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Elsie A. MCKEE, The Pastoral Ministry and Worship in Calvin’s Geneva, Genève : Droz, 2016, 975 p.

Les spécialistes de la tradition réformée se sont intéressés depuis longtemps à la liturgie établie par Jean Calvin à Genève, ensuite adoptée ou adaptée par ses adhérents en France et ailleurs. Les nombreuses études historiques et théologiques antérieures se sont focalisées pour la plupart sur le prêche et les deux sacrements : le baptême et la cène, mais peu ont essayé d’examiner la liturgie réformée dans son ensemble. Le grand mérite de cet ouvrage est la profondeur et l’étendue de l’étude que Elsie McKee consacre à tous les aspects de la liturgie. Il s’agit d’une vraie encyclopédie du ministère pastoral et du culte quotidien à Genève au temps de Calvin. Dans presque mille pages, E. McKee décrit l’essentiel du rythme liturgique habituel aussi bien que les aspects moins étudiés du culte public et privé. Le résultat est un portrait éclairant et précis des changements et innovations, des résistances et continuités.

Elsie McKee est titulaire de la chaire Archibald Alexander pour l’étude de la Réforme et de l’histoire du culte au Princeton Theological Seminary (É-U). Dans ce cadre, elle a centré ses efforts pendant plusieurs décennies sur la recherche des divers éléments de l’organisation de l’Église réformée à Genève. Son premier livre, John Calvin on the Diaconate and Liturgical Almsgiving (Droz, 1984) se focalisait sur les diacres ; quatre ans plus tard elle publia un volume sur les anciens, Elders and the Plural Ministry (Droz, 1988). Son étude du pastorat offre un portrait quasiment complet des quatre « ordres d’office » (ministères) de l’Église de Genève, auquel il ne manque qu’une étude des docteurs. La longue expérience que E. McKee apporte au projet confère une structure classique et synthétique à l’analyse. Le présent ouvrage se divise en deux grandes parties : un texte de 660 pages qui examine le devoir pastoral et le culte réformé, et ensuite les annexes de presque 300 pages de plus, qui présentent et décrivent les sources utilisées dans la construction de cet ouvrage.

L’approche adoptée par l’auteur met l’accent sur les interprétations théologiques et les textes prescriptifs : avant tout les sermons de Calvin, mais aussi l’Institution de la religion chrétienne, les Ordonnances ecclésiastiques, le catéchisme, et le psautier. Le résultat est une explication minutieuse de ce qui en principe doit se passer journellement dans la vie liturgique des Genevois. Pour autant, E. McKee n’a pas négligé les dimensions pratiques du culte. Elle a méticuleusement dépouillé les particularités de la dévotion quotidienne, révélées dans les Registres du Conseil, les Registres du Consistoire, et les registres de baptême et de mariage. Le lecteur est informé précisément sur la manière dont les ministres ont exercé leurs fonctions ainsi que sur la participation des fidèles et sur leurs réactions aux transformations culturelles instaurées par Calvin. L’analyse est attentive à la théologie autant qu’à sa mise en application.

L’ouvrage commence par les structures de la liturgie, c’est-à-dire le temps et les lieux du culte, les prédicateurs qui l’ont célébré, et les fidèles qui y ont assisté. Le pasteur monte en chaire et le peuple, assis en silence sur les bancs récemment installés, écoute attentivement. À Genève, il y avait un programme bien établi de sermons le dimanche aussi bien que chaque jour de semaine. Le corps des ministres s’applique avec assiduité au projet de transformer la piété du peuple en leur expliquant soigneusement la vérité divine exprimée dans l’Écriture. L’analyse passe ensuite à la pratique de la liturgie et à l’enseignement des membres de l’Église. En quoi consistait le culte du dimanche ? E. McKee examine les textes principaux utilisés chaque semaine — La forme des prières, le psautier, et le catéchisme — en ne négligeant pas la célébration de la Cène qui avait lieu quatre fois par an. Ce portrait du culte public est complété par l’examen des deux aspects de la liturgie qui marquaient les étapes fondamentales de la vie de chacun des fidèles : le baptême et le mariage. Ces deux événements étaient célébrés dans le contexte du prêche dominical en présence de la communauté toute entière. Une partie importante du livre est consacrée à la prédication et en particulier au rôle et à l’influence de Calvin dans cet aspect de la liturgie. Calvin était avant tout un ministre de la Parole de Dieu et annonçait quotidiennement au peuple la vérité contenue dans la Bible. Est-ce qu’il est possible de discerner son objectif à partir de ses sermons publiés, dont nous n’avons qu’une petite partie ? Ces sermons conservés sont-ils représentatifs ? Comment considérait-il les auditeurs ? Et comment les fidèles ont-ils réagi à sa prédication ?

Si le sermon représente le point central du culte public, il y avait aussi une dimension privée de la liturgie. Calvin a en effet encouragé le culte familial par lequel le père préside chaque soir une lecture d’un chapitre de l’Écriture, les prières et le chant de psaumes. Au-delà de la piété domestique au sein de la maisonnée, les pasteurs sont responsables d’un ministère pastoral auprès des malades et des mourants, pour les visiter et les conforter. Par contre, la tradition réformée est réputée pour son absence de rituels funéraires, mais E. McKee montre bien le soin pris par Calvin et d’autres pasteurs envers ceux qui approchent de la fin de vie. Afin d’illustrer le devoir d’un ministre à Genève au moment de la Réforme, elle suit étroitement les mouvements quotidiens de Calvin pendent un mois et établit le catalogue de ses activités présentant ainsi la journée typique d’un pasteur genevois. L’auteur termine son étude sur la théologie de Calvin et son application dans la vie liturgique à Genève par quelques brèves observations. Elle suggère que Calvin et les autres pasteurs genevois ont profondément restructuré le « temps liturgique ». La pratique cultuelle, solidement fondée sur la théologie de Calvin, est devenue fréquente et régulière. Le « faux service de la messe » disparaissait. La communauté se rassemblait régulièrement pour entendre la Parole de Dieu et célébrer la Cène — les deux marques d’une Église véritable. Le rythme de l’année liturgique changeait. Les fêtes des saints cédaient la place à la célébration de la Cène quatre fois par an. Le français remplaçait le latin comme langue liturgique. En somme, les transformations étaient ambitieuses et considérables.

À un texte proprement dit de 660 pages largement centré sur la dimension théologique des pratiques cultuelles, E. McKee a ajouté des annexes dont le contenu est plutôt orienté vers les intérêts des spécialistes d’histoire sociale. Ainsi, elle a inventorié les baptêmes des Églises de Saint-Pierre, Saint-Gervais et de La Magdeleine entre 1550 et 1564, ainsi que les mariages dans les mêmes Églises pour la même période. Elle a relevé la rotation des pasteurs dans ces différentes Églises, les baptêmes et les mariages célébrés par Calvin et ceux pour lesquels il servait de parrain, les sermons de Calvin selon l’ordre biblique, les sermons de Calvin publiés à l’époque, et quelques textes de prières pour la piété domestique ainsi que pour le ministère auprès des malades.

Bien que cette étude soit marquée par une singulière attention aux divers éléments du pastorat et du culte à Genève, elle privilégie les idées théologiques et activités pastorales de Calvin plus que celles du corps des ministres. Cependant, E. McKee fournit une interprétation de la liturgie dans son ensemble — de la prédication dominicale et l’administration des sacrements en passant par le chant des psaumes et le culte familial. Un sens aigu du caractère de la piété genevoise émerge de ses recherches. Ce livre, fondé sur une riche documentation, est incontestablement d’une très grande valeur.

Raymond MENTZER