Marie-Claude ROCHER, Marc PELCHAT, Philippe CHAREYRE et Didier POTON (dir.), Huguenots et protestants francophones au Québec. Fragments d’histoire, Montréal : Éditions Novalis, 2014, 343 p.
Huguenots et protestants francophones au Québec. Fragments d’histoire est avant tout un beau livre sur un sujet qui mérite toute notre attention, notamment parce que trop longtemps négligé. Partiellement issu d’un colloque et d’une exposition tenus au Québec en 2008, cet ouvrage, richement et bellement illustré, offre des contributions signées par des auteurs français et canadiens renommés. Jusqu’aux années 1990, les huguenots au Canada francophone, trou noir historiographique, n’était pas un sujet. Depuis cette décennie, le renouvellement et l’internationalisation de l’histoire de la Nouvelle-France et le renouveau des études sur le Refuge, ces deux phénomènes étant largement impulsés par le succès de la nouvelle histoire atlantique, ont exhumé et légitimé cette présence protestante, par ailleurs difficile à identifier et à cerner. Comme l’écrit Marie-Claude Rocher dans son essai introductif, « étudier les franco-protestants du Québec, c’est souvent étudier l’absence » (p. xviii).
Rappelons les grandes lignes de cette histoire. Les protestants participent activement à l’exploration française du continent américain au xvie siècle et sont pleinement impliqués dans les tentatives de colonisation au Brésil et en Floride au milieu du siècle. Parallèlement, ils animent la guerre de course contre les puissances ibériques dans l’espace atlantique. Puis en 1627, ils sont interdits d’« hivernage » en Nouvelle-France, ne pouvant y séjourner que de manière saisonnière. Cet interdit n’empêche nullement des huguenots de rester... Mais ils sont très minoritaires et doivent se montrer ô combien discrets. Au moment du Refuge, les portes de la Nouvelle-France ne leur sont toujours pas ouvertes, au grand dam de certains historiens, notamment au xixe siècle et dans la première moitié du xxe, qui y voient un apport démographique manqué. Rien n’est moins sûr. Peu de réfugiés ont traversé l’Atlantique et rien ne dit qu’ils se seraient installés en masse sous ces latitudes septentrionales. Cela dit, comme l’écrit Marc Pelchat, le protestantisme français en Nouvelle-France, puis au Québec, à l’époque moderne constitue une présence certes combattue mais continue (p. 251). Le protestantisme francophone, suisse notamment, ressurgit avec vigueur au Québec au milieu du xixe siècle. Enfin, depuis les années 1960, on assiste à une consolidation mais aussi un éclatement de cette présence protestante francophone.
La première partie du livre rappelle les fondamentaux de la Réforme et de l’histoire du protestantisme français, de Calvin au Refuge, avec notamment un gros plan sur Henri IV et l’édit de Nantes. La seconde partie déplace le projecteur vers la Nouvelle-France et les liens migratoires, commerciaux, militaires, littéraires et familiaux que les huguenots entretiennent avec celle-ci, du xvie au xviiie siècle. De manière originale et complète, les troisième et quatrième volets abordent la question de la présence mémorielle, bibliographique, archivistique, onomastique, toponymique, patrimoniale et muséale des franco-protestants au Québec, avec l’étude de lieux de mémoire, d’institutions, de journaux, d’objets, d’ouvrages, de noms de lieux et de personnes. Notons que l’ensemble de l’ouvrage offre de belles vignettes biographiques tout au long de cette histoire fragmentée.
Le lecteur français sera sans aucun doute particulièrement intéressé par la partie de l’ouvrage qui porte sur l’héritage franco-protestant au Québec, ce que les Américains appellent legacy, et la difficulté de l’identifier et de le préserver. Car dans un environnement historique et culturel où langue égale religion, les protestants sont nécessairement anglophones et les catholiques francophones... Les franco-protestants, composés de convertis et de protestants français et suisses, sont donc doublement minoritaires : au sein d’une population francophone massivement catholique et d’une population protestante largement anglophone. En 2011, les franco-protestants représentent 7 % de la population québécoise, répartis dans une myriade d’Églises (tableau p. 308-309).
Ce beau livre offre, en tissant habilement ces fragments d’histoire les uns aux autres, un panorama complet des liens entre le protestantisme français et le Québec et sur l’histoire, la mémoire et la présence des franco-protestants dans cette province du Canada.
Bertrand VAN RUYMBEKE