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Luther révolutionnaire

Récupération républicaine d’une légende libérale
(1814-1848)

Daniel MAIRA

Université de Gottingen

L’intérêt romantique pour le xvie siècle, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, est inséparable d’une interprétation destinée à comprendre la fin de l’histoire à partir des origines de la Révolution française. Si les effets de 1789 sont évidents aux yeux de tous, leurs causes sur le plan social, culturel, religieux et, bien sûr, politique restent encore à saisir avec un recul nécessaire1. Une mémoire de gauche de la Révolution est entretenue par les libéraux et les républicains : ils cultivent une perspective téléologique et progressiste afin d’illustrer l’avènement du tiers état. Ce « passé libéral », pour reprendre la formule de Stanley Mellon2, traverse tous les moments conflictuels de l’histoire de France. On défend la Révolution, tout en déplorant la dérive jacobine, nuancée pourtant dès qu’elle est comparée aux crimes les plus graves qui ont eu lieu sous l’Ancien Régime3. Le royalisme ultraconservateur et contre-révolutionnaire cultive en revanche une contre-mémoire caractérisée par la représentation nostalgique d’un passé monarchique glorieux et idéalisé qui se confond souvent avec celui d’un Moyen Âge chrétien.

Le questionnement sur les origines de la Révolution et le débat sur la place du religieux dans l’État sont deux sujets d’actualité différents, mais qui s’entrecoupent et s’alimentent mutuellement : si l’une des causes des événements insurrectionnels a une origine religieuse, ses effets en revanche se mesurent dans la sphère politique. À cet égard, la Réforme a pu être considérée régulièrement comme l’une des causes — sinon la cause — principales de l’esprit séditieux des Français, au point d’être souvent assimilée, par analogie, à la Révolution. Comme le rappelle Frédéric Ancillon dans son Tableau des révolutions du système politique de l’Europe (1803), « entre toutes les révolutions qui ont eu lieu dans le monde, il n’y en a qu’une seule qu’on puisse comparer avec la Réformation. Nous sommes trop voisins d’elle pour qu’il soit nécessaire de la nommer. Les différences qui se trouvent entre ces deux grands mouvemens, sont sans contredit plus nombreuses et plus frappantes que leurs ressemblances ; mais elles offrent des rapports singuliers dans leurs causes, leur marche et leurs effets4 ». la thèse d’une filiation entre la révolution religieuse du xvie siècle et la révolution politique du xviiie siècle devient un lieu commun sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet, mais le bilan qu’on en tire est très différent5.

Dans ce débat, la figure de Luther occupe une place centrale dès lors qu’on interroge les débuts de la Réforme et les origines religieuses et politiques de la Révolution. Dans une pensée contre-révolutionnaire et catholique, Luther est en règle générale diabolisé et présenté comme une personne mesquine. Chateaubriand, pas totalement insensible aux idées révolutionnaires, se démarque de la pensée réactionnaire, mais il relève que la cause de cette « révolution » réformée est intéressée : « parce qu’un moine [Luther] s’avisa de trouver mauvais que le Pape [Léon X] n’eût pas donné à son ordre, plutôt qu’à un autre, la commission de vendre des indulgences en Allemagne. Pleurons sur le genre humain6. » À l’inverse, dans une pensée libérale, Luther est représenté surtout comme un esprit moderne et donc incontestablement révolutionnaire. Dans cette étude, nous n’étudierons pas l’image de Luther dans la pensée réactionnaire ou contre-révolutionnaire, mais les différentes instrumentalisations libérales et républicaines de Luther dans les mises en récit historiennes et littéraires pour voir de quelle manière il devient un personnage à géométrie variable selon les convictions idéologiques des auteurs ou d’après l’actualité politique. En effet, si Luther a pu être considéré comme une figure révolutionnaire et comme un précurseur de 1789 dans la mise en intrigue libérale de l’histoire, il est important de se demander comment cette image d’un Luther révolutionnaire est renégociée dans la pensée républicaine au moment où, sous la monarchie de Juillet, le libéralisme ministériel est au pouvoir et où les républicains aspirent à une nouvelle révolution. Faut-il dès lors corriger, reclasser ou ramener à de justes proportions la légende libérale d’un Luther révolutionnaire ?

Luther libéral, Luther républicain

La nature révolutionnaire de la Réforme avait été relevée bien avant 1789, car elle a pu être considérée comme un mouvement d’affranchissement et comme une menace à l’autorité et à l’unité religieuse et politique de la monarchie catholique. C’était la position de Bossuet7, et également de Voltaire qui soutenait, dans l ’Essai sur les mœurs, que « cette grande révolution dans l’esprit humain et dans le système politique de l’Europe8 » avait commencé avec Luther. Voltaire minimise cependant l’impact global de la Réforme sur le progrès de la civilisation, à cause de l’intolérance et du fanatisme religieux de leurs chefs9. Depuis la pièce François II (1747) du président Hénault, la teneur politique de l’esprit réformé est comparable néanmoins à celle des révolutionnaires républicains : « Le protestantisme […] est une religion dont le génie […] tend à renverser tous les fondements de l’autorité. Cet esprit particulier qui en fait le principe s’étend sur tout. Quand on s’est établi l’arbitre de sa croyance, on n’est pas loin de s’ériger en juges de ceux qui gouvernent. Une religion anarchique enfante des sujets indociles ; l’hérésie, surtout dans un grand État, ne produit que des Républicains10. » Cette pièce érudite défend les lois fondamentales de la royauté ainsi que la religion du roi, et s’inscrit par conséquent contre l’esprit séditieux et fanatique des huguenots français.

Les historiens du xixe siècle disposent désormais d’un point d’aboutissement, à savoir l’année 1789. La filiation de la Révolution à la Réforme revêt souvent une valeur prophétique, comme si la première avait continué et consacré l’œuvre de la seconde. L’intitulé du sujet mis au concours par l’Institut de France le 5 avril 1802, anticipe les enjeux idéologiques d’un débat qui sera animé surtout sous la Restauration : « Quelle a été l’influence de la réformation de Luther sur la situation politique des différents États de l’Europe et sur les progrès des lumières ? » Le concours est remporté par l’Essai sur l’esprit et l’influence de la réformation de Luther (1804) de Charles de Villers : c’est l’œuvre d’un catholique qui propose une lecture tolérante à l’égard de la religion protestante et qui donne une image libérale à la fois de la Réforme et de la Révolution. Le protestantisme assure le progrès de l’esprit philosophique grâce à sa liberté d’examen :

l’Eglise romaine disait : « Soumets-toi à l’autorité sans examen. » l’Église protestante dit : « Examine, et ne te soumets qu’à ta conviction. » — l’une ordonnait de croire aveuglément ; l’autre enseigne avec l’apôtre [Saint Paul] ‘de rejeter le mauvais, et d’adopter seulement ce qui est bon.’ […] l’opposition immense de ces deux principes, adoptés respectivement des deux parts pour base de la culture morale : d’un côté, crois ! de l’autre, examine11 !

Cet esprit d’examen et de discussion encouragerait une posture moderne et libérale — et non conservatrice ou contre-révolutionnaire — qui peut être appliquée dès le retour des Bourbons au sein d’un régime comme celui d’une monarchie constitutionnelle fondée sur le débat parlementaire.

D’après l’historiographie romantique, l’action de la Réforme se serait laïcisée à travers les luttes des siècles successifs jusqu’à son accomplissement politique dans la Révolution de 1789. La dynamique contestataire de la Réforme serait ainsi à l’origine de la Révolution française, et les termes « réforme » et « révolution » deviennent des synonymes dans la prose de Guizot pour signifier une révolution morale12, comme c’était déjà le cas dans l Essai sur l’esprit et l’influence de la réformation de Luther de Charles de Villers (1804). On insiste sur un mouvement hétérodoxe — la Réforme — qui a réussi à s’opposer avec détermination à l’autorité ecclésiastique et monarchique et à s’imposer comme esprit moderne d’un rationalisme civilisé. Dans cette logique, la Réforme ferait du libre examen et de l’intérêt général des instruments qui remettent en question les fondements de toute obéissance servile, et cela pour résister à un pouvoir répressif ou absolutiste. Les libéraux — dont Guizot et les doctrinaires13 — ont beau voir dans la Réforme une anticipation lointaine de la Révolution française, ils ne sont pas pour autant voués à la cause d’une souveraineté populaire ou des droits de l’individu, mais à un libéralisme constitutionnel qui prône la souveraineté de la raison et l’exercice du pouvoir par une classe moyenne capacitaire.

Sous la monarchie de Juillet, le débat sur les origines protestantes de la Révolution s’intéresse moins à une réflexion philosophique sur l’affranchissement de l’esprit humain qu’à l’apport de la Réforme à l’émancipation des droits des citoyens. Les tons se radicalisent afin de réveiller et de mobiliser la conscience politique du peuple français. Michelet donne un cours sur la Réforme au Collège de France en 1834-1835 et il publie la même année les Mémoires de Luther14. Les origines de la Réforme sont à chercher dans la corruption du clergé, dans un mouvement laïque qui aspire à un ordre civil fondé sur le modèle de l’Antiquité classique et encore dans un mysticisme qui tend vers une religion individuelle proche de ses origines évangéliques et qui l’affranchit, pour ce faire, de l’autorité ecclésiastique. La modernité de la Réforme demeure surtout dans l’esprit de révolte anticléricale d’une nation et d’un peuple. Dans la prose de Michelet, ce mouvement de l’esprit est redevable à Luther :

Il n’est donc pas inexact de dire que Luther a été le restaurateur de la liberté pour les derniers siècles. S’il l’a niée en théorie, il l’a fondée en pratique. Il a, sinon fait, au moins courageusement signé de son nom la grande révolution qui légalisa en Europe le droit d’examen15.

La lecture de Michelet comporte néanmoins quelques réserves : l’affranchissement de l’esprit humain et de l’esprit critique qui en découle — et qui doit, de ce fait, être considéré comme une forme de progrès — se heurte au fatalisme du dogme luthérien de la grâce, qui s’oppose à l’idée du libre arbitre16. À la grâce, qui est une expression providentielle du privilège, Michelet oppose désormais sa forme laïcisée, la justice, qui s’appuie sur les valeurs de liberté politique et d’égalité sociale promues par la Révolution et relayées par l’humanitarisme17.

La notion de liberté devient de plus en plus centrale dans la pensée de Michelet, surtout au moment où, sous la monarchie de Juillet, il commence à écrire l’histoire de la Révolution française. Le libéralisme ministériel, qui s’était identifié avec ce qu’il y avait de révolutionnaire dans la Réforme, se fige dans ses campagnes de censure et dans son conservatisme social pour défendre essentiellement les intérêts d’une élite capacitaire et d’une classe moyenne bourgeoise, et ce pendant que les jésuites font sentir à nouveau leur poids dans la vie politique. Michelet transplante alors dans le sud les valeurs attribuées à une culture philosophique du nord : « La liberté avance aussi sous forme de protestantisme, qui était pourtant antiliberté, c’est-à-dire l’anti-Italie, car l’Italie, comme pays du droit, est celui qui croit à la pénalité, donc à la responsabilité, à la liberté18. » Sans invalider complètement la dynamique révolutionnaire de la Réforme défendue par l’historiographie libérale, Michelet relativise l’apport de la Réforme à la modernité.

Michelet hérite en effet des Lumières et de Voltaire les réserves antiprotestantes sur l’intolérance des chefs de la Réforme, et il les juxtapose à celles de l’interprétation catholique et contre-révolutionnaire, suscitant le mécontentement des partisans de l’un et l’autre camp. Si Michelet reste proche d’une périodisation traditionnelle de l’histoire (« Les mille ans du Moyen Âge, de saint Augustin à Luther19 »), il glisse cependant vers une interprétation axée sur l’individualité créatrice. Renaissance et Réforme restent les deux mouvements de la modernité qui, malgré leurs différences, trouvent une cible commune dans la lutte contre un Moyen Âge catholique et stérile, comme il l’affirmera de manière plus explicite quelques années plus tard :

Dès ce jour, deux grands courants électriques commencent dans le monde : Renaissance et Réformation. L’un, par Rabelais, Voltaire, par la révolution du droit, la révolution politique, va s’éloignant du christianisme. L’autre par Luther et Calvin, les puritains, les méthodistes, s’efforce de s’en rapprocher. Mouvements mêlés en apparence, le plus souvent contraires. Le jeu de leur action, leurs alliances et leurs disputes sont l’intime mystère de l’histoire, dont leur lutte commune contre le Moyen Âge occupe le premier plan, le côté extérieur20.

Les sympathies de Michelet sont évidentes : il privilégie des libres penseurs tels que Rabelais et Voltaire qui militent pour une modernité non compromise avec des doctrines religieuses, celles-ci limitant la libre volonté de l’individu. Michelet revendique au contraire une religion laïque du progrès comme l’humanitarisme, d’après lequel le divin s’incarne dans l’homme21. Cette dynamique créatrice qualifie le principe d’une modernité qui cherche la source de toute connaissance :

Ainsi le Moyen Age vit sortir de lui, tout petit, le monde moderne. La grandeur du christianisme, c’est d’avoir eu en lui un autre lui-même, l’idée de la liberté, de l’homme-dieu. Tout système contient ainsi en lui-même une méthode plus grande que lui. […] Issu de Dieu, l’homme est comme lui créateur. Le monde moderne fut sa création, un monde nouveau que le Moyen Age ne pouvait contenir dans ses polémiques négatives22.

Les meilleurs représentants du xvie siècle sont dès lors moins les Réformateurs comme Luther ou Calvin que « ceux qui cherchent la foi », à savoir Bernardino Ochino, Michel Servet, Socin ou Giordano Bruno23. La recherche d’une foi, plus que sa possession, est perçue comme une condition essentielle au désir d’accomplissement de l’humanité, qui rêve d’infini et d’éternel malgré les limites auxquelles elle est soumise.

Michelet déconstruit ainsi deux cultes différents afin de proposer une vision « républicaine » de la première modernité : il faut d’abord, comme l’a dit Lucien Febvre, que Michelet tue le culte conservateur du Moyen Age, compromis avec le catholicisme et le jésuitisme, pour que le mythe progressiste de la Renaissance puisse naître. Il faut également nuancer le culte libéral de la Réforme — qui s’était consolidé sous la Restauration —, car quand bien même elle contribue à la modernité, le but n’est pas de remplacer une confession ou une élite par une autre. C’est alors plutôt une religion de l’homme qui justifie l’éloge de la modernité renaissante, à savoir ces chercheurs qui dévoileront à la nation les vérités des principes républicains comme la liberté et l’égalité qui restent encore à accomplir. Le culte libéral d’un Luther révolutionnaire se trouve ainsi quelque peu réduit et corrigé dans la pensée de Michelet.

Pour Edgar Quinet, la Réforme annonce également les révolutions morales et politiques de l’avenir24 ; elle marque, à l’instar de la Révolution, une véritable césure historique : « La réforme a réussi dans tout ce qu’elle a voulu. Quinze siècles sont supprimés ; il n’y a plus aucun obstacle à ce que l’Église primitive recommence25. » Luther a réussi à affranchir la conscience du pouvoir de l’Église et à affermir « l’autorité de l’individu26 », même s’il faudra attendre la Révolution française pour « accomplir les prophéties de Luther27 », c’est-à-dire transcender et laïciser le christianisme en une réforme politique et sociale : « La Révolution française accomplit ainsi ce qui, dans la réforme, était une utopie28. » La Réforme n’a pas pu empêcher que les libertés de l’homme, détournées de l’Église médiévale, connaissent un nouvel état de servitude avant de s’émanciper définitivement avec la Révolution française. Quinet ne conteste pas pour autant le lien entre protestantisme et démocratie, ni l’idée que Napoléon accomplira l’œuvre que Luther a annoncée. Néanmoins, pour l’instant, il considère qu’il faut regretter que « les masses de la nation française [aie]nt rejeté cette révolution. Plus papiste que le pape, plus royaliste que le roi, le peuple chez nous au seizième siècle a été l’adversaire de la liberté de conscience29. » Quinet distingue ainsi « d’un côté, la France de la ligue, le catholicisme impitoyable du concile de Trente » qui aboutira à l’absolutisme monarchique associé au jésuitisme et, d’autre part, « les nouveautés en matière de foi qui partout affectent l’état populaire, la république de Hollande, de Genève, les fondements de tous les États qui sont libres aujourd’hui », et qui déboucheront sur les « innovations modernes30 ». Si Quinet soutient comme Guizot que les principes de la Réforme ont échoué en France au xvie siècle, les raisons qu’il expose ne s’appuient pas sur une analyse de philosophie historique, mais sur une réflexion sociologique qui souligne l’impréparation culturelle d’un peuple à comprendre les enjeux politiques et sociaux de la Réforme qui auraient pu être à l’origine de son émancipation31.

Pour conclure, disons que dans une écriture de l’histoire plus proche des positions républicaines, les revendications des protestants d’hier coïncident avec celles du peuple d’aujourd’hui et non avec celles d’une classe capacitaire éclairée ainsi que pouvait l’entendre la pensée libérale ou doctrinaire sous la Restauration. Auguste Trognon, suppléant de Guizot à la Sorbonne et rédacteur du Globe, soutenait en effet que

cette secte huguenote, ces deux millions d’hommes, si mal voulus alors de l’autorité, n’étaient autres que les représentans de cette classe moyenne, toujours en instance devant le pouvoir pour en obtenir une condition de vivre tranquille et libre, et toujours forcée de recourir aux armes pour la lui arracher32.

Dans une lecture libérale, Luther fonde les bases de la révolution « libérale » qui trouvera un point d’aboutissement après les Trois Glorieuses, au moment où le libéralisme quitte l’opposition et se trouve au gouvernement. Dans un esprit républicain Luther reste un révolutionnaire, certes, mais il est moins moderne que d’autres et son importance se trouve de ce fait réduite, voire nuancée, comme chez Michelet, ou alors ses idées révolutionnaires restent incomprises et sans lendemain, comme chez Guizot. C’est pour cette raison que l’on attend toujours une véritable révolution grâce à laquelle tout le peuple sera émancipé, et pas seulement, pour le dire avec Auguste Trognon, « les représentants de cette classe moyenne ».

Luther en fiction : rationnel, révolutionnaire, républicain

La mise en intrigue de la Réforme dans les textes littéraires est redevable en règle générale d’une interprétation de l’histoire qui est proche des positions libérales. Par son esprit d’examen, Luther anticipe le rationalisme des Lumières, la révolution de 1789 ainsi que le libéralisme parlementaire. Il devient soit un personnage auquel on consacre des romans historiques ou des pièces de théâtre, soit une référence à laquelle on fait allusion pour qualifier un personnage et ses actions. L’intérêt pour l’esprit protestant n’est donc guère confessionnel ou théologique. La conversion au credo réformé n’est pas dictée par une illumination spirituelle ou par la restauration d’une foi, mais par la volonté de s’opposer à l’autorité d’une religion dogmatique qui fait abstraction de la raison et qui doit ainsi être considérée comme antilibérale et antimoderne. La conversion rationnelle au protestantisme est mise en scène dans la tragédie Une famille au temps de Luther (1836) du libéral Jean-François Casimir Delavigne. Luigi, le père d’Elci, abjure la foi catholique pour se convertir « rationnellement » à une religion plus tolérante et plus appropriée à une société au seuil de la modernité :

J’aurais tort d’exprimer un désir.
N’obéis pas, choisis ; mais attends pour choisir,
Attends, pour abjurer le culte que j’abjure ;
Ce qu’il faut consulter, quand ton âme plus mûre
Aura pu s’éclairer par la comparaison,
Ce n’est pas mon exemple, Elci, c’est ta raison33.

Le personnage de Luigi incarne tous ces catholiques dubitatifs dont la foi est ébranlée par l’esprit rationaliste, catégorie nombreuse à en croire le recenseur des Mémoires de Luther de Michelet (1835) :

Ils [les catholiques en crise] sont en proie à la lutte pénible de leur raison contre leur éducation d’enfance : poussés par la première dans la voie des lumières et des idées progressives, ils se sentent encore retenus par les liens de la seconde qu’ils ont de la difficulté à secouer34.

Le catholicisme s’inscrit du côté du passé par le respect des traditions et des autorités vénérables, alors que le protestantisme annonce la marche hégélienne en avant vers la modernité inaugurée au xvie siècle grâce à la raison individuelle comme fin de l’histoire. Même si Luther n’est pas l’un des personnages de cette tragédie, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre Français le 19 avril 1936, il symbolise l’esprit de tout un siècle ainsi qu’une nouvelle posture philosophique qui émerge dès la première modernité.

Mais comment est-il possible de concilier cet héritage rationnel des Lumières avec ce qu’il y a d’irrationnel dans le romantisme et dans une modernité post-révolutionnaire ? L’œuvre de Stendhal illustre cette tension. D’après lui, le véritable fait dominant du xvie siècle reste également le mouvement révolutionnaire de la Réforme, « la plus grande action des temps modernes35 », et cela malgré tous les crimes qui ont été commis par les chefs de la Réforme. Cette lecture, qui fait de la Réforme un événement extraordinaire de l’histoire et qui insiste également sur son fanatisme religieux, n’est pas différente de celle de Voltaire ou de Chateaubriand, mais les conclusions qu’il en tire sont différentes. Stendhal considère l’examen personnel comme un principe essentiel de cette modernité, promue par Luther, relayée et sécularisée par les Lumières36 et poursuivie, à son époque, par les libéraux, car il y voit l’origine du progrès et du gouvernement représentatif37. C’est en effet par rapport à cet esprit rationnel et moderne que Luther est évoqué dans Le Rouge et le noir (1830). Julien Sorel est surnommé par ses camarades « MARTIN LUTHER », à cause de son « infernale logique qui le rend si fier38 », de son « esprit fort » et parce qu’« il jugeait par lui-même, au lieu de suivre aveuglément l’autorité et l’exemple39 ». Fils spirituel de l’abbé Chélan, qui lui apprend la lecture de la Bible et non celle de la Tradition patristique, Julien est soupçonné de jansénisme. Le directeur du séminaire s’interroge à ce propos : « À quoi mène ce raisonnement infini sur les saintes Ecritures, pensa l’abbé Pirard, si ce n’est à l’examen personnel, c’est-à-dire au plus affreux protestantisme40 ? »

Or la notion d’esprit d’examen l’oppose à celle, plus psychologique et stendhalienne, de l’affirmation énergique du moi, si ce n’est que les passions imprudentes de cette « âme de feu41 » ont besoin du pendant de la raison pour prendre conscience d’elles-mêmes et se libérer d’une « prison morale » qui empêcherait Julien de vivre selon sa volonté et ses désirs, fussent-ils imprévisibles. Julien Sorel est dès lors dominé par une attitude protestante qui le rend froid et calculateur et qui lui assure une ascension sociale ; seule une énergie instinctive et impromptue le vouera à sa perte, tout en lui faisant ressentir enfin le frisson du bonheur. En tant que nouveau Luther et fervent admirateur de Napoléon (pour Quinet, ce dernier accomplit la révolution commencée par le moine allemand), Julien représente dans le roman cette posture que l’on pourrait qualifier de « protestante » et « moderne » à la fois. Énergie et esprit d’examen sembleraient néanmoins inconciliables, car ce contraste, qui est courant dans l’œuvre de Stendhal, inscrit la libre confiance du cœur à l’opposé de la méfiance rationnelle de l’esprit critique. Dans Lucien Leuwen, Mme de Chasteller, qui hésite sur la conduite morale à adopter, se rappelle l’enseignement d’une religieuse « qui s’était emparée de son esprit » dans son enfance : « Car c’est une impiété, une témérité menant au protestantisme que de dire à une petite fille : Faites telle chose parce qu’elle est raisonnable. Faites cela par amitié pour moi répond à tout, et ne conduit pas à examiner ce qui est raisonnable ou non42. » Le Rouge et le noir problématise cette conciliation difficile entre une modernité rationnelle commencée avec Luther et aboutissant à la Révolution et à Napoléon, avec les passions énergiques et incontrôlables d’une société postrévolutionnaire. Stendhal récupère la légende libérale de Luther, mais pour en relever les limites d’après une perspective romantique.

Balzac ne rejette pas en bloc l’interprétation libérale de l’histoire ; il partage avec Stendhal la généalogie de l’esprit révolutionnaire : « les idées de Luther ont engendré Calvin, qui engendra Bayle, qui engendra Voltaire, qui engendra l’opposition constitutionnelle, enfin l’esprit de discussion et d’examen43 ». Conformément à l’image courante qui fait de Rabelais un protestant et un libre penseur44, Balzac voit dans le rire pantagruélique et dans le début du xviesiècle l’émergence du doute qui fait naître l’ironie et le scepticisme :

Or, voici l’ère de Gargantua. On boit plus sec, on mange sans jamais perdre l’appétit : l’élément physique de l’homme se trouve déifié par cette ironie matérialiste, qui semble une prédiction du dix-huitième siècle, et un oracle des destinées futures auxquelles le monde est réservé45.

Les différences se cristallisent au niveau des conséquences politiques de cet esprit d’examen et de cette « ironie matérialiste ». La Réforme est ainsi rapprochée de la Révolution, car le soulèvement des esprits procède d’une liberté de conscience qui mène à l’insurrection : « Qui dit examen, dit révolte. Toute révolte est, ou le manteau sous lequel se cache un prince, ou les langes d’une domination nouvelle », affirme-t-il dans Le Martyr calviniste46. Cette révolte affaiblit l’unité sacrée du pouvoir monarchique et mène inévitablement à la désobéissance au roi et donc, plus tard, à l’éclatement et à la dissolution de l’État. L’esprit d’examen est par défaut antimonarchique et anticlérical. Un lien indissoluble existe dès lors entre la Réforme et la République47 ou un régime parlementaire : « l’esprit de sédition contre les doctrines religieuses et monarchiques a poussé des racines profondes, où le système d’examen né du protestantisme et qui s’appelle aujourd’hui libéralisme, quitte à prendre demain un autre nom, s’étend à toutes choses48 ».

Cette dernière phrase est emblématique d’une interprétation idéologique et donc prévenue de la Réforme, car ni Luther ni Calvin n’ont jamais soutenu l’anarchie ou la lutte armée. Balzac retient l’interprétation cléricale et réactionnaire d’une Réforme vue à travers le prisme de Bossuet et de la philosophie contre-révolutionnaire, qu’il emploie de façon analogue afin d’inscrire sa pensée dans une optique conservatrice de l’histoire :

Les factieux d’aujourd’hui continuent Luther. Ils se servent des idées au lieu d’employer les armes. Etre libre, selon eux, c’est exister socialement sans loi. Ils en sont arrivés là en continuant à délier l’homme civil, comme Luther et Calvin ont délié l’homme religieux49.

Les références au xvie siècle deviennent plus explicites si elles sont mises en perspective avec le débat contemporain sur l’émergence d’un individualisme qui procède de la Réforme et qui se propage comme une maladie dans la société française postrévolutionnaire (« l es malheurs de l Individualisme, la plaie de la France actuelle et dont le germe était dans les questions de liberté de conscience agitées par eux [les protestants]50 »). Le juge de paix M. Clousier, l’un des personnages du Curé de village (1839), se fait ainsi le porte-parole de ce discours hostile à l’évolution des mœurs :

À en juger par ce qui arrive depuis un an, […], ce changement est une prime donnée au mal qui nous dévore, à l’individualisme. D’ici à quinze ans, toute question généreuse se traduira par : Qu’est-ce que cela me fait ? le grand cri du Libre Arbitre descendu des hauteurs religieuses où l’ont introduit Luther, Zwingle et Knox jusque dans l’économie politique […]. Cet égoïsme est le résultat des vices de notre législation civile, un peu trop précipitamment faite, et à laquelle la révolution de Juillet vient de donner une terrible consécration51.

La pensée bonaldienne dans l’œuvre de Balzac se lit à travers cette critique du matérialisme et de l’utilitarisme bourgeois, de l’individualisme antisocial, de la dissolution ou de la limitation de l’autorité monarchique et ecclésiastique suite au parlementarisme, ainsi qu’à travers un certain providentialisme et la prédiction apocalyptique de l’avenir. Dans la pensée conservatrice, l’individualisme est effectivement le résultat de la Réforme, et il mine les autorités institutionnelles et sociales comme l’État, la religion et la famille. C’est par exemple l’opinion de Joseph de Maistre qui se demande, à ce sujet, « qu’est-ce que le protestantisme ? C’est l’insurrection de la raison individuelle contre la raison générale ; et par conséquent c’est tout ce qu’on peut imaginer de plus mauvais52. » À un catholicisme social est opposé ainsi un protestantisme individualiste.

En réalité, les interprétations libérales ne sont pas asociales, comme le supposent ses détracteurs, car il ne s’agit pas de nier la société mais de limiter les abus et l’exercice illégitime du pouvoir. L’individualisme correspond à une forme de la liberté de pensée, soutenue par la raison et par le culte de l’être humain. On loue la force de volonté des individus qui n’hésitent pas à imposer leur indépendance intellectuelle : à la suite de Philarète Chasles53, François Mignet rapproche — bien avant Michelet — Luther de Copernic et de Christophe Colomb, des héros ayant poussé jusqu’au bout leurs convictions et leur esprit critique au point d’aller à contre-courant54.

À l’instar de Balzac, l’interprétation libérale évoque les risques du grand nombre, tout en légitimant la révolte des réformés en cas de nécessité ; c’est dans cette crainte que la légende libérale de Luther se démarque d’une interprétation républicaine d’après laquelle le moine allemand incite le peuple à la mobilisation. Après le Luther rationnel, c’est l’image d’un Luther en action et s’adressant au peuple qui est thématisée. Pierre Rosanvallon parle d’une «culture de l’Insurrection » sous la monarchie de Juillet, qui se confond avec le peuple lui-même55. Sous l’impulsion des circonstances insurrectionnelles, l’image révolutionnaire de Luther et de la Réforme est validée, sans pour autant cautionner l’idée qu’elle soit toujours porteuse de libertés démocratiques. La pièce Luther de Zacharias Werner bénéficie de deux traductions qui montrent bien le glissement idéologique avant et après 1830. La première traduction en prose par Michel Berr, parue en 1823, souligne le mysticisme et la liberté intellectuelle du Réformateur, ainsi que la lumière et la vérité comme sources d’affranchissement de l’esprit humain56. La pièce de Werner paraît dans une nouvelle traduction en 1834, en vers cette fois, par Léon Halévy : Luther est un révolutionnaire, un promoteur du progrès social et d’un peuple qu’il veut souverain. Dans l’avertissement liminaire, Halévy avoue qu’il est fort opportun de diffuser une nouvelle traduction française — dont Thiers interdira la représentation — puisqu’il faut combattre les faux amis du progrès, des libertés modernes et du renouveau chrétien :

Luther, ce grand philosophe chrétien, cet intrépide champion de la liberté politique et religieuse, est un des plus beaux caractères qui puissent s’offrir aux respects et aux méditations du poète ; de même que le xvie siècle, cette époque de rénovation sociale, fixera toujours les regards reconnaissans de l’humanité. […] j’ai cru l’époque favorable pour la publication de cette œuvre ; car il est urgent que tous les amis du progrès et de la raison se réunissent pour pousser dans une direction d’avenir le sentiment religieux qui cherche à renaître, et que certaines passions politiques voudraient exploiter dans un sens purement rétrograde. Malheur à nous, s’il fallait renoncer aux conquêtes, fruit du sang et du génie de nos pères, parce que l’ennemi est là, s’efforçant de fonder sur le doute de quelques esprits généreux, et sur la ruine de quelques espérances, le rétablissement de son empire57 !

Luther est plus philosophe que prêtre, « ami du peuple et citoyen fidèle58 », défenseur du bien public et des intérêts de la classe la plus nécessiteuse de son pays. Le Réformateur soutient les principes républicains d’une révolution qui reste à accomplir, au service du vrai progrès de l’esprit conformément aux exigences démocratiques les plus actuelles :

Luther (au peuple) : Mort et destruction à l’esprit d’imposture59 !

Luther : « Secouons du passé l’importun souvenir !
Marchons à l’âge d’or : il est dans l’avenir !
Et ! quel temps fut jamais plus riche en espérances ! […]
Moi, je veux que chacun se meuve en liberté60 !

Avant de nous lever, encore une santé !.
Aux pauvres gens, au peuple, à la fraternité61 !

Tout défenseur du peuple est l’envoyé de Dieu62 !

Pour conclure, on peut retenir que si, dans une perspective libérale, Luther annonce un esprit révolutionnaire qui s’est incarné dans le gouvernement représentatif, dans une perspective républicaine, en particulier sous la monarchie de Juillet, il annonce les révolutions à venir. Alexandre Barginet écrit un roman intitulé Martin Luther (1839) avec, sur la page de titre, une épigraphe du moine allemand qui inscrit l’espoir du renouveau social et politique du côté de l’insurrection intellectuelle : « C’est par la parole qu’il faut combattre, par la parole qu’il faut vaincre, par la parole qu’il faut détruire ce qu’ils ont élevé par la force et par la violence ! » Barginet relève le « principe social de la réformation63 » dont l’actuation politique s’accomplira dans l’avenir. Il estime que « la société actuelle attend son Luther64 » afin que puisse s’accomplir sa prophétie, à savoir la « rénovation de l’humanité » : « Alors, il n’y aura plus ni riches, ni pauvres ; ni tyrans, ni esclaves ; ni oppresseurs, ni opprimés ; il n’y aura que des hommes libres, unis par les mêmes lois et suivant le même évangile65 ». En partant d’un parallèle avec le matérialisme et la corruption de la cour romaine, l’auteur désapprouve l’industrialisme saint-simonien, générateur de prolétarisation et donc de dégénérescence morale : « Il y a une analogie frappante entre la situation morale de notre époque et celle qui affectait l’Europe au seizième siècle avant la réforme. Une vague préoccupation d’avenir, un sentiment confus encore d’une rénovation nécessaire agite les esprits66. » Seule une religion philosophique expliquée par la raison réussira à sortir l’humanité de son impasse.

Luther est représenté tantôt comme le précurseur d’une modernité révolutionnaire qui sera réalisée et qui s’incarnera dans les idées du libéralisme et du gouvernement représentatif sous la monarchie de Juillet, tantôt comme le visionnaire d’une révolution en cours qui reste toujours à être exécutée ; pour les uns il assure l’émancipation de l’esprit humain sous l’autorité d’une élite éclairée, pour d’autres il est celui qui est destiné à guider l’insurrection populaire au nom de la liberté et de l’égalité, mais tous partagent l’image d’un Luther révolutionnaire.

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1. Voir, par exemple, Griffith Gwynne, Madame de Staël et la Révolution française : politique, philosophie, littérature, Paris : Nizet, 1969, p. 211ss, à propos des Considérations sur les principaux événements de la Révolution française (1818) de Mme de Staël.

2. Stanley MELLON, The Political Uses of History in the French Restauration, Stanford : Stanford University Press, 1958, p. 8 (« liberal past »).

3. Ibid., p. 5-57 (« The liberal version of the French Revolution » et « The Revolution in the Restoration »).

4. Frédéric Ancillon, Tableau des révolutions du système politique de ll’Europe depuis la fin du XVe siècle, Paris, 1803, t. II, p. 51-52.

5. C’est le cas dans les Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte de Hegel, parues en 1837 mais données entre 1822 et 1831 ; voir Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Leçons sur la philosophie de l’histoire, tr. J. Gibelin, Paris : Vrin, 1979, p. 315-346.

6. François-René de CHATEAUBRIAND, Essai sur les révolutions. Génie du christianisme, éd. Maurice Regard, Paris : Gallimard Pléiade, 1978, p. 395. Cette querelle entre augustins et dominicains, qui remonte aux Commentaria de actis et scriptis Martin Lutheri (1549) de Johannes Cochlaeus, avait été infirmée par l’historiographie protestante au xviie siècle, en particulier par Veit Ludwig von Seckendorf (Commentarius historicus et apologeticus de Lutheranismo, 1692) ; voir Adolf HERTE, Das katholische Lutherbild im Bann des Cochlaeus, Münster : Aschendorf, 1943, 3 vol.

7. Bossuet, Oraison funèbre de Henriette de France, in Oraisons funèbres, éd. J. Truchet, Paris : Garnier, 1961, p. 125-130 ; Id., Histoire des variations des Églises protestantes. Voir Alfred RÉbelliau, Bossuet historien du protestantisme. Étude sur l’Histoire des variations et sur la controverse entre les protestants et les catholiques au dix-septième siècle, Paris, Hachette, 1891.

8. Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations et sur les principaux faits de l’histoire depuis Charlemagne jusqu’à Louis XIII, éd. R. Pomeau, Paris : Garnier, 1963, t. II, p. 217.

9. Voir Louis TRENARD, « Voltaire, historien de la Réforme en France », dans : Philippe JOUTARD (dir.), Historiographie de la Réforme, Paris — Neuchâtel — Montréal : Delachaux & Niestlé, 1977, p. 156-170. Voltaire reprend à son compte l’« anti-protestantisme » de Pierre Bayle (voir Ruth WHELAN, « Images de la Réforme chez Pierre Bayle ou l’histoire d’une déception », Revue de théologie et de philosophie 122, (1990), p. 85-107 ; Hubert BosT, « L’histoire des Églises réformées de France dans le Dictionnaire de Bayle », dans : Jens HÄSELER — Antony MCKENNA, La vie intellectuelle aux Refuges protestants, Paris : Champion, 1999, p. 227-252 ; à propos de Luther chez Bayle, voir la contribution de Pierre-Olivier LÉCHOT dans le présent volume).

10. Charles HéNAULT, François II, roi de France (1747), acte I, scène 6 ; cité par Nicole CAZAURAN, Catherine de Médicis et son temps dans La Comédie humaine, Genève : Droz, 1976, p. 115 ; à propos de cette pièce, voir Frédéric BIDOUZE, « Autour du François II du Président Hénault (1747) », dans Paul MIRONNEAU — Gérard LAHOUATI (éd.), Figures de l’histoire de France dans le théâtre au tournant des Lumières (1760-1830), Oxford : Voltaire Foundation, 2007, p. 65-79.

11. Charles DE VILLERS, Essai sur l’esprit et l’influence de la réformation de Luther, Paris : Henrichs, 1804, p. 242-243 (réédité en 1820) ; sur cette question, voir Yvonne KNIBIELHER, « Réforme et Révolution d’après Charles de Villers », dans Ph. JOUTARD (dir.), Historiographie de la Réforme, p. 171-182.

12. François GUIZOT, Cours d’histoire moderne : histoire générale de la civilisation en Europe depuis la chute de l’empire romain jusqu’à la Révolution française, Paris : Pichon et Didier, 1828 (12e leçon, 4 juillet 1828), p. 12-13. Sur ce sujet, voir Paul VIALLANEIX, « F. Guizot : modernité de la Réforme », dans : Simone BERNARD-GRIFFITHS, Guy DEMERSON et Pierre GLAUDES (éd.), Images de la Réforme au XIXe siècle, actes du colloque de Clermont-Ferrand (9-10 novembre 1990), Besançon : Université de Besançon, 1992, p. 69-78 ; Pierre ROSANVALLON, « Guizot et la Révolution française », dans : Marina VALENSISE (éd.), François Guizot et la culture politique de son temps, colloque de la Fondation Guizot-Val Richer, Paris : Gallimard — Seuil, 1991.

13. François GUIZOT, Du gouvernement, 1820, p. 201 (cité par Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, Paris : Gallimard, 1985, p. 88).

14. Ouvrage commencé à partir de 1826, et annoncé par l’article « Martin Luther » paru dans la Revue des deux mondes, t. 5 (1832), p. 555-562.

15. Jules MICHELET, Mémoires de Luther écrits par lui-même, éd. C. Mettra, Paris : Mercure de France, 1990, p. 35-36.

16. Sur les considérations mitigées de Michelet à l’égard de Luther, voir Gabriel MONOD, La Vie et la pensée de Jules Michelet : cours professé au Collège de France (1798-1858), Paris : Champion, 1923, t. I, p. 338 ; et surtout Irène TIEDER, « Les Mémoires de Luther de Michelet : une autobiographie en clair obscur », dans Images de la Réforme au XIXe siècle, op. cit., p. 79-90 ; EAD., Michelet et Luther, histoire d’une rencontre. A propos des Mémoires de Luther, Paris : Didier, 1976.

17. Voir Pierre BÉNICHOU, Le Temps des prophètes, Paris : Gallimard, 1977, p. 497-564. Voir aussi Lionel GOSSMAN, « Jules Michelet and Romantic Historiography » et « Michelet’s Gospel of Revolution », dans ID., Between History and Literature, Harvard : Harvard University Press, 1990, p. 152-224.

18. J. Michelet, Cours au Collège de France, op. cit., t. I, p. 456.

19. Ibid., p. 666 (« 1844. Rome et la France »).

20. J. MICHELET, Renaissance et Réforme : histoire de France au XVIe siècle, préf. de Cl. Mettra, Paris : Robert Laffont Bouquins, 1982, p. 108.

21. Sur l’humanitarisme de Michelet, voir P. BENICHOU, Le Temps des prophètes, op. cit, p. 497-564.

22. J. Michelet, Cours au Collège de France, op. cit., t. I, p. 353.

23. Voir la leçon du 21 juin 1841 « Ceux qui cherchent la foi » du cours Eternelle Renaissance (Cours au Collège de France, éd. Paul Viallaneix et alii, Paris : Gallimard, 1995, t. I, p. 458 : « Il y a un moyen sûr d’obscurcir toute cette histoire [la recherche d’une foi et de l’infini], c’est d’en faire un accident du protestantisme, c’est de rattacher l’histoire éternelle de la liberté aux petites affaires de Genève et de Calvin, de subordonner les libres-penseurs au théologien fataliste qui supprimait le repentir, la pénitence, qui sauvait ou damnait d’avance. Il ne faut pas enfermer cela dans un coin de la théologie, mais le prendre dans l’histoire totale de l’esprit humain. »)

24. Quinet affirmera : « la grande révolution religieuse du seizième siècle, qui renferme en germe toutes les révolutions morales et politiques de l’avenir ! » (Edgar QUINET, « Philosophie de l’Histoire de France », Revue des deux mondes IX (1855), repris dans Œuvres complètes, Paris : Pagnerre, 1857, p. 395.

25. Edgar QUINET, Le Christianisme et la révolution française [1845], Paris : Fayard, 1984, p. 181. Voir aussi, de QuiNET, « De l’Allemagne et de la Révolution », Revue des deux mondes, janvier 1832, p. 12-45.

26. Ibid., p. 178.

27. Ibid., p. 183.

28. Ibid., p. 183.

29. E. QUINET, Philosophie de l’Histoire de France [1855], dans Œuvres complètes, éd. cit., p. 395.

30. Ibid., p. 396, mais les mêmes propos se trouvent déjà dans Le Christianisme et la Révolution française, éd. cit., p. 199-200. Sur la Réforme comme modèle subversif et sur le lien entre protestantisme et esprit républicain, voir Simone BERNARD-GRIFFITHS, « La Réforme dans l’historiographie d’Edgar Quinet », dans Images de la Réforme au XIXe siècle, op. cit., p. 91-130 ; Nathalie RICHARD, « Pourquoi la Révolution a échoué : Réforme et révolution chez Quinet », dans : Didier MASSEAU — Jean-Jacques TATIN-GOURIER (éd.), Les Représentations du xvie siècle et de la Renaissance aux xviiie et XIXe siècles, actes du colloque du CESR, Tours, Université de Tours, 2002, p. 149-157.

31. D’après Philarète CHASLES, le peuple français a pris le parti de la Ligue et de la défense de l’absolutisme, alors que les innovations modernes offertes par la Réforme ont été accueillies par « les gentilshommes de province qui se rapprochaient le plus de l’organisation féodale ou germanique » (De la Révolution religieuse au XVIe siècle et de la Ligue en France, dans ID., Études sur le seizième siècle, Paris : Amyot, 1848, p. 290), car ils étaient cohérents avec leurs principes de liberté et d’indépendance du joug romain. Selon Chasles, cette vision anti-romaine de la Réforme, qui s’aligne sur la théorie germaniste, est reprise, dans les siècles suivants, par d’autres mouvements anti-romains, par exemple le gallicanisme, le jansénisme, le philosophisme des Lumières et les principes politiques de la Révolution (ibid., p. 294-295).

32. Auguste TROGNON, Études sur lhistoire de France et sur quelques points de l’histoire moderne, Paris : Joubert, 1836 : « Sur les guerres de religion du seizième siècle en France », p. 279.

33. Casimir Delavigne, Œuvres complètes. Théâtre. Messéniennes. Poésies populaires et diverses. Œuvres posthumes. Derniers chants. Poëmes et Ballades sur l’Italie, Paris : Didier, 1855, p. 332 ; le topos du protestantisme rationnel se lit également aux p. 342-343.

34. Dans la Revue critique de tous les livres ; cité dans Irène Tieder, Michelet et Luther. Histoire d’une rencontre, Paris : Didier, 1976, p. 141.

35. STENDHAL, Voyages en France, éd. V. Del Litto, Paris : Gallimard Pléiade, 1992, p. 455.

36. Stendhal considère que « Voltaire est le successeur de Luther » (Promenades dans Rome, dans Voyages en Italie, éd. cit., p. 907). Voir aussi Vie de Henri Brulard, dans Œuvres intimes, éd. V. Del Litto, t. I, Paris : Gallimard Pléiade, 1982, p. 37.

37. Voir aussi Le Rouge et le noir [I, 26], dans Œuvres romanesques complètes I, éd. Y. Ansel et Ph. Berthier, Paris : Gallimard Pléiade, 2005, p. 196 : « Depuis Voltaire, depuis le gouvernement des deux chambres, qui n’est au fond que méfiance et examen personnel, et donne à l’esprit des peuples cette mauvaise habitude de se méfier, l’Église de France semble avoir compris que les livres sont ses vrais ennemis. Réussir dans les études, même sacrées, lui est suspect, et à bon droit. Qui empêchera l’homme supérieur de passer de l’autre côté comme Sieyès ou Grégoire ! »

38. Ibid., p. 519 [I, 27].

39. Ibid., p. 511 [I, 26].

40. Ibid., p. 505 [I, 25].

41. Ibid., p. 430 [I, 16].

42. STENDHAL, Lucien Leuwen, dans Œuvres romanesques complètes, t. II, éd. Y. Ansel, Ph. Berthier et X. Bourdenet, Paris : Gallimard Pléiade, 2007, p. 226.

43. Honoré de Balzac, Aventures administratives d’une idée heureuse et patriotique (1834), cité par Philippe Bertault, Balzac et la religion, Paris : Boivin, 1942.

44. Cf. Auguste BARON, Résumé de l’histoire de la littérature française, Paris : A. Delalain, 1835 ; cité par Maurice LECUYER, Balzac et Rabelais, Paris : Les Belles lettres, 1956, p. 63.

45. H. de BALZAC, Romans et contes philosophiques, 1831, introduction ; cités par Maurice LECUYER, Balzac et Rabelais, op . cit., p. 105-106. Voir aussi « L’ère de Rabelais a expiré. Celle qu’il annonçait parcourt son cycle et l’accomplit. Ce ne sont plus les ravages de la pensée idéaliste, mais ceux du sensualisme analytique, que le conteur philosophe peut retracer aujourd’hui » (ibid., p. 106).

46. H. de BALZAC, La Comédie Humaine, éd. sous la dir. Pierre-Georges Castex, Paris : Gallimard Pléiade, 1976-1981, t. XI, p. 216.

47. Cet aspect à été traité par Nicole CAZAURAN, « Réforme et République », dans : Catherine de Médicis et son temps dans La Comédie humaine, Genève : Droz, 1976, notamment p. 114-129.

48. Le Curé de village, dans La Comédie humaine, éd. cit., t. IX, p. 702.

49. H. de BALZAC, Pensées, Sujets, Fragments, éd. Jacques Crépet, Paris, A. Blaizot, 1910, p. 49 ; cité dans Ph. BERTAULT, Balzac et la religion, op. cit., p. 479.

50. H. de BALZAC, Sur Catherine deMédicis, éd. cit., p. 172.

51. H. de BALZAC, Le Curé de village, éd. cit., p. 814.

52. Joseph DE MAISTRE, Sur le protestantisme, dans Œuvres, suivies d’un Dictionnaire, éd. P. Glaudes, Paris : Robert Laffont, 2007, p. 311 ; voir Pierre GLAUDES, « Protestantisme et souveraineté chez Joseph de Maistre », dans Images de la Réforme au XIXe siècle, op. cit., p. 35-54, ainsi que son introduction aux Œuvres, éd. cit., p. 293-311.

53. Philarète CHASLES, Discours sur la vie et les œuvres de Jacques-Auguste de Thou, lu dans la séance publique [de l’Académie française] du 25 août 1824, Paris : Firmin Didot, 1824, p. 11, célébrait déjà ce triumvirat renaissant de la curiosité moderne qui révolutionne le monde de l’esprit : « Colomb agrandit le monde : Galilée reforme le ciel : Luther bouleverse l’église. »

54. François MIGNET, « Luther à la diète de Worms », Revue des deux mondes, 2 (1835), p. 318 : « Ainsi, vers le même temps, Colomb ouvrait les mers à l’activité de l’homme ; Copernic, les cieux à ses recherches, et Luther, des régions sans bornes à son indépendance. Ces trois grands représentants du mouvement moderne donnèrent alors au genre humain, Colomb, un continent nouveau ; Copernic, la loi des mondes ; Luther, le droit d’examen. »

55. P Rosanvallon, La Démocratie inachevée : histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris : Gallimard, 2000, p. 130.

56. Paru dans les Chefs-d’œuvre du théâtre allemand, Paris : Ladvocat, 1823, t. 17.

57. Léon HALéVY, Luther, poème dramatique en cinq parties, 1834, avertissement liminaire. Voir Emil WISMER, Der Einfluss des deutschen Romantikers Zacharias Werner in Frankreich (1928), Bern : Lang, 1968 ; Elisabeth SCHEELE, « Le Luther de Zacharias Werner vu par Stendhal et Goethe », dans : Michel ARROUS et al. (éd.), Une liberté orageuse, , Paris : Eurédit, 2004, p. 373-385.

58. Léon HALéVY, Luther, op. cit, p. 151.

59. Ibid, acte I, 8, p. 42. La foi de Luther « c’est la liberté, l’amour et la justice ! » (p. 136).

60. Ibid., II, 4, p. 68.

61. Ibid., acte II, 4, p. 73. Voir aussi Luther qui regrette l’état d’esclavage du peuple (p. 100-105).

62. Ibid, p. 117.

63. Alexandre BARGINET, Martin Luther (1505-1546), Paris : J. Laisné, 1839, t. I, p. 21.

64. Ibid., p. 31 ; voir aussi t. II, p. 395 : « Qu’il soit né sur un trône ou dans le peuple, parmi vos fils, que vous importe ! il sera appelé pour vous guider. »

65. Ibid., t. II, p. 394. Voir aussi t. I., p. 31 : « la PAROLE reprendra son empire sur l’humanité désolée ; c’est alors seulement que commencera cette réformation auguste, vainement cherchée dans les voies d’un matérialisme absorbant. »

66. Ibid., p. 29.