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Jules-Philippe GUITON, Je serai fusillé, Journal d’un pacifiste chrétien, préface de Patrick CABANEL, Maisons-Laffitte : Ampelos, 2016, 92 p.

Jules-Philippe Guiton, né en 1885 dans une famille méthodiste, est au Lesotho comme missionnaire quand la guerre l’appelle. Il laisse là-bas sa femme et ses deux enfants qui le rejoindront plus tard. Il avait demandé de servir comme brancardier, mais comme cela lui a été refusé, il est fantassin. Comme sergent, bien que pacifiste, il suit exactement ses obligations. Le regard qu’il porte sur la guerre est doublement extérieur, parce qu’il vient du Lesotho, et comme croyant. Dans son Journal, il a des annotations très justes sur la guerre. Il remarque ainsi que, en temps de guerre, le soldat se considère comme affranchi des règles de morale habituelle : il pille, détruit, trafique... Guiton juge aussi sévèrement les journaux protestants qui ne se démarquent pas du « bourrage de crâne » de la grande presse ; il est très choqué par celle (notamment catholique) qui fait du Poilu un miles Christi. Outré il écrit — en vain — à divers pasteurs et aumôniers. Certaines de ces lettres sont publiées en annexe.

Son attitude peut être comparée à celle de Norton Cru : comment parler de la guerre sans l’avoir faite ? Très vite il va se trouver devant un dilemme : comment servir deux maîtres, la patrie et le Christ ? Un temps, il se fixe une ligne de conduite : « comme sergent fais ce que l’on attend d’un sergent, comme individu, ne fais rien que ton Maître puisse désavouer. » Le conflit va se produire quand, ayant surmonté ses hésitations, et fortifié par la parabole du bon Samaritain, il sort des lignes françaises pour y ramener un blessé allemand — qui d’ailleurs mourra bientôt. Enfin, il a accompli un geste pour le Maître ! Mais justement, puisque c’était un geste gratuit, il refuse de décrire le poste allemand qu’il a vu, ne voulant pas mêler les deux plans. Et puis, de lui-même, il décide de ne plus combattre et aide les brancardiers. Il est menacé du Conseil de Guerre — d’où le titre — ce qu’il accepte plutôt facilement puisque désormais il ne se sent plus tiraillé entre deux exigences. Il est d’autant plus déterminé dans son attitude de refus qu’il est convaincu que c’est Dieu qui le conduit. Il aurait pu être fusillé. L’armée préfère l’évacuer dans un hôpital psychiatrique.

Réformé en novembre 1915, rendu à sa famille, il meurt de tuberculose deux ans plus tard. Dans sa préface, Patrick Cabanel replace ce parcours atypique dans le mouvement du pacifisme chrétien dont on a quelques autres exemples, mais moins radicaux.

Gabrielle CADIER-REY