Luther vu par Jean-Henri Merle d’Aubigné
dans l’Histoire de la Réformation du seizième siècle
André ENCREVé
Lyrique, Jules Bonnet écrit à propos des livres de J.-H. Merle d’Aubigné :
De la Tamise au Gange, de l’Australie au Canada, son œuvre est populaire, et le pionnier américain porte avec lui dans les solitudes inexplorées, comme un cordial tout puissant, ces deux livres qui se complètent l’un l’autre : la Bible et l’Histoire de la Réformation1.
Il faut, certes, faire la part de l’enthousiasme. Il reste que les deux séries de livres que J.-H. Merle d’Aubigné a rédigées à propos de la Réformation du xvie siècle2 sont en leur temps un événement éditorial. Rapidement réédités, traduits dans une douzaine de langues3, tirés à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, ces ouvrages remportent un succès remarqué en particulier dans les pays anglo-saxons4. Et, signe inattendu de cette popularité, une ville de l’Illinois prend alors le nom de Merleville, tandis que Merle est, un temps, un prénom à succès aux États-Unis5. Il nous a donc semblé utile de nous intéresser à l’image que ces ouvrages véhiculent de Luther, puisqu’ils contribuent largement à façonner celle-ci parmi les protestants francophones et anglophones.
Jean-Henri Merle d’Aubigné (1794-1872)
Il naît aux Eaux-Vives, près de Genève, le 16 août 1794, dans une famille d’origine française : son arrière-grand-père (Jean-Louis Merle) quitte Nîmes après la révocation d’Édit de Nantes et s’installe à Lausanne. Le fils de ce dernier, François Merle6, épouse en 1743 Élisabeth d’Aubigné arrière-petite- fille de Nathan, fils légitimé d’Agrippa d’Aubigné. Jean-Henri fait ses études secondaires à Genève puis, en 1813, il y entreprend ses études de théologie. En 1817 il soutient sa « thèse de baccalauréat en théologie » (bref mémoire de fin d’études), intitulée De Jesu-Christi ethicae praestantia. Bien que l’enseignement de la Faculté soit dominé par la tendance libérale en théologie, et que son mémoire ait une orientation morale, Merle d’Aubigné choisit le camp du Réveil religieux7. Et toute sa vie il reste un très ferme défenseur de la tendance évangélique qui en est issue. Consacré au ministère pastoral en juillet 1817, il part pour l’Allemagne en octobre afin d’assister aux fêtes organisées à l’occasion du troisième centenaire de la Réformation. Et, a-t-il précisé, c’est en visitant le château de la Wartburg qu’il « se promit à lui-même de raconter Luther et cette merveilleuse épopée de la Réformation8 ».
Il commence par exercer son ministère pastoral dans l’Église française de Hambourg (1818-1823), puis il vient à Bruxelles comme chapelain du roi des Pays-Bas et pasteur de la communauté protestante de la ville (1823-1830). Il rentre ensuite à Genève au service de la Société évangélique de Genève — fondée en janvier 1831 par des revivalistes — qui a décidé de mettre sur pied une École libre de théologie, dite l’Oratoire, parce que ses promoteurs n’apprécient pas l’enseignement donné par la Faculté de théologie officielle. Naturellement, J.-H. Merle d’Aubigné y est chargé de l’enseignement de l’histoire ecclésiastique9. Il effectue tout le reste de sa carrière à l’Oratoire de Genève, et ses livres sur la Réformation sont issus de ses cours donnés dans cet établissement. Inévitablement, comme le remarque Alexandre Vinet, leur style s’en ressent10.
L’accueil de l’œuvre de Merle d’Aubigné
Installé à Genève, J.-H. Merle d’Aubigné décide donc de consacrer une bonne partie de son temps à retracer l’histoire de la Réformation en Europe11. À ce propos, son œuvre est divisée en deux séries de volumes. La première s’intéresse aux débuts de la Réformation, de 1517 à 1530. Elle est intitulée Histoire de la Réformation du seizième siècle et compte 3 268 pages12 réparties en 5 volumes (in-8°) publiés assez régulièrement chez Firmin Didot13 entre 1835 et 185314. Les 4 premiers volumes traitent, pour l’essentiel, de l’Allemagne et de la Suisse, avec aussi un chapitre sur la France (t. III, p. 459-679). Le 5e volume s’intéresse à l’Angleterre. Puis, après dix ans de préparation, à partir de 1863 Merle d’Aubigné se lance dans la publication d’une Histoire de la Réformation en Europe au temps de Calvin. Elle comporte 8 volume (in-8°) publiés de 1863 à 1878 et totalise 5 055 pages15. Toutefois les trois derniers volumes, posthumes, sont composés par son gendre Adolphe Duchemin, à partir de notes laissées par Merle d’Aubigné. Cette seconde série, centrée sur la France et sur Genève16, n’est pas très bien accueillie par la critique. Il est vrai que, quand il commence à y travailler, les principales sources ne sont pas facilement accessibles17 ; on lui reproche aussi de céder à la tentation de la reconstitution quand les documents lui manquent et d’utiliser des textes certes authentiques, mais dans un autre contexte que celui où ils ont été écrit18.
Il n’en est pas de même de la première série, qui nous intéresse ici. Celle-ci est au contraire appréciée par la critique. On note en particulier trois articles, qui ont en commun de se féliciter du recentrage effectué par Merle d’Aubigné sur les aspects spécifiquement religieux de la Réformation, trop négligés par les auteurs francophones antérieurs. Le premier, paru anonymement en 1836 dans les Archives du christianisme19, et très élogieux, explique que si Merle d’Aubigné a su aussi bien « pénétrer dans les entrailles de la réformation », c’est parce qu’il a connu une expérience religieuse assez proche de celle de Luther20. Ce qui est aussi une façon de dire que la tendance évangélique, à laquelle Merle d’Aubigné se rattache, est bien un retour à l’authenticité protestante du xvie siècle. Il reste que cette insistance sur l’originalité de l’ouvrage — la vie religieuse de Luther vue comme moteur fondamental de la Réformation — est bien mise en valeur par cet article21. Cependant alors on remarque davantage le long compte rendu d’Alexandre Vinet paru dans trois livraisons du Semeur en 183722. D’emblée Vinet note également que trop d’auteurs ne s’intéressent guère qu’aux aspects non religieux de la Réformation23 et il se félicite que le « mobile purement religieux24 » soit si bien mis en avant par Merle d’Aubigné. Il y revient à plusieurs reprises, affirmant par exemple dans son second article que «l’un des mérites principaux de l’ouvrage de M. Merle, c’est d’avoir mis en pleine lumière que le point de départ de Luther fut exclusivement religieux25 ». Certes, Vinet formule un certain nombre de critiques, en particulier sur le style26, sur sa propension à héroïser Luther et à le louer de façon continue, sur sa tendance à voir trop souvent « le doigt de la Providence27 », sur ses suppositions qui suppléent parfois son manque de documentation, etc. Toutefois, au total ce compte rendu est fort élogieux. Ces deux articles sont dus à des protestants ; ce n’est pas le cas de l’article du catholique Ch. de Rémusat publié en 1854 dans la prestigieuse Revue des deux mondes28 après que le dernier volume de la série a été publié. Il déplore que le travail de Merle d’Aubigné soit plus connu à l’étranger qu’en France et loue lui aussi l’accent mis sur les aspects religieux, en particulier sur la vie personnelle de Luther qui, explique-t-il, n’a jamais voulu être un révolutionnaire mais seulement « un docteur, un prédicateur, un chrétien ; mais sa foi entraîne ses œuvres après elle et elle suffit pour lui donner la puissance de tout ébranler autour de lui29 ». Rémusat formule évidemment quelques critiques, estimant notamment que l’auteur cherche certes à être impartial, mais sans y parvenir complètement30 ; mais alors on remarque plutôt les critiques que Rémusat articule contre les interprétations de Bossuet qui, selon lui, n’a jamais compris le « génie du protestantisme31 ».
Ce manque d’intérêt du monde francophone pour l’œuvre de Merle d’Aubigné, signalé par Rémusat, semble avoir persisté assez longtemps. En effet, dans son célèbre livre sur Luther paru en 1928, Lucien Febvre32 ne cite pas Merle d’Aubigné en bibliographie. Et dans l’avant-propos de l’édition de 1945, il explique qu’il a tenu à insister sur le Luther d’avant 1525 parce qu’«une étude du Luther d’avant 1525 […] c’était d’elle que, Français, nous manquions en 192733 ». Phrase qu’on ne peut lire sans une certaine surprise puisque la plupart des pages consacrées à Luther par Merle d’Aubigné dans ses trois premiers volumes — plus de 1200 pages ! — traitent d’avant 152534. L. Febvre n’ignore probablement pas le travail de Merle d’Aubigné, mais sans doute le considère-t-il comme dépassé.
Il reste qu’en 1835, quand paraît le premier volume de Merle d’Aubigné, l’ensemble de la vie et de l’action Luther (avant comme après 1525) est mal connu des francophones. Les livres qui traitent de cette question sont soit très anciens, soit fort peu intéressés par les questions doctrinales ou spirituelles. Sans remonter au-delà de la fin du xviiie siècle, on pense évidemment à ce qu’écrit Pierre Bayle35 et aussi aux pages que le Genevois Abraham Ruchat consacre à Luther dans son étude sur la Réformation en Suisse36. Mais ces livres ne sont pas récents. Plus proches du xixe siècle, et encore utilisées par les historiens des années 1830, on remarque surtout les affirmations de Voltaire pour qui, écrit D. Gembicki :
la Réforme est déclenchée par un petit fait divers : une querelle de moines, en l’occurrence la jalousie entre les augustins et les dominicains aurait fini par provoquer une scission définitive de l’Église catholique romaine37.
En fait, Voltaire fait preuve d’aversion à l’encontre de la théologie luthérienne38, et la personnalité de Luther lui reste étrangère ; de plus il est « tributaire avant tout de l’historiographie catholique des xviie et xviiie siècles39 », et, même s’il se veut impartial entre protestants et catholiques, il « rejoint les chemins battus par les controversistes catholiques40 ». Il soutient en particulier que les causes profondes de la Réformation sont à rechercher dans les domaines politiques et économiques.
En 1804 — trente ans avant Merle d’Aubigné — un autre non protestant, Charles de Villers, s’intéresse lui aussi à la Réformation et son travail conforte, en quelque sorte, l’importance des questions économiques et sociales dans la Réformation du xvie siècle. Répondant à une question mise au concours en 1802 par l’Académie des sciences morales et politiques41, il publie un Essai sur l’esprit et l’influence de la Réformation de Luther42. Logiquement, et sans nier l’importance des questions proprement religieuses, il s’intéresse surtout à la politique et assimile la Réformation à la Révolution43. Son livre provoque toute une polémique, close de façon autoritaire par Fouché44. mais cela ne contribue pas à attirer l’attention sur les angoisses de Luther à propos de son salut, et plus généralement aux causes religieuses de la Réformation. Parue quelques années avant le premier volume de Merle d’Aubigné, la réflexion du protestant François Guizot, à qui on ne peut certes pas reprocher un manque d’intérêt pour les questions dogmatiques45, est plus profonde. En effet, en 1828 il publie son Histoire de la civilisation en Europe depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à la Révolution française46. Ce cours, professé à la Sorbonne en 1827, remporte un réel succès public47 et, bien qu’il ne le cite pas, il n’est pas exclu que Merle d’Aubigné l’ait utilisé. Dans sa 12e leçon, qui traite de la « révolution religieuse du xvie siècle48 », Guizot la qualifie de « plus grand de tous les événements » du xvie siècle49. Pour ses causes, il refuse les explications polémiques des catholiques sur son côté accidentel50, sur les ambitions politiques des princes ou sur l’avidité des nobles, au fond l’explication par « le mauvais côté des hommes et des affaires humaines, par les intérêts privés et les passions personnelles51 ». Mais il ne se satisfait pas non plus de l’explication des protestants fondée sur des arguments seulement doctrinaux52. Et il esquisse une vision plus générale selon laquelle la Réformation a été « un grand élan de liberté de l’esprit humain », « une insurrection de l’esprit humain contre le pouvoir absolu dans l’ordre spirituel53 », « une grande insurrection de l’intelligence humaine54 ». Guizot ne se livre certes pas à une longue analyse de la vie et des écrits de Luther, tel n’est pas son objet. Cependant, en insistant sur cet aspect moral, il contribue à dégager l’histoire de la Réformation de l’accentuation vers ses conséquences (voire de ses causes) économiques et sociale et à la recentrer sur des questions intellectuelles, et spirituelles, auxquelles Merle d’Aubigné va lui aussi s’intéresser.
Il reste qu’en 1835 les francophones ne disposent pas d’une étude sérieuse de la Réformation en Allemagne — et donc de l’action de Luther — fondée sur des documents originaux et incontestables55. Et l’ambition de Merle d’Aubigné est de la leur fournir.
Les sources de /Histoire de la Réformation du seizième siècle
Ces cinq volumes s’intéressent aux premières décennies du xvie siècle, principalement en Allemagne. Le premier tome paraît en 1835 et ses 578 pages de texte, qui sont entièrement consacrées à l’Allemagne, et de fait à Luther, s’arrêtent en décembre 1518, au moment où Luther en appelle au concile. Dans le second tome (1837), les 380 pages qui traitent de Luther poursuivent le récit j usqu’à la signature de l’édit mettant ce dernier au ban de l’Empire et à son arrivée à la Wartburg (mai 1521)56. Le troisième tome (1841), où la Réformation en Allemagne occupe 315 pages, conduit le lecteur jusqu’en 1526. Enfin, dans le quatrième tome (1847), les 390 pages sur l’Allemagne s’arrêtent pratiquement à la Diète d’Augsbourg et à ses conséquences immédiates57. Quant au cinquième tome, qui clôt la série en 1853, il compte 698 pages et il est entièrement consacré à l’Angleterre.
On le voit, l’Allemagne — et donc Luther — est l’objet principal de ce long travail : 11 chapitres totalisant 1663 pages lui sont consacrées, pour 3 chapitres de 642 pages à la Suisse58 et un chapitre de 220 pages à la France. Par ailleurs, les premières années de la Réformation en Allemagne ont droit à une étude nettement plus approfondies que les autres : Merle d’Aubigné consacre près de 1000 pages59 pour conduire son récit jusqu’au début du séjour de Luther à la Wartburg ; tandis que les neuf années suivantes sont traitées en 705 pages60.
Quelles sont les sources utilisées par Merle d’Aubigné ? Il n’est pas facile de toutes les identifier. En effet, il n’en fournit pas une liste complète et précise à la fin de chaque volume. Il se contente de citer la référence en bas de page quand il fait une citation. Mais il rédige ses références sous une forme abrégée, et variable61. Toutefois il est possible d’identifier l’essentiel de ses sources.
Il est clair que c’est un travail original, fondé sur des sources primaires, et tout particulièrement sur les Œuvres de Luther. Par exemple, dans les 132 pages du second chapitre du premier volume (le premier chapitre est consacré à l’« état des choses avant la Réformation »), Luther est cité 88 fois62. II est vrai qu’en 1835 Merle d’Aubigné dispose de 5 éditions différentes des Œuvres de Luther63 ; ainsi que d’une nouvelle édition entreprise en 1826 à Erlangen. Enfin, de Wette a commencé en 1825 à Berlin la publication de 5 volumes de Lettres de Luther64. Merle d’Aubigné peut donc utiliser sans difficulté l’essentiel de la production de Luther. Si nous avons bien interprété ses abréviations, il semble qu’il a utilisé les éditions les plus récentes, celle de Leipzig (1729-1740) et celle de Halle (1740-1750, sous la direction de Johann Georg Walch). Naturellement, il utilise aussi les éditions des Œuvres des autres Réformateurs et intellectuels de ce temps, en particulier celles d’Érasme65, Hütten66, Zwingli67 et le Corpus reformatorum édité par Bretschneider68. Il se sert également des ouvrages classiques publiés au xvie siècle par des contemporains de Luther. Certains sont écrits par des protestants comme, tout particulièrement, la brève biographie de Luther rédigée en latin par Melanchthon qui date de 1549 — mais dont on dispose alors d’une édition datant de 174169 — qu’il cite très souvent70 ; les 17 sermons de Mathesius sur la vie de Luther, parus en 156571 ; la vie de Zwingli par Myconius72 ; la vie de Melanchthon par J. Camerarius73 ; l’Histoire de la Réformation de Sleidan74. Toutefois il cite aussi assez souvent le catholique Cochlaeus, qui fut un ferme adversaire de Luther75.
Enfin Merle d’Aubigné s’appuie sur des ouvrages parus au xviie siècle. Certains rédigés par des protestants, spécialement Melchior Adam76 et surtout L. von Seckendorff77. Mais aussi des auteurs catholiques, en particulier P. Sarpi78, le cardinal P. S. Pallavicino79 et Louis Maimbourg80. Il lui arrive également de citer l’Histoire des variations de Bossuet. Il utilise très peu les auteurs du xixe siècle, sans doute parce qu’il entend proposer un ouvrage tout à fait original. Il en cite cependant quelques-uns et, en particulier, le célèbre L. von Ranke81 dans les volumes 3 et 4. En revanche, il ne répond guère aux polémistes catholiques des années 1830 et 1840, notamment ceux qui l’ont attaqué82.
Son travail est donc essentiellement fondé sur des textes publiés au xvie siècle, et la plupart de ceux-ci sont rédigés par des protestants. Quelques statistiques le montrent. Ainsi, par exemple, dans le chapitre II du premier volume (« Jeunesse, conversion et premiers travaux de Luther, 1483-1517 », p. 179-311), 83 % des 167 citations concernent des ouvrages parus au xvie siècle et 8 % des auteurs du xviie siècle. De plus, 91 % des auteurs du xvie siècle cités par Merle d’Aubigné sont des protestants83. On le voit, ce chapitre est presque exclusivement fondé sur des auteurs protestants du xvie siècle. Cependant, il s’agit du début de la vie de Luther jusqu’en 1517, et il est assez logique que Merle d’Aubigné utilise des auteurs de ce type pour la retracer, puisque les historiens ultérieurs s’y sont peu intéressé et que les polémistes catholiques ne sont guère fiables à ce propos. Mais si on analyse le chapitre 7 du t. II (p. 235-380), qui traite de Luther devant la Diète de Worms — épisode bien connu et évoqué par de nombreux auteurs protestants comme catholiques, notamment au xviie siècle —, on trouve des pourcentages, certes un peu différents, mais qui ne modifient pas fondamentalement les chiffres précédents. En effet sur les 215 auteurs cités, 89 % sont issus d’ouvrages publiés aux xvie et xviie siècles : 57 % au xvie siècle et 32,5% au xviie. Parmi les auteurs du xvie siècle on compte 83 % de protestants ; et au sein des protestants du xvie siècle, Luther est cité dans 86 % des cas (soit 41% de l’ensemble des citations de ce chapitre). Toutefois, pour les auteurs du xviie siècle, on note davantage de catholiques que pour le second chapitre, puisqu’ils sont majoritaires (53%) ; mais toutes ces citations sont issues du même auteur, le cardinal Pallavicino (Histoire du concile de Trente). Ce qui montre sans doute une volonté d’impartialité de la part de Merle d’Aubigné, puisqu’il tient à citer assez souvent cet auteur catholique. Toutefois, au total dans ce chapitre sur la Diète de Worms, les auteurs protestants des xvie et xviie siècles représentent tout de même 70 % des citations.
Sans nous livrer à une analyse statistique complète de l’ouvrage, qui dépasserait les limites de ce court article, nous constatons que ces quelques chiffres confirment l’impression générale que donne la lecture de ses quatre volumes : l’Histoire de la Réformation du seizième siècle est essentiellement fondée sur des auteurs protestants du xvie siècle. Et, parmi eux, Luther est très largement majoritaire84. Certes Merle d’Aubigné tient à citer des auteurs catholiques, Cochlaeus et Pallavicino pour l’essentiel dans les deux chapitres analysés. Il reste que son choix général a pour conséquence d’induire de Luther une image directement issue soit de textes de son héros — de ses lettres comme de ses ouvrages85 —, soit de textes de ses amis, qui lui sont évidemment favorables. Il y a donc pour Merle d’Aubigné un risque d’archaïsme dans sa présentation de Luther, risque accru par sa méthode d’exposition. En effet — tout particulièrement dans les deux premiers volumes —, Merle d’Aubigné choisit non seulement de faire de très nombreuses citations de Luther, mais aussi de reproduire de longues citations. Ainsi, par exemple, dans le second volume les pages 120 à 134 sont entièrement occupées par des citations de l ’Appel à la noblesse chrétienne. Ou, autre exemple, il utilise 9 pages pour reproduire intégralement une lettre de Luther au pape Léon X (II, 166-174)86. De ce fait, comme le remarque Vinet dans son article du Semeur (en évoquant les passages du t. I qui traitent de la jeunesse de Luther), ce n’est plus le livre de Merle d’Aubigné qu’on a parfois l’impression de lire, mais Luther lui-même87. D’autant plus que Merle d’Aubigné suit étroitement la chronologie, qu’il est très peu synthétique, propose un très grand nombre de détails de peu d’intérêt88, et que son livre est au fond plus une chronique descriptive qu’une histoire explicative89. En outre, sauf dans certains cas — comme lors de la redécouverte du salut par la foi par Luther ou lors du colloque de Marbourg —, Merle d’Aubigné s’intéresse assez peu à la pensée théologique de Luther, mais s’attache beaucoup plus à ses actions et à la façon dont il les explique.
Merle d’Aubigné considère sans doute qu’ainsi il est impartial. Mais le choix de ses citations est inévitablement partial. D’autant plus que cela le conduit parfois à confondre quelque peu les mémoires d’un auteur avec un livre d’histoire90. Évidemment le recours aux sources primaires garantit au lecteur l’originalité du propos par rapport aux autres historiens. Mais cette abondance de citations ralentit la progression du récit91. Et, surtout, en privilégiant à ce point des citations de Luther, ou d’amis de Luther, Merle d’Aubigné, transmet — au moins en partie — au lecteur du xixe siècle une certaine image de Luther, celle que lui-même et ses amis ont destiné aux générations futures. C’est intéressant, mais c’est aussi limité, d’autant plus qu’il fait preuve de très peu d’esprit critique quand il utilise des sources protestantes.
Quel portrait de Luther ?
Un homme de Dieu
« Laissons Luther captif en Allemagne, sur les hauteurs de la Wartbourg, et voyons ce que Dieu faisait alors dans d’autres pays de la chrétienté92. » C’est en ces termes peu équivoques que Merle d’Aubigné clôt son septième chapitre. Cela fait écho à la préface de son premier volume. Il y explique, en effet, que la Réformation s’est effectuée très rapidement : « L’Église de Rome paraît sous Léon X dans toute sa force et sa gloire. Un moine parle, et dans la moitié de l’Europe, cette puissance et cette gloire s’écroulent93. »
Or, dit-il, seule l’action directe de Dieu peut expliquer cette rapidité du succès de la Réformation. De ce fait son livre « pose avant tout et en tête ce principe simple et fécond DIEU DANS L’HISTOIRE [tir]94 ». On le voit, la première caractéristique générale de ce travail est la volonté de montrer qu’on peut « attribuer à Dieu l’accomplissement de cette œuvre [la Réformation]95 ». De plus, il cherche aussi expliquer comment l’historien peut découvrir la trace de l’action de Dieu dans le monde des hommes. Il soutient que Dieu agit tout d’abord lentement, en préparant longtemps à l’avance les grandes mutations. Tel est d’ailleurs l’objet de son premier chapitre. Et que, quand tout est prêt, il suscite des personnalités qui accomplissent sa volonté96. Or, affirme-t-il, on reconnaît l’action de Dieu à ce qu’il choisit des « petits », des humbles, pour faire de grande choses, comme le montre l’exemple du Christ97, ou celui de Luther, parce que : « Tout doit manifester au monde que l’œuvre est non de l’homme, mais de Dieu98. »
De fait, la lecture des deux premiers volumes99 montre qu’aux yeux de Merle d’Aubigné c’est en permanence Dieu qui fait agir Luther. Prenons quelques exemples. Il écrit, à propos de la Bible que Luther découvre dans la bibliothèque de son couvent : « Ainsi Dieu lui a fait trouver sa Parole. » (I, 198). À propos de son opposition à Tetzel : Luther « n’a pas plus un plan pour la réformation de l’Église, qu’il n’en a eu un pour la sienne propre. Dieu veut la réforme, et Luther pour la réforme. » (I, 347). Au moment de la Dispute de Leipzig à propos des réponses de Luther : « Le Saint-Esprit était invoqué sur l’Église, et le Saint-Esprit allait répondre et renouveler la chrétienté. » (II, 44). Quand Luther part pour la Diète de Worms en dépit des périls : « Il savait qu’il avait fait la volonté de Dieu, et que Dieu était avec lui […] Cette pureté d’intention [.] est une force cachée, mais incalculable, qui ne manque jamais au serviteur de Dieu […]. » (II, 290). Avant son entrée dans la salle des débats à Worms : « Mais Luther était avec Dieu. Son regard était serein ; ses traits tranquilles ; l’Éternel élèverait un roc. » (II, 330). À partir de son séjour à la Wartburg : « […] l’œuvre dont il n’était qu’un faible instrument, porta dès lors, non le cachet d’un homme, mais le sceau même de Dieu. » (III, 6). En 1522 Luther déconseille aux princes d’opposer une résistance armée à Charles Quint et ceux-ci suivent son avis ; Merle d’Aubigné commente : « Dieu voulait que sa cause se présente devant l’Empereur sans ligue et sans soldats, n’ayant que la foi pour triompher. » (IV, 176). On ne saurait mieux dire que Luther n’est que l’instrument de Dieu, leitmotiv de Merle d’Aubigné.
Cette affirmation générale est illustrée par un certain nombre de comparaisons flatteuses. Ainsi Merle d’Aubigné compare Luther à Jan Hus100, ce qui n’est pas surprenant. Mais il va plus loin, il le compare aussi à un prophète de l’Ancien Testament. Il explique par exemple qu’après qu’il a prêté le serment du docteur en 1512 : «L’appel qu’il avait reçu devint pour le Réformateur comme une de ces vocations extraordinaires que le Seigneur adressa aux prophètes sous l’ancienne alliance […]. » (I, 263-264101). Il ne s’arrête pas là et il le compare également aux apôtres, et en particulier à Paul et à Pierre102. Et, surtout, il le compare sa situation à celle de Jésus-Christ103. Tout cela ne peut que conforter dans l’esprit des lecteurs que Luther est véritablement un homme de Dieu.
La clé de la Réformation de l’Église ?
La réformation dans le cœur de Luther
On le sait, les historiens du xxe siècle estiment en général que la crise intérieure que connaît Luther à partir de son entrée au couvent est le moteur principal de son action réformatrice. Lucien Febvre, par exemple, écrit en 1927 : « Ce qui importe à Luther de 1505 à 1515 ce n’est pas la réforme de l’Église. C’est Luther. L’âme de Luther, le salut de Luther. Cela seul104. » C’est aussi ce qu’affirme Merle d’Aubigné :
La connaissance de la réformation qui s’opéra dans le cœur de Luther donne seule la clef de la réformation de l’Église. C’est par l’étude de l’œuvre particulière qu’on peut avoir l’intelligence de l’œuvre générale. Ceux qui négligent la première ne connaîtront de la seconde que les formes et les dehors. […] Étudions donc la réformation dans Luther, avant de l’étudier dans les faits qui changèrent la chrétienté. (I, 180)
Chez Merle d’Aubigné, cette vision des choses est sous-tendue par sa définition de la Réformation : il explique que c’est certes une révolution105, mais prise dans son sens étymologique, de retour à son point de départ après une longue période. En effet si, dans son principe général, la Réformation est bien un retour au christianisme primitif, elle doit se caractériser d’abord par possibilité pour chaque chrétien d’avoir accès au texte biblique. Cet accès au texte biblique ne pouvant, à son tour, que se traduire par une redécouverte du principe du salut par la foi, qui conduit à mettre la Bible à la place de l’Église. or, explique-t-il, tel est le chemin que Luther suit d’abord dans son cœur :
Vers 1510 il porta : « […] avec espérance [ses regards] sur les saintes Écritures, et sur cette vie nouvelle que la Parole de Dieu semblait alors promettre au monde [le salut par la foi]. Cette parole grandit dans son cœur de tout ce que perdit l’Église. Il se détacha de l’une pour se tourner vers l’autre. Toute la réformation fut dans ce mouvement-là106. (I, 258)
D’où les trois périodes que Merle d’Aubigné distingue dans les années de formation de Luther : son entrée au couvent, sa découverte du salut par la foi, et enfin son serment de docteur le 18 octobre 1512 : « Je jure de défendre la vérité évangélique de tout mon pouvoir. » (I, 262). De fait : « Ce serment solennel fut pour Luther sa vocation de réformateur. » (I, 262). En effet, il lui impose d’enseigner aux autres cette « vérité » qu’il a découverte dans l’Épître aux Romains. Ce qui explique, en octobre 1517, sa protestation solennelle contre la vente des indulgences, premier acte de la Réformation :
La doctrine évangélique d’une rémission libre et gratuite des péchés y était pour la première fois publiquement professée. […] Toutes les erreurs devaient tomber devant cette vérité. C’est par elle que la lumière avait commencé à entrer dans l’âme de Luther ; c’est de même par elle que la lumière devait se répandre dans l’Église. (I, 364)
On le voit, c’est bien parce que ce qui avait nourri l’âme de Luther va ensuite nourrir l’âme du peuple que Merle d’Aubigné s’estime en en droit d’affirmer que la clé de la réformation se trouve bien dans le cœur de Luther107. Naturellement, il ne se contente pas de cette cause unique. Il tient au contraire à préciser que si la prédication de Luther remporte rapidement une très grande audience, c’est aussi parce que la société du xvie siècle est prête à l’écouter : « La réformation n’était pas dans Luther seulement ; son siècle la devait enfanter. » (I, 349). D’ailleurs, tout son premier chapitre (I, 23-178) est une présentation de l’Europe à la veille de la Réformation, d’où l’on ne peut que conclure : « il y avait alors quelque choses dans toutes les classes, qui annonçait une réformation » (I, 176). Il revient ensuite à plusieurs reprises sur ce point, expliquant que le besoin de réforme se faisait sentir dans toutes les classes de la société108 ; d’ailleurs, même un adversaire de Luther comme Cochlaeus le reconnaît109.
L’insistance de Merle d’Aubigné sur l’évolution de la pensée doctrinale de Luther comme base fondamentale de la Réformation lui permet aussi d’expliquer son déroulement, et détruit au passage la « thèse des abus » comme cause de la Réformation110 : à ses yeux la réforme des abus en est la conséquence et non pas la cause. En effet, dit-il, suivant le plan dressé par Dieu111 Luther commence par se forger une nouvelle conviction (le salut pas la foi). Puis il communique cette conviction par ses écrits, qui sont bien accueillis par le peuple allemand. Mais, dans l’immédiat cela ne provoque aucun changement dans l’Église, aucune réforme des abus112. Pourtant, Luther « parut trouver tout naturel qu’en recevant avec enthousiasme ses écrits, on restât dévotement attaché aux abus qu’ils attaquaient » (III, 3). Ce faisant, en réalité il rend possible la victoire de la Réformation, parce que toute « révolution doit se faire dans la pensée avant de s’accomplir extérieurement. » (III, 3). En effet, s’il avait « commencé par une réforme extérieure » avant de proposer une réforme de la pensée, il aurait « rencontré la plus vive résistance » (III, 3). Alors qu’en laissant ses écrits agir dans les esprits et dans les cœurs, il mine « tellement l’ancien édifice, qu’il tombât bientôt de lui-même et sans main d’homme » (III, 4).
Luther : un héros jusqu’à la Wartburg, un peu moins ensuite
Merle d’Aubigné n’est pas avare de compliments pour Luther. À la fin de son récit de la Diète de Worms il écrit, par exemple :
Ferme comme un roc, tous les flots de la puissance humaine venaient se briser inutilement contre lui. La force de sa parole, sa contenance courageuse, les éclairs de ses regards, l’inébranlable fermeté qu’on lisait sur les traits rudes de son visage germanique, avaient produit sur cette illustre assemblée la plus profonde impression. […] Le moine avait vaincu ces grandeurs de la terre. Il avait dit non à l’Église et à l’Empire113.
Toutefois, il n’est pas le seul historien à admirer l’attitude de Luther à Worms. Lucien Febvre qui intitule son paragraphe à ce propos « La vaillance de Worms114 », ne parle-t-il pas de son « héroïsme115 » ? Mais l’admiration de Merle d’Aubigné pour Luther ne se limite pas au comportement de ce dernier dans des occasions exceptionnelles. Au contraire, on trouve très souvent sous sa plume des commentaires particulièrement élogieux. Selon lui, dès sa jeunesse Luther est beaucoup plus brillant que ses camarades d’études116. Quand il commença à prêcher : « Tous ses auditeurs l’entendaient avec admiration » (I, 270). Dès le début de la Réformation : « Tous les théologiens honnêtes étaient en sa faveur. » (I, 275). Il montre presque toujours un très grand courage117 ; mais il fait aussi preuve d’une sincérité et d’une droiture irréprochables118, tout restant humble119. De plus : « Rien ne pouvait l’épouvanter. » (I, 498). Car il reste toujours maître de lui120 (II, 212), etc. Au fond, affirme Merle d’Aubigné : « On retrouve partout dans Luther et dans la réformation, ce courage intrépide, cette haute moralité, cette charité immense, que le premier avènement du christianisme avait déjà fait voir au monde. » (I, 498-499).
Ces quelques exemples, que l’on pourrait multiplier, montrent qu’il est difficile d’être plus élogieux. D’ailleurs, dans son compte rendu du second volume, Vinet le remarque tout en affirmant que cela affaiblit le propos : Merle d’Aubigné
connaît la nature humaine : est-elle disposée à croire qu’une admiration continue soit toujours fondée ? Dans l’intérêt même de l’admiration qu’on veut faire partager, ne faut-il pas, comme l’a dit M. Merle lui-même, « montrer chaque homme tel qu’il est avec toutes ses faiblesses ? » Car l’admiration se perd dans la défiance, et la défiance naît toujours d’un éloge trop absolu […]121.
Nuançons, toutefois. Vinet écrit cela en 1837, alors que seuls les deux premiers volumes sont parus. Et de fait, on y trouve une admiration et une approbation pratiquement constante des faits et gestes de Luther, et un dénigrement, non moins continu de ses adversaires122. Mais il n’en est plus de même dans les deux volumes suivants. Merle d’Aubigné s’en explique au début du troisième volume. Susqu’au séjour de Luther à la Wartburg, dit-il, « la Réformation avait été soncentrée dans la personne de Luther » (III, 5)123. De plus son œuvre avait consisté à rétablir la vérité dans la doctrine, conformément à la volonté divine. De ce fait, à Worms « son caractère parut alors presque exempt de taches » (III, 5). Mais ensuite, la Réformation — et c’est un tournant fondamental124 — en vient à rétablir la vérité dans l’Église et dans la société. Alors, non seulement il n’est plus le seul à agir, mais aussi il commet des « fautes » (III, 6). Mais comment un homme qui a accompli la volonté divine de façon aussi constante jusqu’alors peut-il désormais se tromper ? En fait, soutient Merle d’Aubigné, ce changement est en lui-même un enseignement : par ce moyen Dieu montre que le chrétien doit placer la confiance dans la Parole de Dieu et non pas dans la parole d’un homme, si éminent soit-il :
Sa comparution devant la Diète de Worms fut sans doute le moment le plus sublime de sa vie. […] ce qui a fait dire que si Dieu, qui cacha pendant dix mois le réformateur dans les murs de la Wartbourg, l’eût en cet instant pour toujours dérobé aux regards du monde, sa fin eût été comme une apothéose. Mais Dieu ne veut point d’apothéose pour ses serviteurs ; et Luther fut conservé à l’Église, afin d’enseigner par ses fautes mêmes, que ce n’est que sur la Parole de Dieu que la foi des chrétiens doit être fondée. (III, 6)125.
De ce fait, et tout en restant très admiratif, désormais Merle d’Aubigné n’hésite pas à critiquer Luther. Prenons quelques exemples. Tout d’abord il met en lumière certains traits de son caractère sur lesquels il avait peu insisté auparavant. Il rappelle qu’on peut le trouver grossier (III, 9) ; qu’il est impulsif, à tel point il arrive à Melanchthon d’effacer certains passages d’une de ses lettres (III, 33) ; qu’il est superstitieux, comme le montre l’épisode du diable lui apparaissant à la Wartburg, ce qui est, dit-il, un « reste de papisme » (III, 44-45) ; que la « rudesse et parfois la violence de langage de Luther » (III, 120) ont pu rebuter certains. Naturellement, c’est plutôt à ses adversaires que Luther adresse ses plus vives critiques, Henri VIII par exemple, à propos duquel « il dépassa toute mesure126 ». Mais il sait aussi être particulièrement vif contre des Réformateurs avec lesquels il est en désaccord, Carlstadt par exemple127. Il lui arrive aussi d’être inconséquent — comme à propos du rôle qu’il accepte de donner aux princes dans l’organisation de l’Église — même si les circonstances contribuent à expliquer cette décision128. Toutefois, c’est à propos de l’attitude de Luther lors de deux épisodes importants que Merle d’Aubigné formule ses critiques les plus significatives.
Il s’agit tout d’abord de la Guerre des paysans. À ce sujet, et sans cacher les côtés sombres de l’action de Luther, il s’efforce de ne pas trop le critiquer. Il reconnaît que le mouvement réformateur en général, mais aussi « la violence des écrits de Luther, l’intrépidité de ses actions et de ses paroles » (III, 260) ont donné une nouvelle impulsion à l’agitation politique ; et que la Réformation a donc eu une influence indirecte sur la révolte. Il rappelle aussi l’explication classique de l’opposition de Luther à la révolte des paysans : ce dernier y voit un dévoiement de sa pensée (III, 268). Mais il ne cache pas que Luther « se déchaîna contre les rebelles avec toute la force de son caractère, et dépassa peut-être les justes bornes dans lesquelles il eût dû se contenir » (III, 270) ; et il cite un passage particulièrement violent de Luther129. Toutefois, il pointe surtout la responsabilité d’autres acteurs. Citant le chiffre de 50 000 victimes de la répression, il précise « abusant de leur victoire, les princes, les nobles et les évêques déployèrent la cruauté la plus inouïe » (III, 276). Façon de montrer que Luther n’a pas participé directement à la guerre. Il reste que toute cette affaire — à laquelle il joint la répression du mouvement de Thomas Müntzer — fut, dit-il, une terrible épreuve pour Luther (III, 285).
Le second sujet qui provoque de véritables critiques chez Merle d’Aubigné concerne la controverse entre d’un côté Luther et ses amis et de l’autre Carlstadt, Zwingli et les réformés à propos de la Cène. Certes il tient à en donner une explication générale130. Cependant, il n’hésite pas à opposer l’attitude calme et raisonnable de Zwingli à celle de Luther, citant même un passage où, en 1527, ce dernier refuse avec une grande violence toute conciliation131. Et le récit qu’il fait du colloque de Marbourg (octobre 1529), fondé sur des citations des deux camps, est nettement défavorable à Luther132. Certes, cela n’empêche pas Merle d’Aubigné d’approuver l’attitude de Luther lors de la Diète d’Augsbourg et de trouver que Melanchthon y est beaucoup trop conciliant133. Il reste que pour Merle d’Aubigné Luther ne saurait passer en permanence pour un héros sans tache.
Outre les questions de fond, cela tient sans doute à l’aspect ambivalent du caractère de Luther que Merle d’Aubigné nous fait quelque peu découvrir134. En effet, d’un côté il nous montre un homme qui refuse de « se servir des anathèmes et des foudres de la Parole », pour se faire « un humble pasteur, un doux berger des âmes » (III, 95), comme par exemple en 1522 lors de son retour à Wittenberg. Mais, d’un autre côté, il ne cache pas — nous le savons — ses violences de langage et son caractère passionné. Cela est sans doute dû à ce que Merle d’Aubigné appelle sa fermeté et son opiniâtreté, dont il donne un exemple à propos du débat sur la Cène :
Jamais on ne vit si bien la fermeté avec laquelle il [Luther] gardait une conviction qu’il croyait chrétienne, sa fidélité à ne chercher pour elle des fondements que dans la sainte Écriture, la sagacité de sa défense, et son argumentation animée, éloquente, souvent accablante. Mais jamais aussi on ne vit mieux l’opiniâtreté avec laquelle il abondait dans son sens, le peu d’attention qu’il accordait aux raisons de ses adversaires et la promptitude peu charitable qui le portait à attribuer les erreurs à la méchanceté de leur cœur et aux ruses du démon. (III, 431-432).
Luther, champion de la Réformation et donc champion de la liberté
Que Luther soit le champion de la Réformation, Merle d’Aubigné l’affirme souvent. Il met tout particulièrement cette idée en valeur — il est vrai que le contexte s’y prête — à l’occasion des grandes joutes oratoires qui scandent son histoire : Dispute de Leipzig, Diète de Worms, Colloque de Marbourg, Diète d’Augsbourg pour l’essentiel. On le sait, le livre leur accorde une grande place (100 p. pour la Dispute de Leipzig par exemple, ou 235 p. pour la Diète d’Augsbourg). Or dans le récit de chacun de ces événements, Luther est toujours mis en avant. Il ne peut certes pas en être autrement lors des deux premiers, mais Merle d’Aubigné fait bien remarquer que chacun de ceux-ci — outre le succès que Luther y remporte —, lui permet d’élaborer de nouveaux éléments de réflexion qui se révéleront ensuite très utiles135. Même le paragraphe sur le Colloque de Marbourg, où — nous le savons — Merle d’Aubigné est parfois critique tant sur la forme que sur fond de l’argumentation de Luther, se solde par une approbation mitigée des deux camps : la position défendue par Luther empêche selon Merle d’Aubigné que «l’Église ne tombât dans l’extrême du rationalisme », et celle de Zwingli évite « qu’elle ne retombât dans l’extrême du Papisme » (IV, 146). Et Merle d’Aubigné d’ajouter :
Sans partager toutes ses vues […] on est pourtant contraint de reconnaître en Luther, à Marbourg, non seulement le grand homme, mais, ce qui est plus, le héros de la foi. A cet intrépide témoin, il eût aussi pu être dit : « Tu t’appelleras Céphas, c’est-à-dire pierre ». (IV, 151-152).
Quant à la Diète d’Augsbourg, bien que Luther n’y soit pas présent physiquement, dans le récit de Merle d’Aubigné il est très souvent présent moralement et ses positions, tirées pour l’essentiel de ses lettres, sont présentées en contrepoint de celles de Melanchthon, et approuvées :
Un courage calme et sublime, où la fermeté brille à côté de la joie ; un courage qui s’élève et s’exalte à mesure que le danger augmente, voilà ce que les lettres de Luther nous présentent alors à chaque ligne. (IV, 322)136.
Évidemment, Merle d’Aubigné évoque aussi le rôle des autres Réformateurs ; mais il est clair qu’ils ne sont que des collaborateurs de Luther — Melanchthon en particulier, qui le complètent sur certains plans137 — et donc des seconds rôles.
D’une façon plus générale l’ensemble de ces quatre volumes illustre la thèse fondamentale défendue par Merle d’Aubigné, qui est aussi la thèse des protestants des siècles précédents : la Réformation est un retour à l’Église primitive138, avec les adaptations indispensable dues à la marche du temps. De là les trois étapes qu’il distingue, toutes initiées par Luther, mais qui ont aussi une influence sur lui, puisqu’il n’a à l’origine aucun plan préconçu139. Tout d’abord le retour à la théologie biblique, et donc l’insistance sur le salut par la foi, première phase qui conduit Luther jusqu’à la Diète de Worms et à la Wartburg. Commence alors la seconde phase avec le tournant conservateur de Luther140 : du salut par la foi, il passe à la réécriture de l’ensemble de la théologie, mais aussi à une tentative de réforme de l’Église existante. D’où son double rôle : théologien et spécialiste de l’ecclésiologie (réforme du culte, III, 245, abolition de la messe, III, 246-249, etc.). Ce qui implique toute une série de réformes dans la société, avec en particulier celle de l’école (pour permettre la lecture de la Bible) à laquelle Luther attache une importance fondamentale : « l’un des buts de sa vie » (III, 249), précise Merle d’Aubigné141. Et c’est une question ecclésiologique qui clôt l’épisode entamé à la Wartburg. En effet, la Guerre de paysans (et les initiatives de Müntzer), où il voit une méconnaissance des fondements dogmatiques de la Réformation, convainquent Luther que celle-ci ne peut pas se contenter de réformer l’Église, mais qu’il lui faut en bâtir une nouvelle. C’est même sur cette question que se concentre son action entre 1526 et 1529. Or il accepte de conférer aux princes un rôle fondamental dans cette nouvelle Église. Certes, tout en la comprenant Merle d’Aubigné ne cache pas les réticences que cette idée lui inspire ; il reste qu’il place à nouveau Luther au centre de l’action durant ces années. On le voit, pour lui Luther a un rôle capital dans toutes les phases de la Réformation qu’il décrit, de 1517 à 1530.
Cependant, Merle d’Aubigné ne se contente pas de cela. Il tient aussi à montrer que Luther n’est pas seulement un bâtisseur d’Église ; c’est aussi, et peut-être surtout, un champion de la liberté142. Qu’il le soit dans les faits, Merle d’Aubigné en donne plusieurs exemples. Ainsi, il rappelle qu’à propos des agitateurs de Wittenberg, et alors qu’il séjourne à la Wartburg, Luther écrit à Spalatin : «Qu’on se garde de les jeter en prison ; que le prince ne trempe pas sa main dans le sang de ces nouveaux prophètes. » (III, 73). De même, à propos de ceux qui s’opposent aux réformes religieuses à Wittenberg, il soutient : « Je ne veux pas qu’on emploie la force contre les superstitieux, ni contre les incrédules. […] La liberté est l’essence de la foi. » (III, 95-96)143. Merle d’Aubigné tient aussi à préciser que Luther s’est opposé à la peine de mort pour raison religieuse ; il écrit, par exemple, en 1527 : « […] je ne puis aucunement admettre que les faux docteurs soient mis à mort ; il suffit de les éloigner. » (IV, 63). Et Merle d’Aubigné d’ajouter : « Depuis des siècles l’Église romaine baignait dans le sang : Luther fut le premier à professer les grands principes d’humanité et de liberté religieuse. » (IV, 63).
Ces exemples ne lui suffisent pas. Il tient aussi à répondre à ceux qui soutiennent que la doctrine du serf arbitre de Luther est asservissante pour l’homme. Il répond en affirmant que la lutte, n’est pas « comme on le dit ordinairement, entre la liberté et la servitude : elle est entre une liberté venant de l’homme et une liberté venant de Dieu » (I, 300)144. Il poursuit par une sorte d’ode à la liberté apportée par le Réformation, et donc par Luther :
Ce serait [.] se faire une illusion étrange que de prétendre que la réformation fut un fatalisme, une opposition à la liberté. Elle fut une magnifique émancipation de l’esprit de l’homme. Rompant les cordes nombreuses dont la hiérarchie avait lié la pensée humaine ; réintégrant les idées de liberté, de droit, d’examen, elle affranchit son siècle, nous-mêmes et la plus lointaine postérité. (I, 301.)
Et, un peu plus loin, il cite l’un des plus tenaces adversaires de Luther, Cochlaeus, qui écrit du Réformateur : « On se tournait vers lui, et on le saluait avec amour et avec respect comme l’intrépide défenseur de la vérité et de la liberté. » (I, 468).
Pour paraphraser la formule des Archives du christianisme, c’est bien un monument à la gloire de Luther que Merle d’Aubigné a bâti avec ces quatre volumes. Certes, dès sa publication sa louange permanente de Luther, son insistance sur la fidélité de celui-ci à la volonté divine, et donc le ton de prédicateur dont use Merle d’Aubigné, ont agacé certains, Vinet en particulier qui écrit : «l’auteur en présence d’une œuvre de Dieu, s’est senti pressé de rendre gloire à Dieu ; dans son cœur ému et reconnaissant l’histoire est devenue un hymne145 ». Il reste que durant une bonne partie du xixe siècle (jusqu’aux années 1880), c’est cette image de Luther qu’ont retenu la plupart des protestants francophones et anglophones.
Die von J. -H. Merle d’Aubigné zwischen 1835 und 1853 herausgegebenen fünf Bände der Geschichte der Reformation des 16. Jahrhunderts sind ein großer Erfolg beim französisch- und eng- lischsprachigen Publikum. In ihnen wird das religiöse Leben Luthers als treibende Kraft der Reformation dargestellt, damals eine neuartige Sichtweise. Sie sind auch ein Denkmal zur Ehre Luthers, dessen Tat und Schriften von Merle d’Aubigné als fast immer mit dem göttlichen Willen übereinstim- mend dargestellt und daher häufiggerühmt werden.
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1. Jules BONNET, « Notice sur la vie et les écrits de M. Merle d’Aubigné », dans BSHPF 23 (1874), p. 158-184 ; p. 184. J. Bonnet précise que, pour la partie biographique, il a « beaucoup emprunté » à la notice nécrologique parue dans l’Église libre du 3 janvier 1873 sous la plume d’Adolphe Duchemin (gendre et continuateur de J.-H. Merle d’Aubigné). De façon plus générale, on peut consulter la thèse récente de John B. RONEY, The Inside of History, Jean-Henri Merle d’Aubigné, and Romantic Historiography, Westport (Conn.) et Londres : Greenwood Press, 1996, vi-214 p.
2. Au XIXe siècle on parle le plus souvent de « Réformation » et non pas de « Réforme » comme c’est plus fréquemment le cas aujourd’hui.
3. Voir Blanche Biéler, Une famille du Refuge : Jean-Henri Merle d’Aubigné, ses origines, ses parents, ses frères, Clamart : Éd. « Je Sers », 1930, p. 206.
4. « […] le public de langue anglaise attendait avec impatience chaque nouveau volume […].Toutes les classes de la population s’y intéressaient, depuis la reine Victoria, qui en discutait les mérites avec lord Macaulay et le prince Albert, jusqu’au plus pauvre berger des highlands de l’Écosse, depuis le président des États-Unis l usqu’aux fermiers et aux bûcherons du Far West. » (Ibid., p. 208.) Notons par exemple qu’en 1841 les deux premiers volumes en sont à leur quatrième édition en Angleterre.
5. Ibid., p. 209.
6. Sa mère, Élisabeth Valz, est également issue d’une famille de huguenots nîmois réfugiés en Suisse.
7. Voir à ce sujet, notamment Léon Maury, Le réveil religieux dans l’Église réformée à Genève et en France (1810-1850), 2 vol., Paris : Fischbacher, 1892 ; et Daniel Robert, Genève et les Églises réformées de France de la « Réunion » (1798) aux environs de 1830, Genève — Paris : Droz — Minard, 1961.
8. J. BONNET, art. cit., p. 164. Son journal montre que dès le 23 novembre 1817 il décide de « commencer à recueillir des matériaux », pour rédiger une histoire « savante et [qui] présentât des faits non encore connus », mais aussi « intéressante » et « vraiment chrétienne » (ibid ). Nous allons le voir, il restera fidèle à ce programme de travail.
9. Naturellement, Merle d’Aubigné est aussi un prédicateur indépendant.
10. En 1837, les 17 mai, 31 mai et 21 juin Le Semeur publie une série de trois longs articles à propos des deux premiers tomes de l’Histoire de la réformation du seizième siècle ; selon l’habitude de cet hebdomadaire, ils ne sont pas signés, mais B. Biéler affirme qu’ils sont de la plume d’Alexandre Vinet (op . cit ., p. 205-206). Vinet formule cette remarque sur le style de Merle d’Aubigné dans le numéro du 21 juin 1837, p. 196, col. 1.
11. Il publie aussi d’autres travaux, surtout : Le Protecteur ou la République d’Angleterre aux jours de Cromwell, Paris : Firmin Didot, 1848, xvi-480 p. ; et Trois siècles de lutte en Ecosse…, Genève : Yves Beroud et S. Guers, 1850, xxiv-367 p.
12. Et xxxiv p. d’introduction.
13. Il y a aussi d’autres éditeurs parisiens, J.-J. Risler puis Delay ; le livre est également publié à Genève, chez plusieurs éditeurs, en particulier chez S. Guers, puis chez Kaufmann.
14. Toutefois il s’écoule six ans entre le tome 4, paru en 1847 et le tome 5, publié en 1853 ; mais alors Merle d’Aubigné est aussi occupé par d’autres travaux sur l’Angleterre (voir n. 11).
15. Et cccxli p. d’introduction et d’index.
16. Mais on y remarque aussi des aperçus sur l’Angleterre, l’Italie, l’Écosse, l’Espagne, les pays scandinaves, certains pays slaves et les Pays-Bas.
17. Par exemple, la publication des Opera Calvini commence seulement en 1863.
18. Pour plus de détails à ce propos, voir André ENCREVé, « Image de la Réforme chez les protestants français de 1830 à 1870 », dans : Philippe JOUTARD (dir.), Historiographie de la Réforme, Paris- Neuchâtel : Delachaux & Niestlé, 1977, p. 182-204.
19. Numéro du 23 janvier 1836, p. 11-12.
20. Ibid., p. 12, col. 1. Il ajoute : « Il a vécu, lui, de la vie de Luther ; il croit, il aime ce que Luther croyait et aimait. Les épreuves spirituelles du professeur de Wittenberg, il les connaît par ses propres épreuves ; il a souffert des mêmes souffrances ; il s’est réjoui des mêmes joies ; il a prié les mêmes prières ; il s’est consolé par les mêmes consolations ; il s’appuie sur les mêmes espérances. […] quelle admirable peinture de la vie intime de Luther dans ce livre ! On le voit, on l’entend ; il renaît tout entier. […] il n’y a pas d’abîme dans sa conscience qui ne se découvre à nos regards. » (Ibid., p. 12, col. 1).
21. Il est aussi fort élogieux ; en conclusion son auteur explique que, s’il continue ainsi son auteur « aura élevé un monument digne de la glorieuse réformation dont il s’est fait l’historien » (ibid., p. 12, col. 2).
22. Voir n. 10.
23. « On a tant vu, tant relevé dans cette grande révolution du seizième siècle ses causes politiques et ses résultats sociaux ; on s’est tant appliqué à retourner ce qu’on appelle le dessous des cartes ; on a si facilement supposé que le zèle religieux, que les besoins spirituels ne furent que les mots d’ordre arbitraires d’intérêts d’une toute autre nature, des faiblesses dont profitèrent les hommes forts ! » (n° du 17 mai 1837, p. 154, col. 2 et 155, col. 1.)
24. Ibid., p. 155, col. 1.
25. N° du 31 mai 1837, p. 171, col. 1.
26. N° du 21 juin 1837, p. 196, col. 1
27. Ibid., p. 197, col. 1
28. « De la Réforme et du protestantisme », Revue des deux mondes, juin 1854, p. 1142-1173.
29. P. 1154.
30. « On ne peut lire M. Merle d’Aubigné sans un vif intérêt, sans une sérieuse estime, ni pourtant avec une aveugle confiance. Il faut mettre à l’épreuve ce noble esprit avant de l’en croire. » (p. 1145). Il explique aussi que ses récits de la Diète de Worms et de la Diète d’Augsbourg sont « les deux plus beaux morceaux » du livre : « Le récit est dramatique, et cependant l’auteur, en racontant, garde une mesure et une justesse d’appréciation auxquelles on voudrait qu’il ne manquât jamais. » (p. 1164).
31. P. 1167. Sur Bossuet, voir l’ouvrage classique d’Alfred RÉBELLIAU, Bossuet historien du protestantisme, Paris : Hachette, 1891 (3e éd., Paris : Hachette, 1908, XIII- 624 p.) et les remarques de René POMEAU dans L’Age classique, 1680-1720, Paris : Arthaud, 1971.
32. Un destin, Martin Luther, Paris : Rieder, 1928, 314 p. ; réédité en 1945, aux PUF.
33. P. 5.
34. Le second volume s’arrête en 1521 ; et environ le deux tiers des pages qui traitent de l’Allemagne dans le volume 3 évoquent les années 1522-1525. L. Febvre y revient pourtant dans le corps de son ouvrage, critiquant le livre de Félix KUHN (Luther, sa vie, son œuvre (2 vol. Paris — Neuchâtel : Sandoz et Thuillier — Librairie générale, 1883 et 1884) : « Kuhn n’a pas une ligne, dans les deux cents premières pages de son livre, pour noter la marche entre 1505 et 1517 des idées religieuses de Luther, et quand surgit l’affaire des Indulgences, son lecteur ignore tout des sentiments, déjà fort assurés, du réformateur. » (p. 15 de la seconde édition). Kuhn, sans doute, mais certainement pas Merle d’Aubigné.
35. Voir à ce propos l’article de Pierre-Olivier Léchot dans ce numéro, p. 57-81 ; et aussi Jacques SOLE, « Pierre Bayle, historien de la Réforme », dans Ph. JOUTARD (dir.), op. cit., p. 71-80.
36. Abraham RUCHAT, Histoire de la Réformation de la Suisse…, 6 vol. Genève : M. M. Bousquet, 1727-1728.
37. Dieter GEMBICKI, « La Réforme allemande vue par Voltaire », dans Ph. JOUARD (dir.), op. cit., p. 148-155 ; p. 150. Il précise que cette légende, déjà infirmée par Seckendorff en 1692, remonte aux commentaires de Cochlaeus, controversiste catholique contemporain de Luther. Bossuet la reprend dans son Histoire des variations…
38. D. Gembicki explique : « En fin de compte Voltaire, ce “fils perdu de l’Église”, a puisé semble-t-il son suprême argument de nature théologique chez son antagoniste, l’évêque de Meaux car en admettant le besoin de réforme de l’Église romaine, il n’en resterait pas moins vrai qu’il faudrait conserver l’autorité de ce corps. » (ibid., p. 155).
39. Ibid., p. 153.
40. Ibid., p. 151.
41. La question est formulée ainsi : « Quelle a été l’influence de la réformation de Luther sur la situation politique des différents États de l’Europe et sur les progrès des lumières ».
42. Voir Yvonne KNIBIELHER, « Réforme et révolution, d’après Charles de Villers », dans Ph. JOUTARD (dir.), op. cit., p. 171-181 ; et aussi la thèse de Louis WITTMER, Charles de Villers (1765-1815). Un intermédiaire entre la France et l’Allemagne et un précurseur de Mme de Staël, Genève — Paris : Georg — Hachette, 1909, vi-475 p.
43. « Ce rapprochement entre la Réforme et la Révolution avait été fait en France avant Villers par quelques protestants, notamment le pasteur Rabaut Saint-Étienne, dans son Précis de l’histoire de la Révolution française. Mais il n’avait jamais été aussi méthodique. » (Y. KNIBILEHER, op. cit, p. 173.)
44. Ibid., p. 171.
45. À propos de son intervention dans la querelle entre les évangéliques et les libéraux durant les années 1860, voir André ENCREVE, « Le rôle de Guizot dans les questions protestantes sous le Second Empire », Actes du colloque François Guizot, Paris, supplément au BSHPF1976, p. 355-399. Il est vrai cependant que, bien qu’il soit membre du consistoire de l’Église réformée de Paris de 1815 à sa mort (1874), jusqu’en 1848 il est moins intéressé par les débats doctrinaux qu’il ne le sera ensuite.
46. Paris : Pichon et Didier, 1828.
47. En 1851 il en est à sa sixième édition, Paris : Masson, 1851, 366 p.
48. Sixième éd., p. 286.
49. Ibid., p. 291.
50. « […] à ce que par exemple, la vente des indulgences ait été confiée aux dominicains, ce qui avait rendu les augustins jaloux. » (ibid, p. 294).
51. Ibid
52. « […] le seul besoin de réformer […] les abus existant dans l’Église [.. .le] redressement des griefs religieux, comme une tentative conçue et exécutée dans le seul dessein de reconstituer une Église pure, l’Église primitive. » (ibid ).
53. Ibid., p. 295.
54. Ibid , p. 297. Merle d’Aubigné reprend ce type d’argumentation quand il soutient que Luther a été un champion de la liberté ; cf. infra, p. 140-143.
55. On peut toutefois noter deux publications dues à des auteurs alors fort célèbres (Mignet et Michelet), parues en 1835, que Merle d’Aubigné n’a pas donc pas pu utiliser pour préparer son premier volume, mais qui illustrent l’intérêt de certains francophones pour la Réformation. Tout d’abord le bref article (19 p.) de François Auguste MIGNET, « Luther à la Diète de Worms » paru dans le numéro du 1er mai 1835 dans la Revue des deux mondes ; mais il ne s’occupe guère que des questions politiques. Jules Michelet, qui s’intéresse lui aussi à Luther, intitule son livre Mémoires de Luther écrits par lui-même, traduits et mis en ordre par Jules Michelet, 2 vol., Paris : Hachette, 1835 (368+368 p.). En fait, il s’agit d’une sélection de textes de Luther, auxquels Michelet ajoute des pages de liaison pour en faciliter la lecture. Peut-être songeait-il à rédiger une biographie de Luther et ces textes auraient été en quelque sorte un travail préparatoire ; mais cela ne peut pas être considéré comme une véritable étude sur Luther. Notons que, suivant en cela une tradition historiographique ancienne, Michelet cite assez souvent ses Propos de table, auxquels on s’intéresse nettement moins aujourd’hui (voir par exemple Marc LIENHARD, Martin Luther, un temps, une vie, un message, Paris — Genève : Le Centurion — Labor et Fides, 1983, 472 p.). Par ailleurs, si Merle d’Aubigné n’a pas pu utiliser l’ouvrage de Michelet pour préparer son premier volume, il n’en est pas de même pour les volumes suivants. De fait, il le cite dans son troisième volume (p. 45). Il cite aussi le livre de Kark Friedrich LEDDERHOSE, Vie de Martin Luther, paru en allemand à Spire en 1836 puis traduit en français et publié à Strasbourg chez P. Scheurer et à Genève chez J.-J. Risler et Guers, en 1837, à propos de la vie privée de Luther (voir vol. 4, p. 195).
56. Les p. 381 à 536 évoquent la Suisse entre 1484 et 1522.
57. Notons qu’en 1844 il publie sa conférence donnée à l’assemblée générale de la Société évangélique de Genève et intitulée Le luthéranisme et la Réforme ou leur diversité essentielle à leur unité, Paris : Delay, 1844, 52 p. ; naturellement, il y reprend des éléments développés dans ses livres. Son titre s’explique car il considère que le mot Réformation concerne l’ensemble du mouvement religieux du xvie siècle, tandis que Réforme «s’applique spécialement à l’œuvre de Zwingle et de Calvin » (p. 6, n. 1).
58. Mais une partie des pages où il est question de l’Allemagne traitent aussi de la Suisse, en particulier quand il est question des débats entre Luther et Zwingli à propos de la Cène.
59. Exactement 958 p.
60. Le total des pages cité dans ce paragraphe est un peu inférieur au chiffre cité p. 126, car nous n’y incluons que les pages de texte (sans l’introduction et les tables des matières).
61. Ainsi, par exemple, il cite les œuvres de Luther de la façon suivante : L. Epp. (notamment vol. I, p. 181) ; L. Opp. W (I, 185) ; Lutheri Opera (Walch.) (I, 189) ; L. Opp. Lips. (I, 304) ; Luth. Opp. Leipz. (I, 324) ; L. Opp. Leips. (I, 337) ; L. Opp. (L.) (I, 350) ; Epp. (I, 367) ; L. Opp. lat. in praef. (I, 367) ; L. Opp. (I, 372), etc.
62. On note 43 citations de ses lettres et 45 citations de ses autres œuvres.
63. Il s’agit des éditions dites de Wittenberg (1545-1558), d’Iéna (1555-1558), d’Altenburg (1661-1664), de Leipzig (1729-1740) et de Halle (1740-1750).
64. Merle d’Aubigné cite cette édition (I, 503).
65. L’édition de Jean Le Clerc, publiée en 1703 à Liège (10 vol.). Il utilise aussi Jean LEVESQUE DE BURIGNY, Vie d’Erasme, 2 vol. Paris : De Bure, 1757 ; et Adolph MüLLER, Leben des Erasmus von Rotterdam, Hambourg : Perthes, 1828.
66. L’édition de Munchen, parue à Berlin en 5 vol. de 1822 à 1825.
67. Huldrich Zwingli Opera, édité par Johann Melchior Schuler et Johannes Schulthess, Zurich : F. Schulthess, 1829-1842 (8 vol.)
68. Carl Gottlieb BRETSCHNEIDER et E. BINSELL, Corpus reformatorum, Melanton (cité parfois sous le titre Philippi Melanchthonis, Opera quae supersunt omnia), Halle et Brunschwick : Schwetschke, 1834-1860, 28 vol. Naturellement, Merle d’Aubigné utilise davantage ce Corpus dans les volumes suivants.
69. Vita Martini Lutheri, Gottingen, 1741, in-4°, 44 p.
70. Il la cite, par exemple, 24 fois dans le second chapitre (qu’il appelle le « livre II ») du premier volume (p. 179-311).
71. Neander en donne une nouvelle édition allemande en 1841, mais évidemment Merle d’Aubigné ne peut pas l’utiliser pour ses trois premiers volumes : Johann MATHESIUS, Leben Dr. Martini Lutheri in siebzehn Predigten, Berlin : Crantz, 1841.
72. De vita et obitu H. Zwingli, parue à Bâle en 1536 mais qui a connu plusieurs rééditions.
73. Joachim CAMERARIUS, Vita Philippi Melanchtonis, 1569, dont il existe de nombreuses rééditions (notamment en 1604, 1655, 1777).
74. Johannes SLEIDANUS, De statu religionis et rei publicae Carolo V Caesare commentarii, paru à Strasbourg en 1555. Il a été traduit en français par Pierre François Le Courayer sous le titre dHistoire de la réformation, La Haye : Frederic Staatman, 1767-1769.
75. Commentaria Johannis Cochlaei de Actis et scriptis Martini Luther saxonis…, paru à Mayence en 1549 (cité aussi sous le titre : Johannes Cochlaeus, Acta et scripta Martini Lutheri., 1565).
76. Vitae theologorum quisuperioriseculo ecclesiam christi …, Heidelberg : imp. Rosae, 1620.
77. Veit Ludwig VON SECKENDORFF, Commentarius historicus et apologeticus de lutharinismo…, Francfort, 1692, dont la traduction allemande a pour titre Reformations-Geschichte (2 vol., Tübingen, 1781) ; une traduction en français (abrégée par Junius et Roos) est parue à Bâle en 1784-1785 sous le titre Histoire de la Réformation de l’Église chrétienne en Allemagne.
78. Paolo SARPI, Istoria del Concilio Tridentino, dont la première édition date de 1619, mais dont la traduction française par Pierre François Le Courayer (qu’utilise Merle d’Aubigné) est parue en 1736.
79. Pietro Sforza PALLAVICINO, Istoria del Conciliio di Trento, 2 vol., Rome, 1656-1658 ; mais dont il existe plusieurs traductions. Merle d’Aubigné se sert de la traduction en latin sans préciser son origine, peut-être s’agit-il de Concilii Tridentini historia…, 3 vol. Anvers : Plantin, 1670.
80. Louis MAIMBOURG, Histoire du calvinisme (1682).
81. Leopold VON RANKE, Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation, 3 vol. Berlin : Duncker, 1839 (et 5 vol. pour la dernière éd., 1839-1843). Il utilise aussi la Vie d’Érasme de Müller (voir n. 65).
82. Dans la préface du troisième volume, il montre cependant (p. x-xii) une erreur grossière de C. MAGNIN, dans La papauté considérée dans son origine et dans son développement au moyen âge, ou réponse aux allégations de M. Merle d’Aubigné dans son Histoire de la Réformation au seizième siècle (Genève : Berthier-Guers, 1840). Il répond aussi, sous une forme modérée au polémiste Jean Marie Vincent AUDIN, auteur en 1839 d’une Histoire de la vie, des ouvrages et des doctrines de M. Luther et, en 1841 d’une Histoire de la vie des ouvrages et des doctrines de Calvin (ibid., p. xii). Naturellement, dans ce paragraphe nous ne citons pas tous les livres utilisés par Merle d’Aubigné, mais seulement les principaux.
83. Il s’agit, dans l’ordre, de Luther (69 % des protestants du xvie siècle), Melanchthon (19 %), Mathesius (11%) et Myconius (1 %) [les pourcentages ont été arrondis]. Pour les auteurs du xviie siècle, qui ne rassemblent que 8 % des citations, 79 % sont des protestants et 21 % des catholiques.
84. 69 % des auteurs protestants du xvie siècle dans le chapitre II et 83 % des protestants du xvie siècle pour le chapitre VII. Cette prépondérance de Luther est un peu moins nette dans le volume 4.
85. Dans le chapitre II on compte 43 citations de lettres et 45 citations d’ouvrages, nous le savons ; dans le chapitre VII, 59 citations d’ouvrages et 29 citations de lettres, mais le sujet (la Diète de Worms) explique cette prépondérance des ouvrages.
86. Ou alors, dans le premier volume à propos du texte célèbre où Luther évoque « la vraie porte du paradis » à propos de Romains 3, 28, les deux citations qui s’y rapportent occupent pratiquement deux pages (I, 256-258). Il utilise aussi ces longues citations pour présenter l’action d’adversaires de Luther, Tetzel notamment. (I, 315-319.)
87. Vinet écrit notamment : « Ici M. Merle a fait preuve de tact et de jugement, en s’effaçant lui- même devant son sujet, en retenant avarement pour Luther l’espace dont il eût pu disposer pour lui-même. Ce n’est plus le livre de M. Merle, c’est le livre de Luther. C’est Luther qu’on lit ou plutôt qu’on entend. Et comment assister à ces luttes spirituelles, où se révèlent à la fois un esprit si fort et un cœur brisé, sans accorder de quelque parti qu’on soit, une sympathie de frère à cet homme honoré de si nobles et de si poignantes souffrances ! Quel prélude au Te Deum de la Réformation que ce De profondis du premier des réformateurs. » (N° du 31 mai 1837, p. 171, col.) Certes, mais cela montre aussi l’efficacité du texte de Merle d’Aubigné sur les lecteurs protestants du XIXe siècle. Quant à l’évocation d’un Te Deum de la Réformation à propos d’un livre d’histoire, elle laisse quelque peu rêveur le lecteur du XXIe siècle.
88. Voir par exemple : I, 526, II, 304, II, 341, III, 84, etc.
89. Vinet le lui reproche d’ailleurs dans Le Semeur (p. 196, col. 2). Par ailleurs, quand la documentation lui manque, il n’hésite pas à extrapoler et à imaginer ce qui a pu se passer. Voir par exemple I, 246-247 (ce que Luther ressent lors de son voyage à Rome), II, 326 (ce qu’il pense à la Wartburg), II, 340 (son état d’esprit à l’issue de la Diète de Worms), etc.
90. On pense ici au titre du livre que Michelet consacre à Luther. Mais Michelet précise qu’il n’a pas l’ambition d’écrire un livre d’histoire, mais seulement de rendre accessible au lecteur francophone des textes de Luther rédigés dans une autre langue (le latin ou l’allemand), ce qui est très différent.
91. Aujourd’hui on a tendance à trouver que bon nombre de ces citations auraient pu être supprimées sans que cela ait nuit à la compréhension générale.
92. Vol. II, p. 380.
93. Vol. I, p. 4.
94. Vol. I, p. 6.
95. Ibid.
96. Il écrit à la fin de son premier chapitre : « Le monde attendait. — Luther parut. » (Vol I, p. 178 [désormais : I, 178].)
97. « Un enfant, né dans la plus petite ville de la nation, la plus méprisée de la terre, un enfant dont la mère n’a pas eu même ce qu’a la plus indigente, la plus misérable femme de l’une de nos cités, une chambre pour mettre au monde ; un enfant né dans une étable, et couché dans une crèche… O Dieu ! je te reconnais là et je t’adore. » (I, 12).
98. Il précise : « Faire de grandes choses avec les plus petits moyens, telle est la loi de Dieu. [.] Le réformateur Zwingle sortit de la cabane d’un berger des Alpes : Mélanchton, le théologien de la réformation, de la boutique d’un armurier ; et Luther, de la chaumière d’un pauvre mineur. » (I, 179).
99. C’est moins vrai ensuite, nous le verrons, puisque Merle d’Aubigné se permet de critiquer Luther sur certains points.
100. « Luther continuait, avec son guide, à fuir loin d’Augsbourg. […] Il se rappelait la fuite réelle ou supposée de Jean Hus, la manière dont on l’atteignit, et l’assertion de ses adversaires, qui prétendirent que Hus ayant, par cette fuite, annulé le sauf conduit de l’Empereur, on avait eu le droit de le condamner aux flammes. » (I, 559 ; voir aussi p. 555).
101. Voir aussi, notamment, II, 165-166.
102. « Ainsi la doctrine puissante qui avait déjà sauvé le monde au temps des apôtres [le salut par la foi] [.] était exposé par Luther avec force et avec clarté. Passant par-dessus des siècles nombreux d’ignorance et de superstition, il donnait ici la main à saint Paul. » (I, 279). Voir aussi : I, 446 ou I, 451. Pour la comparaison avec Pierre, voir IV, 151 (Luther est même présenté comme plus ferme que Pierre).
103. « Les chefs du clergé furent opposés au seizième siècle, à Luther, à la réformation, à ses ministres, comme ils l’avaient été à Jésus-Christ, à l’Évangile, à ses apôtres […] » (I, 413). Notons qu’il n’ose pas le comparer au Christ lui-même.
104. Op. cit, 2e éd, p. 49. On trouve des remarques de ce type dans la plupart des ouvrages contemporains ; Marc Lienhard écrit par exemple : « On ne dira jamais assez combien chez Luther la vie et la pensée se rejoignent et font un. Sa théologie s’élabore au creuset d’une conscience inquiète et apaisée. Elle est doctrine, certes, mais aussi cri du cœur. » (Martin Luther, op. cit., p. 42).
105. Voir en particulier, vol. I, p. 2.
106. Évidemment Merle d’Aubigné cite les célèbres textes où Luther rapporte sa découverte du salut par la foi ; voir notamment I, 257.
107. « La Bible avait formé le réformateur et commencé la réformation. Luther n’avait pas eu besoin du témoignage de l’Église pour croire. Sa foi était venue de la Bible elle-même, du dedans et non du dehors. [.] Cette expérience que Luther avait faite, ouvrait à l’Église un nouvel avenir. La source vive qui venait de jaillir pour le moine de Wittenberg, devait devenir un fleuve qui désaltérerait les peuples. » (I, 418).
108. Il écrit par exemple, à propos du début de l’année 1521 : « Une génération nouvelle, d’un esprit grave, profond, énergique, remplissait les universités, les villes, les cours, les châteaux, les campagnes, et même souvent les cloîtres. Le sentiment qu’une grande transformation de la société était proche, animait tous les esprits d’un saint enthousiasme. » (II, 236).
109. Voir III, 149-150.
110. Il s’attache aussi à réfuter un certain nombre d’attaques classiques, comme par exemple, l’affirmation selon laquelle les princes se seraient ralliés à la Réformation par cupidité (voir III, 161 ou III, 212). Il conteste, évidemment, les accusations de lubricité chez Luther (III, 297-300).
111. « On pourrait même croire qu’il [Luther] traça son plan à l’avance […]. Mais ce serait lui attribuer une sagesse dont l’honneur revient à une intelligence plus élevée. [.] Plus tard il put reconnaître et comprendre les choses ; mais il ne les imagina pas et ne les régla pas ainsi. Dieu marchait à la tête ; son rôle à lui était de suivre. » (III, 3).
112. « Les sources de la vérité, de la liberté et de la vie avaient été rouvertes à l’humanité. On y était accouru en foule, on y avait bu avec joie ; mais ceux qui y avaient trempé leurs lèvres avec empressement, avaient gardé les mêmes apparences. […] le culte papal continuait gravement ses pompes ; le prêtre au pied des autels, offrant à Dieu l’hostie, semblait opérer un changement ineffable ; [.] les pasteurs des troupeaux vivaient sans famille ; les fidèles appendaient leurs ex- voto aux piliers des chapelles […]. » (III, 1et 2).
113. II, 339.
114. Op.cit, p. 118.
115. « Son héroïsme, à Worms, ce n’est pas l’audace d’un partisan qui fonce droit sur l’ennemi […]. Luther, son héroïsme est tout spirituel. » (Op. cit., p. 128).
116. « La force de son intelligence, la vivacité de son imagination, l’excellence de sa mémoire, lui firent bientôt devancer tous ses compagnons d’études. » (I, 193).
117. Merle d’Aubigné écrit à propos d’une de ses lettres où il défend ses 95 thèses : « Quel courage, quel noble enthousiasme, quelle confiance en Dieu [.] » (I, 384).
118. « Combien ces combats honorent Luther ! quelle sincérité, quelle droiture ils nous font découvrir dans son âme ! et que ces assauts pénibles qu’il eut à soutenir au-dedans et au dehors le rendent plus digne de notre respect que n’eut pu le faire une intrépidité sans lutte semblable. » (I, 387).
119. « Que d’humilité et que de vérité dans cette crainte de Luther, ou plutôt dans cet aveu qu’il fait que son sang jeune et bouillant, s’est peut-être trop vite enflammé ! » (I, 464).
120. III, 212 et II, 275, par exemple.
121. Le Semeur du 21 juin 1837, p. 196, col. 2. Rémusat, qui a lu les quatre volumes, remarque pour sa part que Merle d’Aubigné, « ne cache pas pour lui [Luther] une prédilection pleine d’admiration et d’enthousiasme » (op. cit., p. 1147).
122. Par exemple : Eck est jaloux (I, 395), méchant (I, 427), orgueilleux (II, 138) ; Cajetan « apostrophe Luther », « l’accable de menaces », « il tonne, il règne, il veut seul parler » (I, 533), il a une conduite « impérieuse et déraisonnable » (I, 559) ; Tetzel est méprisable : « il y avait un contraste frappant entre ces deux hommes [Luther et Tetzel] […]. Le serviteur de Dieu montrait un courage intrépide en présence du danger, le serviteur des hommes une misérable lâcheté. » (II, 8). Etc.
123. Évidemment, Merle d’Aubigné n’a pas occulté le rôle de Melanchthon, et il le rappelle peu après (III, 8), tout en disant que les deux hommes s’apprécient et se complètent.
124. « Le séjour à la Wartbourg [sic] sépare en deux périodes l’histoire de la Réformation. » (III, 84).
125. Il précise aussi un peu plus loin, qu’en le dérobant aux acclamations de la foule son séjour à la Wartburg lui a permis d’échapper, au moins pour un temps à l’écueil de l’orgueil spirituel et du fanatisme sur lequel se sont brisés d’autres réformateurs (III, 14).
126. « La douceur évangélique ne lui sembla pas de saison. Œil pour œil, dent pour dent. Il dépassa toute mesure. Poursuivi, outragé, traqué, blessé, le lion furieux se retourna et se dressa pour écraser son ennemi. » (III, 132).
127. « Alors l’indignation de Luther fut à son comble, et il publia l’un des plus forts, mais aussi l’un des plus violents de ses écrits de controverse, son livre “Contre les prophètes célestes”. » (III, 239). Notons, cependant, que Merle d’Aubigné ne fait pas de citation de ce texte…
128. « Ainsi Luther, partant, quant aux principes, de l’extrême démocratique, arriva, quant au fait, à l’extrême érastien. Jamais peut-être il n’y eut un espace aussi immense entre les prémisses posées par un homme et la conduite qu’il suivit. Si Luther franchit ce vaste intervalle sans hésiter, ce ne fut pas seulement inconséquence de sa part, ce fut surtout obligation de se soumettre aux nécessités impérieuses du temps. » (IV, 44-45).
129. Notamment : « Si vous ne mettez à mort un chien enragé, vous périrez et tout le pays avec vous. Celui qui sera tué en combattant pour les magistrats, sera un véritable martyr, s’il a combattu avec bonne conscience. [.] Frappe, transperce et tue qui peut. » (III, 271).
130. Voir, en particulier : « Luther, avec ses partisans, prétend combattre un spiritualisme exagéré : Carlstadt et les réformés attaquent un matérialisme odieux. » (III, 227 ; et aussi III, 348-349). Il n’est pas surprenant que Merle d’Aubigné, réformé suisse, ait plus d’affinité avec la théologie de Zwingli qu’avec celle de Luther.
131. Il écrit : « Si j’égorgeais votre père, votre mère, votre femme, votre enfant, et que, voulant ensuite vous égorger vous-même, je vous disse, Restons en paix cher ami ! que me répondriez-vous ?… C’est ainsi que les enthousiastes [les sacramentaires] égorgent Jésus-Christ mon seigneur, Dieu le Père, la Chrétienté ma mère, veulent encore m’égorger moi-même, et puis me disent : Soyons en paix. » (IV, 107-108).
132. Il cite par exemple Seckendorff: « Luther intraitable et impérieux, dit à cette occasion Secken- dorff même, son apologiste, ne cessait de sommer les Suisses de se soumettre simplement à son avis. » (IV, 134.) Il montre aussi Luther refusant de traiter Zwingli en ami (IV, 138), et il parle de l’« esprit sectaire » de Luther et des luthériens (IV, 139.) D’un point de vue plus général, il estime que la conception luthérienne de la Cène provient d’un certain « retour à la théologie scolastique » (III, 426) dont il s’était pourtant séparé avec éclat pour proclamer le salut par la foi.
133. Voir en particulier : IV, 298, 322, 354, etc.
134. Il évoque très peu l’homme privé. On note surtout quelques remarques sur ses joies domestiques (IV, 195) ; sur son émotion, lors de la mort de son père (ibid. ) ; ou les véritables malaises physiques qui l’assaillent, auxquels se joignent parfois « les fantômes de son imagination » (ibid.) quand il rencontre des difficultés de divers ordres.
135. Ainsi, par exemple pour la Dispute de Leipzig : «L’effet le plus puissant de cette discussion s’accomplit en Luther lui-même. […] Le voile que l’École et l’Église avaient tendu ensemble devant le sanctuaire, fut déchiré par le réformateur, du haut jusqu’en bas. Contraint à de nouvelles recherches, il parvint à des découvertes inattendues. » (II, 83).
136. Voir aussi par exemple, p. 352, 353, 388, etc.
137. Voir, par exemple I, 492. Le seul « rival » de Luther est Zwingli, mais c’est un Suisse, qui agit pour l’essentiel en Suisse et non pas en Allemagne.
138. Voir, notamment, I, 255, 499, 553-554 ; III, 83 ; IV, 2-3.
139. Voir par exemple, I, 553-554 ; II, 91-92 ; III, 1-5 ; III, 25.
140. « Il y était entré [à la Wartburg] comme novateur, et pour avoir attaqué l’antique hiérarchie ; il en sortait comme conservateur, et pour défendre la foi des chrétiens. » (III, 82).
141. Le livre insiste aussi sur l’influence de la Réformation sur la musique, la poésie ou la peinture (III, 248-256).
142. On le voit, Merle d’Aubigné rejoint ici les analyses de Guizot citées plus haut p. 000.
143. Voir aussi, notamment, ce que Merle d’Aubigné écrit à propos de la situation à Wittenberg après le retour de Luther, notamment : « Une entière liberté fut aussitôt établie à Wittenberg. » (III, 107).
144. Voir également ce qu’il écrit du débat entre Luther et Érasme : III, 390-408.
145. Op. cit, p. 196, col. 2.