Bayle et les reliques
« La pente dans cet endroit-là est très glissante »
Hubert Bost
EPHE – PSL Research University Paris
Dans l’article du Dictionnaire historique et critique sur Pier Paolo Vergerio, Bayle raconte que celui-ci avait fait une « emplette de reliques » destinées à Frédéric le Sage, pour lequel il en « ramassa autant […] qu’il lui fut possible ». On sait que le prince électeur de Saxe était si grand collectionneur de reliques qu’à son trésor accumulé depuis 1509 correspondaient près de 128 000 années d’indulgences… Vergerio, continue Bayle, en avait demandé et obtenu de François Ier et de Marguerite de Parme, on lui en avait fait parvenir de Mantoue, de Colmar, de Bâle et du monastère d’Ilmené. D’une lettre à Spalatin du 29 octobre 1521 dont il cite un extrait, Bayle déduit que Vergerio espérait être récompensé de ses efforts par un poste de professeur à l’Académie de Wittemberg. Mais c’était trop tard : Spalatin lui répondit que ses reliques lui seraient renvoyées, « que le prix en étoit tombé depuis la réforme de Luther, & que sans doute elles seroient plus estimées & mieux vendues en Italie qu’en Allemagne ». Spalatin, ajoute Bayle, avait fait remarquer à l’Electeur de Saxe « qu’il eût été bon que la dispute des indulgences se fût élevée plutôt, puis qu’elle eût épargné & bien des soins, & bien de l’argent1 ».
Cet épisode narré sur un ton badin illustre à merveille l’idée que Bayle se fait du rôle que la Réformation a joué – ou aurait dû jouer – dans la purification des doctrines et des pratiques d’un christianisme qui ne valait alors guère mieux que le paganisme idolâtre et superstitieux dont la Révélation aurait dû l’affranchir2. Elle montre le philosophe de Rotterdam s’amusant, comme souvent, du ridicule de la situation. Mais plus sérieusement l’exemple historique rapporté renvoie à un véritable enjeu philosophique, au rôle critique que Bayle lui-même entend jouer. Ne prétend-il pas avoir « une vocation légitime pour [s]’oposer aux progrès des superstitions, des visions & de la crédulité populaire » ? Et d’interpeller ses lecteurs, témoins du différend qui l’oppose, comme philosophe et critique, au pasteur et théologien Pierre Jurieu : « À qui appartient-il mieux qu’aux personnes de ma profession de se tenir à la bréche contre les irruptions de ces désordres3 ?»
Pour comprendre la place qu’occupe la question des reliques chez Bayle – place singulière dans un dispositif complexe où se croisent approche historique, réflexion anthropologique et questionnement moral –, il convient de rappeler que, loin d’être subalterne, elle renvoie à un moment fondateur de sa vie. Fils d’un pasteur ariégeois désargenté, Bayle a commencé tardivement des études de théologie à l’académie de Puylaurens4. Il s’est converti au catholicisme, ce qui lui a permis d’entrer au collège jésuite de Toulouse. Sa conversion a été perçue comme une apostasie par les siens et comme une victoire par le clergé catholique. Dix-huit mois plus tard, convaincu de s’être fourvoyé, il est revenu à la religion de ses pères. Décision coûteuse, puisque la législation antiprotestante a fait de lui un relaps et l’a contraint à l’exil. Or, dans le récit qu’il donne de son retour au protestantisme, Bayle insiste après-coup sur deux points de clivage essentiels entre catholicisme et protestantisme : la doctrine eucharistique de la présence réelle et le culte rendu aux créatures – qui englobe aussi bien les objets matériels (les reliques vénérées) que les personnes (Marie ou les saints invoqués) :
Le culte excessif qu’il voïoit rendre aux créatures lui aïant paru très-suspect, & la philosophie lui aïant fait mieux connoître l’impossibilité de la transubstantiation, il conclut qu’il y avoit du sophisme dans les objections auxquelles il avoit succombé ; & faisant un nouvel examen des deux religions, il retrouva la lumiere qu’il avoit perduë de vûë, & la suivit sans avoir égard ni à mille avantages temporels dont il se privoit, ni à mille choses fâcheuses qui lui paroissoient inévitables en la suivant5.
Cette évocation du moment toulousain fournit l’arrière-plan personnel des prises de position de Bayle relatives aux reliques. Né protestant, fils et frère de pasteur, redevenu protestant après sa parenthèse catholique, Bayle se déclare lui-même jusqu’à la fin de sa vie « calviniste de la vieille roche ». Qu’il se montre volontiers railleur à l’égard des reliques ne saurait étonner. Sa critique se déploie naturellement comme l’un des ingrédients de son anticatholicisme : « normale » sous la plume d’un protestant français du xviie siècle, elle est renforcée par la dimension existentielle du choix confessionnel opéré jadis. On ne saurait pourtant en rester au système de convictions et de refus du croyant protestant qu’est Bayle – ou du moins qu’il affirme être. En lui le philosophe, le moraliste ou l’historien entend aussi tirer les conséquences rationnelles des grandes affirmations bibliques sur lesquelles se fonde la foi chrétienne, au premier rang desquelles le verset de Jean 4, 24 selon lequel « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et vérité ». Cet impératif religieux doit faire l’objet d’une transcription métaphysique, critique, universelle et aconfessionnelle : si les chrétiens reconnaissent pour vraie l’affirmation relative à l’essence spirituelle de Dieu et pour indiscutable l’injonction faite à ses adorateurs, quiconque se place en position d’observateur peut, indépendamment de ses propres convictions, évaluer la relative cohérence des doctrines et des pratiques de ceux qui se prétendent chrétiens. Il advient alors, à ce niveau d’analyse, que la notion d’idolâtrie reste opératoire pour dénoncer une dérive du monothéisme spirituel tandis qu’elle perd, dans le même temps, sa pertinence pour caractériser le paganisme antique ou d’autres systèmes religieux polythéistes6. Bayle occupe ici une place singulière, que la question des reliques illustre clairement : incontestablement héritier d’une tradition confessionnelle critique, c’est de façon originale qu’il déploie sa propre vision. Même si, faute d’outillage conceptuel suffisant, sa tentative est parfois balbutiante, il veut appréhender les phénomènes religieux d’une manière globale, en s’émancipant autant que faire se peut des déterminations socio-historiques qui pèsent sur lui.
Dans le discours de Bayle, les reliques apparaissent à la fois en tant qu’éléments d’un système général de la croyance/crédulité et en tant que pièces du dispositif particulier que constitue le catholicisme. Elles constituent un des maillons d’une chaîne doctrinale et dévote, et sont un objet de croyance qui va de pair avec des manifestations de « zèle » dont la violence n’est pas la moindre.
Ceci ne saurait étonner chez un philosophe dont la morale est marquée par la double conviction que les normes et les valeurs morales auxquelles adhère l’homme ne déterminent pas ses actions et que la violence s’explique plus aisément par l’excès que par le défaut de foi. Étudiant les guerres de religion, cette période qui porte à l’incandescence la question de la profanation d’objets ou d’espaces considérés comme sacrés, Bayle confirme son intuition anthropologique et donne à sa réflexion sur le fanatisme la profondeur historique requise7.
Concomitamment, Bayle passe au crible et déconstruit le discours apologétique élaboré par la théologie chrétienne, qui consiste à faire de la révélation évangélique un sommet indépassable de la vérité et à reléguer les autres religions au rang de croyances inférieures : sans jamais remettre en cause cette affirmation axiologique sur le plan doctrinal, il montre que la prétention du christianisme est usurpée sur le plan pratique et que les chrétiens ont secrété autant de superstitions que les fidèles d’autres religions. Ce dépassement de l’opposition entre paganisme et monothéisme rend possible l’apparition d’un comparatisme neutre, où tous les systèmes doctrinaux peuvent être traités à la même enseigne. Chaque système est évalué en fonction des propres critères qu’il revendique, des principes qu’il assume et affiche. Une telle approche s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie de la croyance où il ne s’agit plus d’opposer – et d’imposer – un discours soi-disant vrai aux erreurs et aux errements des païens et des hétérodoxes, mais de rendre compte du mécanisme à l’œuvre dans le besoin humain de croire.
Cet effort pour penser la croyance en s’arrachant à sa propre identité confessionnelle, original chez un penseur de la fin du xviie siècle, annonce les « sciences religieuses » qui verront le jour au xixe et leur quête de neutralité. Mais la dimension polémique qui traverse la réflexion du philosophe de Rotterdam sur les reliques et l’ironie à laquelle il recourt pour dénoncer la manipulation des esprits crédules – et qui ne demandent qu’à croire encore et toujours – limitent cette ambition. En dépit de ses intuitions décisives et profondément novatrices, Bayle reste un homme de son époque, même lorsqu’il exerce sa liberté critique contre le protestantisme, qu’on aurait tort de penser hors d’atteinte des reproches qu’inspire l’enquête sur les reliques.
Est-ce à leur mise en valeur baroque qu’il faut rapporter le caractère hétéroclite des propos de Bayle sur les reliques ? ou plus simplement au fait que vers elles convergent des questions d’ordres très variés ? Toujours est-il qu’en parcourant les passages où Bayle en parle, on croise des sujets aussi divers que les rapports entre raison et superstition ou entre christianisme et paganisme ; la figure de souverains dévots et crédules, immoraux et cruels ; les deux vastes sujets que sont d’une part le divorce entre doctrines professées et comportements pratiques, et d’autre part l’importance de la formation reçue dans le milieu familial renforcée par la pression qu’exercent les opinions majoritaires dans une société donnée ; la violence de l’iconoclasme et sa signification, que seule une réflexion sur l’intentionnalité du sujet permet d’appréhender correctement – ce qui rejoint la question du sens du blasphème ; sans oublier différentes reliques célèbres, en particulier le Saint Suaire. L’on aboutit finalement à la question d’une éventuelle spécificité du protestantisme : il n’est pas certain qu’il soit à l’abri de la dérive fétichiste dont le culte des reliques fait symptôme.
Le compte rendu du De Oraculis ethnicorum d’Anton Van Dale8 par lequel s’ouvrent, de manière quasi programmatique, les Nouvelles de la Républiques des Lettres en mars 1684, montre qu’un double mouvement est à l’œuvre dans la pensée de Bayle. À la suite du médecin anabaptiste de Haerlem, le philosophe journaliste dénonce la superstition du paganisme et la manipulation à laquelle se livrent les prêtres ; mais il renonce aussi à la récupération apologétique que le christianisme n’a pas manqué d’en faire. Émerge ici un comparatisme neutre, où toutes les religions doivent être traitées à la même enseigne. En 362 à Antioche de Syrie, l’empereur Julien avait fait déplacer les reliques de saint Babylas hors du faubourg de Daphné. « L’Apollon Daphnéen, interrogé sur la cause de son silence, du temps de Julien l’Apostat, répondit que les morts qu’on avoit enterrez auprès de là lui fermoient la bouche », explique Bayle9. Avant d’exposer la « raison ingénieuse » qu’en donne van Dale, il rappelle que ce mutisme a contribué à renforcer la thèse de la puissance miraculeuse des reliques chrétiennes :
On s’est extrêmement prévalu de ces paroles pour appuyer le sentiment ordinaire qui veut que les démons ayent parlé dans les oracles ; on s’en est prévalu, dis-je, parce que les morts dont l’oracle vouloit parler étoient des martyrs de Jesus Christ, & qu’on ne voit pas que les reliques des martyrs soient capables d’arrêter le cours de la méchanceté humaine, comme l’on sçait qu’elles ont eu de l’empire sur les démons10.
Or Bayle est, comme van Dale, partisan d’une interprétation désenchantée. Il est convaincu par la thèse proprement historique de l’imposture, qui n’a nul besoin de croyance ou de transcendance pour fonctionner :
M. Van Dale dit sur cela que les prêtres d’Apollon Daphnéen se tûrent exprès afin d’avoir occasion de répondre les paroles que j’ay rapportées, par où ils se proposoient de faire ôter de ce lieu-là les sepulcres des martyrs, sous prétexte que la sainteté du temple avoit été prophanée par ce voisinage. La raison pourquoy ils souhaitoient cette translation étoit que les chretiens d’Antioche, venant en foule au tombeau de ces martyrs, & sur tout à celuy de Babilas, observoient d’un œil curieux ce qui se faisoit dans le temple. Or c’étoient des observateurs trè-sincommodes pour ces prêtres d’Apollon que des chretiens remplis de zèle contre les faux dieux11.
Dans ce passage, le paganisme est traité sans ménagement, tant comme une superstition que comme une machination sacerdotale qui exploite la crédulité populaire. Mais le christianisme n’en tire aucun profit : lorsque les chrétiens prétendent invoquer le silence de l’Apollon daphnéen pour démontrer le pouvoir de leurs reliques, ils ne font rien d’autre que reproduire le même fonctionnement superstitieux.
Objets chargés de sacré et potentiellement miraculeux, les reliques relèvent des phénomènes « surnaturels » qui suscitent la crainte et alimentent la dévotion de ceux qui leur confèrent un pouvoir. De cette crédulité naît la superstition que combat le philosophe. À propos des comètes, des éclipses ou des monstres, Bayle présente l’approche scientifique des philosophes qui refusent de déroger aux lois générales et, lorsque survient un phénomène exceptionnel, d’y lire un signe prodigieux du cosmos ou de la nature :
Ceux qui savent cela se tirent aisément d’affaire et voïent bien que soit qu’un animal produise un monstre, soit qu’il produise son semblable, l’Auteur de la Nature va toûjours son grand chemin et suit la loi générale qu’il a établie. D’où ils concluent que la production d’un monstre n’est pas une marque de sa colere, puis que cette production est tellement dans l’ordre de la loi qu’il a établie que pour empêcher qu’elle n’arrivât, il eût falu déroger à cette loi, c’est-à-dire faire des miracles. Ce qui fait voir que la production de ce monstre est aussi naturelle que celle d’un chien, & qu’ainsi l’une ne nous menace pas plus que l’autre de quelque calamité. La même chose se peut dire des éclipses : car il n’est pas plus naturel à la lune d’illuminer la terre dans les circonstances où elle l’illumine, & de se trouver dans ces circonstances lors qu’elle s’y trouve, qu’il lui est naturel d’être sans lumiere lors qu’elle n’en a point, & d’être dans la situation qui la prive de lumiere lors qu’elle est dans cette situation ; & je ne doute nullement qu’il n’y eût eu des éclipses de soleil & de lune quand même les hommes n’auroient jamais péché : d’où s’ensuit que ce ne sont pas là des menaces faites à l’homme12.
À cette approche rationnelle, qui se satisfait d’un Dieu métaphysique, Bayle oppose l’approche magique et superstitieuse qu’il décrit comme inspirée aux païens par le diable :
Ce ne lui a pas été assez que les hommes regardant pour des signes malencontreux les éclipses, les orages & les tonnerres, aïent établi plusieurs faux cultes de religion dans la vuë d’éviter le mal dont ils croïoient avoir des présages : il a voulu encore les rendre ingénieux à inventer des cérémonies superstitieuses & à multiplier le nombre des dieux à l’infini en leur faisant trouver par tout matiere de bien & de mal, en leur suggérant qu’un tel dieu déclaroit sa volonté par le vol des oiseaux, un autre par les entrailles des bêtes, un autre par la rencontre d’une corneille à droite ou à gauche, un autre par un éternuement, par un mot dit à l’aventure, par un songe, par le cri d’une souris & par une infinité d’autres moyens qu’il seroit ennuyeux de dire ; de sorte que ce n’étoit jamais fait13.
Si Bayle reprend à son compte l’idée selon laquelle le démon aurait réellement inspiré les conduites superstitieuses, notamment les oracles des païens, ce n’est pas qu’il adhère à cette vulgate : comme le montre son compte rendu du De Oraculis ethnicorum, il est bien plus convaincu par la thèse de l’imposture du clergé que par celle de la possession démoniaque. Mais il n’a pas besoin de combattre ce lieu commun pour énoncer sa propre thèse : ce qui, dans ces cultes païens, est proprement faux sur un plan rationnel et métaphysique, c’est la propension à enchanter le monde, à prêter attention et à donner du sens aux choses, aux bêtes, aux événements même les plus anodins. Les reliques font partie du cortège :
Il y avoit outre cela tant de choses qui pouvoient empêcher l’expiation qu’il est étonnant qu’on ait pû vaquer à autre chose qu’au culte des fausses divinitez. Plutarque raconte que l’une de ces processions solemnelles où l’on trainoit par la ville sur des brancars les images des dieux & autres reliques fut recommencée tout de nouveau à Rome, parce que d’un côté l’un des chevaux de l’équipage s’arrêta en un certain endroit sans tirer, & de l’autre que le chartier prit les rênes de la bride de la main gauche14.
Or le lecteur des Pensées diverses sur la comète prend conscience, quelques chapitres plus loin, que le christianisme a développé une forme comparable de magisme. Tout en évitant le piège du discours répétitif et lassant de la controverse confessionnelle, Bayle recycle les attaques classiques des théologiens protestants contre le catholicisme. Celui-ci est présenté comme essentiellement idolâtre sur le plan pratique, en une séquence où les reliques font système avec d’autres symptômes d’une crédulité rapportée à une tendance générale à vouer un culte aux choses : l’inflation miraculeuse, la transsubstantiation, le Purgatoire, l’intercession des saints, les chapelets, les châsses et les indulgences15. Les Pensées diverses en fournissent de nombreux exemples dont deux méritent d’être un peu longuement cités :
Il est si vrai que la persuasion de nos mysteres est compatible avec tous les déreglemens des mœurs qu’il n’y a guere d’homme, pour peu qu’il ait roulé dans le monde, qui ne connoisse plus de mille personnes persuadées de tous les miracles publiez dans le christianisme qui sont venus à leur connoissance, & prêtes à en croire cent fois autant si l’on prend la peine d’en enrichir le public, qui vivent néanmoins dans un grand désordre. Vous voyez d’un côté ces gens-là engagez dans quelque confrairie, sous l’espérance de participer aux prieres, aux mérites & aux graces de la communauté pendant qu’ils se divertiront. Vous les voïez dans leurs maladies recourir à quelque relique venuë de Rome & d’une vertu souveraine pour guérir certaines incommoditez, ou bien à la bénédiction de quelque moine fameux par des guérisons miraculeuses. Vous les voyez garnis ou d’un scapulaire, ou de quelque autre chose que l’on dit qui a la vertu d’empêcher qu’on ne se noie, ou que l’on ne meure sans confession, ou que l’on ne soit mordu d’un chien enragé, &c. Vous voyez même qu’ils observent le Carême et les vigiles. Vous voyez que si un hérétique se moque de nos dévotions en leur présence, ils en viennent aux grosses injures contre lui, & quelquefois même aux coups de poing. Quand ils sont fort riches, vous les voïez faire des libéralitez considérables aux religieux & aux hôpitaux, fonder des chapelles & contribuer à la décoration des églises. Car combien y a-t-il d’ornemens dans nos églises qui sont les offrandes de plusieurs célebres maltotiers & de plusieurs courtisanes de grand renom qui, ayant amassé beaucoup de richesses iniques, tâchent de faire leur paix avec Dieu en lui en consacrant quelque portion médiocre ? Combien y a-t-il d’offrandes au bas desquelles il faudroit écrire victime pour le péché, ou quelque inscription semblable à celle qui fut mise par Diogene au bas d’une Vénus d’or que la courtisane Phryné consacra au temple de Delphes, de la débauche des Grecs16 ?
En un mot, il ne faut que considérer la crédulité de nos peuples pour les miracles, la confiance qu’ils ont en l’intercession des saints, le soin qu’ils prennent de faire dire des messes pour les trépassez, leur ardeur pour s’enrôler dans les confrairies & pour faire toucher leurs chapelets à quelque châsse de réputation, la prodigieuse foule qu’il y a dans les églises à indulgence pléniere, la facilité qu’ils ont à mettre en crédit les reliques nouvellement venuës de Rome, celles de St Ovide, par exemple, leur aversion pour les huguenots : il ne faut, dis-je, que considérer cent choses de cette nature pour être convaincu que le vice des chretiens n’est pas de manquer de foi17.
Dans Janua coelorum reserata cunctis religionibus (1691)18, l’amalgame entre catholicisme et paganisme est complet : pastichant le discours des théologiens protestants, Bayle y retourne contre Jurieu les arguments traditionnels de la controverse anticatholique. On sait que le but de ce texte sarcastique est de démontrer l’inconséquence de Jurieu qui, après avoir combattu le papisme, « ouvre la porte du ciel à toutes les religions » et admet plus ou moins explicitement qu’on peut être catholique et sauvé. Il n’est pas étonnant qu’on y trouve énoncée et répétée la succession des errements doctrinaux et pratiques du papisme – parmi lesquels figurent systématiquement les reliques. Même si, en raison même de son style polémique ad hominem, cet essai ne peut être considéré comme l’expression de la pensée de Bayle, il n’en atteste pas moins la permanence de ces lieux communs toujours mobilisables. On retrouve du reste quelques années plus tard, dans la Réponse aux questions d’un provincial (1706), l’affirmation selon laquelle la Rome chrétienne a été aussi « débordée » ou « corrompue » pendant quelques siècles que la Rome païenne. Dans ce pamphlet, Bayle demande à ses antagonistes – en l’occurrence, Isaac Jaquelot et Jacques Bernard – s’ils disconviennent que « jamais la crédulité pour les miracles, & pour l’efficace des reliques, & des pèlerinages, & des indulgences n’a été aussi excessive que pendant ces siecles là19 ».
Que Bayle ait eu conscience de reformuler en historien critique et en philosophe ce que les théologiens calvinistes martelaient avec des arguments confessionnels, on en trouve la confirmation dès l’époque des Nouvelles de la République des Lettres. Rendant compte des Préjugés légitimes contre le papisme, le journaliste explique que Jurieu – les deux hommes ne sont pas encore fâchés – fonde son douzième préjugé « sur ce qu’il prétend que le papisme ( c’est son terme) est extrêmement conforme au paganisme. Cela l’engage à composer un parallele fort étendu et rempli d’érudition, entre les objets du culte de l’un & les objets du culte de l’autre. Il réduit ces objets à cinq, savoir à Dieu, aux esprits separez de la matiere, aux ames des morts, aux reliques des défunts & aux images. » Il est significatif que Bayle ouvre une parenthèse et marque sa distance par rapport au terme de « papisme », délibérément polémique, et non sur le parallèle lui-même, auquel il souscrit. Quant au seizième préjugé de Jurieu, il est fondé sur les « fables » que le théologien « soûtient être l’origine et l’appui du papisme, ce qu’il montre fort au long I. à l’égard de l’autorité du pape […]. 2. à l’égard du culte de la Sainte Vierge, des saints, des reliques et des images. 3. à l’égard du sacrifice de la messe, du Purgatoire, de la nécessité de la confession, et de l’établissement de plusieurs ordres religieux20. »
Bayle est fasciné par les souverains superstitieux : comme si, en montant sur le trône, la crédulité se voyait absoute en même temps que son pouvoir maléfique se trouvait renforcé. Aux vie-viie siècles, la reine Brunehaut offre un excellent exemple d’un mélange d’immoralité politique et d’ardente piété :
On voit par là que les exploits de S. Gregoire à l’égard du roïaume de France seront bien-tôt comptez. Cela n’empêche pas qu’on ne doive lui savoir bon gré de ses bonnes intentions, & lui en tenir un plus grand compte, que de la complaisance excessive qu’il avoit pour la reine Brunehauld, la plus méchante femme de la terre à ce que disent presque tous les historiens, mais en même temps la plus adroite à s’acquerir le clergé ; parce qu’au milieu de ses crimes les plus atroces, elle conserva un esprit de magnificence extraordinaire envers les gens d’Eglise, & en fondations de temples et de couvens, sans oublier de demander bien dévotement des reliques au S. Pere21.
Louis XI est le parangon de cette superstition royale, qu’il incarne jusqu’à la caricature. Comme il fait preuve de la plus complète immoralité politique, il démontre l’adage baylien selon lequel une foi intense n’a guère d’influence sur le comportement éthique du croyant. Bayle multiplie avec une complaisance gourmande les anecdotes glanées chez Philippe de Commynes. On retrouve une séquence déjà rencontrée, avec ici la piété mariale et le recours aux saints, la croyance aux miracles et les reliques :
Je serois trop long si je raportois en détail ce que les histoires en disent. C’est pourquoi j’y renvoye quiconque ne sera point persuadé, que si jamais on a pû soupçonner quelqu’un de ne croire pas en Dieu, c’est assûrément Louis XI contre qui l’on peut former un préjugé si étrange ; & je m’assûre que l’on m’en croira, si l’on examine bien les faits. Il n’y auroit pourtant rien de plus faux que d’avancer que ce prince n’étoit point persuadé de sa religion. […] [N]ous voïons par l’empressement qu’il eut durant sa derniere maladie, de faire venir St François de Paule, qu’il étoit persuadé de l’efficace de la priere. Ce pauvre prince avoit tant d’envie de ne mourir point qu’aïant apris que ce saint hermite se tenoit dans la Calabre & qu’il faisoit de grands miracles, il n’oublia rien pour obtenir du pape qu’il lui fût permis de le faire venir en France ; & il étoit tellement persuadé que la présence & les prieres de cet homme prolongeroient sa vie que la premiere chose qu’il fit en le voïant fut de le prier d’allonger ses jours. Ensuite il lui envoyoit dire à tout moment qu’il ne tenoit qu’à lui que sa vie ne fût prolongée. La même envie de vivre lui fit demander au pape divers présens, comme nous l’aprenons de Philippe de Commines : Le Pape Sixte IV (dit-il) étant informé que par dévotion le roi désiroit avoir le Corporal sur quoi chantoit messe Monsieur St Pierre, tantôt lui envoïa avec plusieurs autres reliques, lesquelles lui furent envoïées. L’historien Matthieu nous aprend qu’il étoit environné de reliques & qu’il s’en servoit comme de barricades, ne pensant point que la mort eût la hardiesse de passer par dessus pour l’attaquer. Il fit aussi venir la Sainte Ampoulle, ayant intention d’en prendre pareille onction que celle de son sacre, à ce que dit le même Philippe de Commines. […] On ne sauroit s’empêcher de conclure de tous ces faits, que ce Prince étoit entierement persuadé de la vérité de nos dogmes. Donc nous avons en sa personne l’exemple d’un parfait accord entre une ame tout-à-fait méchante & une persuasion de l’existence de Dieu, qui va jusqu’à la bigoterie la plus outrée22.
Le lien entre hyper-dévotion catholique et violence se trouve également illustré dans la Vie de Gustave Adolphe, roi de Suède :
La principale de ses machines fut celle de la religion. Il avoit témoigné son attachement à la communion du pape par les deux méthodes qui plaisent le plus au peuple et au clergé, savoir par une grande dévotion pour la Sainte Vierge, pour les saints, pour les reliques, pour les images, & par les persécutions des protestans. La premiere chose qu’il fit lorsqu’il succéda à son pere, ce fut de visiter l’église de Notre Dame de Lorette, et d’y faire un vœu solemnel, que quand il lui en devroit coûter la vie, il extermineroit toutes les sectes de la Stirie, de la Carinthie et de la Carniole23.
Brunehaut, Louis XI et Gustave Adolphe exemplifient la fréquente coexistence entre zèle religieux et amoralité brutale – puisque l’homme n’agit pas selon ses principes. Mais établir ce lien ne suffit pas. Il faut aussi prendre la mesure de son intensité sur les deux plans : à la piété débordante correspond une passion effrénée dans l’action. Ainsi en va-t-il des Espagnols qui, « bien que très dévots ne laissent pas d’être fort débauchez » et dévident tout le chapelet de la ferveur à la violence en passant par la superstition, l’idolâtrie et l’immoralité si l’on en croit la baronne d’Aulnoy que Bayle cite à plaisir :
Passons à une autre chose, je veux dire à de nouveaux exemples qui vous convaincront que les chretiens commettent des crimes sans douter de leur religion. Les Espagnols sont adonnez à l’amour des femmes & à la vengeance plus qu’on ne sauroit l’exprimer, & cependant ils sont très-superstitieux & ils ont beaucoup de haine pour les hérétiques. Quand ils se trouvent au Sermon ils se frapent la poitrine de tems en tems avec une ferveur extraordinaire, interrompant le Predicateur par des cris douloureux de componction… Ils disent qu’ils portent l’épéepour defendre la Religion ; & le matin devant que de la mettre, ils la baisent & font le signe de la croix avec. Ils ont une devotion et une confiance trés-particuliere à la sainte Vierge. Il n’y a presque point d’homme qui n’en porte le scapulaire, ou quelque image en broderie qui aura touché quelques-unes de celles que l’on tient miraculeuses ; & quoi qu’ils ne menent pas d’ailleurs une vie fort reguliere ils ne laissent pas de la prier comme celle qui les protege & les preserve des plus grands maux… Il est difficile de comprendre que des hommes qui mettent tout en usage pour satisfaire leur vangeance & qui commettent les plus mauvaises actions soient superstitieux jusques à la foiblesse, dans le tems qu’ils vont poignarder leur ennemi. Ils font faire des neufvaines aux ames du Purgatoire, & portent des reliques sur eux qu’ils baisent souvent, & ausquelles ils se recommandent pour ne pas succomber dans leur entreprise24…
Zèle et violence portés à leur paroxysme. Dans cet extrait, les reliques entre en correspondance avec des actes de dévotion (écoute du sermon, prière, neuvaines), des gestes (se frapper la poitrine, baiser l’épée, faire le signe de croix), d’autres objets de piété (scapulaire, images de la Vierge). Toutes pratiques qui font bon ménage avec la violence (crimes, vengeance, haine des hérétiques, poignarder leur ennemi)… Le domaine de la sexualité fait exception : là, les reliques semblent être signe de contradiction, voire d’une transgression :
C’est une chose certaine qu’il y a des gens qui ont sur eux des reliques le jour & la nuit ; mais quand ils couchent avec une courtisane, ils ont un grand soin de les quitter. Les porteroient-ils d’ordinaire ; les ôteroient-ils alors, s’ils avoient perdu la persuasion de la doctrine de leurs prêtres25 ?
Objectera-t-on qu’il s’agit là de débordements qui contreviennent à la doctrine enseignée par l’Église romaine ? Bayle met en doute l’efficacité de la pastorale catholique à cet égard, à tout le moins trop laxiste pour prémunir le clergé de la rétorsion des esprits forts. Ainsi Jean-Baptiste Thiers, l’auteur du Traité des jeux et des divertissemens qui peuvent être permis, ou qui doivent être défendus aux chretiens, selon les regles de l’Eglise et le sentiment des Peres, peine-t-il à se montrer convaincant :
Le Décameron de Bocace lui fait horreur encore par un autre endroit, je veux dire parce qu’on y tourne en ridicule la dévotion des reliques. Sans excuser un aussi grand libertin que celui-là, je croi pouvoir dire que l’aplaudissement qu’on avoit donné à ceux qui raillerent si fortement les superstitions païennes devoit inspirer aux prélats chretiens plus de vigilance qu’ils n’en ont eu, pour ne poïnt donner de prise aux esprits moqueurs. Mais c’est la destinée de l’homme de profiter peu du tems passé et de laisser revenir les mêmes fautes, aussi-bien que les mêmes modes, et enfin les descendans en portent toute la peine : et alors c’est à crier contre les railleries de Bocace, de Henri Etienne, de Du Moulin, etc. non sans être renvoïé aux Tertulliens, aux Arnobes, et à tels autres anciens moqueurs26.
En admettant, selon le principe du dato, non concesso, que la doctrine n’enseigne pas cela, on parvient vite à démontrer que celle-ci n’a guère d’effet sur l’attitude des croyants. Ainsi Bayle affirme-t-il, dans la Contination des Pensées diverses, que « ce que Mr de Launoi, ce que Mr Thiers & quelques autres ont écrit contre les fausses traditions, ou contre le culte des fausses reliques, ou contre les dévotions indiscretes pour la sainte Vierge27 » n’ôte nullement « le droit d’imputer à la Communion de Rome tous les abus qui s’y pratiquent hautement et publiquement ». Là encore, Bayle n’hésite pas à établir un parallèle avec le paganisme antique que les philosophes n’ont pas davantage « sauvé » :
Qu’on permette tant qu’on voudra à quelques docteurs de rejetter la légende de saint Jaques, l’Espagne et toute l’Eglise romaine ne seront pas moins responsables des pélerinages de Galice et des autres cultes de ce saint autorisez publiquement. Il ne faut donc pas que vous m’alléguiez que les folies du paganisme n’avoient point l’aprobation des philosophes : c’est assez pour moi qu’elles fondassent les actes publics de la religion et que les mysteres les plus augustes, les anniversaires les plus magnifiques, etc. eussent pour base une tradition honteuse aux divinitez des Gentils. Lors que les Peres eurent fait valoir contre les païens les objections foudroïantes que cela fournit, il y eut des gens qui s’éforcerent d’éluder le coup en rejetant sur les licences poëtiques ce qui étoit reproché à l’ancienne religion : mais ce foible retranchement fut forcé bien-tôt, car on prouva d’une maniere démonstrative que ce que les poëtes avoient dit des dieux etoit l’objet de la religion des peuples28.
À ce stade de la lecture des réflexions de Bayle, un parallèle apparaît clairement. Il peut se formuler en termes de proximité, voire d’affinités, entre le paganisme et le christianisme (ou du moins une certaine forme de christianisme). Mais, sauf à reprendre l’idée classique des historiens protestants selon laquelle un christianisme évangélique pur se serait corrompu en papisme, comment rendre compte de cette absence de rupture ? Bayle explore une voie originale, dont tous les méandres – historiques, moraux, anthropologiques – doivent être pris en compte pour en saisir le point d’aboutissement. Dans un chapitre des Pensées diverses sur la comète traitant du « penchant que les hommes ont à être de la religion dominante & du mal que cela fait à la vraye Eglise », il avance que « la France seroit devenuë réformée si le Prince de Condé & Henri IV avoient été les plus forts29 ». Mézerai relate en effet qu’en décembre 1562, au cours de la bataille de Dreux, « le parti du roi ayant eu du pire dans le commencement, il y eut des fuïars qui piquerent jusqu’à Paris, où ils publierent que tout étoit perdu » :
Catherine de Médicis, sans s’émouvoir autrement, se contenta de dire Hé bien, il faudra donc prier Dieu en françois, & se mit à caresser les amis du prince de Condé et les sectateurs de la nouvelle opinion. On voit par là qu’elle étoit toute résignée à la ruine de la religion catholique dans ce royaume, & toute prête à la sacrifier au parti de la nouvelle religion s’il fût devenu le plus puissant30.
Il ne serait agi que de s’« accommoder » et de prier Dieu en français… Trente ans plus tard, s’il avait été en mesure de terrasser les forces de la Ligue par les armes, Henri IV n’aurait jamais accepté de se convertir au catholicisme :
En ce cas-là, je vous réponds qu’il n’y eût point eu de Conférences de Surêne ; point de promesses de se faire instruire ; le roi victorieux n’eût eu aucun doute sur sa religion. Il l’eût mise sur le trône, & c’eût été un grand bonheur pour les catholiques d’obtenir un édit de Nantes pour être à tout le moins tolérez. On les eût traitez haut à la main ; & parce que les huguenots avoient parmi eux en ce tems-là beaucoup de ces ardens zélateurs qui courent la mer et la terre pour faire des prosélytes, comme nous en avons à présent un très-grand nombre, par la grace de Dieu et du roi, on n’eût entendu parler d’autre chose que de conversion31.
Que se serait-il alors passé en France ? Que seraient devenus les aïeux du scripteur des Pensées diverses, soi-disant catholique, et ceux de son interlocuteur, lui aussi catholique ? Auraient-ils résisté à la pression des convertisseurs ? Selon toute vraisemblance, ils seraient aujourd’hui protestants :
Tous les intendans de province eussent été des Marillacs, & je ne sai ce que nous serions à présent vous & moi, mon pauvre Monsieur. Il me paroît fort probable que monsieur votre grand-pere, qui avoit une belle charge & beaucoup d’enfans, se fût fait huguenot pour conserver cette charge & pour pousser sa famille. Si bien, Monsieur, que peut-être vous seriez ministre de Paris à l’heure qu’il est : car monsieur votre pere, voyant la belle naissance que vous aviez pour les lettres & votre naturel dévot, n’eût pas manqué de vous destiner à l’Eglise. Pour mes ancêtres, je crois franchement qu’ils eussent fait ce que je vois faire tous les jours aux huguenots de mon voisinage qui, pour se délivrer une fois pour toutes des importunitez pieuses & dévotes des curez & des moines, & pour se procurer les avantages du Ciel & de la terre qu’on leur promet, francs & quittes de toutes les avanies & de toutes les injustices qui leur sont faites souvent par un zele fort déréglé (ce que je ne dirois pas devant tout le monde), font semblant de se faire catholiques32.
Au fond, conclut Bayle, le « penchant que les hommes ont à être de la religion dominante » – soit par opportunisme comme Catherine de Médicis, soit par conformisme comme le grand-père du destinataire des Pensées diverses – suffit à expliquer ce qu’on désigne peut-être un peu vite comme un choix confessionnel. Souvent la conversion est un comportement social, non une décision spirituelle. Ainsi s’explique le divorce entre les professions de foi extérieures et des pratiques qui ne les reflètent guère :
Or il est bien assûré que toutes ces conversions prétenduës de nos anciens n’eussent pas empêché leur dévotion secrette pour Notre-Dame, pour les saints, pour les reliques, pour les images, pour le scapulaire, &c. ni arraché de leur cœur la pieuse crédulité qui leur avoit été inspirée dès le berceau pour les miracles, pour le Purgatoire, & ce qui s’ensuit. Nous en tiendrions encore quelque chose vous & moi & nos semblables, tout calvinistes que nous serions. C’est pour vous dire que quand on n’entre dans une religion que par politique, on y entre avec tous ses préjugez : & c’est ce qu’ont fait plusieurs païens en embrassant la profession du christianisme33.
Une fois encore, les reliques apparaissent dans une série d’éléments typiques de la dévotion catholique. Mais comme Bayle élabore une histoire-fiction où il aurait fallu se convertir au protestantisme, l’accumulation est paradoxalement connotée par l’intériorité (dévotion secrète, leur cœur…), non par le caractère volontiers ostensible de cette piété.
On a déjà noté que la concaténation dans laquelle les reliques prennent place touche à la violence fanatique, qui se manifeste notamment par la haine envers les hérétiques. Bayle règle des comptes avec Toulouse, où il a fait ses études au collège jésuite :
La ville de Toulouse est sans contredit l’une des plus superstitieuses de l’Europe, & je ne sai même si jamais le paganisme a été plus infatué de ses faux dieux qu’elle l’est des reliques de ses saints. Le culte qu’elle leur rend est si outré que les catholiques des autres endroits du royaume en sont quelquefois surpris. Sa haine pour les huguenots est la plus étrange du monde34.
Ce lien fréquent entre une superstition qui s’exprime par l’adoration des objets et la violence religieuse appelle toutefois une approche nuancée. Traitant des guerres de religion et de l’iconoclasme, Bayle déploie une réflexion anthropologique tenant compte à la fois des faits historiques et des systèmes de conviction revendiqués par les antagonistes. Une action violente donnée n’a pas le même sens selon qu’elle est perpétrée par un catholique ou par un protestant : détruire ce qu’il considère comme une idole, c’est accomplir un acte de purification pour celui-ci tandis que celui-là y voit une atteinte blasphématoire à la divinité perpétrée à travers un geste sacrilège. Là encore, il convient de suivre le raisonnement pas à pas. Il faut en premier lieu rappeler la thèse de Louis Maimbourg selon laquelle les protestants excitent ordinairement des troubles. On connaît cette thèse récurrente dans l’Histoire du calvinisme de l’ancien jésuite : au refus religieux de l’autorité du magistère catholique correspond toujours une contestation de l’autorité temporelle du monarque.
Je me souviens d’avoir laissé passer un endroit de l’Histoire du Calvinisme qui méritoit quelque réflexion. Revenons-y à cette heure, puis que nous venons de repousser l’accusation que l’auteur nous intente malignement, que c’est l’ordinaire du calvinisme d’exciter des troubles par tout où il s’établit. Ils firent enfin (dit-il en parlant des calvinistes d’Ecosse) toutes ces horribles profanations, et ces barbares violences, qui sont les effets ordinaires de l’hérésie calvinienne, qu’on a vû de tout temps être sans contredit la plus insolente & la plus cruelle de toutes, quand elle a le dessus, mais aussi la plus méprisable & la plus facile à détruire quand on l’a une fois désarmée. On n’a jamais rien dit qui fût plus destitué de bon sens35.
Bayle conteste l’exactitude historique de cette affirmation : les calvinistes n’ont nullement surpassé les excès commis durant la querelle iconoclaste de l’Empire romain d’Orient, et ils ne se sont pas servi de leur supériorité sur les catholiques « avec plus d’insolence et de cruauté que les catholiques n’en ont fait paroître contre eux, par tout où ils ont été les plus forts ». Mais surtout, il faut considérer les motifs des destructions perpétrées par ceux que leurs adversaires confessionnels appellent des profanateurs et tenir compte des raisons pour lesquelles, inversement, il n’y a pas eu de profanation des temples protestants. Dans cette tentative d’explication des comportements des uns et des autres en fonction de leurs régimes de convictions respectifs, la relique et l’idole sont quasiment confondues :
Il faut considérer que les profanations que les catholiques ne commettent point quand ils brûlent nos temples ne sont pas un effet de quelque reste de modération qui leur demeure ; c’est un pur accident qui vient de ce que nous n’avons pas un Dieu qui puisse être foulé aux pieds comme le leur, ni des objets de religion qui puissent être abatus à coups de hache, comme les statues, les tombeaux et les images, ausquelles ils rendent un service religieux. Si nous avions un Dieu dans nos temples que l’on pût jetter dans la boüe, si nous y avions des idoles de bois et de pierre, assûrement ces Mrs ne les épargneroient pas, et ils déchargeroient là-dessus tous les excès d’un emportement incroyable36.
S’il n’y a pas de profanation des temples, c’est parce que rien ne peut y être profané au sens où le caractère sacré d’un objet serait violé. Le pillage des temples n’est pas de l’iconoclasme, mais du vandalisme :
Quand ils abatent nos temples dans quelque émeute populaire, comme cela leur arrive souvent, même depuis les édits de Pacification, même tout fraîchement à quatre pas de la cour, ils s’en prennent d’abord à la Bible, qu’ils foulent aux pieds, qu’ils déchirent, ou qu’ils brûlent, et puis aux bancs, à la chaire, et aux murailles. C’est tout ce qu’ils peuvent faire. S’ils trouvoient des autels, des images et des reliques, ils pousseroient leurs profanations plus loin que les huguenots ne firent jamais, et ainsi Mr Maimbourg a le plus grand tort du monde d’avancer si hardiment que l’hérésie calvinienne est la plus insolente et la plus cruelle de toutes quand elle a le dessus37.
Finalement l’accusation de blasphème et de violence se retourne contre ceux qui l’ont lancée et dont Maimbourg s’est fait l’avocat : à la destruction protestante d’un mobilier « sacré » par des gens qui ne le considèrent pas comme tel, Bayle oppose le crime et le véritable blasphème perpétrés par des catholiques qui profanent la Bible quoiqu’ils la reconnaissent comme Écriture sainte :
Dans l’endroit où il parle ainsi, il ne fait mention que de renversemens d’autels & de simulacres, ce qui est une cruauté & une insolence incomparablement moindre que celle des catholiques, qui au lieu de se contenter d’abatre nos temples, passoient fort souvent au fil de l’épée ceux qu’ils y trouvoient assemblez pour prier Dieu. Pour ne pas dire que nous sommes persuadez que la religion des reliques et des images est criminelle, au lieu que ces Messieurs sont persuadez que la Bible, qu’ils profanent et qu’ils brûlent en insultant nos temples, est la parole du Dieu vivant38.
Si on laisse de côté l’aspect politique du désaccord – l’iconoclasme, violence religieuse, ferait symptôme d’une attitude séditieuse –, restent deux éléments dont la combinaison fournit à Bayle une clé herméneutique, à la fois logique et historique :
- la distinction – pour ne pas dire l’opposition –, entre le matériel et le spirituel : alors que l’apologétique traditionnelle s’en sert pour démontrer la supériorité du christianisme sur les paganismes ou l’idolâtrie, elle trace une frontière entre deux régimes de chrétienté et fournit des exemples concrets de pratiques qui « chosifient » la divinité ;
- la nécessité de rapporter la signification d’un geste ou d’un discours à l’intention de l’acteur ou au système de valeurs dont il se réclame : ce principe débouche souvent sur le constat d’une contradiction (les hommes n’agissent pas conformément à leurs principes) et c’est celui qui justifie les « droits de la conscience errante ». Ici c’est un critère essentiel pour interpréter un comportement puisque la même action peut avoir des significations opposées ( l’iconoclasme comme blasphème ou comme purification, en l’espèce).
L’utilisation de cette clé herméneutique se retrouve au sujet du discours que tient Théodore de Bèze au colloque de Poissy et des réactions qu’engendrent ses propos dans les rangs des théologiens catholiques. Dans sa réflexion, Bayle passe des reliques à l’eucharistie – un autre élément de la chaîne déjà rencontrée –, mais il s’agit au fond du même sujet. Bèze prit la parole, « on écouta sa harangue attentivement, jusques à ce qu’il eût touché à la matière de la présence réelle. Une expression qu’il emploia fit murmurer » :
La voici cette expression : Nous disons que le corps de Jesus-Christ est esloigné du pain & du vin autant que le plus haut ciel est esloigné de la terre. Voions présentement quel en fut l’effet, & servons-nous des propres termes de Theodore de Beze. Ceste seule parole ( combien qu’il en eust dit d’autres aussi contraires & répugnantes à la doctrine de l’Eglise Romaine) fut cause que les prélats commencèrent à bruire & murmurer, dont les uns uns disoient Blasphemavit, les autres se levoient pour s’en aller, ne pouvans faire pis à cause de la présence du roy. […] Catherine de Medicis, dans sa lettre à Monsr de Rennes, ambassadeur de France à la cour de l’Empereur, dit que Beze, en parlant de la Cene, s’oublia en une comparaison si absurde, & tant offensive des oreilles de toute l’assistance, que peu s’en fallut qu’elle ne lui imposât silence & qu’elle ne renvoyât tous ces ministres sans les laisser passer plus avant ; mais qu’elle s’en abstint, de peur qu’on ne s’en retournât imbu de sa doctrine sans avoir ouï ce qui lui sera répondu39.
À l’aide de sa clé herméneutique, Bayle commente l’épisode en adoptant les points de vue des différents protagonistes, le théologien protestant et les prélats catholiques :
Remarquez bien la parenthese dont l’historien s’est servi : rien ne marque mieux la foiblesse de l’esprit de l’homme. Un vieux cardinal & plusieurs évêques se scandalisent, veulent sortir, crient au blasphême ; & pourquoi ? parce qu’ils ont ouï dire à un ministre que Jesus-Christ n’est point sous les symboles du pain & du vin de l’eucharistie quant à son corps ; car voilà à quoi se réduit cette expression tant offensive des oreilles de toute l’assistance : peut-on voir un scandale plus mal fondé, ni plus puérile ? Quand on enseigne que l’humanité de Jesus-Christ n’est présente qu’en un seul lieu à la fois & qu’elle est toujours assise en Paradis à la main droite de Dieu, il est évident qu’on soutient qu’elle est aussi éloignée du sacrement de l’eucharistie que le Paradis est éloigné de la terre. Or les prélats ne pouvoient pas ignorer que les ministres enseignent que l’humanité de Jésus-Christ est toujours en Paradis à la main droite de Dieu & qu’elle ne peut point être présente en plus d’un lieu à la fois ; & ils ne devoient pas attendre que Theodore de Beze n’osât point exposer les sentimens de son parti : ils n’ont donc pas dû se scandaliser de son expression (car encore un coup, elle n’ajoute quoi que ce soit à la simple & nue doctrine des ministres) ou bien ils étoient allez à l’Assemblée avec cette persuasion que les ministres trahiroient leurs sentimens40.
Le syllogisme est imparable : si l’on tient compte de l’intention de Bèze et de la conformité de son discours avec sa doctrine, on ne saurait le taxer de blasphème. C’est, a contrario, s’il avait renoncé à exposer les « sentimens de son parti » qu’il aurait été blâmable. L’iconoclasme à l’égard de la présence réelle n’est, du point de vue bézien, que l’expression de ses convictions, d’un refus absolu de chosifier le divin, c’est-à-dire de l’enclore. La motivation théologique de sa démarche n’est pas fondamentalement différente de celle qui anime l’iconoclaste s’en prenant aux statues ou aux reliques : il s’agit de rétablir un ordre cosmique dans lequel sont respectés le principe selon lequel Dieu, commeesprit, est partout. Inversement, les reliques sont des vestiges de corps et ne sauraient être ubiquistes. Ainsi en va-t-il du Saint Suaire, dont Bayle parle dans les Nouvelles à propos des Exercitationes historicae de imaginibus Jesu Christi de Johannes Reiske. Ce recteur du Collège de Wolfenbüttel fait des remarques sur l’ensevelissement pratiqué par les juifs et soutient, contre Jean-Jacques Chifflet, que celui-ci ne servait qu’à couvrir la tête :
La raison qu’on a de passer dans un autre sentiment n’est pas petite, puis que c’est afin de sauver tous les suaires dont on se vante à Turin, à Bezançon, à Cadoüin, abbaye de l’ordre de Citeaux dans le diocese de Sarlat, et ailleurs. […] C’est aux lecteurs à juger s’il réfute solidement M. Chifflet, en lui montrant les choses contraires qui se débitent sur tout ceci, et en lui représentant que personne n’a parlé de ces reliques avant que le Vénérable Bede en eût fait mention, dans un livre de locis sanctis, où Baronius avouë qu’il y a de grandes absurditez. Berneggerus, célebre professeur à Strasbourg, avoit déja cité Baronius sur cela, dans son Idolum Lauretanum. Il est sûr que les esprits forts trouvent à redire, que l’on ait assez peu de prudence pour soûtenir des choses, d’où ils croyent pouvoir inférer qu’on se trompe nécessairement, ou à Turin, ou à Bezançon41.
Après avoir fait mine de défendre le clergé – s’ils voulaient tromper le peuple, les gens d’Église se concerteraient davantage –, Bayle note qu’à l’exception de quelques esprits forts la raison critique n’a guère d’effet sur la crédulité :
Au fond les peuples sont de bonnes gens, qui ne se défient de rien, qui ne raisonnent gueres sur ces choses, qui vont où on veut ; et ainsi la politique la plus fine ne demanderoit pas qu’on prît avec eux tant de précautions. Trois ou quatre personnes dans un royaume, un abbé de Villeloin, un M. Patin, tireront des conséquences, quand ils verront une même relique multipliée, mais le reste du monde ira bonnement son grand chemin. Je nomme ces deux messieurs, parce qu’il me souvient d’avoir lû dans la page 132 des Mémoires du premier, qu’ayant baisé à Amiens la tête de S. Jean Baptiste, il avoit dit un peu malicieusement que c’étoit la cinq ou sixieme qu’il avoit eû l’honneur de baiser. Et pour ce qui est de M. Patin, il assûre dans les Relations de ses voyages qu’il n’est fâché que de voir trop souvent le portrait de la S. Vierge peint par S. Luc ; car, ajoûte-t-il, il est certain qu’on se trompe dans la plus grande partie, n’étant pas vraisemblable que S. Luc ait tant de fois peint la Vierge42.
Cette question divertit Bayle qui y revient le mois suivant, prenant prétexte de mentionner l’Histoire du S. Suaire de Compiègne de dom Langellé. Dans un savoureux mélange d’humour et d’érudition, le journaliste des Nouvelles explique que le bénédictin s’efforce d’expliquer la multiplicité des suaires d’une manière qui « confonde la raillerie des hérétiques (car pour les autres ils se payent eux-mêmes de raison, & n’y regardent pas de si près) » :
Pour cet effet, il suppose qu’on emploïa plusieurs linges à la sepulture de Jesus-Christ, et il fonde sa supposition non seulement sur la coûtume, mais aussi sur le témoignage de S. Jean, qui dit au pluriel linteamina posita, et sur celui de S. Augustin et de quelques autres Peres43.
Avec une apparente bienveillance et beaucoup d’ironie, Bayle suggère à l’auteur d’appliquer l’ubiquisme eucharistique aux reliques afin d’expliquer la multiplicité des suaires du Christ :
Mais sans tant de façons ne seroit-il pas peut-être plus juste de dire, selon ses principes, qu’un même corps pouvant être en plusieurs lieux à la fois, Dieu a voulu marquer sa bonté à certaines villes, en produisant pour l’amour d’elles ce miracle sur le S. Suaire44 ?
L’évangélisation par les missionnaires fournit l’occasion de rapporter des anecdotes cocasses mais révélatrices dans la mesure où elles illustrent la rencontre entre le christianisme et le paganisme, non plus antique mais exotique. Dans un article des Nouvelles consacré aux Furstenbergiana du P. Léonard Frizon, Bayle indique que ce jésuite a publié un Xavierus Thaumaturgus, panégyrique d’un évêque de Münster qui fut grand dévot de saint François Xavier. Ce « poëme miraculeux » est suivi d’un commentaire historique et théologique où le P. Frizon donne des précisions sur les hommages à François Xavier lors de sa canonisation et sur « les honneurs extraordinaires que les papes lui font rendre ». Ce qui conduit à parler de ses reliques, à propos desquelles les auteurs catholiques ne s’accordent pas :
Ils ont voulu posseder son bras à Rome, ce que Mr Maimbourg a desaprouvé dans son dernier livre, où il remarque que ce bras est maintenant tout desseché, et que depuis ce temps-là le corps du Saint n’est plus aussi frais qu’il étoit auparavant ; que ceux qui oserent mettre la main sur ce sacré corps moururent dans l’année, et que ceux de Goa attribuent à cette action tous les maux dont ils ont été affligez depuis ce temps-là, et toutes les pertes que les Portugais ont faites dans les Indes Orientales. Le P. Frizon ne parle pas de ces choses. Il dit seulement que lors qu’on coupa ce bras, l’Eglise trembla, et qu’on vit d’autres prodiges, et il ajoûte qu’un vaisseau de guerre hollandois qui alloit à pleines voiles, et avec le meilleur vent du monde, voulant se saisir du vaisseau marchand qui portoit cette précieuse relique s’arrêta tout court dès qu’on l’eût portée sur le tillac. Ce n’est pas une marque de regret d’avoir été détachée de son tout, et en effet pourquoy ce tout et cette partie se fâcheroient-ils d’être separez, comme Mr Maimbourg l’insinuë ? N’est ce pas le propre du bien de se partager, afin de se mieux répandre45 ?
La chute de la remarque reprend, sur un mode plus allusif mais tout aussi ironique, l’idée rencontrée à propos du Saint Suaire : si ces objets sont sacrés, pourquoi ne bénéficieraient-ils pas des qualités propres au divin ?… Plus intéressant encore est le récit proposé par le chevalier Chardin – un protestant, il est vrai – dans son Journal du voyage… en Perse et aux Indes orientales. Les Mingréliens y sont présentés comme des êtres immoraux et corrompus, impudiques, lubriques, malpropres… et pratiquement athées. Tout le sel du passage vient de ce que les informations proviennent d’un missionnaire qui vénère des reliques et ne peut comprendre qu’on leur préfère les écrins qui les contiennent :
A l’égard de la religion, comme [le chevalier Chardin] n’a point trouvé de Mingreliens qui en eussent conservé l’idée, il auroit fort peu de choses à nous dire, s’il ne nous communiquoit quelques extraits d’un manuscrit que Dom Joseph Marie Zampi, Mantoüan, prefect des theatins dans la Mingrelie, lui a donné. On y voit des choses épouvantables sur l’ignorance et sur les déreglemens des ecclesiastiques, et sur l’idolâtrie du peuple envers les images. Il faudroit tout copier si on ne vouloit rien omettre de ce qui s’y trouve de surprenant. Une des choses les plus bourruës est de voir que ces gens-là ayent plus de soumission pour une image que pour Dieu lui-même, et qu’ils ne fassent aucun cas des reliques, non pas même d’un morceau de la vraie croix, ni d’une chemise de la Ste Vierge, ni des langes où elle enveloppa son enfant, ni d’un petit quadre où il y a des poils de la barbe de J. C. et de la corde de sa flagellation. La chemise est parsemée de fleurs brodées à l’éguille. C’est le prince qui garde tout cela. Ses sujets estiment beaucoup moins ces reliques que les châsses où elles sont enfermées. S’ils en jugeoient ainsi avec connoissance de cause, on pouroit le leur pardonner ; mais ils ne sont pas dignes d’avoir tant d’esprit46.
Bientôt la situation se retourne, et le lecteur en vient à se demander si ces « bourrus » de Mingréliens ne font pas preuve de plus de bon sens que les missionnaires désireux de les convaincre de la transsubstantiation :
Il y eut pourtant un de leurs prêtres, qui ayant ouï que le P. Zampi lui demandoit si après la consecration le pain et le vin sont substantiellement le corps et le sang de J. C. se mit à rire, comme si on lui avoit proposé une plaisanterie, et lui répondit, qui est-ce qui mettroit J. C. dans le pain et par quelle voye peut-il y entrer ? De quelle maniere peut-il être contenu en un si petit morceau de pain ? Pour quelle cause aussi voudroit-il quitter le Ciel et venir en terre ? On n’a jamais ouï rien de semblable à ce que vous demandez47.
Revenons aux « bonnes gens, qui ne se défient de rien, qui ne raisonnent gueres sur ces choses, qui vont où on veut ». Il y a de la condescendance dans le regard que Bayle porte sur les crédules ; lui-même se situe évidemment du côté des esprits forts qui refusent d’être dupes et ne croit guère aux progrès de l’humanité en cette matière48. Mais il dépasse le persiflage libertin et tente de jeter les bases d’une anthropologie dans laquelle on ne déciderait pas a priori de ce qui relève de la croyance et de ce qui ne serait que crédulité, où l’on dépasserait la question du vrai et du faux pour s’intéresser au mécanisme par lequel l’homme a envie et besoin de croire :
Il n’est pas nécessaire que je vous donne des preuves de la force de l’imagination : vous en trouverez assez dans les livres qui ont été publiez sur cette matiere, et vous n’êtes pas à savoir ce que tout le monde dit, qu’il n’y a rien de plus important à un malade que d’avoir une pleine confiance dans l’habileté de son médecin & dans la vertu des médicamens. La crainte de la mort inspire tant de chagrin & tant d’inquiétudes à la plupart des malades, quoi qu’ils n’en disent rien, que cela augmente leur mal beaucoup plus que les remedes ne le diminuent, & fort souvent ce sont là les grands obstacles qui traversent les remedes. Otez cette cause, donnez au malade une pleine confiance, il aura l’esprit content & ce sera sa guérison. C’est ainsi que des moines fameux par leur sainteté & par le don des miracles, & que des reliques, ont pû guérir bien des gens. C’est ainsi que des imposteurs ont fait suër plusieurs personnes à qui ils avoient promis cette opération par des vertus sympathiques. L’agitation intérieure avec laquelle on se prépare à cet effet dans un lit bien chaud est le vrai sudorifique de ces gens-là : ils ne se décrieroient presque jamais, s’il ne leur tomboit entre les mains que des gens crédules & d’une imagination très-facile à ébranler49.
L’imagination mentionnée au début et à la fin de cet extrait apparaît comme un composé d’autosuggestion et de crédulité. Au départ, un constat « clinique » : pour guérir le malade doit avoir confiance dans son médecin et croire à l’efficacité des remèdes ; l’angoisse au contraire est un facteur aggravant de la maladie. Puis Bayle mêle à ses considérations médicales des facteurs religieux susceptible d’interagir avec le traitement : moines guérisseurs, reliques censées douées de pouvoir. Enfin il dévoile le procédé de ceux qui utilisent cette autosuggestion et cette crédulité pour asseoir leur emprise psychologique sur les sujets qui s’en remettent à eux. On peut lire ce passage comme une simple gradation, mais il est tentant d’en éclairer le début par la fin : les « moines fameux par leur sainteté et par le dons des miracles » sont-ils différents des imposteurs qui les suivent ? Quant à la croyance, est-elle fondamentalement autre chose que ce composé d’autosuggestion et de crédulité, le résultat des « forces de l’imagination » ? Bayle se garde de répondre, mais le mouvement de sa réflexion s’émancipe ici d’une tutelle doctrinale qui distinguerait entre une foi authentique et une croyance dévoyée, imaginative, superstitieuse, imaginative. Et s’il est vrai que l’on glisse vers la crédulité, c’est insensiblement à partir d’un constat médical qui vaut pour tous les humains, y compris les esprits forts… et bien sûr les protestants.
De même que les chrétiens se fourvoieraient en espérant mettre à profit la superstition et l’imposture païennes pour étayer la supériorité de leur religion, les protestants auraient tort de se croire à l’abri du danger. Ici comme toujours, Bayle fait intervenir le critère de la cohérence entre les doctrines confessées par les croyants et leurs pratiques effectives : si le principe du retour à l’Écriture seule est respecté, Dieu qui est Esprit doit être adoré « en esprit et en vérité », dans le cadre de la révélation qui respecte sa transcendance. Toute tentative pour l’enclore, que ce soit dans une chose ou dans un lieu, est proprement idolâtrique et superstitieuse.
Dans une remarque de l’article consacré à Ezéchiel, Bayle explique que les juifs ont conté cent choses extraordinaires touchant le tombeau de ce prophète biblique. Il rapporte d’après Benjamin de Tudèle (xiie siècle) que son sépulcre était regardé comme un lieu saint, qu’on s’y rendait de loin en pèlerinage pour y faire des prières ; et, d’après Petahia de Ratisbonne, que le roi de Bagdad avait voulu voir ses reliques et s’apprêtait à faire déterrer le saint, mais qu’on parvint à le convaincre de faire l’essai sur le tombeau de son disciple Baruch ; que le jour de la fête des Tabernacles on y apportait des offrandes, et qu’on y priait le saint de guérir de la stérilité. Or, après avoir présenté les juifs comme des croyants dévoyés, Bayle change de cible :
Voilà bien des fables ; mais on en peut inférer certainement cette vérité : c’est que l’invocation des saints est depuis long-temps une pratique des juifs ; car pour n’insister pas sur les autres preuves, nous voions ici le rabin Petachias qui fait des offrandes & des prieres à Esechiel, & qui prétend qu’elles opérérent un grand miracle. […] On ne publieroit pas ces fables parmi les juifs si l’invocation des saints leur paroissoit une chose défendue. Les protestans ont raison de déplorer la honteuse crédulité de ce peuple & la hardiesse de ses écrivains à publier cent mille sornettes ; mais chacun doit apprendre par les choses qui se passent dans son parti que la pente dans cet endroit-là est très-glissante50.
Cette remarque conduit le philosophe à s’en prendre à sa cible favorite, le pasteur Pierre Jurieu. Mais il ne se contente pas de décocher au théologien une énième pique : il laisse entendre que le besoin et l’envie de croire, l’attrait qu’exercent le merveilleux et le miraculeux, sont si forts chez l’homme que le protestant, tout prévenu doctrinalement qu’il soit, se laisse berner comme le premier catholique venu… Et c’est précisément le besoin de se singulariser de cet adversaire confessionnel qui sert de digue contre ce déferlement :
Combien y a-t-il de choses dans la pratique des protestans d’aujourd’hui qu’ils n’eussent pas approuvées il y a cent ans ? Je suis assûré que l’auteur des Pastorales a publié plus de faux miracles qu’il ne devoit ; mais je ne suis pas moins sûr qu’on lui en a écrit beaucoup plus que l’on n’en trouve dans ses Lettres. Or considérez un peu qu’à la réserve d’un très-petit nombre de gens, dont la plupart étoient des laïques, personne n’a témoigné que ce débit d’événemens mytérieux ne le choquât. Où en seroit-on déja si les prédictions que l’auteur fondoit là-dessus avoient eu quelque sorte de succès ? Généralement parlant, où en seroit-on déja si l’on n’étoit pas tenu en respect par l’esprit de contradiction à la vue de ce qui se passe dans la communionromaine51 ?
Dans la Critique générale de l’Histoire du calvinisme, on a vu Bayle prendre la défense des huguenots que leur refus de sacraliser les objets ou les lieux préservait d’une certaine forme d’idolâtrie : dans les temples protestants, il n’y a rien à profaner car seul ce qui est spirituel est sacré. Ceci implique de repousser toute manifestation de piété à l’égard des reliques, mais aussi, dans l’absolu, un détachement à l’égard des solennités et de la localisation du service divin. Théoriquement, les protestants devraient donc être indifférents à l’endroit où ils célèbrent leur culte et à son expression extérieure. Or les vaudois de la Glorieuse rentrée ont démontré qu’il n’en était rien. Dans l’Avis aux réfugiés, ils sont fustigés sans ménagement pour avoir désobéi à leur prince, pour avoir tenu à une localisation ou à un patriotisme qui n’a rien à faire avec la foi. L’auteurde l’Avis, censé être catholique, interpelle ces protestants infidèles à leurs propres principes :
En premier lieu, vos principes sont diamétralement contraires à ceux des Juifs touchant la distinction des lieux où il faut faire le service divin. Les Juifs n’avoient qu’un Temple où ils pûssent pratiquer leurs principales cérémonies, et ils croïoient que le même culte rendu à Dieu en Jérusalem, ou hors de Jérusalem, n’étoit pas également méritoire. Vos maximes sont tout autres, et vous croïez qu’en cas de service divin, le lieu n’y fait rien ; et quoique nous admettions aussi-bien que vous ce qui fut dit par notre Seigneur à la femme Samaritaine, vous pouvez néanmoins en pousser les conséquences plus loin que nous, à cause que notre culte est accompagné de beaucoup de cérémonies, et que nos temples étant consacrez à Dieu avec des formalitez solemnelles, et sanctifiez d’ailleurs par la présence de l’humanité adorable du Fils de Dieu, par les reliques et les images des saints, nous aimons incomparablement mieux y faire nos dévotions qu’en un lieu vulgaire. Vos principes ne vous portent à rien de semblable ; ainsi les vaudois n’avoient que faire de prêcher, ou de prier dans leurs villages plûtôt qu’en Suisse : ils devoient être persuadez que leur culte seroit tout aussi bon en un pays qu’en un autre. Pourquoi donc s’opiniâtrer, par des motifs de religion, à ne point partir d’un certain endroit de la terre ? C’est en vérité agir à la judaïque, et s’attacher à des pierres comme à une religion locale. Vos tenet amor parietum, comme S. Hilaire le reprochoit aux catholiques de son temps52.
Et de renvoyer à la Bible aux injonctions de laquelle les protestants prétendent déférer :
L’Ecriture ne nous apprend-elle pas que les fideles sont des voïageurs et des pélerins en ce monde ; qu’ils n’y ont point aucune cité permanente, et que le Ciel est leur véritable patrie ? Pourquoi donc encore un coup s’opiniâtrer, sous prétexte du pur Evangile, à ne point démordre d’un certain coin de la terre, quand le souverain veut qu’on en sorte53 ?
La Réponse aux questions d’un provincial offre une troisième illustration de la « pente glissante ». On a vu avec quel malin plaisir Bayle empruntait à Mme d’Aulnoy la description des superstitions des Espagnols54 et comment il avait mis Jacques Bernard et Isaac Jaquelot au défi de contester que jamais la croyance aux miracles, à l’efficace des reliques et des pèlerinages, n’avait été aussi forte qu’aujourd’hui55. Or, entre ces deux passages, Bayle se lance dans une diatribe contre les prophétesses et les inspirées qui prennent la parole dans le Midi de la France. Quoiqu’il ne les désigne pas nommément, l’identification ne fait guère de doute. On doit certes faire ici la part de sa misogynie, mais ce passage original illustre la dérive qu’à ses yeux l’enthousiasme millénariste de Jurieu et ses spéculations font subir au protestantisme :
Certaines femmes chargées de péchez, & dont le babil continuel est rempli d’orgueil & de mensonges malicieux & vindicatifs, ont une passion extrême pour la ruïne totale du papisme & la monarchie universelle de la religion protestante. Leurs discours sur cela partent du cœur ; & si elles esperent de vivre assez pour lire l’épitaphe du regne de l’Antechrist, c’est qu’elles ajoûtent beaucoup de foi aux mysteres de l’Apocalypse. Elles ne se sont point imposé de pénitence expiatoire de leurs dereglemens ; mais leur zèle pour le triomphe du pur Evangile les expose à des mortifications, parce que d’an en an elles voient que leurs espérances sont trompeuses. Pourra- t’on dire qu’elles pechent par ignorance ou sans être persuadées de la vérité du Décalogue ? Il faudroit être insensé pour s’imaginer cela. Il faut donc que l’on m’avouë que la connoissance, la crainte & l’amour de Dieu sont trois choses qui vont de compagnie dans les véritables fidelles, & qui se séparent dans les mondains. La premiere y demeure toute seule la plûpart du tems, ou bien elle n’y est accompagnée que d’une crainte servile & d’un zèle qui s’incorpore tellement avec les passions d’un cœur gâté qu’au lieu d’en être correcteur, ce sont elles qui le maîtrisent56.
Qu’il s’agisse de reliques, de lieux indûment sacralisés ou de spéculations superstitieuses sur l’avenir, les protestants auraient bien tort de se croire préservés du danger. La révocation de l’édit de Nantes en France ou la répression des vaudois par le duc de Savoie montrent que la persécution peut les amener à perdre leurs principes de vue : si Bayle les blâme aussi sévèrement, c’est parce que dans les deux cas il vise Jurieu, l’idéologue qui les a égarés. Et si Jurieu lui-même s’est détourné des principes qu’il professait naguère, c’est parce qu’il se trouve à présent dans une position où il peut imposer ses vues, aux Provinces-Unies où le protestantisme est la religion dominante. Telle est la vraie source de la perversion de l’idéal religieux : l’alliance avec le pouvoir politique, ou plus exactement la confusion entre le temporel et le spirituel. La règle valait pour le paganisme, elle s’est vérifiée dans le cas du catholicisme et semble avoir contaminé le protestantisme. C’est bien la conclusion à laquelle parvient Bayle dans l’article consacré à Pier Paolo Vergerio :
Ne voit-on pas qu’aussitôt que les chrétiens furent en état de persécuter, ils reprochérent à l’Erreur les mêmes choses que le paganisme leur avoit attribuées, c’est-à-dire d’être la cause qu’on ne faisoit pas de bonnes récoltes & qu’on voioit un renversement de saisons. […] Quand on considére ces disparates, on ne peut s’empêcher de dire qu’il y a certains défauts qui appartiennent aux sectes, non pas entant qu’elles sont des sectes, mais entant qu’elles dominent. Et de là vient que les mêmes communions changent d’esprit & de maximes à mesure qu’elles acquiérent ou qu’elles perdent la supériorité57.
Nul besoin de trancher l’insoluble question de savoir si Bayle est ou non resté croyant, s’il aborde le thème des reliques comme un protestant ou comme un esprit fort : à l’évidence ce « calviniste libertin » aime à jouer sur les deux tableaux. Comme on a tenté de le montrer, la clé herméneutique correcte pour interpréter sa pensée consiste à rapporter systématiquement les discours et pratiques des acteurs de l’histoire aux systèmes de pensée et de conviction dont ils se réclament. Soit pour constater en historien que les hommes n’agissent pas selon leurs principes, soit pour déplorer en moraliste qu’il en soit ainsi. Ceci lui permet de procéder à un examen des différentes religions, sans que l’une prétende surplomber les autres. Et de jeter les bases d’une réflexion anthropologique sur ce dont les reliques font symptôme : la crédulité, le besoin de croire et d’enclore la croyance.
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1. Dictionnaire historique et critique [désormais DHC], « Vergerius (Pierre Paul) », I.
2. Pour une approche contemporaine de la question des reliques, voir Philippe Boutry, Pierre-Antoine Fabre et Dominique Julia (éd.), Reliques modernes. Cultes et usage des corps saints, des Réformes aux révolutions, 2 vol., Paris : Éditions de l’EHESS, 2009 ; Nicolas Balsamo, « La querelle des reliques au temps de la Renaissance et de la Réforme », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance 77 (2015), p. 103-131.
3. La Cabale chimérique II, xiii : Œuvres diverses, 4 vol., La Haye : P. Husson, 1727-1731 [désormais OD] II, p. 681.
4. Pour plus de précisions sur ces éléments biographiques, qu’il me soit permis de renvoyer à mon Pierre Bayle, Paris : Fayard, 2006.
5. La Chimère de la cabale de Rotterdam démontrée : OD II, p. 759.
6. Sur le rôle inaugural joué par Bayle dans l’évolution de cette problématique et le basculement sémantique qu’il opère d’idolâtrie à polythéisme, voir Laura Nicolì, Il dibattito filosofico sul politeismo nel Settecento francese (1704-1770), thèse de doctorat La Sapienza (Rome) – EPHE (Paris) sous la direction de Carlo Borghero et Hubert Bost, 2015.
7. Voir Hubert Bost, Pierre Bayle historien, critique et moraliste, Turnhout : Brepols, 2006, ch. 2 (« Les faux prophètes dans le Dictionaire de Bayle : fanatiques ou imposteurs ? ») et 10 « L’historiographie des guerres de religion ».
8. Nouvelles de la République des Lettres [désormais NRL], mars 1684, art. I : OD I, p. 4-7. Voir Francesco M. Pirocchi, Anton van Dale’s De Oraculis (1683-1700). A critical introduction, thèse de doctorat La Sapienza (Rome) – EPHE (Paris) sous la direction de Carlo Borghero et H. Bost, 2016.
9. NRL mars 1684, art. I : OD I, p. 6.
10. Ibid.
11. Ibid. Voir aussi DHC, « Babylas » : « On prétend que ses reliques imposérent silence à un oracle d’Apollon. » (cf. rem. E).
12. Pensées diverses sur la comète [désormais PDC] 66 : OD III, p. 44 ; éd. J. et H. Bost, Paris : GF, 2007, p. 162-163. Lorsque la répétition des miracles semble mettre en question les lois physiques, Bayle se fait volontiers railleur. Évoquant un poème panégyrique consacré à la mémoire d’un évêque de Munster qui vouait une dévotion à saint François Xavier auquel il attribuait la guérison de la maladie mortelle dont il était atteint, Bayle constate, pince-sans-rire : « On ne vit jamais plus de miracles que l’on en voit dans ce livre. On ne sauroit faire un pas sans y en trouver, & l’on demanderoit volontiers qui des deux doit passer pour le miracle, ou l’interruption, ou le cours de la nature. On ne sait où est l’exception & où est la regle, car l’une ne se presente gueres moins souvent que l’autre. » (NRL août 1685, art. IV : OD I, p. 350). E. Labrousse, Pierre Bayle. Hétérodoxie et rigorisme, 2e éd. Paris : Albin Michel, 1996, a montré en son temps comment Bayle avait transcrit l’approche scientifique cartésienne dans le domaine de l’histoire (sur le prétendu pouvoir des reliques, les prodiges et autres récits de miracles, voir notamment p. 11-17).
13. PDC 67 : OD III, p. 44 ; éd. Bost, p. 163-164.
14. PDC 67 : OD III, p. 44-45 ; éd. Bost, p. 164-165.
15. Bayle parle de la « controverse de l’invocation des saints et du culte des reliques » dans les NRL de mai 1684, art. V (OD I, p. 52). Dans le Supplément du Commentaire philosophique se trouve une énumération plus longue à propos de la supposition « selon laquelle il faut conclure que tout homme qui auroit demandé à Dieu de l’éclairer et qui auroit consulté sa sainte parole avec un esprit humble et une intention sincere de s’instruire auroit reconnu la fausseté des vœux monastiques, de la loi du célibat et des jeûnes, de l’invocation des saints, des images et des reliques, de la présence réelle, etc. » (SCP XIII : OD II, p. 524).
16. PDC 148 : OD III, p. 95 ; éd. Bost, p. 315-316.
17. PDC 159 : OD III, p. 102 ; éd. Bost, p. 337. Les reliques de saint Ovide avaient été rapportées de Rome par le duc de Créqui, et leur translation à l’église du couvent des Capucines avait eu lieu le 10 septembre 1665 (voir Vivien Berger, « Translations en contexte(s). Le cas parisien de saint Ovide », in Florent Brayard (dir.), Des contextes en histoire, Paris : CRH, 2013, p. 229-234).
18. OD II, p. 819-902. « La porte du ciel grande ouverte à toutes les religions », traduction française par Elisabeth Labrousse : OD V,1, Hildesheim : Olms, 1982, p. 211-554).
19. Réponse aux questions d’un provincial [désormais RQP] XVIII : OD III, p. 1056.
20. NRL avril 1685, art. III : OD I, p. 262. Il est à noter que Jurieu consacre un passage aux reliques de saint Ovide (voir n. 17) au chap. XVIII de ses Préjugés légitimes contre le papisme, p. 225-226.
21. NRL février 1686, art. VII : OD I, p. 495.
22. PDC 152 : OD III, P. 98-99 ; éd. Bost, p. 325-326.
23. Discours historique sur la vie de Gustave Adolphe, roi de Suede, II : OD IV, p. 909. Quelques lignes plus loin, Bayle parle de sa « grande dévotion, comme l’appelloient les catholiques, ou superstition, comme l’appelloient les protestans » (p. 910).
24. Réponse aux questions d’un provincial, XVIII : OD III, p. 1056. Bayle cite les Mémoires de la cour d’Espagne de Mme d’Aulnoy (1692).
25. Réponse aux questions d’un provincial, XVIII : OD III, p. 1056.
26. NRL janvier 1687, art. I : OD I, p. 723.
27. CPD 131 : OD III, p. 373. Voir DHC, « Launoi, Jean de », F, G ; Jean-Baptiste Thiers a publié en 1699 une Dissertation sur le lieu où repose presentement le corps de saint Firmin le confés troisiéme évêque d’Amiens mentionnée dans « Maldonat (Jean) », A.
28. CPD 131 : OD III, p. 373.
29. PDC 87 : OD III, p. 57 ; éd. Bost, p. 201-202.
30. PDC 87 : OD III, p. 57 ; éd. Bost, p. 202.
31. PDC 87 : OD III, p. 57 ; éd. Bost, p. 202.
32. PDC 87 : OD III, p. 57 ; éd. Bost, p. 202-203.
33. PDC 87 : OD III, p. 57 ; éd. Bost, p. 203.
34. Critique générale de l’Histoire du calvinisme de M. Maimbourg [désormais CGM] XIII : OD II, p. 58.
35. CGM XVIII : OD II, p. 81 (je souligne).
36. CGM XVIII : OD II, p. 81.
37. CGM XVIII : OD II, p. 81.
38. CGM XVIII : OD II, p. 81-82 (je souligne).
39. DHC, « Beze (Théodore de) », H.
40. DHC, « Beze (Théodore de) », H.
41. NRL septembre 1685, art. V : OD I, p. 370.
42. NRL septembre 1685, art. V : OD I, p. 370.
43. NRL octobre 1685, art. VII : OD I, p. 396.
44. NRL octobre 1685, art. VII : OD I, p. 396.
45. NRL août 1685, art. IV : OD I, p. 351.
46. NRL septembre 1686 : OD I, p. 648.
47. NRL septembre 1686 : OD I, p. 648.
48. « Ceux qui ont dit que les fauteurs de ces devins avoient mal choisi leur temps, & que ce n’est pas dans un siècle aussi philosophe que celui-ci qu’il faut produire ces gens-là ont eû à certains égards quelque sorte de raison : mais tout bien compté, ils ne raisonnoient pas juste. Il y a plus de particuliers présentement qu’autrefois qui sont capables de résister au torrent & de combattre ces illusions, je l’avouë ; mais à cela près je vous répons que notre siècle est aussi dupe que les autres, & après ce que nous avons vû au sujet d’une explication de l’Apocalypse, qu’on ne nous vienne plus dire le monde n’est plus grue. Il l’est autant que jamais ; toutes les impostures qui flattent les passions lui plaisent. Il n’a point de honte d’être convaincu qu’on l’avoit trompé : il n’en respecte pas moins le trompeur ; il n’en crie pas moins contre la foi de ceux qui n’ont pas été trompés. » DHC, « Abaris », I (à propos des prétendus pouvoirs de la baguette de Jacques Aymar).
49. RQP I, xxxiv : OD III, p. 560 (je souligne).
50. DHC, « Esechiel » (je souligne).
51. DHC, « Esechiel » (je souligne).
52. Avis aux réfugiés : OD II, p. 618. La citation de saint Hilaire de Poitiers dans un texte polémique contre l’évêque arien Auxence (exactement : « Malè enim vos parietum amor cœpit ») n’est pas anodine puisqu’elle avait été faite quelques années plus tôt en ces termes par Jurieu dans L’Esprit de Mr Arnaud à propos des premières assemblées clandestines au Désert : « Quand on a encore des temples de reste, il faut s’assembler autour de ces temples, servir Dieu comme l’on peut, courir au bout du monde pour avoir le pain celeste de la Parole de Dieu. Quand on ne peut plus prêcher dans des temples, il faut prêcher dans les bois & dans des cavernes. Vos tenet amor parietum &c., disoit saint Hilaire aux catholiques chassés par les arriens. Vous aimés les murailles, & vous avez de l’attachement pour vos superbes temples : mais pour moi, je trouve que les antres & les forêts sont plus seures ; car j’ai ouï dire que l’Antechrist doit être assis au Temple de Dieu comme Dieu. Quand il n’est plus permis ni dans les bois, ni dans les campagnes, ni dans des assemblées publiques, ni dans des assemblées secretes, alors j’avoüe qu’il n’y a pas de mesure à garder : il est temps de faire valoir la maxime Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. » ( L’Esprit de Mr Arnaud, IIe partie, Deventer : Héritiers de Jean Colombus, 1684, p. 365).
53. Avis aux réfugiés : OD II, p. 618 (référence à 1 Pierre 2, 11, mais surtout à Hébreux 11, 13 et 13, 14).
54. Voir ci-dessus n. 24.
55. Voir ci-dessus n. 19.
56. RQP XVIII : OD III, p. 1056.
57. DHC, « Vergerius », C.