A. 6042) ; Wittemberg, 1537 (A. 6043 : cet exemplaire appartenait en 1652 à l’avocat Julien Brodeau) ; Psautier allemand-latin, Hambourg, 1615 (exemplaire de la Bibliothèque royale non retrouvé) ; Commentarius, Halle, 1728 (A. 6828) ; De Judeis, Francfort, 1544 (A. 1435 : exemplaire provenant de la collection de Louis-Emery Bigot, vendue en 1707, et portant la mention manuscrite liber prohibitus in prima classe indicis).

16. Bible, Lunebourg, 1627 (A. 6275) ; N.T., Hambourg, 1605 (A. 6463) ; N.T., Leyde, 1646 (A. 6226) ; N.T., Amsterdam, 1697 (A. 6465).

17. Sa Minne catechismus, Hoolum, 1660 (D2. 3448) ; Tranquebar, 1713 (D2. 3406) ; Catechismus öfwersatt, Stockholm, 1696 (D2. 3401).

18. Manuale finnonicum, se on Muutamat tarwittavat ia aina Kâ sillâ pidettâwât Suomenkieliset Kir- jat, Turku, 1646 (B. 5001) ; Suomenkielinen Wirsi ja Ewangeliumi kiria. Josa myös paidzi nijtä löytän, D. Martinus Lutheruxen Cathechismus, Herran Jesuxen Christuxen pijnan Historia, Turku, 1668 (B. 1857).

19. Strasbourg, 1526 (A. 7019), (A. 7023).

20. Danois : Copenhague, 1732 (B. 4987) ; (D2. 3400 (1) et (3) dans un recueil) ; Letton : Königs- berg/Kaliningrad [Kensbergâ], 1754 (B. 6009) ; Islandais, s.d. (D2. 3404).

21. Bible, Leyde, 1640-1641 (A. 5923) ; Amsterdam, 1701 (A. 5929) ; Halle, 1720 (A. 5932). Psautier, Copenhague, 1732 (A. 6230).

22. Certains Bibles allemandes de l’Oratoire proviennent du don du chanoine Jean-Baptiste Payen de Montmor : Ulm, 1728 (A. 5934) et Bâle, 1644 (A. 395). L’Oratoire possédait aussi la première bible en finnois, Stockholm, 1642, dans une riche reliure à ornements métalliques (A. 457).

23. La Bible allemande de Lunebourg, 1633, qui provient des récollets (A. 5925) porte le nom de son premier possesseur, Reimar a Lindstedt 14 fév. 1634, avec la mention. « gekauft in Rostock » et une note ultérieure « bible de Luther en tres bon alleman [sic] ».

24. Sur la Bible allemande de Lunebourg, 1665, figurent un ex-dono de Carolus Midust et l’ex-libris : Bibliothèque des frères mineurs du Grand couvent de Paris, 1717 (A. 396). La reliure à la Duseuil, de bonne qualité, indique un passage par les mains d’un possesseur privé.

25. Copenhague, 1670 (A. 5971).

26. Wittemberg, 1558 (A. 389).

27. Annotationes Philippi Melanchthonis in Epistolam Pauli ad Romanos unam [préf. de Luther], s.l. 1524 (A. 17921).

28. Commentaire de Philippe Melanchton sur le livre des révélations du prophète Daniel. Item les explications de Martin Luther sur le mesme prophète adjoutées à la fin, le tout nouvellement traduict. [Précédé de l’Argument du livre des révélations du prophète Daniel, par Jean Calvin], [Genève], 1555 (A. 10236).

29. [Genève], 1558 (A. 10057).

30. Bible, Strasbourg, 1630 (A. 393) ; Lunebourg, 1654 (A. 5927) ; Amsterdam, 1686, suivie des psaumes, cantiques et recueil de prières (A. 5928) ; Psalmen, trad. par A. Lobwasser, suivi de Lieder und Psalmen, Francfort, 1676 (A. 10004).

31. Iéna, 1564-1570 (D2. 330).

32. Hambourg, 1596 (A. 65).

33. Genève, 1578 (Rés. H. 1778).

34. Amsterdam, 1734 (Rés. H. 1789-1790).

35. Bible, Zurich, 1536 (A. 398) ; Bâle, 1552 (A. 399) ; Nuremberg, 1599 (A. 19) ; A.T., Wittem- berg, 1524 (A. 7851). Cette étude serait à poursuivre en reprenant les listes de saisies et les correspondances des commissaires.

36. Von der babylonischen, Augsbourg, 1520 (D2. 2247) ; Bible, Wittemberg, 1716-1707 (A 5930).

37. Bible, Hoolum, 1584 (A. 451). L’exemplaire inscrit au Catalogue des livres imprimés n’a pas été retrouvé.

38. Wittemberg, 1545 (D2. 13453).

39. Londres, 1580 (D2. 40036).

40. Vitae, Wittemberg, 1544 (8 H. 6596) ; Alcoran, Amsterdam, 1734 (H. 10699-10700).

41. Der Psalter, Leipzig, 1570 (A. 17914).

42. Das Newe Testament, Nuremberg, 1629 (Vélins. 2959).

43. Bible, Nuremberg, 1693 (A. 402).

44. Iéna, 1575-1590, 8 vol. (D2. 331) ; Halle, 1740-1753, 24 vol. (D2. 2244).

45. Neostadii Palatinorum, 1591 (D2. 16943 acquis à la Vente Emile Lesens, Théologie, Histoire du protestantisme, Rouen, 1-10 févr. 1899).

46. Vermanungzum Sacrament des Leibes und Bluts Unsers Herren, Leipzig, 1540 (D2. 17246).

47. Eyn Sermon von der wirdigen Empfahung des heyligenn waren Leychnamss Christi, Wittemberg, 1521 (D2. 15943) ; Ein guter Sermon, Matthei, am XXII. : Du soit Gott, deinen Herrn, lieben, Wittemberg, 1526 (D2. 15944) ; Der GesangSimeonis, Wittemberg, 1526 (D2. 15945).

48. Eyne christliche Vormanung von eusserlichen Gottis Dienste, Wittemberg, 1525 (D2. 15949), etc.

49. Prophètes et Apocryphes, Augsbourg, 1535 (Vélins. 98-99) ; Psautier, Nuremberg, 1525 (Vélins. 229 : acquis de la librairie Asher de Londres). Joseph VAN PRAET, Catalogue des livres imprimés sur vélin, Paris, t. I, 1824, n° 41, 42, 302.

50. Wittemberg, 1527 (D2. 2246).

51. Passional (D2 2832, 2833) ; Das Babstum (D2. 2835).

52. Leipzig, 1559 (D2. 15985).

53. Genève, 1539 (D2. 15956 acquis à la Vente Leclerc, Ouvrages relatifs au protestantisme, 2-3 décembre 1901, n° 185).