Book Title

Albert GOOTJES, Claude Pajon (1626-1685) and the Academy of Saumur. The First Controversy over Grace, Leyde : Brill, 2014, 252 p.

Cet ouvrage reprend en partie la thèse soutenue par Albert Gootjes au Calvin Theological Seminary et consacrée à l’œuvre de Claude Pajon. Il est centré sur la première controverse autour des thèses de Claude Pajon durant les années 1660, lors de son élection à la troisième chaire de théologie de l’Académie de Saumur. Par la prise en compte d’un grand nombre de manuscrits, Albert Gootjes donne un éclairage renouvelé sur un théologien réformé méconnu de la deuxième moitié du xviie siècle. Cet anonymat relatif tient à ce que seuls trois écrits de Pajon furent publiés, deux œuvres de controverse anticatholique et son sermon devant le synode provincial d’Anjou, de Touraine et du Maine de 1665. Le reste de ses écrits, traités et lettres, n’a circulé qu’à l’état de manuscrits.

A. Gootjes retrace les origines de la pensée de Pajon dans les deux premiers chapitres. Le point de départ est, pour lui, la nomination de l’Écossais James Cameron à l’Académie de Saumur. Bien que ce dernier ne reste que peu de temps en poste (1618-1621), il a une grande influence sur le triumvirat qui fait par la suite la renommée de l’institution : Louis Cappel (en poste de 1626 à 1657), Josué de La Place (de 1631 à 1655) et Moïse Amyraut (de 1626 à 1664). La doctrine de Saumur, élaborée par Cameron, cherche à réconcilier la prédestination et la liberté individuelle dans le contexte du synode de Dordrecht (1618-1619). Christ est mort pour que tous soient sauvés mais Dieu rend capables de croire — et donc d’être sauvés — les seuls élus. La conception caméronienne est donc qualifiée d’« universalisme hypothétique ». Le point de départ des controverses entourant Pajon est le rôle du Saint-Esprit dans la conversion. Les théologiens orthodoxes divisent la grâce en une « grâce objective » — l’annonce de l’Évangile destinée à tous — et une « grâce subjective » ou « immédiate » — l’action du Saint-Esprit qui agit sur l’intelligence et la volonté pour rendre l’homme capable de croire. Pour Cameron, la volonté suit toujours l’intelligence, ce qui a pour conséquence de limiter l’action du Saint-Esprit.

Issu d’une famille nobiliaire de Sologne, Claude Pajon fait ses études de théologie à Saumur jusqu’aux années 1647-1649, durant lesquelles il est familiarisé avec la doctrine de Cameron. Il devient pasteur et rejoint la communauté de Marchenoir (Loir-et-Cher) en 1650. Entre ces deux dates, aucune source n’indique clairement l’activité de Pajon. A. Gootjes croit déceler dans cet intermède une présence à Blois, auprès de son tuteur, le pasteur Paul Testard, dont la fille épouse Pajon en 1651. Testard fut lui-même élève de Cameron et développe l’idée que le Saint-Esprit n’agit immédiatement ni sur l’intelligence, ni sur la volonté mais seulement à travers la prédication de l’Évangile. En réfutant la grâce immédiate, il défend une vision plus optimiste de l’humain, dont les facultés à faire le bien ont été polluées par la chute mais non détruites. Testard justifie sa position par les discussions qu’il aurait eues en privé avec Cameron à Saumur.

Albert Gootjes montre ensuite comment Claude Pajon adopte la pensée de son beau-père, notamment dans son ouvrage De natura efficacis gratiae ad amicum dissertatio au début des années 1660, œuvre revue et corrigée plusieurs fois jusqu’à la fin des années 1670. Pajon nie aux caméroniens modérés, tels Amyraut et ses collègues de Saumur, la possibilité d’expliquer comment se combinent la grâce objective et la grâce immédiate dans la conversion. Il en profite par ailleurs pour défendre Testard contre Amyraut, sans les citer nommément. Pajon ajoute que la Bible n’attribue rien de plus au Saint-Esprit dans la conversion qu’elle ne donne à la Parole qui « illumine l’Esprit » (Psaume 19.9), « éclaire les yeux » (Actes 26.18), « sanctifie le cœur » (Jean 17.17), « régénère l’homme » (Jacques 1.18, 1 Pierre 1.23) et « agit avec efficacité en lui » (1 The 2.13). Il reprend l’idée que les facultés n’ayant pas été détruites, il n’y a pas besoin d’une action du Saint-Esprit pour restaurer l’homme en dehors de celle qui a lieu lors de la prédication de l’Évangile. À cette époque, la controverse catholique assimile la doctrine de la grâce immédiate des réformés aux conceptions sur le Saint-Esprit des enthousiastes, disciples de Caspar Schwenckfeld, ou des anabaptistes. Pajon, très sensible à ce type d’argument, développe une conception plus rationaliste, afin de marquer une distance avec ces théologies protestantes plus radicales.

Au milieu des années 1660, l’Académie de Saumur sort affaiblie des oppositions entre le parti de Moïse Amyraut et celui d’Isaac d’Huisseau, lesquels s’affrontent pour la nomination de chaque nouveau professeur. À travers l’épisode la restauration de la troisième chaire de théologie, Albert Gootjes insiste sur le souhait des autorités académiques de renouveler l’institution (chapitre 5). Dans le sermon prononcé pour sa nomination devant le synode d’Anjou (1665), Pajon tente de résoudre l’opposition entre la souveraineté divine et la responsabilité humaine. Il développe sa vision de l’action du Saint-Esprit dans la conversion développée dans De natura, sans jamais remettre en cause ouvertement la grâce immédiate. En effet, très peu de délégués synodaux ont eu connaissance de l’aboutissement de sa doctrine. Le De natura n’a été envoyé qu’à trois ou quatre amis, auxquels Pajon a demandé de ne pas diffuser le contenu. Paul de La Fons en a pourtant transmis une réfutation à Jacques Guyraut, pasteur à Loudun. Tant que Pajon reste pasteur, les quelques détracteurs qui connaissent ses positions acceptent cet état de fait.

La première controverse éclate au moment où le synode d’Anjou choisit Pajon pour la troisième chaire de théologie de l’académie. Le risque est maintenant trop grand qu’il n’utilise cette position pour répandre ses idées. Pajon rédige bien une réfutation des arguments de Paul de La Fons destinée à Guyraut et aux autres pasteurs de Loudun, expliquant que ces derniers n’avaient eu accès à ses travaux qu’à travers une source de deuxième main. Mais cela ne calme pas l’opposition qui condamne cette conception moins pessimiste sur la dépravation du genre humain, ce qui vaut à Pajon d’être accusé de pélagianisme et d’arminianisme. Claude Pajon répond dans le Traité de l’opération de Dieu en la conversion de l’homme (1666). Il dit s’inscrire dans les critères du synode de Dordrecht selon lequel le péché originel atteint à la fois l’intelligence et la volonté. Cette controverse se distingue de la polémique à laquelle Amyraut et Testard avaient dû faire face deux décennies plus tôt. Pour ces derniers, l’opposition venait des théologiens orthodoxes. En niant la grâce immédiate, Pajon, caméronien radical, doit, quant à lui, faire face aux caméroniens modérés. Il n’est donc pas étonnant que notre théologien cite l’Écossais comme figure d’autorité dans ce débat plutôt que Paul Testard.

Dans le sixième chapitre, A. Gootjes analyse comment Claude Pajon doit se défendre des accusations portées contre lui lors des synodes provinciaux de 1666 et de 1667. Les paroisses de Loudun et de Preuilly-sur-Claise reçoivent, en 1667, un fort soutien des délégués de Bretagne et du Poitou. Au bout de quatre jours d’opposition entre les deux partis, Pajon est acquitté. Il peut reprendre ses fonctions, et le synode suivant est chargé d’examiner sa pleine installation dans la chaire de théologie. Ses détracteurs souhaitant faire appel, Pajon juge qu’il est dans l’intérêt financier de l’académie d’accepter la demande de la paroisse d’Orléans où il sert de 1668 jusqu’à sa mort, survenue en 1685.

Albert Gootjes consacre le chapitre suivant à la condamnation de la doctrine de Pajon par plusieurs synodes provinciaux, dont celui d’Anjou, et les conseils des académies de Sedan et Saumur, en 1677. Trois facteurs expliquent cette série de décisions. Le premier est la disparition des membres du conseil de l’académie qui l’avaient soutenu en 1667, tel d’Huisseau. À cela s’ajoute le développement de la pensée de Pajon, dans les années 1670. À cette époque, le théologien en arrive à nier le concours immédiat de la providence divine dans la conversion. Ce dernier point semble avoir motivé le changement d’attitude de Pierre Jurieu et de Jean Claude à l’égard de Pajon. À cela s’ajoutent les menaces financières de certaines provinces. Pour l’académie, la condamnation des thèses de Pajon en 1677 a pour avantage, à la différence de 1667, de ne pas entraîner l’exclusion de l’un de ses professeurs. Ainsi, le synode qui l’a acquitté en 1667, le condamne une décennie plus tard.

L’ouvrage d’Albert Gootjes se termine par un utile index et par deux annexes. La première présente une liste des œuvres de Claude Pajon et des réfutations de Jacques Guyraut dans les années 1660. La seconde transcrit un extrait de la correspondance Pajon conservée dans la collection Charles Le Cène. Au total, A. Gootjes nous offre un ouvrage de référence sur la pensée de Claude Pajon et comble une lacune dans l’histoire de la théologie réformée du xviie siècle. Le renouvellement de l’étude des dernières décennies de l’Académie de Saumur se confirme. Ainsi, Thomas Guillemin a soutenu, en 2015, à l’Université d’Angers, une thèse consacrée au neveu et disciple de Pajon, Isaac Papin (1657-1709). Itinéraire d’un humaniste réformé, de l’École de Saumur au jansénisme. Tous ces travaux nous permettent d’envisager l’histoire de la prestigieuse académie angevine dans sa globalité, au-delà de l’âge d’or lié au triumvirat et jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes.

Steve DEBOOS