La polémique anti-reliques chez les théologiens réformés du xvie siècle ou la fixation d’une frontière confessionnelle
Marianne Carbonnier-Burkard
IPT Paris
Le diable ennemy juré de Dieu, […] & qui garde dans ses cachots la semence de tous errans, a suscité en l’ame des Ministres pretendus reformez l’engence & l’esprit des Juifs, de Vigilance, de Julien l’Apostat, & de tous ces vieux tisons d’heresie. Ce sont les Ministres, qui poussez de cest esprit ont denoncé la guerre il y a soixante et tant d’ans, non seulement aux membres vivans de l’Eglise de Dieu, mais encore à leurs os, et ont mené ceste guerre avec mesmes ruses, & mesmes armes, & mesme impiété, voire encore plus grande que jadis leurs ancestres1.
C’est ainsi qu’en 1600, le jésuite Louis Richeome stigmatise les prédicateurs réformés qui, non contents de faire la guerre aux membres de l’Église sur la terre, l’ont déclarée aussi aux reliques des saints. À cette date, la question des reliques, liée à celle des images saintes, fait bien partie des lieux communs de la controverse entre catholiques et protestants en France, où les souvenirs des destructions iconoclastes des années 1560 sont encore vifs. Selon Richeome, les pousse-au-crime, en tête desquels figure bien sûr Jean Calvin pour son petit Traité des reliques de 1543, ont tout simplement ressorti les discours diaboliques des hérétiques des premiers siècles. Pourtant, les critiques virulentes à l’égard des reliques semblent émerger au xvie siècle de divers côtés, et non seulement de la Réforme calvinienne. On se propose ici de présenter la polémique anti-reliques de Calvin, précédée de celle de son collègue de Lausanne Pierre Viret, sur l’arrière-fond des polémiques pionnières d’Érasme et des réformateurs « évangéliques » de l’espace germanophone. Cette mise en perspective permettra, en conclusion, de dégager les différents angles d’une critique « moderne » des reliques, humaniste et/ou protestante/ ou réformée.
Les pionniers : Érasme et les réformateurs « évangéliques »
Le développement du culte des reliques, de la fin du ive siècle au début du xvie siècle, a tôt suscité des voix sceptiques ou critiques, moquant des abus, voire des fraudes, encouragés par le clergé2. Au xve siècle, les multiplications flamboyantes, l’explosion des dévotions aux images et reliques des saints – oraisons, offrandes et ex-voto auprès des reliques, processions le jour de la fête du saint patron ou en temps de calamité, pèlerinages et indulgences – vont de pair avec un mouvement inverse de retrait intérieur, la « dévotion moderne », une piété centrée sur la personne de Jésus Christ, sur la foi et la charité, à l’opposé d’une piété extériorisée, matérialisée, routinière3. Elles provoquent aussi des contestations violentes venant de groupes pourchassés comme hérétiques, les lollards, disciples de Wyclif, en Angleterre4 et les hussites en Bohême, attaquant à la fois le culte des images et des reliques comme « idolâtrie », et le rôle du clergé mû par la cupidité5. Ces critiques, condamnées comme hérétiques par une bulle du pape Martin V en 1418, sont restées marginales, clandestines, d’autant qu’elles étaient antérieures à l’imprimerie. Mais c’est un écho d’une bien autre ampleur qu’ont eu les critiques d’Érasme, au tout début du xvie siècle.
Érasme
Dans l’Enchiridion, ou Manuel du soldat chrétien (1re éd. 1504), Érasme met en question des pratiques de piété traditionnelle, parmi lesquelles la dévotion aux reliques. Il ne se contente pas de manifester son scepticisme à l’égard de l’authenticité des reliques6. Il relativise fondamentalement les restes matériels des saints. Citant l’évangile de Jean (6, 63), « la chair ne sert de rien, c’est l’esprit qui vivifie », il le commente ainsi : « la chair sert un peu, mais bien plus l’esprit7 », et en vient ainsi à métaphoriser les reliques :
Tu vénères les saints, tu te réjouis de toucher leurs reliques : mais tu méprises ce qu’ils ont laissé de meilleur comme relique, l’exemple d’une vie pure. […] Tu veux t’attirer la faveur de Pierre ou Paul ? Imite la foi de l’un, la charité de l’autre, et tu auras plus fait que si tu courais dix fois d’église en église à travers Rome. […] Tu adores les os de Paul mis en réserve dans des cassettes, et tu n’adores pas l’esprit de Paul en réserve dans ses écrits ? Tu fais grand cas d’un morceau de son corps vu à travers une vitre, et tu n’admires pas son génie qui transparaît tout entier en ses lettres8 ?
Des saints, les « meilleures reliques » à vénérer, toucher du doigt, sont l’exemple de leur vie et leurs écrits, les traces de leur esprit. La critique d’Érasme se fonde à la fois sur son programme réformateur humaniste, de retour aux textes scripturaires, en particulier « les écrits de Paul », et sur sa piété personnelle, formée par la « dévotion moderne ».
Cette critique des reliques, Érasme la renouvelle sur le mode de la raillerie dans son colloque Peregrinatio Religionis ergo, publié début 1526 à Bâle, bruissant encore de l’iconoclasme zurichois9. Dans le dos du pèlerin mis en scène, Érasme moque les fausses reliques, fond de commerce de moines oisifs abusant de la crédulité des pèlerins. Ainsi une phalange de saint Pierre, « qui aurait pu sembler celle d’un géant ». De même, « la croix du Seigneur que l’on montre en tant de lieux privés et publics que si on réunissait tous les fragments, ils pourraient paraître la charge normale d’un cargo », alors que « pourtant le Seigneur a porté sa croix tout entière10 ». Et le lait de la Vierge, quantité prodigieuse, puisqu’il est conservé en tant de sanctuaires, avec les explications reçues du guide de l’église de Walsingham : « recueilli par le rocher sur lequel [la Sainte Vierge] était assise pour allaiter, il se cailla, puis par la volonté de Dieu se multiplia11 ». À Canterbury, l’église consacrée à saint Thomas, dans le chœur, « on vous dévoile des secrets, c’est incroyable la quantité d’ossements qu’on a tirés de là, des crânes, des mâchoires, des dents, des mains, des doigts, des bras entiers », offerts à l’adoration et aux baisers des pèlerins12. Non seulement les objets de la dévotion – des restes corporels improbables – sont tournés en dérision, mais aussi les gestes de dévotion – attouchements et baisers. Érasme va même plus loin, en s’abritant derrière le personnage d’un « esprit fort », un Anglais ( l’humaniste John Colet, ami d’Érasme), accompagnateur du pèlerin, que le guide soupçonne d’être « wycliffiste » : en effet, il ne cache pas son dégoût devant les reliques sanglantes et les linges souillés du martyr de Canterbury13.
Mais tout en critiquant les « superstitions » autour des reliques, Érasme veille à se démarquer de la doctrine « hérétique », celle de Luther et de Zwingli, selon laquelle « il est superflu d’invoquer les saints14 ». Il réprouve l’iconoclasme zwinglien, la purge des églises à Zurich, qui laisse les églises nues et vides, « plus semblables à des écuries qu’à des églises15 ». Il va jusqu’à déclarer que même de fausses reliques peuvent susciter une prière sans superstition, droitement tournée vers le Christ, telle celle du pèlerin devant la fiole de lait de la Vierge16. Face à la vague iconoclaste de la réforme évangélique suisse lancée depuis 1523, Érasme s’en tient à sa position énoncée dans le Manuel du soldat chrétien : ne pas blâmer « les dévotions des simples, celles-là surtout que l’autorité ecclésiastique a approuvées, car elles sont quelquefois soit des signes, soit des adjuvants de la piété17 ».
En dépit de leur profession de tolérance des dévotions traditionnelles, ces textes d’Érasme, lus dans toute l’Europe, en plusieurs langues, ont alimenté la lame de fond d’une contestation venant du mouvement « évangélique » de Luther, dressée contre le culte des saints, des images et des reliques18. Bullinger lui-même, le réformateur successeur de Zwingli à Zurich, a reconnu en Érasme un pionnier sur ce terrain19. Cependant, d’autres sources – d’autres textes – ont plus directement déclenché les agressions contre les « choses sacrées » dans l’Empire et en Suisse, dès les débuts de la Réforme « évangélique20 ».
Des théologiens « évangéliques » dans l’espace germanophone
Entre 1521 et 1525, le passage de villes à l’« Évangile » contestataire de l’Église établie, au sein de l’Empire et en Suisse alémanique, s’est souvent accompagné d’incidents iconoclastes21. Les militants « évangéliques » se sont attaqués au sacré traditionnel : les images de Dieu, du Christ et des saints dans les églises, le « saint sacrement » et les reliques, conservées dans des reliquaires plus ou moins figuratifs22. L’un des détonateurs, indirect, de la révolution iconoclaste a été le Sermon de Luther sur les bonnes œuvres, en 152023 : proclamant que « seule sauve la foi, confiance dans la miséricorde de Dieu, et que les seules bonnes œuvres sont celles que commande Dieu, en premier la confiance en Dieu et l’amour du prochain », il relativisait radicalement toutes les œuvres pieuses traditionnelles : « orner des églises, des autels, des couvents, accumuler […] des pierreries, […] des joyaux, des trésors aussi, faire des pèlerinages à Rome, aux saints24 ». A l’été 1521, alors que l’hérétique mis au ban de l’Empire est caché loin de Wittenberg, la ville entre en ébullition, au premier rang l’Université, ses étudiants et ses professeurs, les collègues de Luther, Andreas Karlstadt et Philip Melanchthon. En janvier 1522, des Augustins abattent les autels de leur église et brûlent les images des saints. Deux semaines plus tard, Karlstadt pousse le Conseil de la ville à voter l’enlèvement des images et des autels dans l’église paroissiale, « afin d’éviter l’idolâtrie ». Au jour fixé, l’église est purgée des images. Des reliques il n’est pas question : à Wittenberg, elles étaient abritées dans l’église du château, l’église de tous les saints, sous la protection du prince-électeur Frédéric25.
L’enlèvement des images à Wittenberg est justifié par Karlstadt dans un pamphlet daté du 27 janvier 152226. L’argumentaire est scripturaire, fondé sur le premier commandement de Dieu donné à Moïse (Exode 20), toujours en vigueur pour les chrétiens : « Tu n’auras pas de dieux étrangers. Tu ne te feras pas d’images taillées et tu ne te prosterneras pas devant elles. » L’interdit vise les images, assimilées aux « idoles » (Götze, ou Abgott). L’expérience commune des fidèles confirme que les images dans les églises sont priées et adorées, à l’instar du Veau d’or. Ce commandement du Décalogue est encore renforcé par l’Evangile de Jean, où la Parole de Dieu, qui est Esprit, est opposée à la « chair », autrement dit à toute matérialisation du sacré. Ici, Karlstadt rejoint Érasme, mais la véhémence de son combat contre l’idolâtrie n’est pas érasmienne. Il réfute les pseudo-arguments des défenseurs des images religieuses. Que l’adoration ne ferait que transiter par l’image pour s’adresser à Dieu : mais alors, comment justifier que certaines images, comme les reliques, fassent accourir les pèlerins en tel lieu plutôt qu’en n’importe quel autre ? Que les images seraient les « livres des laïcs » : mais elles sont « sourdes et muettes », tandis que la parole de Dieu, spirituelle, est à ouvrir à tous les fidèles. Enfin Karlstadt relie la critique des images à la critique d’un scandale, la mendicité parmi les chrétiens. Aux images mortes et parées d’or, Karlstadt oppose les vivantes images de Dieu que sont les prochains, les pauvres27.
On sait qu’en mars 1522, Luther, inquiet des troubles, est revenu en hâte à Wittenberg pour faire taire Karlstadt et les fauteurs des actes iconoclastes (Bildersturmen). Prêchant au sujet des images dans les églises, il considère qu’elles ne sont pas interdites par le premier commandement de Dieu : l’image n’est pas une idole en soi, elle ne devient idole que si elle est l’objet de prières, ce qui ne peut être présumé chez les fidèles28. En outre, il reconnaît aux images une valeur pédagogique, d’aide-mémoire, mais non pas aux reliques.
Sur les reliques, Luther va au-delà de la critique érasmienne. Aiguillé par la lecture d’un pamphlet de Karlstadt sur le Purgatoire, il met en doute la possibilité que les saints au ciel puissent intercéder pour les vivants, car l’Écriture n’en dit rien (après la mort les âmes des saints dorment ; les saints morts ne sont pas des morts spéciaux)29. Et de compléter le raisonnement : si l’invocation des saints est d’une efficacité douteuse, a fortiori les restes de leurs corps morts, qui reposent en la terre jusqu’à la résurrection30. La position de Luther sur les reliques ne variera pas, explicitée fortement dans son Grand Catéchisme (1529) et dans les Articles de Smalkalde (1537) : ce sont « mensonges », « choses mortes » opposées à la vivante Parole de Dieu, entraînant de fausses bonnes œuvres - les pèlerinages, le culte des saints, les indulgences.
Les prédicateurs « évangéliques » des années 1521-1525, tels Jakob Strauss et Martin Bucer, s’inspirent d’Érasme pour moquer les fausses reliques et les superstitions. Mais ils s’inspirent aussi de Luther ou de Karlstadt quand ils s’en prennent aux « idoles », au système des œuvres pies, au pouvoir des saints et au clergé trafiquant des reliques vêtues d’or et des âmes des morts.
La ville de Zurich aussi a connu un mouvement iconoclaste à la suite de son passage à la Réforme promue par Huldrych Zwingli (1484-1531). Début septembre 1523, des attaques d’iconoclastes ont lieu à Zurich et quelques jours plus tard paraît un pamphlet d’un jeune disciple de Zwingli, Ludwig Hätzer (1500-1529)31. Le texte, fortement inspiré de Karlstadt, offre une collection complète de passages scripturaires de l’Ancien Testament condamnant le culte des images. On note quelques touches propres : l’agressivité à l’égard des prêtres, premiers responsables de l’idolâtrie ; la mise en évidence d’un paradoxe : « Nous demandons des guérisons » à des « saints morts » ; une description fine des éléments constitutifs de l’adoration : « nous leur offrons et brûlons devant eux de l’huile et des cierges », nous nous prosternons. Pour préparer les esprits à l’enlèvement des images des églises, Zwingli publie en novembre 1523 une « Brève instruction chrétienne », relayant tous les arguments de Hätzer32. Après l’enlèvement des images, conduit par le Magistrat en juin 1524, le réformateur justifie encore cet iconoclasme sans désordre, dans son commentaire De vera et falsa religione (mars 1525) : les images sont du côté de la « fausse religion33 ».
Dans le groupe des proches de Zwingli, et auparavant d’Érasme, dont il avait été le secrétaire, figure Heinrich Bullinger (1504-1575). Celui-ci publie à Bâle, en 1529, l’année même où la ville passe à la Réforme dans un fracas iconoclaste, un petit traité De origine erroris in divorum & simulachrorum cultu34. Il fait là une histoire de l’Église à l’aune de la transcendance de Dieu. Au point de départ, il y a Dieu, exigeant des hommes d’être seul prié et adoré, en esprit et en vérité, selon l’enseignement de Jésus Christ. La pureté originelle de l’Église de Jésus Christ s’est dégradée. Avec le culte des saints, venu du paganisme, la corruption s’est introduite progressivement et accrue dans l’Église, par des ruses du diable, à l’œuvre derrière les moines. Deux pages sont consacrées spécialement à la critique des reliques-idoles : bouts de tissus, ossements d’inconnus, voire d’animaux, décorés d’or et de gemmes, promenés en grande pompe et adorés. Ce pamphlet en latin fait la transition avec le monde réformé francophone. En effet, on sait qu’il a été lu par Théodore de Bèze chez son maître Melchior Volmar, à Orléans, avant 1535, et qu’il a joué un rôle dans sa conversion35. A fortiori, ce pamphlet de 1529 a été lu en Suisse, dans les territoires nouvellement réformés, entre autres dans la zone d’attraction de Berne.
Les théologiens réformés polémistes anti-reliques : Calvin et Viret
À Neuchâtel, puis à Genève et à Lausanne, des actes iconoclastes ont marqué le passage de ces villes à la Réforme, entre 1530 et 1536. Ces attaques ont été soutenues par des textes de prédicateurs français réfugiés, eux-mêmes lecteurs des éditions latines de Zwingli, Bullinger, Bucer, ainsi que d’Érasme. Ainsi, le Livre des marchands d’Antoine Marcourt (1533) charge contre les prêtres qui font commerce des images et des messes, avec une mention spéciale pour les reliques36. Ou encore le manuel de Guillaume Farel intitulé Sommaire et brève déclaration (1534), dont un chapitre récapitule les arguments contre le culte des saints, avec l’interdit de toutes les pratiques d’adoration des images. À la dispute de Lausanne, en octobre 1536, Pierre Viret (1511-1571), proche de Farel et de Marcourt, nouveau prédicateur à Lausanne, justifie les attaques contre les images des saints, les « os et telles choses qu’on appelle reliques ». À cette date, l’iconoclasme était encore dans toutes les têtes, prêt à resurgir37.
Quelques années plus tard, en 1542, l’iconoclasme n’est plus vraiment d’actualité en Suisse. C’est un autre combat qui mobilise Viret et Calvin, l’un à Lausanne, l’autre de retour à Genève : tous deux se lancent dans une série de traités destinés à armer les fidèles vivant en France « parmi les papistes ». Ils ciblent, outre la messe, cette pratique de piété immensément populaire qu’est la dévotion aux reliques38.
Pierre Viret
De la difference qui est entre les superstitions et idolâtries des anciens gentilz et payens, et les erreurs et abuz qui sont entre ceux qui s’appellent Chrestiens, et de la vraye maniere d’honorer Dieu, la Vierge Marie et les Sainctz : le sujet du traité que Viret publie en 1542, à Genève (chez Jean Girard), rappelle le De origine erroris in divorum & simulachrorum cultu de Bullinger, dont une édition très augmentée était parue à Zurich en 153939. Dans la nouvelle édition de Bullinger, la généalogie de l’erreur touchant le culte des saints est plus précise : du culte des martyrs sur leurs tombeaux on en est venu à l’invocation des saints, alors que les morts ignorent le sort des vivants, et de-là au culte des reliques. Or, « dans aucune page de l’Écriture on ne trouve une seule parole qui fasse mention de recueillir ou transporter ou adorer les reliques des saints ». Et Bullinger de conclure, rejoignant son maître Érasme : les « vraies reliques et sépulcres des prophètes, apôtres, martyrs et tous les saints anciens » ne sont pas leurs ossements ou leurs tombeaux, mais leur « mémoire », l’exemple de leur vie et leurs écrits40.
La toile de fond de Viret, reprise de Bullinger, est l’histoire de l’Église, déchue au fil du temps dans l’idolâtrie41. Concernant plus spécialement les reliques, il développe, en les entrecroisant, trois thèmes indiqués par Bullinger : la fausseté des reliques, la démonstration de l’idolâtrie, les reliques comme corps morts. Le premier thème, le caractère douteux des reliques, renvoie à la tromperie du peuple par le clergé :
… ne scavez qu’elles sont, si elles sont des Sainctz, desquelz on les dit estre, ou de quelque malfaicteur & pendard, qui aura esté mis au gibet. Car, qui vous a asseuré qu’elles sont des Sainctz qui sont passez de ceste vie en l’autre ? Où est icy vostre foy fondee, sinon dessus la mensonge de ceux qui par ce moyen abusent de la simplicité & ignorance du paovre peuple, & en vivent grassement42 ?
Mais la fausseté que dénonce Viret est plus fondamentale. Celui-ci amplifie l’opposition de Bullinger (radicalisant Érasme) entre fausses reliques, matérielles, et vraies reliques, spirituelles, des saints :
Les vrayes reliques des sainctz ne sont pas leurs os, les membres de leurs corps, ou leurs cendres, & encore moins leurs robes, linges, chausses, souliez, les piedz, queuës, poilz, ou aureilles de leurs asnes & montures, que vous mettez en reliquaire, & le foin duquel ilz mangeoyent, [mais] celles de l’âme et de l’esprit qu’ils nous ont laissé en leur doctrine43.
Les écrits sont les « vrayes reliques des sainctz et leurs vives images », car en eux « reluit » l’« âme raisonnable », « formée à l’image de Dieu », ce qui fait « l’homme estre homme et non pas beste », et à travers elle le saint Esprit.
Le deuxième thème de Viret, dans la ligne des Zurichois, est l’identification de l’attitude des « papistes » face aux reliques à l’idolâtrie des païens. Le démontrent tous les honneurs faits aux reliques, sous la houlette du clergé lui-même :
Vous les adorez & faictes adorer aux paovres ignorans : vous chantez les Letanies qui s’addressent à eulx, vous celebrez festes, & faictes processions en leur honneur, vous enchassez les os en beaux reliquaires d’or & d’argent, vous chantez des messes en leur louënge, vous preschez leurs Legendes, & les appellez glorieux serviteurs de Dieu44.
La défense des théologiens scolastiques, selon lesquels l’adoration ne s’adresse pas aux reliques, mais aux saints qu’elles représentent, est rejetée car contredite par les gestes mêmes devant les reliques : génuflexions, encensement, luminaires, les mêmes que ceux des anciens païens idolâtres, interdits par la Loi de Dieu45.
Quand vous ne feriez autre chose que vous incliner devant les images & reliques, leur donner encens & allumer des chandelles, si seriez vous idolatres : veu que Dieu a defendu, que les honneurs mesme que il permet bien estre faictz aux hommes, comme de s’incliner devant les roys, princes & gens d’authorité [Exode 20], leur faire la reverence, tirer le bonnet & autres semblables civilitez, ne fussent point baillees aux images, ne consequemment à tout ce qui nous est au lieu de image46.
L’idolâtrie des reliques est d’autant plus scandaleuse, selon Viret, que les vraies « reliques » des saints, à savoir leurs écrits, sont traités tout à rebours. En effet, les papistes honorent et conservent précieusement des os et restes, tandis qu’ils brûlent les livres des saintes Écritures et ceux qui les prêchent, pour en priver le peuple :
Si sainct Paul & sainct Pierre estoyent en vie, on les garderoit bien de tant parler qu’ilz ont faict, […] on les auroit bien tost arrestez, & logez en belles chartres & prisons, & puis au gibet & au feu. […] Quand ilz auroyent la langue couppee, & leurs corps bruslez a petit feu, & mis en cendre, il fauldroit bien que ilz se teussent. […] ilz ne peuvent pas endurer leurs Escritz, qui ne sont que predications mortes, à comparaison des sermons qu’ilz faisoyent, ains les font brusler comme paovres heretiques, soubz l’umbre qu’on ne les doit pas avoir en langue vulgaire, & que les simples gens ne les doyvent pas lire47.
Viret aiguise le scandale de l’inversion des gestes – destruction/adoration, en évoquant l’adoration portée aux reliques les plus dégoûtantes et ridicules, les « reliques de contact » ou de déchets corporels ou de sécrétions corporelles :
Il n’y a folie ne moquerie, que vous ne mettez en avant. L’un le pied de l’asne de sainct Eloy, l’autre du poil de celuy de sainct Françoys, l’autre la queue de celuy qui porta Jesus en Ierusalem, l’autre du foin que le bœuf & l’asne mangeoyent en la creiche où Jesus fut mis, l’autre du fil de saincte Claire, l’autre du lait de nostre Dame, & si besoing est des unze mille Vierges des plumes du sinct Esprit & de sainct Michel, de la barbe de Dieu le Pere, des reliques de la saincte Trinité, clos, bois, espines, draps, & tout ce dequoy ilz se peuvent adviser, jusque aux brayes de sainct Françoys […]. & le paovre peuple court après48.
Le prédicateur met les rieurs de son côté et a à peine besoin de leur poser la question : « Furent jamais si folz les idolatres ? »
Le troisième thème de la critique de Viret vise les reliques en tant qu’ossements de morts. À supposer même que les os soient bien ceux des saints, les « vrais serviteurs de Dieu », non les pseudo-saints par canonisation papale, leur maniement est contraire à la volonté de Dieu. À la suite de Bullinger (et avant lui de Wyclif), Viret cite l’exemple de Moïse (Dt 34), enseveli par Dieu en lieu inconnu, « afin que les enfans d’Israel n’en fissent une idole49 ». La parole de Dieu adressée à l’homme, Adam, dans la Genèse, « Tu es terre et en terre tu retourneras », enseigne « quel honneur nous devons aux corps après que l’ame en est separée » : il consiste tout simplement dans la mise en terre, « comme si nous les mettions dormir en leur lict, que Dieu leur a assigné, jusque en leur resurrection qu’ilz attendent50 ». Déterrer les morts, c’est une menace que Dieu réserve à ses pires ennemis, dans les livres des Prophètes ou des Rois. « Et vous », s’exclame le prédicateur à l’adresse des papistes, « pour bien honnorer les sainctz, les déterrez ! » Viret a un long développement au sujet des manipulations sur des corps morts, déterrés, découpés, transportés, privés de sépulture, enchâssés dans des reliquaires, toutes pratiques sans exemple ni chez les Hébreux ni chez les païens : « Vous vous monstrez plus idolatres, que les anciens idolatres : lesquelz ne feurent jamais tant enragez apres les corps mortz, que vous estes51 ».
D’où vient cette « frenaisie » de contacts avec les corps morts des saints (vrais ou douteux) ? Viret reprend l’interprétation de Bullinger : le culte des saints, focalisé sur les images et les reliques, est une chute, ou rechute, en des « abymes d’erreurs, hérésies et blasphèmes », après la révélation de l’Évangile52. Ce culte, que « l’office des princes » est d’abolir53, à l’instar du roi Ezechias, repose à la fois sur une confusion entre les corps morts et l’esprit des saints au Ciel54, et sur l’imagination d’une communication entre les saints morts, vivant au Ciel, et les vivants sur la terre, dont l’Écriture ne dit mot55. Cette charge de Viret contre les reliques, au centre du culte des saints, allait être reprise sous un autre angle par Calvin.
Calvin
Quelques mois après Viret, en 1543, Calvin publie (chez le même imprimeur Jean Girard) un pamphlet tout entier consacré aux reliques, sous un titre ironique : Advertissement tresutile du grand proffit qui reviendrait a la chrestienté s’il se faisoit inventoire de tous les corps sainctz et reliques qui sont tant en Italie, qu’en France, Allemaigne, Hespaigne, et autres royaumes et pays56. Comme Viret, Calvin partage le schéma historique de Bullinger, d’une corruption croissante de l’Église, notable dans le culte des reliques :
L’origine de cest abuz est si ancienne, il ne faut doubter qu’il n’ayt bien esté multiplié cependant par si long temps : mesmes veu que le monde s’est merveilleusement corrompu depuis ce temps là, et qu’il est décliné tousjours en empirant, jusques à ce qu’il est venu en l’extrémité où nous le voyons57.
Calvin tient pour « le premier vice, et comme la racine du mal », la quête insensée d’un contact avec des objets matériels dérisoires, censés assurer le contact avec le Christ lui-même et avec ses saints58. C’est là une « folle curiosité ». En effet, pour ceux qui le cherchent, le Christ est présent « selon l’Esprit » :
Au lieu de chercher Jesus Christ en sa Parolle, en ses Sacremens et en ses graces spirituelles, le monde, selon sa coustume, s’est amusé à ses robbes, chemises et drappeaux […].
Quant aux apôtres, martyrs et autres saints, seul vaut l’enseignement de leur vie dans des textes :
au lieu de méditer leur vie, pour suyvre leur exemple, il a mis toute son estude à contempler et tenir comme en thresor leurs os, chemises, ceinctures, bonnetz, et semblables fatras59.
L’idolâtrie, qui consiste à « transférer l’honneur de Dieu ailleurs », s’est introduite progressivement dans l’Église : du « mémorial » support de l’adoration du Christ, comme le bois de la croix recherchée par Hélène, mère de Constantin, on est passé à l’adoration de la croix elle-même, et des superstitions à l’idolâtrie. C’est ainsi que « petit à petit on vient d’un abus à l’autre, jusque à ce qu’on tresbuche en l’extrémité60 ». Pour démontrer l’idolâtrie, « autant que feirent jamais payens », Calvin reprend brièvement l’analyse de Viret des gestes devant les reliques : « on s’est prosterné et agenouillé devant les reliques, tout ainsi que devant Dieu : on leur a allumé torches et chandelles en signe d’hommage61 ». Ce ne sont pas là des dérives de religion populaire, mais des pratiques soutenues par l’Église romaine au plus haut niveau :
Et ne faut excuser que ce a esté un zèle desordonné de quelques rudes et ydiotz, ou de simples femmes. Car ce a esté un désordre general, approuvé de ceux qui avoyent le gouvernement et conduicte de l’église62.
Le comble a été atteint quand des ossement des « créatures mortes » ont été portés à l’adoration du peuple chrétien, exposés à l’égal du « saint sacrement » :
on a colloqué les os des morts et toutes autres reliques sus le grand autel, au lieu le plus haut et le plus eminent, pour les faire adorer plus autentiquement […]. Par sacrilege execrable, on a adoré les creatures mortes et insensibles, au lieu du seul Dieu vivant (Rom. 1, 25)63.
Sur la même ligne que Viret, Calvin oppose la « sentence universelle » de Dieu (Gn 3) de mettre en terre les corps morts et la pratique inverse des exhumations et manipulations de corps morts :
[Au lieu] de laisser les corps des sainctz en leur sepulchre pour obéir à ceste sentence universelle, que tout homme est pouldre et retournera en pouldre (Gn. 3, 19) : non pas de les eslever en pompe et sumptuosité pour faire une resurrection devant le temps. Cela n’a pas esté entendu, mais au contraire, contre l’ordonnance de Dieu, on a déterré les corps des fidèles pour les magnifier en gloire, au lieu qu’ilz devoyent estre en leur couche et lieu de repos, en attendant le dernier jour64.
Aux ossements érigés en reliques, qu’il condamne comme une violation de sépulture, Calvin fait aussi grief d’être la source d’une fraude diabolique : dans le bric-à-brac (« fatras ») exhumé, n’importe quels os, même d’âne ou de chien, ont pu être présentés comme reliques de saints. Il s’agit là d’un redoublement de mensonge, greffé sur le mensonge de restes matériels qualifiés de reliques, qui ne sont pas les « vraies reliques » des saints, scripturaires et spirituelles. Calvin introduit ainsi le lecteur à son sujet propre : les fausses reliques. Il indique en même temps son but : « mon intention n’est pas de traicter quelle abomination c’est d’abuser des reliques », ce point est déjà bien entendu en préalable du pamphlet65, mais seulement d’avertir ( comme le titre l’indique) « quiconque aura un petit de prudence et raison », qu’il « ouvre les yeux », qu’il sorte de son aveuglement, et découvre la fausseté des reliques66.
Pour dévoiler la fausseté des reliques, Calvin a l’idée de dresser un inventaire de toutes les reliques connues dans différents pays. Il feint l’impuissance face à une telle entreprise :
Je pensoys que puis qu’il n’y a si petite église cathédrale qui n’ayt comme une fourmilière d’ossemens, et autres telz menus fatras, que seroit-ce si on assembloit toute la multitude de deux ou trois mille Eveschez, de vingt ou trente mille Abbayes, de plus de quarante mille Couventz, de tant d’églises parochialles et de chappelles ? Mais encore le principal seroit de les visiter, et non pas nommer seulement ; car on ne les congnoist point toutes à nommer67.
L’inventaire, provisoire, se limite donc aux lieux connus directement ou par des descriptions de voyageurs, entre autres des guides de pèlerinages. Partant de cette base de données, Calvin opère un classement par personnage, dans l’ordre hiérarchique des sujets, du haut en bas : reliques du Christ, de la Vierge, de saint Michel et de saint Jean-Baptiste, des apôtres, des martyrs anciens et autres saints, enfin de quelques « saints vulgaires ». À chacun sont rattachées les pièces devenues reliques. L’accumulation suffit déjà à produire un effet comique.
Comme Érasme dans le colloque Peregrinatio Religionis ergo de 1526, Calvin ridiculise les reliques par le surnombre des corps ou des fragments du corps :
Pource qu’ilz ont donné à sainct Sebastien l’office de guérir de la peste, cela a faict qu’il a esté plus requis, et que chascun a plus appeté de l’avoir : ce credit l’a fait multiplier en quatre corps entiers, dont l’un est à Rome, à sainct Laurens, l’autre à Soyssons, le troysiesme à Piligny, près Nantes, le quatriesme près de Narbonne, au lieu de sa nativité68.
À propos des multiplications de corps, Calvin glisse au passage une remarque ironique sur la multiplication du « corps miraculeux » du Christ dans l’eucharistie, rapprochant ainsi deux « horreurs » idolâtriques69.
La vulgarité du matériau passant pour relique est un autre élément du ridicule. Un exemple parmi d’autres est celui de la « cervelle de sainct Pierre », jadis enchâssée au grand autel de la cathédrale de Genève : « quand on éplucha le nid, on y regarda de plus près, on trouva que c’était une pierre d’éponge70 ».
Pour authentifier ces pseudo-reliques, le clergé ajoute le ridicule de récits contradictoires entre eux ou invraisemblables, contredits par le bon sens autant que par les sources sûres, textes scripturaires ou historiques. Ainsi le récit répandu par l’abbaye de Charroux, au diocèse de Poitiers, qui « se vante d’avoir le Prépuce » du Christ, « c’est à dire la peau qui luy fut couppée à la Circoncision » :
L’Evangeliste sainct Luc recite bien que nostre Seigneur Jesus a esté circonciz ; mais que la peau ayt esté serrée, pour la reserver en relique, il n’en faict point de mention. Toutes les histoires anciennes n’en disent mot. Et par l’espace de cinq cens ans il n’en a jamais esté parlé en l’Eglise Chrestienne. Où est-ce donc qu’elle estoit cachée, pour la retouver si soudainement ? D’avantage, comment eust-elle vollé jusque à Charroux71 ?
Les moindres anachronismes sont débusqués : ainsi pour l’anneau des « espousailles » de la Vierge, exposé à Pérouse :
Pource que maintenant la coustume est que le mary donne un aneau à sa femme en l’espousant, ilz ont imaginé qu’il se faisoit ainsi adonc : et sans en faire plus longue inquisition, ont député un aneau à cest usaige, beau et riche, ne considérant point la povreté en laquelle a vescu la saincte Vierge72.
Démystifiant de toutes les manières les reliques, Calvin démontre en même temps les supercheries des prêtres et moines (minimisées par eux comme des « fraudes pieuses ») pour « abuser le simple peuple73 ». Par là, il affranchit ses lecteurs, les laïcs, d’une dévotion « aveugle » dont il démontre la puérilité. Avec le « petit traité des reliques », le réformateur s’adresse aux Français, et d’abord à des sympathisants de la réforme « évangélique », contraints de dissimuler leur foi pour échapper à la persécution : les mêmes auxquels il reproche, dans un autre « petit traité » de 1543, de faire « comme les autres, allant à la messe, honorant les images et reliques et usant de telles cérémonies » et auxquels il enjoint d’éviter les gestes de l’idolâtrie, de « sortir de Babylone74 ». La leçon du petit traité des reliques est la même, mais la dominante du rire la rend d’une autre efficacité.
Jouant clairement les laïcs contre le clergé, qui a tout « perverty et comme et prophané », Calvin s’adresse aussi aux « princes chrétiens », responsables de leurs « povres subiectz75 ». Pour « droictement corriger l’abus » que représente la dévotion aux reliques, il faudrait que ce mal soit « totallement abbatu » par un roi réformateur. Mais Calvin n’insiste pas sur cette finalité radicale : « si on ne peut venir du premier coup à ceste intelligence, pour le moins […] qu’on ouvre les yeux », le roi comme le peuple76. C’est le seul but de l’« avertissement » de Calvin77.
Le « petit traité » de Calvin sur les reliques a été un succès de librairie78. Aussitôt censuré par la Sorbonne, il a fait passer chez les « évangéliques » français, et au-delà chez les laïcs « éclairés », une critique populaire des reliques79, amplifiant la voix d’Érasme, en introduisant celles de Viret80 et de Bullinger81. Ses thèmes de l’Advertissement se retrouvent dans des ouvrages largement diffusés chez les réformés jusqu’au xviie siècle, telle l’Histoire des martyrs de Jean Crespin82 ou le Baston de la foy de Guy de Brès (1555)83.
Les pères conciliaires à Trente ont entendu couper court au rire des hérétiques. Le décret « de l’invocation et de la vénération des saints, de leurs reliques et de leurs images », de 1563, pose d’abord l’argument traditionnel en faveur des dévotions aux saints, entre autres à leurs reliques, à savoir l’antiquité et l’unanimité des Pères et des conciles. La vénération due aux corps des saints est justifiée par le statut spécifique des saints « qui vivent avec le Christ » et par les miracles ou bienfaits reçus par les hommes en retour. Afin de réfuter l’accusation d’idolâtrie, est rappelée à propos des images la distinction scolastique entre l’« adoration » (latrie) et la « vénération » (dulie). Enfin, le décret prend ses distances avec des « abus », qualifiés de « superstition » : aux évêques de supprimer, avec prudence, les pratiques populaires douteuses, de contrôler les nouveaux miracles et les nouvelles reliques. Abus mis à part, le devoir de vénérer les reliques est article de la profession de foi tridentine. La ligne de front est maintenue84.
En 1599 paraît à Genève un Traitté des reliques qui est un recueil composite, annonçant en tête l’Advertissement de Calvin ; suit un autre « traité des reliques » dû au théologien luthérien Martin Chemnitz (1522-1586) contre les décrets de Trente (1572), puis un inventaire des reliques de Rome traduit d’un guide en italien, enfin une Réponse aux chapitres sur les reliques tirés du grand traité de controverse du cardinal Bellarmin (1588)85. Le recueil assemble ainsi des textes déjà datés, les uns de polémique populaire, d’autres plus savants, traduits en français, les uns de théologiens réformés, Calvin et l’auteur anonyme de la Réponse, et un autre d’un luthérien connu pour son orthodoxie (Chemnitz, surintendant du Brunswick, était en effet l’un des auteurs de la Formule de Concorde de 1576, unifiant le monde luthérien à la fois contre l’Église de la Contre-Réforme et contre les réformés). Face aux contre-attaques du concile de Trente et de Bellarmin, les argumentaires anti-reliques sont affinés, mais n’innovent pas sur le fond. La publication du traité en 1599 peut intriguer. Le roi Henri IV a dû faire allégeance au pape. L’édit de Nantes est signé, place à la controverse doctrinale entre catholiques et réformés. L’éditeur du recueil genevois, sans doute le même qui adapte à l’usage des Français la Responsio de Lambert Daneau (1530-1595) à Bellarmin86, se préoccupe peut-être d’armer les pasteurs français en prévision du grand jubilé romain de 1600, qui devait faire accourir les pèlerins à Rome87. La question des reliques offre aussi l’intérêt pour les réformés, surtout en situation minoritaire, de présenter un front commun avec les luthériens contre l’Église romaine.
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La confrontation des argumentaires d’Érasme, des théologiens « évangéliques », de Viret et de Calvin permet de dégager une commune polarisation humaniste-iconoclaste, non sans variations entre les uns et les autres, et une polarisation plus spécifique des réformateurs touchant le rapport à la mort et aux morts.
Le primat humaniste de l’Écriture et des écrits, et de l’Esprit, sur les choses corporelles et matérielles est dans tous les argumentaires de ces théologiens du xvie siècle. Cependant, pour Érasme, et même pour Luther, la Loi de Dieu n’occupe qu’une place secondaire par rapport à celle des Évangiles et de Paul. Tandis que l’interdit des images-idoles dans le Décalogue, cité expressément comme premier, voire second commandement autonome, domine les argumentaires de Karlstadt, Bullinger, Viret et Calvin. L’assimilation des reliques (et des images en général) aux idoles, renvoyant au paganisme, opère le passage de la critique des superstitions, à la manière d’Érasme, à la condamnation de l’idolâtrie. Elle porte les réformateurs, sauf Luther, à la radicalisation du discours et à l’appel à un iconoclasme ordonné par les autorités politiques.
Une constellation critique « iconoclaste » entoure la critique « évangélique » et « réformée » des reliques. Aux images, au culte des saints et aux pèlerinages, enveloppées de longue date d’une même réprobation, les théologiens réformés ajoutent la messe et le culte du Saint Sacrement. Avec Bullinger, la fabrique des reliques et du service des reliques est insérée dans une histoire de l’Église dégradée en histoire de l’erreur et de l’idolâtrie.
La dimension de critique sociale et anticléricale présente chez Karlstadt, Hätzer, Zwingli, comme chez les lollards et les hussites, est modifiée par Érasme et les réformateurs réformés : l’opposition entre les images et reliquaires ( d’or et d’argent) et les pauvres (humains images de Dieu) est remplacée par une opposition entre les images et reliques (mortes) et la Parole (vive).
Spécifique de la critique « réformatrice » est l’amplification d’une opposition entre les corps morts, « pourris », qui doivent rester ensevelis en terre, et les vivants que sont le prochain, la Parole de Dieu, les écrits, les modèles de vie. Le rejet des reliques comme ossements, corps morts, était déjà chez Wyclif et des hussites. Ce rejet, qu’Érasme ignore, est explicité chez Luther et les évangéliques de 1522-1523, et plus encore chez Bullinger, Calvin et Viret, et bouleverse le rapport aux saints : les saints ne sont pas des morts spéciaux, ils ne communiquent pas avec les vivants ; leurs os, comme ceux de tous les hommes, doivent être laissés en repos, au lieu d’être manipulés, découpés et transportés88.
L’opposition véhémente aux reliques cristallise une série de profonds changements socio- culturels au xvie siècle en Occident, au moins dans certains groupes sociaux : un soulèvement des laïcs (le « pauvre peuple ») contre le clergé cupide et trompeur ; la poussée du monde « humaniste » privilégiant l’écrit et l’Écriture, contre le monde traditionnel, fervent d’images ; enfin, la « révolution de la mort », qu’a analysée l’historien Craig Koslofsky avec les outils de l’anthropologie, une nouvelle séparation entre le monde des vivants et celui des morts89. La polémique anti-reliques chez les réformateurs – de Luther aux radicaux et à Calvin, a participé au « déplacement du sacré » dans les sociétés protestantes. À la fin du xvie siècle, le rapport aux reliques est en effet devenu un des marqueurs d’une frontière confessionnelle entre le monde protestant en général et le monde catholique. Une frontière bien gardée, spécialement par les réformés en situation de minorité, faisant de la polémique anti-reliques un lieu identitaire.
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1. Discours des sainctes reliques sur la translation de celles de s. Severin, s. Amand, s. Fort, s. Benedicte et s. Veronique, Bordeaux, 1600, dans Œuvres, Paris : Sebastien Cramoisy, 1628, tome 1, p. 916.
2. Ainsi – comme le rappelle Richeome, au début du ve siècle le moine Vigilance, combattu par Jérôme, puis Claude de Turin, à l’époque carolingienne († 827). Au xiie siècle, le moine Guibert de Nogent, mais son traité « des reliques des saints », souvent cité, n’a été imprimé qu’au milieu du xviie siècle. Voir Jean Wirth, « Image et relique dans le christianisme occidental », dans Philippe Borgeaud et Youri Volokhine (éd.), Les objets de la mémoire. Pour une approche comparatiste des reliques et de leur culte, Berne : Peter Lang, 2005, p. 334-336.
3. Cf. Imitation de Jésus Christ, l. I, 23 : « Nombreux sont ceux qui visitent les lieux divers pour voir les reliques des saints et admirer leurs faits. Ils regardent les magnifiques édifices où se trouvent les reliques et ils embrassent les os des saints couverts de soie et d’or. Et toi, Seigneur, tu es icimême dans mon cœur. »
4. Voir l’interrogatoire de Wiliam Thorpe, condamné et exécuté comme hérétique en 1407, trad. et éd. par Jean Crespin, Actes des martyrs, Genève, 1564, I, p. 10, repris de John Foxe, Acts and Monuments, 1563.
5. Sur les critiques hussites, voir Sergiusz Michalski, dans Cécile Dupeux, Peter Jetzler, Jean Wirth (éd.), Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, Paris : Somogy, 2001, p. 287.
6. Érasme, Le manuel du soldat chrétien, dans Œuvres, éd. Claude Blum, André Godin et alii, Paris : Robert Laffont, 1992 (Bouquins), p. 565 (8. Règles générales du vrai christianisme, 4e canon).
7. Érasme, Le manuel…, op. cit., p. 573 et 575-576 (5e canon). Cf. p. 577 : « Il vaut mieux pour vous que je parte (Jean 16,7). Alors que la présence corporelle du Christ est inutile au salut, oserons-nous encore mettre la piété parfaite en chose quelconque de l’ordre corporel ? »
8. Ibid., p. 575, 576.
9. « Le voyage pour motif de piété », dans Érasme, Œuvres choisies, trad. et éd. par Jacques Chomarat, Librairie générale française, 1991 (Le Livre de poche).
10. Ibid., p. 716, 717.
11. Ibid., p. 724.
12. Ibid., p. 733.
13. Ibid., p. 734.
14. Ibid., p. 708.
15. Ibid., p. 737.
16. Ibid., p. 719. Sur Érasme critique des reliques, en vis-à-vis de Calvin, voir Marie Barral-Baron, « Érasme et Calvin au prisme du Traité des reliques », BSHPF 156 (2010), p. 349-371.
17. Érasme, Le manuel…, op. cit., p. 578 (5e canon). En 1529, scandalisé par les violences iconoclastes qui ont accompagné l’introduction officielle de la Réforme à Bâle, Érasme quitte la ville et, en 1530, lance une charge contre les « pseudoévangéliques » iconoclastes (voir Marie Barral-Baron, op. cit., p. 367-370).
18. Ainsi, en 1522, parut à Augsbourg, en allemand, un pamphlet à succès, Von Walfart Erasmi Rotdterdami. Vermanung wo Christus und sein reich zu suchen ist. Pour critiquer la pratique des pèlerinages, l’éditeur avait traduit un extrait de la préface d’Érasme à son Nouveau Testament de 1520. En 1536, Thomas Cromwell fit traduire et publier à part le Colloque d’Érasme,The pilgrimage of Pure Devotion, à l’appui des Injonctions royales, ordonnant au clergé de ne pas exposer « any images, relics or miracles for any superstition or lucre ».
19. Heinrich Bullinger, De origine erroris libri duo, Zurich, 1539, f. 153.
20. Carlos M.N. Eire, War against the Idols, Cambridge : Cambridge University Press, 1986, p. 52.
21. « Bildersturmen » : mot appliqué par Luther aux événements de 1522 à Wittenberg et aux « prophètes célestes » qui les ont encouragés.
22. Sur l’attraction entre images et reliques depuis le xiiie siècle, voir Jean-Claude Schmitt, « Les reliques et les images », dans Édina Bozoky et Anne-Marie Helvetius (éd.), Les reliques, objets, cultes,symboles, Turnhout : Brepols, 1999, p. 151ss. – Quelques exemples de destructions de reliques à Buchholz, à Magdebourg et à Strasbourg, en 1524, dans Thomas Kaufmann, Histoire de la Réformation. Mentalités, religion, société, Genève : Labor et fides, 2014, p. 250-254.
23. Peter Jezler, « Des bonnes œuvres à l’iconoclasme réformateur », dans Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, op. cit., p. 20-27.
24. Des bonnes œuvres, dans Martin Luther, Œuvres, I, éd. Marc Lienhard et Matthieu Arnold, Paris : NRF-Gallimard, 1999, p. 449.
25. Frédéric le Sage ne se défera que lentement de sa passion pour les reliques. Il les fera encore exposer en 1522-1523, puis fermera sa collection. C’est seulement après sa mort que les reliques de l’église du château seront détruites, les reliquaires fondus ou vendus, en 1526-1528.
26. Von Abthung der Bylder und das keyn Betdler unther den Christen seyn soll. Déjà en juillet 1521, Karlstadt avait fait soutenir à ses étudiants de Wittenberg des thèses appelant à la destruction des images du Christ, de la Vierge et des saints (Carlos Eire, op. cit., p. 57).
27. Voir Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, op. cit., p. 70-71 et 294.
28. Martin Luther, 3e et 4e Sermons d’Invocavit, mars 1522, dans Œuvres, I, op. cit., p. 1104-1110.
29. Epistel oder Unterricht von den Heiligen an die Kirche zu Erfurt, juill. 1522. Voir l’analyse de Hartmut Kühne, « “Die do lauffen hyn und her, zum heiligen Creutz zu Dorgaw und tzu Dresen…”. Luthers Kritik an Heiligenkult und Wallfahrten im historischen Kontext Mitteldeutschlands », dans « Ich armer sundiger mensch ». Heiligen- und Reliquienkult am Übergang zum konfessionellen Zeitalter, hg. von Andreas Tacke, Göttingen, 2006, p. 499–522.
30. Voir Hartmut Kühne, op. cit.
31. Ein Urteil Gottes unser eegemahels wie man sich mit allen götzen und bildnussen halten soll, Zurich, 24 sept. 1523. Sur d’autres pamphlets suisses attaquant le culte des reliques et le clergé « mangeur de morts », voir Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, op. cit., p. 292-293.
32. Ein kurtze und christenliche Inleitung, Zurich, 1523. Trad. fr. Brève instruction chrétienne, Genève : Labor et fides, 1953, p. 39-44.
33. De statuis et imaginibus, f. 428-438.
34. Bâle : Thomas Wolff, 1529. Préface de H. Bullinger à Ambroise Blaurer de Constance.
35. Voir la lettre de Bèze à Bullinger, 1550 : « tu m’as fait connaître la vraie piété, tirée de la parole de Dieu, sa source la plus pure » ; cf. une autre lettre de Bèze à Bullinger, 1568 : « Si je connais le Christ, autant dire si je vis, c’est pour une grande part à ton livre que je le dois, lu jadis à Bourges en 35, chez mon bon maître Melchior Volmar. C’est en le lisant, et particulièrement ce que tu dis des mensonges de Jerôme, que le Seigneur m’a ouvert les yeux, pour que je contemple la lumière de la verité. » (cité par Henri Meylan, « La conversion de Bèze ou les longues hésitations d’un humaniste chrétien », dans D’Érasme à Théodore de Bèze, Genève : Droz, 1976, p. 154).
36. La première édition, en 1533, est de Neuchâtel chez Pierre de Vingle, de même qu’une autre datée de 1534. Huit éditions ont suivi, entre 1541 et 1582, toutes de Genève.
37. Les Actes de la Dispute de Lausanne (1536), éd. Arthur Piaget, Neuchâtel, 1928, p. 145.
38. Sur les discours théologiques de Farel, Marcourt, Viret et Calvin, dans leur contexte genevois (et pour Viret, vaudois), voir Christian Grosse et Daniela Solfaroli Camillocci, « Réaménager le rapport au sacré : les reliques dans l’iconoclasme et la polémique religieuse aux premiers temps de la Réforme genevoise », dans Philippe Borgeaud, Youri Volokhine (éd.), Les objets de la mémoire. Pour une approche comparatiste des reliques et de leur culte, Berne : Peter Lang, 2005, p. 285-324.
39. De origine erroris libri duo… : in priore agitur de Dei veri iusta invocatione & cultu vero, de Deorum item falsorum religionibus & simuachrorum cultu erroneo : in posteriore disseritur de institutione & vi sacrae Coenae domini & de origine ac progressu Missae Papisticae, contra varias superstitiones pro religione vera antiqua & orthodoxa, Zurich : Froschauer, 1539. Cette 2e édition sera traduite en français à Genève, en 1549, puis en 1560.
40. De origine erroris libri duo…, op. cit., f. 70v. Cf. Bullinger, Confession helvétique postérieure (1560) : Ch. V, « De l’adoration, service et adoration de Dieu » : aux reliques sont opposées les vraies « reliques » que sont « les vertus, la doctrine et la foy » des « saincts anciens ».
41. Voir le chapitre « Le monde à l’empire », dans Pierre Viret, les Dialogues du desordre qui est à present au monde, Genève [Jean Girard], 1545, plusieurs fois réédité.
42. Pierre Viret, De la difference qui est entre les superstitions et idolâtries des anciens gentilz et payens, et les erreurs et abuz qui sont entre ceux qui s’appellent Chrestiens, et de la vraye maniere d’honorer Dieu, la Vierge Marie et les Sainctz, Genève : Jean Girard, 1542, F5 r.
43. Ibid., F7r,v.
44. Ibid., F6v-F7 r.
45. Cf. Guillaume Farel, Sommaire [1534], ch. 27, « De l’adoration et service des sainctz ». – Sur Viret, précurseur, avec Bullinger, de l’ethnographie religieuse, voir Olivier Pot, « Viret aux origines des sciences religieuses : de la mythologie à l’ethnographie », dans Karine Crousaz et Daniela Solfaroli Camillocci (éd.), Pierre Viret et la diffusion de la Réforme, Lausanne : Éditions Antipodes, 2014, p. 101-125, spt 118-120.
46. Pierre Viret, De la difference qui est entre les superstitions et idolatries, op. cit., H8r.
47. Ibid., G1v-G3r.
48. Ibid., H7v.
49. Ibid., H2v.
50. Ibid., H4r.
51. Ibid., H5v.
52. Ibid., I2v.
53. Ibid., H8v.
54. Ibid., I2r.
55. Ibid., BBv.
56. Ioannis Calvini Opera quae supersunt omnia, éd. G. Baum, E. Cunitz, E. Reuss, Brunswick-Berlin, 1863-1900 (ci-après CO), VI, 409-452.
57. CO, VI, 409.
58. Sur le culte des reliques comme « mal radical » dans le traité de Calvin, voir Pierre-Antoine Fabre, Mickaël Wilmart, « Le Traité des reliques de Jean Calvin (1543). Texte et contextes », dans Philippe Boutry, Pierre-Antoine Fabre, Dominique Julia (éd.), Les reliques modernes. Cultes et usages chrétiens des corps saints des Réformes aux révolutions, Paris : Éditions de l’EHESS, 2009, I, p. 54 s.
59. CO, VI, 409.
60. CO,VI, 411.
61. Ibid.
62. Ibid.
63. Ibid.
64. CO, VI, 412.
65. CO, VI, 413. Dans Les actes de la journee imperiale, […] sur les differens qui sont aujourdhuy en la Religion, 1541, Calvin a exposé, pour l’approuver, la position tranchée de Bucer au colloque de Ratisbonne, au sujet des « abus », entre autres des reliques des saints (CO, V, 549-551).
66. « Ouvrir les yeux » : thème récurrent dans le traité de Calvin, cf. CO, VI, 423, 426, 435, 437, 444, 450, 451.
67. CO, VI, 413.
68. CO, VI, 446.
69. CO, VI, 415.
70. CO, VI, 413.
71. CO, VI, 415.
72. CO, VI, 434.
73. CO, VI, 416.
74. Petit traicté, monstrant que c’est que doit faire un homme fidele congnoissant la verité de l’evangile : quand il est entre les papistes, [Genève, Jean Girard], 1543 (CO, VI, 546).
75. CO, VI, 414.
76. CO, VI, 451.
77. En 1543, les tractations entre François Ier et les princes protestants allemands n’étaient pas encore enterrées, non plus que les projets d’un concile national sous l’égide du roi.
78. Sept éditions du vivant de Calvin, outre deux en latin (avec une introduction de Nicolas des Gallars, 1548), trois en allemand (1557-1560) et une en anglais (1561).
79. Calvin a repris le sujet des reliques, pour un public plus savant, voire académique, en quelques paragraphes de l’Institution de la religion chrétienne, en 1551 et surtout en 1559-1560 (I, XI, §8 ; I, XII, §1-3 ; IV, XIII, §15).
80. Viret a lui-même republié son traité de 1542, remanié et augmenté, d’abord en 1551 (traduit en latin en 1552) et à nouveau en 1559.
81. Calvin et Viret ont d’ailleurs veillé à la publication de la traduction en français du De origine erroris de Bullinger : La source d’erreur […] pour oppugner diverses sortes de superstitions, et pour la defense de la vraye, ancienne et pure religion, Genève : Jean Girard, 1549 (Viret à Bullinger, janvier 1550, dans CO, XIII, 511).
82. Voir l’adresse de Crespin « à tous fidèles », en tête de la 1re édition, 1554 : « Que tous fideles, dy-je, soyent admonestez […] de ne mettre plus en oubly les morts heureuses précieuses de ses enfans : mais de réduire fidelement en mémoire tout ce qu’ils en pourront avoir entendues […], non point de leurs os, ou de leurs cendres, à la façon de ce basilic forgeur d’idoles & monstres nouueaux : mais leur constance, leurs dicts & escrits, leurs responses, la confession de leur foy, leurs parolles & adhortations dernieres ». Et la préface de Crespin pour l’édition de 1570 : « Ne nous amusons point de faire réserve de leurs cendres, ou de leurs ossemens, ce sont choses mortes ; mais revoyons-les vivans en leurs responses, Epistres & disputes, & aux mémoires de leur constance ».
83. Voir aussi l’Histoire de la Mappe-Monde papistique de Jean-Baptiste Trento (1566) : où la « montagne des reliques » est pleine de « corps morts puants et infects »…, éd. Frank Lestringant et Alessandra Prada, Genève : Droz, 2009.
84. Voir Dominique Julia, « L’Église post-tridentine et les reliques. Tradition, controverse et critique (xvie-xviiie siècle), in : Les reliques modernes, op. cit., I, p. 69-121.
85. Robert Bellarmin, Disputationes de Controversiis Christianae Fidei adversus hujus temporis Haereticos : 1re partie : t. I, 7e controverse « De ecclesia quae triumphat in coelis, liv. II De reliquiis et imaginibus sanctorum ».
86. Ad Roberti Bellarmini disputationes theologicas de rebus in religione controversis Lamberti Danaei responsio, Genève : Jean Le Preux, 1596, p. 1340-1360.
87. Cette hypothèse est peut-être affaiblie par la réédition du recueil en 1601.
88. Voir Denis Crouzet, « Sur le désenchantement des corps saints au temps des troubles de Religion », dans Les reliques modernes, op. cit., 2009, t. II, p. 435-482.
89. Craig Koslofsky, The Reformation of the Dead : Death and Ritual in Early Modern Germany, 1450-1700, London : Macmillan, 2000. Pour schématiser la thèse : après la première révolution de la mort, au ive siècle, avec le culte des martyrs qui fait rechercher l’inhumation « ad sanctos », près du corps des saints, une double séparation se fait jour au début de la période moderne : d’un côté, l’expulsion des cimetières hors des villes, loin des vivants ; d’un autre côté, le rejet du purgatoire, des messes pour les morts et des indulgences.