Philippe VASSAUX, pasteur, historien du protestantisme (1938-2016)
Né le 10 avril 1938 dans une famille de juristes, le pasteur Philippe Vassaux, membre du comité de notre Société depuis 1980, s’est éteint le 20 février 2016. Un culte d’action de grâces a réuni sa famille et ses amis, nombreux, à l’Oratoire du Louvre le 12 mars suivant. C’est dans la traduction de Sébastien Castellion de 1555, celle voulue par ce dernier pour que le message biblique soit « entendu du simple peuple », celle qu’il utilisait pour le culte familial, à la langue si belle et puissamment évocatrice, que furent lus les textes des Évangiles et les Psaumes qui ont nourri ce service commémoratif.
Philippe Vassaux manifesta très tôt une passion pour l’histoire. Après avoir hésité entre différentes voies, il s’oriente vers le pastorat, sous l’influence en particulier du pasteur Georges Marchal. Après ses études de théologie à Paris, puis à Strasbourg, il exerce son premier ministère à Remirmont dans les Vosges. Après quelques années, sa notoriété comme conférencier spécialisé en histoire du protestantisme conduisit plusieurs paroisses à le solliciter. Il choisit alors Mazamet, dans le Tarn, ville à l’histoire de laquelle, et notamment de sa communauté protestante, il consacrera un essai.
Après plusieurs postes d’aumônier militaire à la suite desquels il devient directeur de l’aumônerie protestante aux Armées, Philippe Vassaux fut appelé par l’Oratoire du Louvre où il exerça son ministère de 1985 à 1997. Puis il desservit les paroisses de Charleville-Mézières et de Sedan, avant de prendre sa retraite dans un petit village près de Luneray, en Seine-Maritime, dans un vieux terroir huguenot où, avec son épouse Madeleine, artiste peintre, il avait pu acquérir une grande demeure, mais à peine assez pour accueillir son immense bibliothèque, comme le constataient ceux qui venaient l’y visiter : les livres étaient partout, en rayons sur les murs, dans les escaliers, en piles parfois sur le sol de son bureau.
Philippe Vassaux était avant tout un homme de la Parole. Prédicateur puissant et inspiré, il préparait méthodiquement ses prêches, les charpentait solidement, savait retenir en permanence l’attention vigilante de l’assemblée à laquelle il s’adressait autant par la force démonstrative de son propos que par son originalité, d’autant qu’il ne lisait pas un texte préparé mais donnait libre cours à ses remarquables capacités oratoires, sachant entraîner, faire réfléchir et convaincre, en mobilisant aussi l’humour et maniant au besoin l’anecdote.
Ces mêmes qualités, il les mettait au service des innombrables conférences sur de multiples aspects de l’histoire du protestantisme que tout au long des années depuis très jeune il a tenues devant les auditoires les plus divers. Pour Philippe Vassaux en effet, comme il l’exprimait dans la préface donnée en 2005 à la troisième édition de La France protestante. Histoire et lieux de mémoire, ouvrage collectif sous la direction d’Henri Dubief et Jacques Poujol, « il n’y a pas de petite et de grande histoire, car elles se nourrissent l’une de l’autre». Il savait en particulier remarquablement chaque fois relier la double dimension de l’histoire souvent tragique de la minorité protestante et des lieux et des territoires qui encore et toujours aujourd’hui en font une mémoire au présent. Qui a eu la chance de l’accompagner dans ses visites du Paris protestant sait combien était riche et profond d’enseignements « le coup d’œil porté sur notre passé lié à une information sur nos lieux de mémoire », comme il le rappelait dans ce même texte. Pasteur à Sedan, il se réjouissait d’y retrouver les traces de Pierre Jurieu et de Pierre Bayle qui enseignèrent à la célèbre Académie protestante. En retraite active près de Dieppe, il fut jusqu’à ses dernières années président de la Société d’histoire du protestantisme de Normandie et sollicité bien au-delà pour faire partager son amour de l’histoire au plus grand nombre.
Philippe Vassaux n’a malheureusement pas eu le loisir de reprendre et de remettre en forme toutes ses interventions, qui auraient fourni la matière d’un ouvrage particulièrement riche et vivant. Plus généralement au demeurant, il n’eut pas le temps d’être autant qu’il aurait pu l’être un homme de l’écrit, pris qu’il était par ses activités paroissiales très lourdes et dans lesquelles il était tout entier engagé. S’il a régulièrement publié dans la revue Évangile et liberté de nombreux articles à caractère historique, nous sommes orphelins des livres à quoi tout l’appelait.
Président pendant vingt ans de La Cause, par fidélité familiale — son père, Eugène, était un proche ami de Freddy Durrleman, qui avait créé en 1920 cette œuvre protestante toujours active —, et par engagement dans le christianisme social, il fut aussi le conseiller éditorial des éditions qui en dépendent et dont l’histoire protestante est depuis toujours un axe majeur de diffusion.
Il y développa en particulier au moment du tricentenaire de la révocation de l’édit de Nantes la collection « Textes d’histoire protestante » qui vise à permettre au lecteur d’aujourd’hui d’avoir accès à des textes devenus introuvables, sous formes de pièces à l’appui d’une réflexion toujours à rouvrir. C’est dans cette collection qu’il republia en 1985, précédé d’une préface de sa main, le Mémoire pour le rappel des huguenots du maréchal de Vauban, publié pour la dernière fois en 1889 et qui depuis lors a fait l’objet de plusieurs rééditions par La Cause.
C’est également sur son initiative que La Cause republia en 1996 la dernière œuvre de Sébastien Castellion, De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, première édition depuis 1953 de cet ouvrage majeur resté inédit jusqu’en 1938. La préface érudite de Philippe Vassaux en éclaire magistralement le contexte et les enjeux : « un véritable traité de dogmatique chrétienne, un exposé systématique de la foi qui constitue une œuvre d’avant-garde [...] une remise en cause des valeurs spirituelles et théologiques du temps de la Réformation, d’une réforme de la Réforme ».
Le choix de ces ouvrages dit beaucoup de Philippe Vassaux. L’histoire est d’abord pour lui pensée critique. Son attachement à l’histoire protestante n’est en aucune façon un aveuglement. « Ne faisons pas de la Réformation du xvie siècle, dans une perspective hagiographique, un âge d’or qui n’a pas existé, mais tentons de défendre et d’illustrer les principes de la Réforme et d’apporter par cette voie une contribution au dialogue ente les Églises et au dialogue interreligieux » écrivait-il ainsi en préface à La France protestante.
Plus largement, il ne s’agit pas pour lui de demander au croyant de faire le sacrifice de sa raison ou de son intelligence. La foi doit être pensée, active, éthique.
C’est la conviction et l’exigence qui animaient Philippe Vassaux, dans sa double dimension de ministre de l’Évangile et d’historien du protestantisme. C’est celles qu’il a entendu léguer en héritage, quand il conclut ainsi le chapitre d’actualisation qu’il a ajouté à l’Histoire des protestants de France de Charles Bost pour sa réédition en 1992 : « L’avenir n’appartient qu’à Dieu. Pourra-t-il compter sur chacun de ses enfants ? »
Antoine DURRLEMAN