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Émile M. BRAEKMAN, Guy de Brès. Un réformateur en Belgique et dans le nord de la France (1522-1567), Mons : Cercle archéologique de Mons, 2014, 277 p.

Le pasteur Braekman (1924-2013), récemment disparu, a énormément écrit sur le protestantisme, notamment dans le Bulletin de la Société royale d’histoire du protestantisme belge, société dont il a longtemps été président. Il a notamment beaucoup étudié les débuts de la Réforme dans l’actuelle Belgique, ce qui l’a amené à cette biographie de Guy de Brès, parue peu après son décès, dans un livre à la facture un peu désuète, avec une carte à l’ancienne et un plan très classique (1ère partie : la vie, 2e partie : les écrits). Mais ce caractère vieillot et la difficulté, sans doute, à trouver le livre (dépourvu de tout ISBN) ne devraient pas masquer le fait que nous avons là une biographie très complète d’un personnage important de la Réforme.

Guy de Brès (ou de Brais, mais l’auteur explique pourquoi il préfère Brès) est né à Mons sans doute en 1522, dans une famille de teinturiers dont de nombreux membres seront marqués par la Réforme. Lui-même se convertit avant 1547 et part à Londres l’année suivante à cause des persécutions qui s’abattent sur les réformés de Mons. Voulant se consacrer à l’Évangile, il rentre à Lille comme prédicateur en 1552 et il y plante l’Église. La persécution le fait partir à Gand en 1555, puis à Francfort l’année suivante. Il va alors faire des études à Lausanne, puis à Genève. Il s’installe ensuite à Tournai, où il se marie en 1559. Dans ce qui est la principale Église wallonne des Pays-Bas, il organise la communauté, se donne des collaborateurs, célèbre le culte dans des maisons, cherche le soutien des notables ; il écrit une Confession de foi en 1560, inspirée de celle des Églises réformées de France et du projet que leur avait écrit Calvin. Mais de grandes assemblées où l’on chante les psaumes (les « chanteries »), en 1561, amènent un retour de la persécution. Guy de Brès, qui s’y était pourtant opposé, doit fuir. Il se met au service des Églises françaises d’Amiens, de Montdidier et de Dieppe. Cela ne l’empêche pas de revenir plusieurs fois aux Pays-Bas pour prêcher et pour participer aux synodes. À la fin 1562, il devient chapelain du prince de Sedan, Henri Robert de La Marck, qu’il avait probablement rencontré à Dieppe. Il profite de ce séjour à Sedan pour écrire plusieurs ouvrages, notamment une réfutation des doctrines anabaptistes.

En 1566, l’« année des Merveilles », celle où, malgré les ordres rigoureux de Philippe II, les protestants des Pays-Bas se rassemblent en de grands prêches publics, Guy de Brès est réclamé par les réformés d’Anvers, probablement pour remplacer François Junius. Il obtient son congé de Sedan et arrive à Anvers pendant l’été. Sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, il se rend ensuite à Valenciennes à la demande du pasteur Pérégrin de la Grange. Il y est pendant la grande vague d’iconoclasme qui secoue la Flandre, puis la plus importante partie des Pays-Bas, d’août à octobre. La position de Guy de Brès, son rôle éventuel dans l’événement ne sont pas évoqués. Valenciennes se soulève en décembre 1566, à la suite de conflits sur la possibilité pour les réformés d’avoir un lieu de culte. La ville est assiégée pendant trois mois. Les pasteurs, qui s’étaient enfuis lors de la prise de la cité, sont arrêtés le 31 mars. En prison à Tournai puis à Valenciennes, Guy de Brès reste ferme dans sa foi malgré les tentatives pour le convertir, et il est pendu le 31 mai 1567. E. M. Braekman termine sa première partie par un jugement sur sa personnalité qui, fondé presque uniquement sur les lettres de Guy de Brès et sur des sources protestantes, est proche de l’hagiographie.

La seconde partie présente les œuvres, peu nombreuses, de Guy de Brès. Le Baston de la foy (1555) est un florilège de citations bibliques et patristiques pouvant servir à la controverse. La Confession de foy, faicte d’un commun accord par les fideles qui conversent es pays bas (1561) peut lui être attribuée de manière à peu près certaine, même s’il est possible que quelques corrections aient été apportées par d’autres pasteurs. La Racine, source et fondement des anabaptistes (1565) est un livre de controverse contre les anabaptistes, portant essentiellement sur l’incarnation et sur le baptême. L’Histoire notable (1565) est la traduction d’un ouvrage flamand de Joris Wybo portant sur l’arrestation de deux réformés à Anvers. Guy de Brès est également l’auteur de quatre opuscules politiques, en 1564, 1566 et 1567. Un livre posthume de 1568, les Procédures, contiennent quatre lettres adressées par Guy de Brès, emprisonné à Valenciennes, aux Valenciennois, à son épouse et à sa mère. Les interrogatoires conservés aux Archives Générales du Royaume à Bruxelles permettent enfin de voir comment de Brès se défend face à ses accusateurs. Tous ces textes sont bien présentés, avec un résumé de leur contenu, des indications bibliographiques très complètes, la mention des rééditions et des traductions. On peut simplement regretter que cela ne soit pas intégré davantage dans la biographie même du réformateur.

Cette biographie, fondée sur des sources primaires et une très bonne connaissance de l’historiographie locale, est d’une grande érudition, même si la juxtaposition des citations aboutit quelquefois à des contradictions ; il est par exemple difficile de savoir si François Richardot a été ou non protestant (p. 142). Le souci de la contextualisation fait que nous avons aussi une histoire des débuts de la Réforme aux Pays-Bas dans les années 1550 et 1560. On peut néanmoins lui reprocher d’être à l’écart des interrogations contemporaines : les débats sur les divergences entre les premiers réformateurs, les oppositions à Calvin n’apparaissent pas ; Guy de Brès est simplement présenté comme calviniste ; les comparaisons avec d’autres régions manquent ; les débats sur la signification du nicodémisme, de la tolérance au xvie siècle, ne sont pas évoqués. De manière significative, la plupart des principaux historiens français ou anglo-saxons de la Réforme sont absents de la bibliographie. C’est dommage, car cela empêche de placer Guy de Brès, dont tout ce qu’on peut connaître de la vie est présenté dans le livre, dans une perspective plus large. On a une biographie solide, la plus complète que nous ayons sur ce personnage-clé de la Réforme au sud des Pays-Bas, mais très proche du genre désormais dépassé des histoires confessionnelles.

Yves KRUMENACKER