Luther au miroir
du protestantisme réformé français
durant la Première Guerre mondiale
Laurent GAMBAROTTO
Docteur en histoire
Entre 1914 et 1918, dans une culture de guerre où les identités nationales et la ferveur religieuse ont joué un rôle très important, le statut accordé à la figure de Martin Luther, du côté des Puissances centrales comme du côté de l’Éntente, mériterait une recherche comparative de grande ampleur1. Il est vrai que le Réformateur allemand a été l’objet d’un grand nombre de commentaires et d’évaluations de la part de ses partisans comme de ses détracteurs. Luther et son héritage religieux ont ainsi constitué un enjeu non négligeable au regard d’une propagande de guerre qui n’a pas hésité à les instrumentaliser, soit pour affermir le moral de la population et des soldats d’Outre-Rhin, soit pour dénigrer l’une des figures centrales de l’éthos allemand.
Bien sûr, le fait que, dans chaque camp, il y ait eu une certaine pluralité confessionnelle compliquait un peu les choses. À cet égard, la situation du protestantisme au sein d’une France très majoritairement catholique n’était pas simple et aurait pu devenir fort malaisée. En effet, comment pouvait-on afficher un patriotisme intégral, une allégeance irréfragable à la nation française et revendiquer une foi protestante non soupçonnable de sympathie envers la patrie de Luther ? Comment se réclamer de la protestation du Réformateur de Wittenberg sans cautionner sa réquisition par le Kaiser Guillaume II et les Églises protestantes de l’Allemagne impériale pour soutenir l’effort de guerre contre la France et ses alliés2 ?
Ces questions et quelques autres se sont très rapidement posées aux protestants français dès les premiers mois de la guerre. Dans ce qui suit, nous nous proposons d’examiner comment les Réformés français, dans le contexte d’un conflit militaire extrêmement meurtrier et au sein d’une propagande de guerre exacerbée, se sont positionnés par rapport à Luther3. Quelles images de lui ont-elles été privilégiées pour dissiper tout risque de collusion avec l’envahisseur honni, mais aussi pour le disculper face à la résurgence d’un antiprotestantisme catholique ? Et comment dissocier le fondateur de la Réforme allemande de ce luthéranisme qui s’était presque entièrement soumis à l’idéologie pangermaniste ? Enfin, quid du jubilé de 1917 et de sa célébration dans une année si mouvementée à divers titres ?
Luther en accusation : une résurgence de l’antiprotestantisme
La participation à l’Union sacrée, réelle et massive suite à l’appel du Président Poincaré du 4 août 1914, des « diverses familles spirituelles de la France4 » n’a pas empêché l’expression d’opinions antiprotestantes qui visaient avant tout Luther et le luthéranisme allemand. Même s’il ne faut pas surestimer l’ampleur de ces attaques, elles furent suffisamment nombreuses et consistantes pour que plusieurs pasteurs et théologiens français s’en inquiètent et les dénoncent publiquement5. Et tant que nécessaire, la presse protestante a rapporté ce qui fut considéré comme un mauvais coup porté à l’Union sacrée et comme un réquisitoire outrancier contre Luther, surtout révélateur in fine des intentions malveillantes de ses adversaires catholiques français.
Ce contexte permet de mieux comprendre l’attitude des protestants français et il n’est pas superflu de rappeler brièvement certaines des accusations qui ont alimenté le procès intenté contre Luther. Ainsi, en septembre 1914, après les bombardements de Louvain et de la cathédrale de Reims par les armées austro-allemandes, l’historien et académicien catholique Frédéric Masson n’hésite pas à écrire que la guerre est d’abord une guerre de religions qui oppose l’Allemagne protestante de Luther à la France catholique de Jeanne d’Arc6. Puis ce sont Charles Maurras, le chef de file de l’extrême droite, Pierre Imbart de la Tour ou encore Henri Massis qui s’efforcent de faire fonctionner l’amalgame consistant à établir un lien direct entre Luther et l’Allemagne impériale, entre le luthéranisme et le militarisme de la société allemande7. Quant au philosophe Jacques Maritain, il s’en prend à l’individualisme de Luther et à son germanisme qui justifient d’avance les crimes de l’Allemagne8. Pour Maritain, Luther est responsable de la désagrégation morale et religieuse de l’Empire allemand, thèse qui est développée par l’abbé Jules Paquier. En effet, ce dernier rend les idées de Luther — pessimisme moral résultant de la corruption radicale de la nature humaine, dépréciation des œuvres humaines, individualisme religieux — responsables de tous les maux qui affectent l’Allemagne impériale9.
Pour sa part, l’institution catholique s’exprime dans une publication officielle éditée sous le haut patronage du Comité catholique de propagande française à l’étranger10. Dans son introduction, Mgr Alfred Baudrillart se demande si l’Allemagne ne se manifeste pas, « en dépit des déclarations religieuses de son souverain, comme l’adversaire théorique et pratique du catholicisme » ; et il oppose à la France, fidèle à l’Église, l’Allemagne du Kaiser, «l’ami de Luther11 ». Pour le chanoine Bernard Gaudeau, le « vieux Dieu » qu’invoque Guillaume II, le Dieu de Luther, n’est que l’autre nom d’une Allemagne divinisée nécessairement anticatholique et même antireligieuse12. Et l’acte accusatoire se poursuit avec l’historien Georges Goyau qui considère la guerre d’août 1914 comme un second Kulturkampf dirigé contre le catholicisme dès lors qu’il existe « une équation systématique entre protestantisme et germanisme13 ». Tout en prenant la peine de rappeler que les excès des armées allemandes ont suscité les plus vives protestations des calvinistes et des luthériens français, Goyau enfonce le clou en affirmant que, par cette guerre, l’empereur allemand mène une croisade pour imposer son protestantisme germanisé aux nations catholiques latines14. Pour ces raisons et parce que le « pur Evangile » que Luther voulait remettre en vigueur avait enfanté un pangermanisme idolâtre qui propageait sa haine de Rome, il convenait de parler d’une guerre religieuse. François Veuillot en est, lui aussi, persuadé dès lors que « le peuple forgé et pétri par Luther poursuit encore de sa haine le culte et le clergé romains15 ».
Ce qui précède donne un bref aperçu de la polémique anti-luthérienne, et les protestants français ne se sont pas privés de signaler bien d’autres exemples, y compris celui du pape Benoît XV, de ces marques d’ostracisme qui n’ont jamais entièrement disparu, mais se sont largement estompées au cours de l’année 191716. Il est évident que, dans le contexte d’une Union sacrée qu’ils soutiennent avec d’autant plus de zèle qu’ils se considèrent comme les fils les plus loyaux de leur patrie, les protestants français ne veulent en rien tolérer la résurgence d’un antiprotestantisme17 qui pourrait les discréditer auprès de leurs concitoyens. Ulric Draussin, pasteur à Troyes, adopte un ton sévère lorsqu’il dénonce des attaques « que nous sommes absolument décidés à ne plus laisser passer sans protestation et sans réponses documentées18 ». Dans divers articles, conférences et prédications, des laïcs et des pasteurs l’efforcent de montrer l’inanité et le danger de propos hostiles et malhonnêtes qui instillent le poison de la discorde19. Pour préserver « l’union des âmes françaises pour le salut de la patrie commune », le pasteur John Viénot, professeur d’histoire moderne à la Faculté de théologie protestante de Paris, réfute l’idée que la guerre puisse être une affaire de religion car elle désobéit à toutes les religions20. Dans une lettre aux protestants de Suisse, le Conseil de la Fédération protestante de France rejette clairement l’« absurde légende » d’une guerre religieuse21. Il y a bien, certes, une guerre entre deux conceptions opposées de la vie politique et sociale, une guerre du Droit contre la Force, de la liberté de conscience contre l’asservissement des individus aux intérêts de l’État, et de la paix contre le militarisme, mais en aucun cas un conflit entre protestants et catholiques22. Et pour apporter une preuve supplémentaire de l’absurdité d’une prétendue « guerre anticatholique », certains ont rapidement pris soin de montrer que, sur le plan numérique, il y avait davantage de catholiques du côté des Puissances centrales que du côté des Alliés23. On s’étonne alors avec une ironie quelque peu grinçante de ce que les catholiques allemands n’aient pas pris la peine de désavouer les crimes des armées du Kaiser contre leurs coreligionnaires français24. Pourtant, même si les diatribes lancées contre Luther et le protestantisme n’ont pas manqué d’indigner les protestants français, plusieurs d’entre eux ont su exprimer leur sympathie envers l’Église catholique pour les destructions d’églises25, et ils ont toujours donné la priorité à la sauvegarde de l’Union sacrée afin de renforcer le soutien de toute la nation à l’effort de guerre26.
Rétablir une image positive de Luther
Malgré la détestation de Luther, chez bon nombre de catholiques, cristallisée dans une hostilité au protestantisme et dans une condamnation sans appel de l’Allemagne luthérienne, les protestants français se sont efforcés de présenter une image plus valorisante de Luther et de cette Allemagne qui fut, en des temps moins défavorables, une nation respectable et même admirée. La défense de Luther s’est donc opérée de deux manières, en le situant du côté de la « Bonne Allemagne », et en soulignant les aspects éminemment positifs de sa protestation dans le domaine religieux.
L’Allemagne et les Allemands respectables
Dans un souci d’honnêteté, les protestants français n’ont pas laissé la guerre ni la culpabilité qu’ils imputaient entièrement à la nation allemande effacer tout ce que cette dernière avait pu apporter de bénéfique par le passé dans différents domaines. Rejetant la théorie du bloc qui consistait à prononcer sur toute l’histoire culturelle et politique de l’Allemagne la même condamnation péremptoire, ils ont en quelque sorte repris, nolens volens, la théorie des « deux Allemagnes » telle qu’elle fut exploitée par Romain Rolland ou par Victor Basch27. Certes, les protestants français ont d’abord dénoncé sur tous les tons le bellicisme du Kaiser Guillaume II et de son état-major. Ils ont condamné avec la plus grande sévérité l’impérialisme germanique considéré comme une intraitable volonté de puissance militaire, politique et économique. Mais ces récriminations à l’encontre de l’hégémonisme allemand n’avaient rien d’original et ne faisaient que répercuter la controverse idéologique qui battait son plein dans une république française assiégée28. Sur le plan religieux, l’instrumentalisation de Dieu par les maîtres de l’Allemagne impériale a fortement irrité pasteurs et laïcs français qui ont vu dans la devise « Gott mit uns » gravée sur les ceinturons des soldats une inscription sacrilège et la preuve de l’aveuglement spirituel des plus hauts dignitaires allemands29.
Pourtant, dès lors qu’ils ne montraient aucune complaisance envers la « mauvaise Allemagne » qui se considérait « au-dessus de tout », certains protestants français ont pu se sentir libres de parler de la « bonne vieille Allemagne ». Inquiets du rejet de tout ce qui était allemand, présent et passé, ils entendaient couper court à la récupération d’une exaspération envers l’Allemagne par des idéologues nationalistes qui voulaient la mettre au service de haines politiques, sociales et confessionnelles30. En fait, vu la profonde déception causée par l’Allemagne du Deuxième Reich, c’est sur un mode nostalgique que furent évoquées les époques où la littérature, les arts et la piété allemandes enrichissaient la vie culturelle de toute l’Europe. À l’évidence, le temps de guerre ne permettait plus de s’associer aux grandes figures intellectuelles présentes d’Outre-Rhin, mais qui aurait pu nier qu’avant Bismarck et Guillaume II, il y avait eu une Allemagne bienveillante, celle des philosophes, des poètes et des artistes, sans parler de celle des Réformateurs et des mystiques31 ? Luther, Leibniz, Kant, Goethe et Beethoven figurent ainsi parmi les personnalités les plus citées pour illustrer cette Allemagne respectable32. Et lorsque des catholiques français s’en prennent à l’« Aufklärung » qui aurait dévoyée la pensée allemande, Henri Bois, professeur de théologie systématique à Montauban, prend la défense de Kant pour montrer le caractère rationnel, universel et souverainement moral de ses idées33. La philosophie kantienne pouvait même être considérée comme le meilleur antidote au pangermanisme34, et le pays qui avait donné au monde les « trois merveilleux briseurs d’idoles » que furent Luther, Kant et Nietzsche ne pouvait pas « être voué à l’esclavage éternel du militarisme prussien35 ». Dans la lutte contre Guillaume II, il était même nécessaire « d’avoir dans nos rangs les meilleurs des Allemands, les plus généreux, les plus nobles, ceux qui avaient valu à l’ancienne Allemagne tant de sympathies dans le monde. C’est sous nos drapeaux que combattent et Schiller, et Goethe, et Kant, et Fichte lui-même, et au premier rang Luther36 ». Il fallait donc être victorieux de la mauvaise Allemagne pour la libérer du poison pangermaniste et ainsi permettre à une nouvelle et meilleure Allemagne d’emprunter le chemin du droit et de la liberté37.
Luther disculpé des errements de l’Allemagne wilhelminienne
Bien entendu, c’est plus encore dans le domaine religieux qu’il fallait reconnaître l’apport bénéfique de l’Allemagne avant qu’elle ne trahisse l’idéal évangélique. Jacob Spener, ou le comte Nicolas de Zinzendorf et les frères moraves sont cités en exemple d’une foi nourrie de Bible et de vraie spiritualité38. Mais c’est avant tout la figure de Martin Luther que les protestants français ont à cœur de réhabiliter en rappelant sa contribution décisive au xvie siècle pour l’émancipation de la chrétienté. Aussi, face à ceux qui identifient trop vite le « vieux Dieu allemand » invoqué par Guillaume II au Dieu de Luther et de la Réforme, le pasteur Henri Monnier écrit un article pour désolidariser le Dieu du grand Réformateur du crime de la guerre39. Pour lui, « le Dieu de Luther n’est pas le Dieu allemand. C’est le Dieu de la grâce et du pardon : c’est le Père… Dieu n’était pas, à ses yeux, le Dieu de Charles-Quint, ni d’une nation quelconque : il n’a connu que le Dieu de Jésus-Christ, le Père dont la volonté est une volonté d’amour40 ». Il est évident que ce Dieu aimant était celui des authentiques protestants qui ne pouvaient que répudier le Dieu façonné par l’Allemagne à sa propre image ainsi qu’une religion blasphématrice parfois jugée pire que l’athéisme41.
Que Luther ait eu une influence déterminante sur le destin de l’Allemagne, personne ne pouvait alors le nier, mais il fallait contrer ceux qui essentialisaient sa germanité au point de le rendre responsable d’un pangermanisme sans foi ni loi42. Et nul doute que, du côté allemand, la plupart des théologiens et des responsables des Églises protestantes n’hésitèrent pas à réquisitionner Luther pour en faire la figure de proue du destin national de l’Allemagne dans le cadre d’une volonté providentielle de Dieu pour le peuple béni qui avait donné le père de la Réforme au monde43. Pour Emile Doumergue, pris en tenaille par les catholiques français d’un côté et par les protestants allemands de l’autre, Luther est ainsi un des personnages historiques « les plus défigurés, soit par les calomnies de ses ennemis, soit par les éloges de ses amis44 ». Il lui semble pourtant clair que s’il a été « un Allemand, très Allemand et très patriote… il a été le contraire d’un pangermaniste45 ». Il devait donc être dissocié au maximum de l’hégémonisme prussien et de son christianisme germanisé46. Ainsi, peut-on dire que si Luther a été « bon Allemand, il n’a jamais annexé Dieu à l’Allemagne47 » ni considéré qu’elle était le peuple élu de Dieu et le berceau d’une race supérieure. Monnier ne fut pas le seul à réagir face aux tentatives d’explication de l’Allemagne impériale par Luther, et John Viénot, d’origine luthérienne, s’est senti le devoir de clarifier « en toute liberté d’esprit » le rapport existant entre Luther et l’Allemagne nouvelle48. Après avoir démonté une à une les principales accusations lancées contre Luther49, il entendait apporter la preuve qu’il était impossible de tracer une ligne allant de Luther à Guillaume II en passant par Bismarck. Luther était même « exactement le contre-pied » des hommes politiques qui avaient fait le Deuxième Reich et qui, tout en revendiquant la bénédiction de leur « vieux Dieu », conduisaient l’Allemagne à sa perte50. Et Viénot de conclure ainsi : « Loin d’être l’inspirateur de l’Allemagne moderne, Luther est un père dont les enfants ont en très grande partie renié les principes51 ». Bien plus, ajoute Nathanaël Weiss, secrétaire et bibliothécaire de la Société de l’histoire du protestantisme français, « si Luther vivait aujourd’hui, il n’aurait pas assez d’invectives contre ses compatriotes qui, pour justifier leurs forfaits, pervertissent sa pensée et ses paroles52… ». La foi et la protestation de Luther ne pouvaient donc pas avoir enfanté une religion et un État largement paganisés dont le « vieux Dieu » se confondait avec les anciennes divinités germaniques53.
Luther, héros de la foi et de la liberté de conscience
Luther, désenclavé de sa germanité et innocenté des crimes des élites allemandes ayant trahi son geste réformateur, pouvait être présenté comme l’un des plus grands hommes dans l’histoire de l’humanité et être rétabli en tant que penseur religieux de première importance pour le christianisme. À différentes reprises, Luther est cité en contre-exemple des trahisons et autres transgressions commises par les dirigeants allemands. Alors qu’ils sont outrés par les justifications apportées par Bethmann-Hollweg, le chancelier du Reich, à la violation de la neutralité belge54, ainsi que par les propos d’Ernst Dryander, premier prédicateur de la Cour impériale, les professeurs de la Faculté de théologie de Montauban dressent la figure de Luther : « Qu’est devenu Luther poussant, devant toutes les forces politiques et religieuses de son époque, le cri du devoir imprescriptible : “Je ne puis autrement” 55 ? ». Le Non possumus de Luther à la Diète de Worms56 fut souvent rappelé pour affirmer que, par sa protestation au nom de sa conscience fondée sur la Parole de Dieu, Luther s’était fait le champion d’une foi intérieure libérée des autorités humaines, qu’elles soient religieuses ou politiques57. C’est donc cette émancipation de la personne humaine dans son expérience religieuse propre, dans sa rencontre avec Dieu et le Christ, qu’il convenait de souligner avec force : « Le nom de Luther veut dire : Liberté… Voilà ce que les ennemis de la liberté ne lui pardonneront jamais58 ». Mais qu’est-ce qu’a fait de si décisif Luther, s’interroge Viénot : « Il a rejeté toutes les autorités qui ne s’imposaient pas à sa libre conscience. Il ne s’est incliné que devant la Bible et devant Jésus-Christ59 ». Avec Luther, c’est l’aurore du monde nouveau de la liberté qui surgissait grâce au pouvoir de sa conscience dressée contre le cléricalisme romain60. Héros de la foi, Luther l’était et sa doctrine pouvait encore permettre de résister aux puissances qui violentaient les consciences pour mieux dominer les individus et les peuples61.
Le Réformateur de Wittenberg ne possédait sans doute pas que des qualités et même s’il avait sa part de responsabilité dans la subordination des Églises aux autorités civiles62, « il n’en reste pas moins le héros de la liberté de conscience63 ». Pour sa part, le protestant Ernest Denis, professeur d’histoire moderne à la Sorbonne et spécialiste des questions slaves, ne veut pas réduire la Réforme à un seul homme, fût-il Luther, ni passer sous silence les limites de la pensée du Réformateur allemand. Cependant, Denis estime sans l’ombre d’un doute que « Luther a été un grand libérateur » dont il convient d’honorer la mémoire en dépit de ses fils indignes : « N’avons-nous pas encore dans les oreilles le cri d’émancipation qu’il a poussé et qui a ébranlé le Monde64 ? » Luther demeure ainsi « un des phares de l’humanité » pour avoir coupé les liens qui enchaînaient la conscience croyante au magistère tyrannique de l’Église romaine65. Il faut donc saluer « en Luther le serviteur de Dieu qui voulut libérer la conscience religieuse des servitudes humaines », déclare Frank Puaux, président de la Société de l’histoire du protestantisme français, ajoutant que Luther a droit à « notre admiration pour l’immortel service rendu à la cause de la liberté chrétienne66 ». Et pour cette liberté infiniment précieuse, Viénot peut affirmer que personne n’obtiendra de lui qu’il « cesse d’inscrire Luther parmi les plus grands hommes qui soient jamais éclos au sein de l’humanité67 » .
L’individualisme de Luther
Lorsqu’il s’agit d’analyser les opinions concernant Luther au cours du premier conflit mondial, on ne peut éviter d’aborder une question qui a souvent été au centre des polémiques relatives à sa révolte contre Rome et à l’une de ses conséquences majeures. Car la plupart de ses opposants comme de ses défenseurs s’accordent alors pour affirmer que le fait d’avoir placé la conscience du croyant sous la seule autorité de la Parole de Dieu avait favorisé l’« individualisme ». Mais si les détracteurs français de Luther sonsidèrent que cet individualisme se tient à la source de la mentalité allemande et de sa Kultur68, Doumergue expose la contradiction dans laquelle ils se sont enfermés. En effet, s’il concède que « l e protestantisme est purement et simplement de l’individualisme », c’est pour mieux en conclure qu’il ne peut pas être à l’origine de la Kultur « car la Kultur est précisément, exactement le contraire de l’individualisme69 ». Pourquoi ? Parce que la société allemande vit sous le régime de l’administration, de la bureaucratie, de la discipline, de l’obéissance, et de l’étatisme, toutes choses qui sont la négation de l’individualisme70. À son tour, John Viénot énonce que le principe de Luther et de la Réforme, c’est l’individualisme, mais « quel est le principe allemand ? Aujourd’hui, c’est exactement le contraire, c’est l’organisation71 ».
Il est vrai que Viénot et la plupart des figures intellectuelles du protestantisme français sont impliqués dans le conflit idéologique opposant la conception allemande du politique, avec sa primauté de l’État et de la communauté sur l’individu, à la conception française fondée sur une démocratie libérale, sur l’association libre et responsable de citoyens égaux formant une volonté politique commune. Ils ne peuvent donc pas tolérer un autoritarisme étatique qui engendre la dissolution des droits de la conscience face aux seuls intérêts supérieurs des Hohenzollern et d’une aristocratie prussienne rivée sur ses privilèges72. Pour eux, face à une élite militariste qui asservissait le peuple allemand et menaçait d’imposer son régime de fer au reste de l’Europe, il fallait brandir le principe du droit des individus et des peuples. Dans ces conditions, il est évident que l’image d’un Luther faisant émerger une conscience individuelle irréductible devant l’Église et l’État permettait de le situer, au moins en partie, du côté des principes et des idéaux pour lesquels la France et ses alliés étaient engagés dans un combat jusqu’au bout. Pourtant, insiste le germaniste Edmond Vermeil, s’il y a bien eu, avec Luther et la Réforme, la manifestation au grand jour d’un individualisme, celui-ci prit des formes opposées selon le milieu où il s’est développé. L’individualisme luthérien, issu d’un spiritualisme mystique, a donné naissance à un type de civilisation très différent de l’individualisme calviniste, issu de l’idéal sectaire73. Nous revenons sur ce point dans la section suivante consacrée au Jubilé de 1917.
Le Jubilé de 1917: Luther à la croisée des confessions et des nations
L’année 1917 fut décisive à plus d’un titre, avec une succession d’événements politiques et militaires de première importance pour les nations belligérantes74. Sur le plan religieux, l’initiative du pape Benoît XV en faveur d’une paix négociée75 se heurte à la méfiance des gouvernants politiques des pays en guerre et à la dure logique de leur « jusqu’au boutisme » pour obtenir les avantages d’une paix victorieuse. Mais, pour notre problématique, 1917, c’est surtout le Quatrième centenaire de la protestation de Luther qui s’inscrit dans une tradition déjà bien établie de jubilés de la Réformation76. Voici un anniversaire qu’aucune nation marquée par la Réforme ne pouvait ignorer, à commencer par la première concernée, l’Allemagne. Et c’est peu dire que, dans une conjoncture de guerre de plus en plus lourde et épuisante aussi bien pour les armées que pour la population civile, le Jubilé de 1917 fut mis à profit Outre-Rhin pour ressouder la nation et galvaniser l’effort de guerre77. Pourtant, après trois ans d’une guerre abominable et terriblement meurtrière, on était loin des « journées glorieuses » d’août 1914 et le Jubilé ne pouvait pas être célébré avec le faste qu’il avait pu avoir par le passé en temps de paix78. Le soleil de la Réformation avait perdu un peu de son éclat et ce qui valait pour l’Allemagne s’appliquait aux autres nations protestantes, belligérantes ou non.
Comment honorer le Quatrième centenaire de la Réformation ?
La question de l’opportunité de célébrer l’affichage des 95 thèses de Luther sur les indulgences fut clairement posée par les protestants français dès lors que, d’une part, ils faisaient tout leur possible pour se différencier de l’Allemagne et que, d’autre part, ils désiraient se démarquer des commémorations organisées Outre-Rhin par les Églises protestantes avec l’appui de Guillaume II. Bien informés, les protestants français n’ont pas été surpris par la récupération de Luther et son héroïsation par la rhétorique de guerre qui se déployait sans frein dans les Églises protestantes et la société de l’Allemagne impériale79. Lors du Jubilé de 1917, Luther fut salué comme l’Allemand par excellence, ce qu’Émile Doumergue avait pu constater en lisant une importante littérature religieuse et profane qui faisait clairement apparaître combien Luther était glorifié comme le plus Allemand des Allemands80. Il était le prophète de son peuple et le héros national brandissant le glaive d’une « Glaubenskrieg » dirigée contre des puissances ennemies qui incarnaient un sécularisme et un matérialisme destructeurs de la vraie foi évangélique81.
Ces débordements de chauvinisme propulsaient ainsi Luther à la tête de la patrie et pas seulement parce les soldats allemands, protestants et catholiques, entonnaient sur les champs de bataille son célèbre choral « Ein feste Burg ist unser Gott» (« C’est un rempart que notre Dieu »)82. La Réformation allemande de Luther, dans sa dimension religieuse, fut saluée comme il se doit, mais la figure du Réformateur, quelque peu déconfessionnalisée pour les besoins de la cause, est devenue un symbole du patriotisme et de cet « esprit allemand » qui présidait à l’identité et à l’unité nationales83. C’est donc peu dire qu’avec le Jubilé de 1917, Luther a fait l’objet d’une instrumentalisation politique et religieuse pour renforcer la légitimité d’une « Burgfriede » affaiblie et pour remobiliser l’opinion publique en faveur d’un soutien à l’effort de guerre, condition sine qua non d’une victoire capable d’assurer un avenir digne de ce nom au Deuxième Reich84.
Les protestants français, vu le spectacle jugé accablant de l’alliance du « trône et de l’autel » sur le dos de Luther et la trahison de sa Réformation85, se trouvaient dans une position inconfortable par rapport au Quatrième centenaire. Fallait-il le célébrer au risque de donner l’impression de se rapprocher des Allemands86 ? Dans une conjoncture de guerre qui ne tolérait aucune défaillance du patriotisme, que pouvait-on envisager d’organiser, de quelle manière et auprès de quel public ? Autant dire que les difficultés risquaient de s’accumuler, et la nature des problèmes à résoudre en plein conflit eu pour effet de tempérer quelque peu la volonté de célébrer le Quatrième centenaire de la Réformation87. C’est naturellement la Société de l’histoire du protestantisme français qui s’est sentie concernée au premier chef et qui décida de publier au cours de l’année 1917 plusieurs articles relatifs à l’histoire du protestantisme, en Allemagne et en France88. On peut également signaler que la question du type de manifestation à prévoir fit apparaître des dissensions au sein de la Fédération protestante de France89. Le résultat fut que les Églises membres de la FPF ont été invitées à célébrer, chacune à sa manière, le Jubilé de la Réformation.
Les circonstances de la guerre ont ainsi engendré des divergences suffisamment fortes quant au bien-fondé d’une mise en lumière de Luther pour empêcher une démarche commune de grande envergure des protestants français. Quatre cents ans plus tard, le geste réformateur de Luther faisait encore l’objet d’évaluations différenciées lorsque ce n’était pas la crainte de raviver de fâcheuses controverses avec le catholicisme en rappelant l’origine allemande de la Réforme. Pour sa part, le Comité de la SHPF décida d’un numéro spécial du Bulletin90 et de réunir, le 2 décembre 1917 à l’Oratoire Saint-Honoré à Paris, une Assemblée générale de la Société placée sous le signe du Quatrième centenaire de la Réformation de Luther. La date était tardive et, même si cette commémoration qui s’est faite mezza voce ne pouvait satisfaire tout le monde, elle eut le mérite de faire entendre la voix du protestantisme français de manière plus formelle91.
Aux origines de la Réforme en France : Luther
Il y a lieu de s’interroger pour savoir si la guerre n’a pas réactivé une question qui avait fait l’objet d’un débat historiographique animé au sein du protestantisme français à la fin du xixe siècle : y avait-il eu une Réforme française indépendante de celle de Luther et antérieure à elle92 ? En effet, certains historiens tels Orentin Douen et Émile Doumergue s’étaient faits les avocats de la théorie d’un « protestantisme fabrisien » car ils étaient persuadés que Lefèvre d’Étaples avait précédé Luther dans la découverte des principes fondamentaux de la Réforme93. Etant donné que la volonté de se dédouaner des attaques nationalistes accusant le protestantisme de constituer un élément étranger en France avait sûrement biaisé la recherche de ces historiens94, il n’aurait pas été surprenant qu’au cours de la guerre certains aient encore voulu minimiser le rôle joué par Luther dans les origines de la Réforme en France. En fait, une telle éventualité ne s’est pas produite malgré tous les efforts des protestants français pour se démarquer de leurs coreligionnaires allemands95.
Ainsi, à l’occasion du Quatrième centenaire de la Réformation, Nathanaël Weiss s’interroge, à propos de Luther, pour savoir « quelle a été son influence sur la Réforme française96 ». Et, après avoir souligné le rôle précoce et important de Lefèvre d’Étaples qui serait arrivé, dès 1512, « à formuler, avant Luther, le principe libérateur de la Réforme97 », Weiss reconnaît que l’essai de réformation de l’Église fut étroitement limité et ne dura que trois ou quatre années. Si donc l’influence de Luther n’a pas été entière, « elle n’en a pas moins été réelle » et surtout beaucoup plus radicale98. En fait, avec les trois grands écrits réformateurs de Luther publiés en 1520, on possédait « le premier programme complet de la Réforme qu’à ce moment personne n’avait formulé nulle part avec cette vigueur et cette netteté99 ». Il ne fait aucun doute non plus, pour Ernest Denis, que le jour où Luther a affiché ses thèses à la porte de l’église de Wittenberg, « ce jour-là, une ère nouvelle s’est ouverte pour le monde et la pensée humaine… Le 31 octobre 1517 est une date sacrée pour la conscience protestante100 ». Enfin, étant donné qu’avant la guerre John Viénot avait été sévère à l’encontre de la thèse de Doumergue101, il n’est pas surprenant qu’il ait éprouvé le besoin de rappeler la part décisive qu’il convenait d’attribuer à Luther dans les origines de la Réforme française. Sans complaisance envers les thuriféraires allemands de Luther, mais par honnêteté intellectuelle, il désirait rendre à Luther ce qui lui était dû : « Avant 1517, avant le geste libérateur de Wittenberg, en fait de Réforme, il n’y a rien102… ». La Réforme en France était bien la fille de Luther, mais cela n’enlevait rien aux spécificités du protestantisme français davantage marqué par la pensée de Calvin. Dès lors, il était inévitable que des études plus critiques fassent apparaître certaines faiblesses de Luther, surtout lorsqu’il fut comparé à Calvin et au calvinisme.
Un Luther « conservateur » et « dualiste »
Le Quatrième centenaire de la Réformation a également offert l’opportunité aux protestants français de procéder à une sorte d’inventaire du mouvement réformateur façonné par Luther. Ainsi, tout en prenant la défense de Luther contre ses opposants catholiques français et contre ses fils indignes allemands, plusieurs penseurs et théologiens se sont sentis libres de dresser un bilan critique de Luther, de sa personnalité, de ses idées et de leurs conséquences103. La plupart des articles publiés dans le Bulletin de la SHPF en 1917 et dans le numéro spécial de la Revue de Métaphysique et de Morale de fin 1918 ont abordé, sur les plans historique, théologique et politique, des questions relatives à la conception luthérienne des rapports entre C’Église et l’État, entre le chrétien et la cité. En fait, il s’agissait de savoir si Luther n’avait pas sa part de responsabilité dans C’évolution du luthéranisme allemand vers un conservatisme social et politique inféodé au régime autocratique d’une Allemagne nationaliste et militariste.
Le « conservatisme » de Luther
Dans l’instruction du dossier historique concernant l’évolution des relations entre l’Église et l’État chez Luther et dans le luthéranisme allemand, N. Weiss est très représentatif des intellectuels protestants qui sont, peu ou prou, parvenus aux mêmes conclusions que lui104. Pour Weiss, à partir de 1522, face aux désordres commis par les « maximalistes » de la Réformation, Luther prend conscience des excès auxquels peut conduire la liberté chrétienne dont il s’était fait le héraut105. Il se voit donc contraint de revenir à la « méthode d’autorité » et de faire appel au bras séculier pour rétablir l’ordre106. Dès lors, « de radical qu’il avait été, il devint essentiellement conservateur107 » et s’est même tourné vers les princes protestants à partir de 1525 pour la mise en place et le contrôle des Églises « l uthériennes ». Pour Weiss, « la première conséquence qui en résulta fut de subordonner les Églises aux États et de répandre l’idée que tout ce qui touchait à la religion dépendait du prince ou du magistrat108 ». La mise en œuvre du fameux principe du Cujus regio, ejus religio entraîne une mainmise de l’ État sur lÉglise car « il [l’État] a trouvé un complice trop complaisant dans ce premier retour de Luther à la religion d’autorité, c’est-à-dire aux méthodes du catholicisme109 ». Et avec les successeurs de Luther, cette conception absolutiste des droits souverains du gouvernement c’amplifie pour aboutir à une soumission totale des Églises territoriales à l’État. De son côté, se référant à Weiss, Ernest Denis qualifie la Réforme luthérienne de « conservatrice » et même de « nationaliste », ajoutant qu’aux mains des Allemands, elle a produit plus de servitude que de liberté politique110.
C’est également le célèbre germaniste Charles Andler111 qui se livre à une explication théologique et psychologique de Luther pour mieux comprendre la nature et le sens profonds de la Réformation qu’il a mise en route sans pouvoir la conduire à son terme. Par une analyse habile et perspicace, Andler montre que, si Luther a été révolutionnaire dans le domaine de la foi et dans celui de l’Église, il est resté conservateur dans le domaine politique112. Pourtant, si Luther est conservateur, ce n’est pas parce qu’il prêche la soumission et la passivité devant le mal, ni parce qu’il considère que le pouvoir séculier doit gouverner le monde avec ses propres armes qui ne sont pas celles de l’Esprit. Le conservatisme de Luther vient du fait qu’il s’est appuyé sur les princes pour assurer la sauvegarde de sa Réforme et qu’ainsi « il scelle définitivement l’alliance de son Église avec les monarques… les princes luthériens sont devenus les évêques armés de l’Église nouvelle. Inversement les Églises luthériennes depuis lors sont encastrées dans l’État et dépendent de lui113 ». La faute de Luther est d’avoir réintroduit la force dans l’ordre spirituel là où elle aurait dû rester dans le seul ordre naturel de la conservation du monde. Avec sa Réforme placée entre les mains du prince et dominée par la puissance temporelle, Luther fonde le « césaréo-papisme » et trahit sa promesse de libérer l’Église : « Il rompt avec ce qui fut l’inspiration la plus haute de sa propre jeunesse prophétique114 ». La conclusion que l’on sent désappointée d’Andler se sépare de celle de John Viénot qui insistait tant sur le « principe d’affranchissement » mis en mouvement par Luther et qui fut repris et amplifié par les autres Réformateurs115. Mais Viénot n’ignorait pas, loin s’en faut, les faiblesses d’un Luther qui avait libéré l’État de la tutelle cléricale au risque d’une emprise de l’État sur une Église livrée à sa merci.
Le « dualisme » de Luther
Il existait aussi un fait aggravant chez Luther, son « dualisme », car sa théologie avait creusé un écart entre le croyant et la cité, entre l’Église et le monde. À la base de ce problème, il y avait le principe de non-résistance institué par Luther car il n’était pas conforme à l’Evangile de se révolter contre l’autorité établie, même injuste. Et N. Weiss de rappeler que Luther avait été j usqu’à dénier aux princes protestants, suite à la seconde Diète de Spire en 1529, le droit de s’opposer par les armes à l’Empereur au cas où ce dernier aurait voulu imposer le catholicisme par la force116. Ce devoir d’obéissance, active ou passive, à l’autorité permet de comprendre, selon Weiss, comment le luthéranisme allemand a fini par produire un « habitus » de soumission docile des croyants à l’État. C’est ainsi qu’en Allemagne, entre 1517 et 1917, une contre-réformation s’est déployée sous les auspices de l’État jusqu’à produire un néo-luthéranisme pangermaniste117. Au fond, Luther avait libéré la conscience, l’homme intérieur, mais il avait enchaîné l’homme extérieur à l’autorité politique. Et John Viénot, pourtant l’ardent défenseur de Luther, fit preuve de lucidité sur le danger de la pensée politique de Luther, affirmant, dès 1915, que si « Luther a affranchi sa nation à l’égard de Rome… il a asservi l’individu à l’État. Il n’a pas reculé devant Rome ; il a reculé devant le Prince118 ». Le danger provenait du risque de passivité et de fatalisme des chrétiens dans leurs rapports avec la société et l’organisation de la vie politique. Sur ce point, Émile Doumergue se voit obligé « de reconnaître que chez Luther lui-même se trouvent déjà certaines traces de ce dualisme auquel le quiétisme étatiste aboutit119 ». Replié sur sa relation intime avec Dieu, le chrétien risque de devenir indifférent aux problèmes de la vie collective et de se résigner au mal120. C’est aussi ce que perçoit clairement Ernest Denis : « La foi mystique de Luther se confond avec l’essence même de l’idée religieuse ; mais il est visible qu’elle peut facilement dégénérer en un quiétisme béat qui s’arrange sans trop de peine des imperfections et des défaillances de la nature humaine121 ». Libre dans sa vie intérieure, le luthérien accepterait de vivre de manière plus désenchantée dans un monde soumis au péché, ce qui favoriserait une soumission à l’ordre et au pouvoir établis122.
Les protestants français, à l’école d’un calvinisme qui est alors considéré comme étant à l’origine de la démocratie et des droits de l’homme123, regrettent que l’expérience d’affranchissement que Luther a pu faire dans le domaine spirituel n’ait pas trouvé sa traduction dans le domaine social et politique. Pour eux, Luther n’avait pas réussi à conduire sa réforme jusqu’à son terme : il s’était arrêté en chemin, par peur des conséquences éthiques et politiques de sa revendication concernant les droits de la conscience individuelle. Dès lors, ce que constate Edmond Vermeil, c’est que l’éthique luthérienne ne prescrit au chrétien que les devoirs religieux et qu’elle crée une dualité entre le chrétien replié sur sa « jouissance quiétiste des dons spirituels » et sa participation timide à la vie sociale dans une obéissance loyale à l’État qui est d’institution divine afin de protéger l’Église dans un monde pécheur124. Fidèle à son fondateur, et resté prisonnier d’un « patriarcalisme », d’un « spiritualisme mystique » et d’un « organicisme médiéval », le luthéranisme allemand a forgé une société traditionnaliste, corporatiste et autoritaire125. Pour Vermeil, lorsqu’il est comparé au calvinisme, le drame du luthéranisme, c’est d’avoir renoncé à christianiser l’ordre social et politique, à former des citoyens libres et égaux prêts à s’engager pour une organisation politique de type démocratique et libéral126. Vermeil trouve ainsi une clé d’explication du conflit mondial dans l’opposition de « deux civilisations qui se sont fortement influencées, mais qui ne se sont jamais rejointes », l’une issue du luthéranisme, l’autre du calvinisme127. On voit que, malgré le risque inhérent à ce genre d’approche, certains ont tenté de tracer une ligne plus ou moins directe entre Luther et ses lointains héritiers du Reich wilhelminien.
Conclusion
Au sein d’une culture de guerre qui encourageait une diabolisation des ennemis, le risque était grand de mettre tous les Allemands dans le même sac, Martin Luther y compris. Et il est clair qu’autour de la figure du Réformateur allemand, se sont polarisées des images très contrastées, voire opposées qui sont venues quelque peu fissurer la trêve religieuse de l’Union sacrée. Pourtant, les protestants réformés français ont montré leur capacité à conjuguer un loyalisme indéfectible envers leur patrie avec une indéniable reconnaissance pour l’œuvre accomplie par Luther. Entre les attaques des catholiques français et les propos dithyrambiques des protestants allemands, ils ont fait preuve de probité dans leurs appréciations, positives et critiques, de Luther et de sa Réformation. Face à l’équation posée par certains publicistes catholiques entre Allemagne et luthéranisme, entre idéologie pangermanique et pensée de Luther, les réformés français se sont efforcés de récuser la confusion ruineuse entre le Réformateur de Wittenberg et le néo-protestantisme qui était alors accusé d’avoir forgé la mentalité matérialiste, dominatrice et militariste de l’empire wilhelminien. La gratitude unanime qu’ils ont exprimée concernant Luther et son action réformatrice ne doit pas être trop vite banalisée car elle a eu le mérite d’être affirmée dans des circonstances qui ne prêtaient à aucune indulgence envers les spécificités culturelles d’Outre-Rhin.
Les protestants français ont ainsi rejeté un déterminisme socio- anthropologique qui aurait enfermé Luther et les Allemands dans une germanité barbare susceptible d’expliquer tout le développement historique de la nation allemande. Si personne ne pouvait contester que Luther avait été un vrai Allemand, rien ne justifiait de le rendre coupable de ce qui avait pu se faire en son nom ou pour des raisons n’ayant rien à voir avec sa protestation religieuse. Pourtant, se demandèrent plusieurs, les évolutions du luthéranisme et certaines spécificités culturelles de l’Allemagne impériale n’étaient-elles pas contenues in nuce dans les idées du moine augustin de Wittenberg ? Et d’aucuns n’ont pas manqué de souligner que la personnalité de Luther, ses choix et sa conception des rapports entre l’Église et l’État, entre le chrétien et la cité, ont eu des conséquences non négligeables dans la formation d’une culture de l’obéissance et de la soumission à l’autorité politique. Sans la désigner explicitement, c’est la théorie dite des « deux règnes » qui fut visée dès lors qu’elle aurait favorisé la soumission à l’Obrigkeit et la docilité des Églises luthériennes envers l’État. À cet égard, il n’est pas surprenant que plusieurs protestants français aient fait apparaître ce qui distinguait le luthéranisme et le calvinisme, à l’avantage de ce dernier. Là encore, il convient de dire que la critique de Luther et du luthéranisme n’allait pas de soi car les protestants français courraient alors le risque de donner des armes idéologiques à leurs adversaires nationalistes qui ne craignaient pas de faire feu de tout bois pour vilipender le Réformateur allemand et, souvent, exhiber leur haine à l’égard de son héritage religieux.
Au terme de cette étude qui aurait pu faire droit aux attitudes, assez semblables, des luthériens français ainsi qu’à des éclairages sur des points de moindre importance, on peut constater combien les images et les représentations de Luther au cours de la Grande Guerre ont été un miroir des conflits idéologiques de leur époque. Cela ne signifie pas pour autant que tout ce que l’on projetait sur lui était caricatural et mensonger. Il serait même intéressant de montrer ce qui a été confirmé par des analyses postérieures, mais les compréhensions de Luther ont aussi été révélatrices des préoccupations d’une époque déchirée par la guerre et lourdement travaillée par les polarisations excessives qui n’ont pas manqué de se produire. La neutralité n’était pas de mise et, pour leur part, les protestants français se sont efforcés de tirer le meilleur parti de « leur » Luther, quitte à parfois le tirer du côté qui paraissait le plus utile à la consolidation de leur propre foi et au salut de leur patrie.
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1. Les représentations, les images et les instrumentalisations de Luther au cours de la période contemporaine ont fait l’objet d’études qui balisent notre champ d’investigation. Pour la scène allemande, citons Heinrich BORNKAMM, Luther im Spiegel der deutschen Geistesgeschichte. Mit ausgewahlten Texten von Lessing bis zur Gegenwart, Gottingen, 2e éd., 1970 ; Johann Baptist MüLLER (éd.), Die Deutschen und Luther. Texte zur Geschichte und Wirkung, Stuttgart, 1983 ; Kurt ALAND, Martin Luther in der modernen Literatur, Witten — Berlin, 1987 ; Jan Herman BRINKS, « Einige Überlegungen zur politischen Instrumentalisierung Martin Luthers durch die deutsche Historiographie im 19. und 20. Jahrhundert », Zeitgeschichte 22 (1995/7-8), p. 233-248. Voir aussi Stefan LAUBE — Karl-Heinz Fix (éd.), Lutherinszenierung und Reformationserinnerung, Leipzig : Evangelische Verlagsanstat, 2002. Pour la réception de Luther dans le contexte français, nous disposons de l’étude majeure de Gerhard Philipp WOLF, Das neuere französische Lutherbild, Wiesbaden : F. Steiner Verlag, 1974. En langue française, signalons Michèle MAT — Jacques MARX (éd.), « Luther, mythe et réalité », dans : Problèmes d’histoire du christianisme, vol. 14, Bruxelles : Éditions de l’ULB, 1984 ; Marc LIENHARD, l’Evangile et l’Église chez Luther, Paris : Cerf, 1989, en particulier le chapitre X : « Entre l’Allemagne et la France », p. 219-243 ; Michèle MONTEIL, « Luther et les Français du XXe siècle », Positions luthériennes, (1990/2), p. 111-149 ; Monique SAMUEL-SCHEYDER (éd), Martin Luther. Images, appropriations, relectures, Centre de Recherches Germaniques et Scandinaves de l’Université de Nancy II, Bibliothèque Le Texte et l’Idée, vol. V, 1995.
2. Aux références bibliographiques indiquées à la note précédente et dont certaines contiennent des analyses consacrées aux images et polémiques relatives à Luther dans le contexte français de la Grande Guerre, il convient d’ajouter Charles E. BAILEY, « L’attitude des théologiens protestants français envers l’Allemagne durant la guerre de 1914-1918 », BSHPF 133 (1987), p. 181-203 ; Daniel ROBERT, « Les protestants français et la guerre de 1914-1918 », Francia, vol. II, Munich, 1975, p. 415-430. Voir également nos propres observations dans Foi et Patrie. La prédication du protestantisme français pendant la Première Guerre mondiale, Genève : Labor et Fides, 1996.
3. Dans les limites de cet article, nous traitons plus spécifiquement du protestantisme réformé français. Bien que, dans l’ensemble, les luthériens (Inspections de Paris et de Montbéliard) aient affiché des sentiments et des attitudes très proches pour ne pas dire identiques à leurs coreligionnaires réformés, leur cas mériterait un traitement à part.
4. Pour reprendre le titre de l’ouvrage que publie Maurice Barrès en 1917 afin de se réjouir de la mobilisation exemplaire de toutes les forces vives de la nation française afin d’assurer sa défense.
5. Voir, par exemple, l’article d’Emile DOUMERGUE, doyen de la Faculté de théologie protestante de Montauban : « L’Allemagne religieuse », Foi et Vie, cahier B/10, 15/6/1915, en particulier la section « Notes et documents », p. 122-128. L’étude bien documentée de Doumergue fut également publiée sous le même titre dans la Revue de théologie et des questions religieuses, nov.- déc. 1915, p. 545-588. Également, les mises au point du pasteur John VIENOT dans la rubrique « Le mois », Revue chrétienne, janvier-avril 1915, p. 102-103 ; nov.-déc. 1915, p. 608-616 ; ainsi que celle du pasteur Ulric DRAUSSEN, « Le catholicisme et la guerre », Revue chrétienne, mars 1916, p. 137-146.
6. Cf. l’article publié dans l’Echo de Paris du 23/9/1914. Masson réitère sa conviction que le luthérien germanique veut s’attaquer par la force à la foi catholique de la fille aînée de l’Église, dans l Écho de Paris du 12 juin 1915.
7. Henri Massis est représentatif de cette vision dans son Luther, prophète du germanisme, Paris, 1915.
8. Cf. « Le rôle de l’Allemagne dans la philosophie moderne », La Croix, 3/2/1915, p. 5-6. De son côté, l’écrivain Paul Claudel peut en appeler à une victoire « contre les armées du diable, contre les hordes de Luther… » (cité par Xavier BONIFACE, Histoire religieuse de la Grande Guerre, Paris : Fayard, 2014, p. 245).
9. Cf. Le Protestantisme allemand. Luther, Kant, Nietzsche, Paris, 1915. Dans sa préface, Paquier signale que sa publication a été relue par J. Maritain pour sa partie philosophique, et il justifie le titre de son livre ainsi : « L’histoire de la pensée anti-objective et anti-catholique depuis quatre siècles se résume en trois noms, et ces trois noms sont allemands : Luther, Kant, Nietzsche », p. 5.
10. Voir La Guerre Allemande et le Catholicisme, Paris, 1915 ; ouvrage publié sous la direction de Mgr Alfred Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris.
11. Ibid., p. xi-xil. Mgr Baudrillart estime que le christianisme germanisé qui combat la religion universelle du catholicisme ne peut que signifier le renversement total de l’Evangile.
12. « Les lois chrétiennes de la guerre », ibid., p. 25. Voir aussi le jugement d’Alfred LoiSY in Guerre et religion, Paris, 1915 ; ou la critique acerbe du député catholique Denys CocHiN dans Le Dieu allemand, Paris, 1917. L’idée que l’Allemagne faisait retour aux anciens dieux germaniques et au vieux culte d’Odin est développée par Flavien BRENIER, journaliste militant d’extrême droite, dans LAllemagne occulte : le vieux Dieu allemand, Paris, 1915.
13. « La “culture” germanique et le catholicisme », La Guerre Allemande et le Catholicisme, op. cit., p. 32. Spécialiste de la scène religieuse allemande, G. GOYAU avait publié LAllemagne religieuse, 5 vol., Paris, 1909-1911.
14. Ibid , p. 33. Pour Goyau, les catholiques allemands se sont laissés contaminer par la germanisation du christianisme au point d’adopter l’esprit d’orgueil et d’exclusivisme du protestantisme allemand ; voir l’article de G. GOYAU, « Les Catholiques allemands et l’empire évangélique », Revue des Deux Mondes 34 (1916), p. 721-756.
15. « La guerre aux églises et aux prêtres », La Guerre Allemande, op. cit., p. 82. Cela explique, aux yeux de Veuillot, l’acharnement des militaires allemands à détruire les édifices religieux catholiques, en particulier le bombardement de la cathédrale de Reims et de celle d’Arras, à incendier la bibliothèque de l’Université catholique de Louvain, à tuer des prêtres et des religieux, etc.
16. Les publicistes catholiques doivent tenir compte de l’hommage rendu par le nationaliste Maurice Barrès au patriotisme sans faille des protestants français dans son ouvrage publié en avril 1917, Les diverses familles spirituelles de la France, op. cit. (ch. 4). Par ailleurs, l’entrée en guerre aux côtés des pays de l’Entente des Etats-Unis considérés comme protestants a obligé les polémistes d’extrême droite à une plus grande retenue envers les protestants. Cela n’empêche pas F. Masson de publier en 1917 un ouvrage intitulé Guerre de religions dans lequel il a rassemblé des articles parus dans divers quotidiens pour continuer à dénoncer l’agression du piétisme germanique contre le catholicisme romain.
17. Sur la polémique haineuse qui, depuis le conflit franco-prussien de 1870, avait tenté de discréditer les protestants accusés de constituer un parti étranger à l’intérieur de la nation, nous renvoyons à l’ouvrage de Jean BAUBéROT — Valentine ZUBER, Une haine oubliée. Lantiprotestantisme avant le «pacte laïque»» (1870-1905), Paris : Albin Michel, 2000.
18. « Le catholicisme et la guerre », art. cit., p. 145. Et pour se faire encore mieux comprendre, il ajoute : « Mais si l’Église, ouvertement ou sournoisement, se permet encore de jeter la plus petite suspicion sur le patriotisme des protestants en France, elle nous trouvera sur son chemin, et nous saurons nous défendre » (ibid., p. 145-146).
19. Émile Doumergue regrette que les ennemis du protestantisme ne respectent pas la « trêve des partis » si nécessaire à la patrie et il affirme sa « conviction très calme que la religion n’est pour rien dans la politique actuelle : aucune religion, ni en Allemagne, ni en France, ni où que ce soit, chez aucun belligérant » (« L’Allemagne religieuse », Revue de théologie et des questions religieuses, nov.-déc. 1915, p. 545-546).
20. La victoire de Dieu, prédication du 13/9/1914. Dans les Notes et additions insérées à la suite de sa prédication, Viénot est catégorique : « Nous ne laisserons pas M. F. Masson transformer en “guerre de religion” cette immense guerre de 1914 où la France lutte avec le concours de ses alliés anglais protestants contre le piétisme de Guillaume II et le cléricalisme de François-Joseph », op. cit. Un an plus tard, constatant que « Luther… passe un mauvais quart d’heure presque tous les jours », Viénot s’inquiète des effets négatifs que les propos insultants lancés contre les réformateurs peuvent avoir chez les nations protestantes neutres (« Le mois », Revue Chrétienne, nov.-déc. 1915, p. 610).
21. « Il est donc faux que l’offensive réalisée par les Empires centraux contre la France et ses alliés doive être assimilée à une guerre confessionnelle, à une croisade protestante contre le catholicisme. Nous écartons cette absurde légende. » (lettre datée du 8/5/1916, et reproduite dans Evangile et Liberté, 17/6/1916, p. 156).
22. Sur la dimension idéologique du conflit, voir notre article : «L’opposition radicalisée de deux nations, régimes politiques et visions du monde (français et allemand) dans la prédication de guerre du protestantisme réformé français », BSHPF 160 (2014), p. 35-55.
23. Voir l’article de deux laïcs « À propos de la destruction de la Cathédrale de Reims », Le Christianisme au XX siècle, n° 40-41 daté de 1er-8 octobre 1914 ; également Georges RIVALS, « Les protestants et la guerre actuelle », Évangile et Liberté, 28/11/1914, p. 368, qui parle de 64 millions de catholiques du côté « austro-germain » et de 60 millions chez les alliés. Ces chiffres sont repris par Jules AESCHIMANN, « Pour méditer », Évangile et Liberté, 28/8/1915, p. 249-250.
24. Il est évident que la solidarité du catholicisme allemand avec la politique impériale causa une vive animosité chez les catholiques français qui avancèrent plusieurs explications parmi lesquelles l’influence délétère de l’esprit de Luther et du protestantisme. Voir la préface de Mgr Baudrillart au volume : l’Allemagne et les Alliés devant la conscience chrétienne, Paris, 1916.
25. Mentionnons le pasteur Charles Wagner qui, scandalisé par «l’attentat démesuré » contre la cathédrale de Reims, adressa son « salut douloureux et fraternel à toute la chrétienté catholique », Les trois hommes dans la fournaise, prédication du 27/9/1914. C’est le même Wagner qui, pour faire cesser les mises en cause du protestantisme, rend visite à Mgr Alfred Baudrillart, le 26/2/1915 ; lire le compte rendu lapidaire de cette rencontre dans Les carnets du cardinal Alfred Baudrillart (1914-1918), Paris : Cerf, 1994, p. 157.
26. Voir la recommandation du pasteur montalbanais Louis Lafon, directeur du journal Évangile et Liberté : « Il faut couper court à toutes ces manœuvres, dans l’intérêt de la paix et de la religion elle-même. Tous les Français, catholiques, protestants, juifs, libre penseurs, sont unis dans le même patriotisme. Il ne faut pas rompre cet admirable et résistant faisceau », Évangile et Liberté du 10/10/1914, p. 314. Début 1916, Jean Lafon, pasteur au Havre, exhorte ses auditeurs : « Imposons silence aux dénigreurs de parti pris qui sèment l’inquiétude et la défiance. Ce serait un crime contre la patrie que de paralyser son élan » (Regarder en avant, sermon du 1/1/1916).
27. Dans son « roman fleuve » Jean-Christophe (1904-1912), Romain Rolland avait popularisé cette opposition entre la vieille et bonne Allemagne du passé et la nouvelle ayant trahi son idéalisme sous le Deuxième Reich. Quant au germaniste spécialiste d’esthétique Victor Basch, il prit ses distances par rapport à une diabolisation généralisée de l’Allemagne et posa une distinction entre la bonne Allemagne classique dans le domaine des arts et la mauvaise Allemagne nouvelle dans la sphère politico-militaire. Voir son article : « La philosophie et la littérature classiques de l’Allemagne et les doctrines pangermanistes », Revue de Métaphysique et de Morale 22 (1914), p. 711-793.
28. Sur la culture de guerre, la mobilisation des intellectuels et la stigmatisation des ennemis, lire : Jean-Jacques BECKER — Jay WINTER — Gerd KRUMEICH (éd.), Guerre et cultures, 1914-1918, Paris : Armand Colin, 1914 ; Juliette COURMONT, L’odeur de l’ennemi, Paris : Armand Colin, 2010 ; Christophe PROCHASSON — Anne RASMUSSEN (éd.), Vrai et faux dans la Grande Guerre, Paris : La Découverte, 2004.
29. Les empereurs d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie, ainsi que les élites intellectuelles d’Outre- Rhin furent accusés d’être responsables d’une divinisation idolâtre de l’État, d’une apostasie et d’un retour au paganisme le plus barbare ! Voir notre Foi et Patrie, op. cit., p. 218-226.
30. John Viénot fustige ceux qui « j ettent dans le même tas la science allemande, la philosophie allemande, la musique allemande, la religion allemande. Rien de bon n’a jamais pu venir de ce peuple-là. Luther, Kant, Beethoven, voilà des noms à rayer de l’histoire… » ; Luther et l’Allemagne, Paris, 1916, p. 4. Avec cette conférence prononcée le 25/2/1916 dans la Salle d’Horticulture à Paris, Viénot dit son intention de faire obstacle au nationalisme xénophobe d’une minorité agissante qui s’exprime dans des journaux tels que La Croix, L’Œuvre ou la Revue hebdomadaire pour soumettre Luther et sa Réforme à la vindicte de leurs lecteurs.
31. Cf. Georges BOISSONNAS, Faut-il prier encore ?, sermon du 13/09/1914 ; Jacques MARTY souhaite « le réveil de la meilleure âme des Allemands, celle qui inspira leurs artistes, leurs poètes, leurs penseurs et leurs théologiens de l’âge héroïque », Aimez vos ennemis, sermon du 26/12/1915. Pour le pasteur parisien Isaac PICARD, « nous, Français, nous avons le droit d’honorer ces grands hommes de l’Allemagne d’autrefois, qui n’ont rien de commun avec l’Allemagne d’aujourd’hui, poètes, philosophes, artistes de génie dont l’œuvre fait partie du glorieux patrimoine de l’humanité. Et nous, protestants français, nous avons le devoir de bénir la mémoire du grand Réformateur du xvie siècle » (Les Choses d’autrefois, sermon du 28/10/1917).
32. Jules-Emile ROBERTY, pasteur à l’Oratoire du Louvre, oppose ainsi à l’Allemagne des mauvais génies de la Kultur, « l’Allemagne des Leibnitz, des Kant, des Beethoven, des Schiller et des Goethe », Les Jugements, sermon du 13/02/1916.
33. Cf. l’article d’Henri Bois, « Kant et l’Allemagne », Le Semeur, février 1916, p. 97-173.
34. Cf. H. Bois, ibid Voir aussi les remarques du pasteur James-Elie NEEL, « Kant contre l’Allemagne d’aujourd’hui», Revue Chrétienne, janvier 1915, p. 31-33.
35. Jules-Emile ROBERTY, Nos raisons d’espérer I, prédication du 26/3/1916. Dans un article « Nietzsche et l’Allemagne impériale » (Revue Chrétienne, 1915/mai-août, p. 156-166), le pasteur Antonin CAUSSE montre qu’à la culture étatique allemande qu’il détestait, Nietzsche préférait la noblesse intellectuelle de la France, le berceau de la vraie culture ouverte sur l’universel.
36. Ernest DENIS, « L’Allemagne et Luther », Le Semeur, octobre 1917, p. 532.
37. Il existe alors un consensus général concernant la nécessité d’une défaite de l’Allemagne pour qu’elle puisse se régénérer et rejoindre le concert des nations démocratiques. Sur le plan religieux, en conclusion d’une assez longue étude de 240 sermons envoyés d’Allemagne aux soldats prisonniers en France, Émile DOUMERGUE se dit persuadé qu’en cas de défaite, l’Allemagne subira un choc qui pourra la modifier : « Et cet ébranlement psychologique sera tel qu’il permettra aux éléments constitutifs de l’âme allemande, actuellement associés pour constituer le pangermanisme, de se dissocier et de s’associer en une nouvelle combinaison, qui constituera une âme allemande sans doute, mais différente de l’âme pangermanique actuelle » ; « 240 sermons allemands », Foi et Vie, 16/7/1916, p. 292.
38. Cf. Wilfred MONOD, Le prix du sang, prédication du 11/7/1915. Charles WAGNER parle d une « nation à qui Dieu a multiplié ses dons, une nation qui a fourni des génies dans tous les domaines de la pensée et de l’activité des hommes, y compris le premier de tous, celui de la Foi et de la Charité » (Peuple élu, juillet 1916).
39. Cf. « Le Dieu allemand et la Réforme », Revue Chrétienne, mai-août 1915, p. 140-155. L’article a aussi été édité sous forme de brochure par le Comité protestant de propagande française à l’étranger fondé en juin 1915.
40. Ibid , p. 143 et 145. Monnier peut même citer Maurice Barrès qui avait dédouané le Dieu de Luther des atrocités allemandes dans un article de L’Echo de Paris daté du 7/3/1915.
41. Cf. Georges BOISSONNAS, Où est ton Dieu L, sermon du 21/3/1915 ; Jean LAFON, Les sources, sermon du 11/6/1916 ; Wilfred MONOD, Après deux ans de guerre, sermon du 16/7/1916 ; John VIéNOT, La plus grande date de la guerre, sermon du 21/1/1917.
42. C’est à Jules PAQUIER que l’on doit une étude assez conséquente sur Luther et L.Allemagne (Paris, 1917, rééditée en 1918) où il cherche à montrer, sur le plan « psychologique et social », que Luther concentre en lui-même toutes les caractéristiques de la germanité et qu’il y a équation entre Luther et l’âme protestante allemande du XXe siècle. Il espérait ainsi combler une lacune dans la littérature de guerre et surtout compléter en les contrant les études consacrées par Emile Doumergue et John Viénot aux relations de Luther et de l’Allemagne. Dans sa préface, Paquier prenait cependant la peine de dire que son étude ne visait pas les calvinistes ni les luthériens français qui n’avaient pas les « traits fâcheux du Saxon, le côté repoussant de l’homme de l’Allemagne » ; op. cit., p. xiv. Quant au père jésuite Antonin Eymieu, il brosse le portrait d’un Luther qui « semble avoir incarné dans sa nature fruste et forte de demi-barbare, dans son imagination délirante, dans son orgueil démesuré, le génie de l’Allemagne » (La Providence et la guerre, Paris, 1917, cité par Jacques FONTANA, Les catholiques français pendant la Grande Guerre, Paris : Cerf, 1990, p. 52).
43. Sur ce point, consulter l’ouvrage de Wilhelm PRESSEL, Die Kriegspredigt 1914-1918 in der evangelischen Kirche Deutschlands, Gottingen, 1967 (en particulier la section III/2 : « Von des Reformation Zum Weltkrieg — der Weg zur Vollendung des deutschen Geschichte », p. 80-105). Egalement, James M. STAYER, Martin Luther, German Saviour: German Evangelical Theological Factions and the Interpretation of Luther, 1917-1933, Montreal : McGill-Queen’s University Press, 2000.
44. Art. cit., p. 583.
45. Ibid., p. 584.
46. Signalons la tentative un peu insolite de Georges PARISET pour situer Luther du côté slave : « Luther serait-il slave ? », Revue Chrétienne, 1916, p. 273-277.
47. H. MONNIER, art. cit., p. 145.
48. Luther et l’Allemagne, op. cit., p. 5. Regrettant que les attaques contre Luther et les Réformateurs soient si récurrentes et fallacieuses, Viénot se sent obligé, en tant qu’historien, « à défendre leur mémoire comme celle de leurs disciples, quand ils sont injustement traînés au pilori sous des prétextes menteurs. » (ibid., p. 6).
49. Ces accusations et calomnies concernaient les supposées mœurs dépravées de Luther : son ivrognerie, ses propos de table, son obsession du diable, sa permission du mensonge et l’autorisation accordée à la bigamie du landgrave de Hesse. À son tour, Viénot ne s’est pas privé de renvoyer à la figure de ses adversaires ce qu’avait pu être la révoltante souillure romaine au xvie siècle (ibid , p. 13-28).
50. Dans leur efforts pour disculper Luther des atrocités allemandes, les protestants français avaient l’appui de Paul Gaultier, philosophe et moraliste catholique, qui affirmait : « Je ne partage point du tout l’opinion de ceux, trop simplistes à mon gré, qui incriminent Luther et Kant. On a trop représenté les atrocités allemandes comme une conséquence obligée de leurs doctrines. C’est injuste, parce que c’est faux. Le protestantisme, comme tel, n’est pour rien dans la barbarie teutonne » (« Les Origines de la barbarie allemande », Revue des Deux Mondes 28 (1915), p. 122).
51. Ibid., p. 37. Viénot réitère ici ce qu’il avait déjà pu affirmer dans sa prédication l’Allemagne et le Protestantisme, 14/02/1915. On retrouve la même opinion dune trahison des idéaux de Luther dans une Allemagne dévoyée par l’obsession de l’ordre, de l’organisation, du matérialisme et du militarisme chez le pasteur Charles MERLE D’AUBIGNé, Luther et l’Allemagne contemporaine, sermon du 27/06/1915.
52. « Luther et la Réformation française », BSHPF 66 (1917), p. 290. Il est révélateur que Weiss ait cru devoir préciser que « Luther était un ermite augustin allemand — pas prussien toutefois, mais saxon — d’aucuns ont même prétendu naguère que sa famille était d’origine slave » (p. 283-284).
53. Pour le pasteur nîmois Louis TRIAL, Guillaume II est « victime d’un mysticisme malsain et dangereux, il s’est forgé un dieu à son usage, le “ bon vieux dieu de là-haut”, un dieu de la guerre, une sorte de Wodan (le patron belliqueux des princes et des héros de l’ancienne Germanie). » ; Demeurons fermes, prédication du 1/11/1914, p. 6. Plusieurs autres pasteurs identifient le Dieu du Kaiser au dieu Odin, ou à Thor, ce qui fait de l’empereur un idolâtre aveuglé par des divinités païennes sanguinaires. Cette accusation est officiellement relayée par le Message de la Fédération protestante de France de février 1917 qui réprouve le fait que « sous le couvert d une prétendue mission divine, s’affirme aujourd’hui le vieux paganisme des barbares ».
54. Devant le Reichstag, le 4 août 1914, Bethmann-Hollweg avait reconnu la violation de la neutralité belge, mais il avait invoqué un droit de nécessité (le fameux Notrecht) et qualifié les traités internationaux de « chiffons de papier ». Ce langage aussi imprudent que cynique lui valut ainsi qu’à l’Allemagne un flot incessant de critiques et fut considéré comme la preuve de son accablante culpabilité.
55. « Protestation de la Faculté libre de théologie de Montauban », Revue de théologie et des questions religieuses, 1915/1, p. 3. C’est aussi Wilfred Monod, pasteur à l’Oratoire du Louvre, qui oppose aux dirigeants allemands ayant autorisé la violation de la neutralité belge, l’exemple du « petit moine Luther qui déclara, jadis, au pape et à l’empereur, qu’il est périlleux d’agir contre la conscience. », Nos légions invisibles, prédication du 6/9/1914.
56. À Worms, le 18 avril 1521, Luther refusa d’abjurer en déclarant : « À moins d’être convaincu par le témoignage de l’Écriture et par des raisons évidentes. je suis lié par les textes bibliques que j’ai cités. Tant que ma conscience est captive de la Parole de Dieu, je ne puis ni ne veux rien rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ! » ; cité par Marc LIENHARD, Martin Luther. Un temps, une vie, un message, Paris — Genève : Le Centurion — Labor et Fides, 1983, p. 73-74.
57. Cela avait commencé par « les quatre-vingt-quinze thèses qui déterminèrent la résistance victorieuse de la conscience chrétienne contre l’autorité de l’Église romaine » ; Jules-Emile ROBERTY, Le Quatrième centenaire de la Réformation, discours prononcé à l’Oratoire du Louvre le 4 novembre 1917, p. 4.
58. John Viénot, Luther et l’Allemagne, op. cit., p. 12.
59. Ibid., p. 37. Évidemment, «l’œuvre géniale de libération spirituelle » de Luther a été le fruit de la justification par la foi seule (cf. Rom. 1,17), « cette parole qui soudain illumina la nuit épaisse dans laquelle se débattait le petit moine Martin Luther — un grand Allemand, celui-là… » (Henri BARBIER, Une antique « prophécie» d’actualité aujourd’hui, prédication prononcée au Nouveau Temple de Lyon le 5/3/1917).
60. Cf. Onésime BORDAGE (pasteur à Nîmes), « La fête de la Réformation et la guerre », Le Foyer protestant, 1/11/1914, p. 319-323. Le même jour, son collègue nîmois Louis Trial ne prononce pas le nom de Luther, mais inscrit sa foi dans la continuité des Réformateurs, déclarant : « nous sommes spirituellement affranchis. Pour nous, pas d’autre autorité que celle de la conscience et de Dieu. la liberté de conscience est la source et la garantie de toutes les autres libertés » (op cit , p. 5).
61. Pour la fête de la Réformation en 1917, Isaac PICARD déclare : « Toute la doctrine de Luther qui tendait à affranchir les consciences individuelles du joug de toutes les autorités humaines, est la condamnation de ce système qui prévaut en Allemagne depuis quarante ou cinquante ans et qui consiste à encercler les consciences, même les consciences chrétiennes, et à asservir la pensée de tout un peuple à la pensée de ceux qui le gouvernent » (sermon cité du 28/10/1917).
62. Nous abordons plus en détail le débat qui eut lieu à propos du « conservatisme » de Luther ainsi que ses conséquences sociales et politiques dans notre section III.
63. N. WEISS, art. cit., p. 299. Également, É. Doumergue qui qualifie Luther de « héros de la conscience et de la foi », « L’Allemagne religieuse », Foi et Vie, Cahier B, 10 juin 1915, p. 128.
64. Art. cit., p. 529 et 531.
65. C’est ce qu’affirme N. WEISS à propos de la déclaration « Je ne puis autrement » prononcée par Luther à Worms : « Elle signifie qu’il y a une autorité souveraine, supérieure à celles de l’Église et de l’État, c’est celle de Dieu, exprimée dans l’Evangile de Jésus-Christ ; la conscience humaine, soumise à cette autorité, liée par elle, est libre vis-à-vis de toute puissance terrestre » (« Luther et la Réformation française », BSHPF 66 (1917), p. 289).
66. « Discours de M. le Président », BSHPF 66 (1917), p. 277.
67. La Réforme et la Civilisation, sermon du 7/11/1915.
68. Charles Maurras y trouve une clef permettant d’expliquer « la barbarie scientifique allemande, par l’apothéose de son moi national, émanée directement et logiquement inspirée de l’individualisme religieux institué par Luther » (in l’Action française du 15/12/1914), cité par E. Doumergue, « L’Allemagne religieuse », p. 548.
69. Art. cit., p. 552. Doumergue pouvait d’autant mieux parler de la Kultur qu’il l’avait étudiée de près grâce à toute une documentation allemande sur le sujet ; voir son article : « L’Empire de la Kultur », Revue de théologie et des questions religieuses, août-octobre 1915, p. 297-377.
70. Pour Doumergue, l’individualisme de Luther est le meilleur antidote au collectivisme étatique avec son exigence de soumission aveugle qui signifie la mort de la conscience, donc de la liberté et du droit.
71. John VIéNOT, Luther et l.’Allemagne, p. 37.
72. Henri Bois considère que si la « raison d’État » l’emporte sur la « raison de conscience », « la morale individuelle se trouve par là même atteinte dans sa valeur souveraine » ; in « La Guerre et la bonne Conscience », Revue de théologie et des questions religieuses, janvier-juillet 1915, p. 38.
73. Cf. Edmond VERMEIL, « Les aspects religieux de la guerre », Revue de Métaphysique et de Morale, sept.-déc. 1918, p. 893-921. Cet article important de Vermeil, professeur à l’École alsacienne et élève de Charles Andler, « est un essai de différenciation systématique du luthéranisme et du calvinisme, dans chacune de leurs conséquences économiques, sociales et politiques » (Patrick CABANEL, De la paix aux résistances. Les protestants en France 1930-1945, Paris : Fayard, 2015, p. 15).
74. Rappelons brièvement l’entrée en guerre des États-Unis (le 2 avril), les révolutions russes de Février et d’Octobre, puis le cessez-le-feu de novembre entre la Russie et l’Allemagne, l’instabilité politique en France avec la démission du ministre catholique Denys Cochin (juillet), puis la nomination de Clemenceau à la présidence du Conseil des ministres (novembre), pour conduire le pays à la victoire militaire. En Allemagne, les grèves d’avril fragilisent l’union nationale ainsi que la démission du chancelier Bethmann-Hollweg (juillet), d’abord remplacé par Georg Michaelis, puis, le 1er novembre, par l’un des chefs du Zentrum, le catholique Georg von Hertling.
75. Sa note, rédigée en Français, du 1er août 1917 suscite des réactions contrastées chez les catholiques et une ferme fin de non-recevoir chez les protestants français. Cf. Xavier BONIFACE, op. cit., p. 288-313.
76. Pour une synthèse sur l’origine et le développement de la tradition des jubilés de la Réformation en Allemagne, lire Wolfgang FLüGEL, « “Und der legendare Thesenanschlag hatte seine ganz eigene Wirkungsgeschichte”. Eine Geschichte des Reformationsjubilaums », Berliner Theologische Zeitschrift 28/1 (2011), p. 28-43. Voir également Hartmut LEHMANN, Luthergedachtnis 1817 bis 2017, Gottingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 2012. Pour la résonance des jubilés côté français, lire G. Ph. WOLF, op. cit, chap. VIII : « Das Echo des französischen (konfessionellen) Publizistik auf die verschiedenen Reformationsjubilaen (1883-1917-1946-1967) », p. 225-251. En langue française, mentionnons Philippe ALEXANDRE, « Les fêtes commémoratives de Luther 1817-1846-1883-1917. Un aspect du problème de l’intégration nationale dans l’Allemagne du XIXe siècle », dans : Monique SAMUEL-SCHEYDER (éd.), op. cit., p. 167-190. Voir aussi Marianne CARBONNIER-BURKARD, « Les jubilés de la Réforme. Des constructions protestantes (xviie-xxe siècles) », dans : Petra BOSSE-HUBERT et al (dir.), Célébrer Luther ou la Réforme ? 1517-2017, Genève : Labor et Fides, 2014, p. 217-231.
77. Pour un état des lieux sur la question du Jubilé de 1917 en Allemagne, consulter l’ouvrage de Günter BRAKELMANN, Der deutsche Protestantismus im Epochenjahr 1917, Bielefeld : Luther- Verlag, 1974. Voir aussi Martin GRESCHAT, « Refor mationsjubilaum 1917 : Exempel einer fragwürdigen Symbiose von Politik und Theologie », Wissenschaft und Praxis in Kirche und Gesellschaft 61 (1972), p. 419-429 ; et Gottfried MARON, «Luther 1917 : Beobachtungen zur Literatur des 400. Reformations-jubilaum», Zeitschrift fur Kirchengeschichte 93 (1982), p. 177-221. En français, lire M. LIENHARD, L’Evangile et l’’Église chez Luther, op. cit., p. 225-233 ; Ph. ALEXANDRE, art. cit., p. 179-184.
78. On pense ici aux précédents jubilés de 1817 et de 1883 qui, en Allemagne, avaient eu une ampleur assez considérable dans la plupart des régions du royaume. En 1883, toutes les Églises protestantes organisèrent des célébrations qui s’accompagnèrent de décorations, de processions, d’illuminations d’églises et de monuments, de feux d’artifice, etc. En 1917, des fêtes furent organisées à Berlin et d’autres grandes villes, mais la célébration internationale planifiée fut reportée et, vu les privations subies par la population durant l’hiver 1916-1917, mieux valait faire preuve de sobriété. Par contre, les publications de toutes sortes furent très nombreuses : études historiques et théologiques, prédications, littérature d’édification, brochures diverses en l’honneur de Luther, cartes postales, etc.
79. Constatant qu’en Allemagne, on essaie de « se servir du souvenir de la Réforme pour redorer le blason un peu défraîchi des Hohenzollern », Ernest Denis déplore qu’on tente « de faire jouer à Luther le rôle que certains commandants allemands ont imposé aux civils, quand ils les poussaient en tête de leurs bataillons, pour arrêter le feu des Français. On le transforme en une sorte d’otage » (« L’Allemagne et Luther », art. cit., p. 516).
80. Cf. « Luther et le quatrième Centenaire de la Réformation en Allemagne », Foi et Vie, cahier B, 16/11/1917, p. 213-225. Cette « germanisation de Luther » s’était déjà produite lors du jubilé de 1883 où Luther devint l’icône de l’Allemand idéal et éternel.
81. On se sert de Luther pour dénoncer la décadence des mœurs dans la société allemande et fustiger cet individualisme provenant du libéralisme. Le retour à Luther devait permettre à l’Allemagne de renouer avec les authentiques vertus germaniques et de retrouver son unité religieuse et politique. Cf. Ph. ALEXANDRE, art. cit., p. 182-183.
82. Lire l’étude très instructive à cet égard de Michael FISCHER, Religion, Nation, Krieg. Der Lutherchoral « Ein feste Burg ist unser Gott » zwischen Befreiungskriegen und Erstem Weltkrieg, Münster : Waxmann, 2014. Toutes les paroles du cantique de Luther semblaient avoir été écrites pour la situation de guerre et ce choral devenait une sorte de métaphore du Reich assiégé par des puissances maléfiques qu’il fallait combattre avec l’aide de Dieu.
83. Les identités confessionnelles n’ont pas disparu, loin de là, mais il fallait s’efforcer de les faire passer au second plan car la situation de guerre exigeait que catholiques et protestants mettent en avant leur commune germanité dans un « nationalisme œcuménique » pour défendre ensemble leur mère patrie au moment où elle était confrontée à une crise sur le plan intérieur et à une pression militaire accrue après l’entrée en guerre des États-Unis. Sur cette identité nationale allemande par delà les divisions confessionnelles, voir l’ouvrage de Stan M. LANDRY, Ecumenism, Memory and German Nationalism, 1817-1917, Syracuse : Syracuse University Press, 2014, en particulier le chap. 5 : « A Truce within the Walls. The Reformation Anniversaries of 1917 », p. 102-112.
84. Cf. G. MARON, « Luther 1917 », art. cit. Également Nils WOHNL, Martin Luthers Wirkungsgeschichte im Deutschen Kaiserreich und im Nationalsozialismus, Munich : Grin Verlag, 2013 (voir le chap. 3 : « “Das Reich muss doch bestehen”. Das Kriegsjahr 1917 als Hohepunkt der propagandistischen Ausbeutung », p. 10-13).
85. Bien entendu, pour Doumergue, « le néo-luthéranisme pangermaniste a beau se réclamer avec une furor teutonicus de Luther l’Allemand, il contredit violemment sur des points essentiels, Luther, le réformateur » (« Luther et le quatrième Centenaire de la Réformation en Allemagne », ibid., p. 225).
86. Dans sa prédication au Temple de l’Étoile à Paris pour le Quatrième centenaire de la Réformation, le pasteur Isaac PICARD s’est fait l’écho d’une opinion qui devait être partagée par un certain nombre de paroissiens : « Nous avons parlé de notre Église, c’est bien, me dira-t-on, mais ne nous parlez pas de la Réformation, ou du moins n’évoquez pas avec trop d’insistance le souvenir de Luther affichant ses fameuses thèses à la porte de la cathédrale de Wittenberg. Ne nous rappelez pas ces origines teutonnes de la Réforme. En ce moment, il y a le plus grand intérêt à nous les faire oublier. » (Les choses d’autrefois, 28/10/1917).
87. Cela n’enlève rien au fait qu’il existait un très large consensus sur l’importance de Luther dans l’histoire de la Réformation et pour le patrimoine de l’humanité. Mais face aux hésitations de plusieurs quant à l’opportunité d’organiser des célébrations, Ernest DENIS regrette « ces timides objections de consciences timorées » alors qu’il serait nécessaire de « célébrer en toute franchise et loyauté la mémoire du héros de la Réforme, sans essayer par des réticences ou de mesquines et pauvres manœuvres de rabaisser son action ou de fausser sa pensée » (art. cit., p. 525 et 529-530).
88. Lors du Comité de la SHPF du 21/11/1916, N. Weiss avait déclaré qu’il comptait faire, en 1917, « une large place au quatrième centenaire de la Réforme » ; « Compte-rendu des séances du Comité de la SHPF », BSHPF 66 (1917), p. 78. Lors du Comité du 27/2/1917, une lettre de Montauban qui demande si et comment on a l’intention de célébrer le jubilé suscite une discussion qui aboutit à la proposition d’organiser une réunion interconfessionnelle de représentants du protestantisme français et anglais pour étudier la question (ibid , p. 79).
89. Le Conseil de la FPF avait convoqué les représentants des diverses Églises pour une réunion qui eut lieu le 30 avril 1917 à la Chapelle Taitbout. Faute de trouver un consensus, une nouvelle réunion eut lieu le 14 mai 1917 au cours de laquelle la proposition présentée par John Viénot, au nom de la SHPF, en vue de mettre sur pied une manifestation publique insistant sur l’importance du rôle de Luther dans l’histoire de la Réforme ne fit pas l’unanimité, loin s’en faut. Cf. le Registre des Procès-verbaux des séances du Conseil de la FPF, Séance du 14 mai 1917, p. 126-127.
90. Il s’agit du numéro d’octobre-décembre 1917 intitulé : « Quatrième centenaire de la Réformation ». On y trouve, outre l’allocution de Frank Puaux, président de la SHPF, le texte des deux conférences données le 2 décembre 1917, celle de Nathanaël Weiss et celle d’Émile Doumergue.
91. Les discours prononcés ce jour-là reflétaient les préoccupations de l’heure et Frank PUAUX prit la précaution de rappeler que « si nous célébrons Wittenberg, c’est en nous refusant, de la manière la plus expresse, à unir religieusement l’Allemagne de Luther à l’Allemagne d’aujourd’hui sur laquelle pèse la responsabilité de la plus odieuse et de la plus criminelle des guerres qui aient jamais désolé le monde » ; « Discours de M. le Président », BSHPF 66 (1917), p. 276.
92. Les éléments essentiels de ce débat sont exposés dans un article de Daniel ROBERT, « Patriotisme et image de la Réforme chez les historiens protestants français après 1870 », dans : Philippe JOUTARD (dir.), Historiographie de la Réforme, Neuchâtel — Paris — Montréal : Delachaux & Niestlé, 1977, p. 205-215.
93. Cf Emile DOUMERGUE, Jean Calvin. Les hommes et les choses de son temps, vol. I, Lausanne, 1899. Au cours de la guerre, en 1917, Doumergue fait paraître le 5e volume de son Jean Calvin qui devait en compter 7, le dernier étant publié en 1927.
94. Cf. D. ROBERT, art. cit.
95. Cependant, pour bien souligner la spécificité de la Réforme en France, notons qu’Emile DOUMERGUE ne peut s’empêcher d’affirmer : « Ce que les protestants appellent l’idée évangélique se trouve implantée dans deux terrains différents : le terrain allemand et le terrain français » ; «L’Allemagne religieuse », art. cit., p. 566. Par ailleurs, Isaac PICARD, tout en rendant un pieux hommage à Luther, est l’un des rares qui peut encore qualifier Wycliff, Hus et Lefèvre d’Étaples de « réformateurs » si bien qu’« il importe aujourd’hui d’apprendre à ceux qui l’ignorent que ce n’est pas en Allemagne qu’il faut chercher les origines de la Réforme » (voir son sermon déjà cité).
96. « Luther et la Réformation française », BSHPF 66 (1917), p. 286. Cet article, qui reproduisait l’intervention de N. Weiss lors de l’Assemblée de la SHPF du 2/12/1917, reprenait les éléments essentiels des trois articles qu’il avait publiés dans les trois premiers numéros du Bulletin en 1917.
97. Ibid , p. 287.
98. Ibid , p. 294. Dans sa contribution au numéro spécial de la Revue de Métaphysique et de Morale consacré en 1918 au Quatrième centenaire de la Réforme, N. WEISS réitère à propos de Lefèvre d’Étaples les idées principales de sa contribution au BSHPF (ibid ) et souligne que le mot « Réformation » ne convient pas pour qualifier l’entreprise de Lefèvre qui fut davantage un préréformateur (« Réforme et Préréforme. Jacques Lefèvre d’Étaples », Revue de Métaphysique et de Morale 5-6 (1918), p. 647-667).
99. N. WEISS, « L’origine et les étapes historiques des droits de l’homme et des peuples », BSHPF 66 (1917), p. 101.
100. « L’Allemagne et Luther », art. cit., p. 516. Dès lors, E. DENIS estime que « le centenaire de la Réformation doit être accueilli dans le même esprit de libre respect et de pieuse et indépendance vénération que si la guerre n’avait pas existé » (ibid., p. 524).
101. Cf. John VIéNOT, Y a-t-il une Réforme française antérieure à Luther ?, Paris, 1913. Dans cette brève étude qui synthétisait ses travaux antérieurs, Viénot était catégorique : « Il n’y a pas de Réforme française indépendante de celle de Luther et antérieure à elle. Il est temps de débarrasser l’histoire de la Réforme de cette légende qui ne repose sur aucun document certain et qui n’a obtenu la faveur dont elle jouit encore que parce qu’elle flattait doucement l’amour-propre national de nos historiens » (ibid., p. 5).
102. « France et Protestantisme », Évangile et Liberté, 9/12/1916, p. 308.
103. Ernest Denis s’interroge ainsi : « Est-ce à dire que la Réforme luthérienne forme un bloc que nous soyons forcés d’accepter et d’admirer sans réserve ? » (art. cit., p. 532).
104. Cf. « Protestants et Catholiques allemands à la lumière de quatre siècles d’histoire », BSHPF 66 (1917), p. 5-21 ; «L’origine et les étapes historiques des droits de l’homme et des peuples », BSHPF 66 (1917), p. 97-125 ; « Luther et la Réformation française », BSHPF 66 (1917), p. 282-300. Signalons que, dans son étude sur « Le Bulletin de la SHPF durant la Première Guerre mondiale », BSHPF 160 (2014), p. 219-241), Patrick HARISMENDY met en évidence le rôle important de N. Weiss pour le Bulletin au cours de la guerre ainsi que sa position concernant Luther.
105. Weiss mentionne, bien entendu, les excès commis à Wittenberg par Carlstadt, Zwilling et ceux que Luther qualifie de Schwarmer, puis par la révolte des paysans sous la conduite de Müntzer.
106. « Luther et la Réformation française », art. cit., p. 296.
107. Ibid., p. 296.
108. Ibid., p. 297. N. WEISS reformule ici ce qu’il avait déjà dit dans son article : « L’origine et les étapes historiques des droits de l’homme et des peuples », art. cit., p. 104.
109. « Protestants et Catholiques allemands à la lumière de quatre siècles d’histoire », art. cit., p. 16. En fait, Weiss s’appuie sur les travaux des historiens allemands pour opérer cette nette différence entre le Luther d’avant la Diète de Worms et celui d’après qui devint plus soucieux de la protection des acquis de son mouvement réformateur et fit alliance avec les souverains territoriaux.
110. Art. cit., p. 534 et 536.
111. D’origine alsacienne, Andler est alors professeur de langue et de littérature allemande à l’Université de Paris et spécialiste du socialisme en Allemagne. Il fait paraître en 1915 une étude sur Le Pangermanisme, ses plans d’expansion allemande dans le monde, et surtout publie une collection de documents sur le pangermanisme : Les Origines du pangermanisme (1800 à 1888), Paris, 1915 ; Le Pangermanisme continental sous Guillaume II, Paris, 1915 ; - Le Pangermanisme colonial sous Guillaume II, Paris, 1916 ; et Le Pangermanisme philosophique (1800 à 1914), Paris, 1917.
112. Cf. « L’Esprit conservateur et l’esprit révolutionnaire dans le luthéranisme », Revue de Métaphysique et de Morale 5-6 (1918), p. 923-956.
113. Ibid , p. 955.
114. Ibid , p. 956.
115. Cf. Luther et l’Allemagne, p. 37.
116. Voir les articles précédemment mentionnés de N. Weiss. À l’appui de sa démonstration, Weiss cite dans deux de ses articles la réponse de Luther du 6 mars 1530 au prince électeur Jean de Saxe.
117. Inutile de préciser que, pour Weiss, Calvin et ses héritiers calvinistes ont emprunté un chemin complètement différent qui leur a permis de résister à l’absolutisme royal et d’aboutir, par étapes successives, aux libertés démocratiques modernes et aux droits des peuples (« L’origine et les étapes historiques des droits de l’homme et des peuples », art. cit., p. 113).
118. La Réforme et la Civilisation, sermon du 7/11/1915.
119. « L’Allemagne religieuse », art. cit., p. 562.
120. Henri Monnier reconnaît à son tour que « la doctrine de Luther pouvait en encourageant une certaine passivité, en énervant la résistance de la conscience individuelle à l’autorité, encourager certaines faiblesses du caractère allemand, dont nous voyons aujourd’hui les conséquences désastreuses » (Le Dieu allemand et la Réforme, p. 145).
121. Art. cit., p. 541. Pour E. DENIS, « La réforme luthérienne a singulièrement favorisé ces capitulations de conscience. Sous son influence, le protestant allemand fait deux parts de sa vie, et elles sont séparées par une cloison étanche » (ibid, p. 543).
122. Il est assez probable que certains protestants français aient eu connaissance des griefs formulés à l’encontre du luthéranisme allemand par des figures intellectuelles d’Outre-Rhin telles que le théologien libéral Martin Rade ou Ernst Troeltsch.
123. Les efforts n’ont pas été comptés pour défendre l’idée d’une filiation entre calvinisme et démocratie dans une entreprise où furent convoqués Calvin, John Knox, les Puritains, Guillaume d’Orange et sa Glorieuse révolution, les déclarations anglaises et américaines des droits, sans oublier Woodrow Wilson, ce président calviniste américain qui prenait figure quasi messianique ! Cf., en particulier, N. WEISS, « L’origine et les étapes historiques des droits de l’homme et des peuples », art. cit. ; É. DOUMERGUE, « La Démocratie et la Réforme », Foi et Vie, Cahier B, 1/7/1918, p. 93-101 ; « Calvin et l’Entente. De Wilson à Calvin », Revue de Métaphysique et de Morale, 5-6 (1918), p. 807-840 ; Jules-Émile ROBERTY, « Les Déclarations américaines. La Déclaration française des Droits de l’homme et la Réforme calviniste », Bulletin protestant français, mai 1917, p. 4-5.
124. E. VERMEIL, « Les aspects religieux de la guerre », art. cit., p. 902-904. Il est intéressant de constater que là où Ch. Andler avait conclu à un césaro-papisme chez Luther, son jeune collègue Vermeil voit dans le luthéranisme « une forme modernisée de théocratie » (art. cit., p. 904).
125. Ibid , p. 903. Le verdict de Vermeil était radical : « Le luthéranisme favorise l’État territorial centralisé, rejette l’indépendance ecclésiastique, divinise le pouvoir et défend le loyalisme. Il a préparé les voies à l’absolutisme patriarcal, maintenu la féodalité agrarienne, les préjugés de classe et l’esprit étroitement corporatif » (ibid , p. 905).
126. Ibid , p. 904ss. Signalons que le philosophe catholique Jacques Chevalier opposa lui aussi, quoique de manière parfois plus dénigrante pour Luther, la Réforme luthérienne et la calviniste (« Les deux Réformes : le luthéranisme en Allemagne, le calvinisme dans les pays de langue anglaise », Revue de Métaphysique et de Morale 5-6 (1918), p. 841-891).
127. Ibid., p. 919. La thèse de Vermeil offrait ainsi une compréhension globale de l’Allemagne à partir du luthéranisme, mais elle était sans doute un peu trop tributaire d’une pensée « par analogie avec le présent ». Pour une analyse des présupposés qui animent la démarche de Vermeil, lire Georges PONS : « L’interprétation de la Réforme luthérienne par Edmond Vermeil », dans Ph. JOUTARD (dir.), Historiographie de la Réforme, op. cit., p. 322-338.