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Annie GUTMANN et Pierre SULLIVAN (dir.), Résister et vivre. Au croisement des disciplines et des cultures. Colloque de Cerisy (juillet 2008), Paris : Ophrys, 2010, 302 p.

En 2008, s’était tenu au Centre culturel international de Cerisy un colloque sur le thème de la résistance. Ce colloque avait réuni plusieurs personnalités éminentes dans leur discipline, lesquelles étaient nombreuses, de la musique à la biologie, de la psychanalyse à la linguistique. Les textes qui en sont issus sont quelquefois des témoignages, d’autres fois extrêmement théoriques. Mais le point commun est l’essence même de la résistance, à la fois un refus et une affirmation. Pour notre revue, nous nous bornerons à étudier les trois communications qui concernent les religions. Un jésuite, Marc Rastoin, examine les premiers chrétiens entre résistance et soumission face à Rome. Saint Paul prêche l’obéissance aux autorités civiles qui sont, écrit-il, « des instruments de Dieu pour te conduire au bien », mais en même temps — contradiction — le christianisme est né d’une prédication prophétique, « contestatrice de l’ordre établi », aux valeurs subversives. C’est ce qui explique les persécutions que les chrétiens ont dû subir malgré leur désir d’être intégrés dans l’Empire romain.

Le rabbin Daniel Farhi s’attache, lui, à « la résistance spirituelle » avant la Shoah : les Responsa. Les Juifs ont toujours eu l’habitude de poser des questions à leurs rabbins. Ces questions et réponses, jusqu’à la fin du ve siècle, constituent le Talmud. Puis ces responsa ont rempli des volumes de jurisprudence. Or, pendant les persécutions de la dernière guerre, les fidèles ont continué à interroger, pas par des questions théoriques, mais en posant des cas très concrets, voulant savoir, dans les conditions atroces de leur vie, quelle était la loi religieuse qu’ils devaient suivre. Ces responsa témoignent de leur quête spirituelle. Appliquer exactement la loi de Dieu était pour eux « résister », la résistance de l’Esprit pour affronter la mort dans la dignité. Ainsi pouvaient-ils aller à la mort en récitant des prières, de même que certains résistants chantaient la Marseillaise en allant être fusillés — ou des pasteurs du Désert des Psaumes...

La communication la plus longue est celle d’André Encrevé sur « La résonance de l’idée de résistance dans le protestantisme français aux xixe et xxe siècles ». Son texte débute évidemment par l’évocation de Marie Durand. Mais il montre aussitôt que la résistance est l’essence même du protestantisme. Luther est le premier qui a dit « non », non à l’Église telle qu’elle était devenue, au pape, aux conciles ; puis c’est Calvin qui va bien plus loin en exposant le droit pour tout chrétien de résister au « tyran », le droit de désobéir à des lois qu’il considère comme injustes. L’histoire des huguenots est celle d’une résistance, soit qu’ils aient quitté la France, soit qu’ils aient tenté de garder leur foi au Désert, au risque, s’ils étaient pris lors d’une assemblée, des galères pour les hommes, de la prison pour les femmes et du gibet pour les pasteurs. Ainsi rejoint-on les Durand, Pierre, pendu, et Marie, enfermée trente-huit ans, refusant avec constance de dire « j’abjure ».

André Encrevé développe ensuite l’adhésion des protestants à la Révolution, comme plus tard à la République, le dreyfusisme du plus grand nombre, l’entrée précoce de beaucoup dans la résistance, l’assistance aux Juifs pendant la guerre, insistant sur le sentiment d’une communauté de destin et de souffrances entre eux et les huguenots. Constatant la précocité de la résistance protestante à la propagande de Vichy, René Rémond écrit : « [Le protestant] tient de ses ancêtres une tradition de résistance et de désobéissance au pouvoir injuste. Il vaut mieux obéir à Dieu et à sa conscience qu’aux hommes. » On comprend que le mot attribué à Marie Durand ait été un symbole, et même un mot d’ordre, pendant la guerre, ou encore que Patrick Cabanel ait pu écrire « un petit livre intitulé La Tour de Constance et le Chambon-sur-Lignon », la résistance, au cœur de l’identité protestante, étant le lien spirituel entre ces deux lieux.

Nous nous sommes bornés à étudier ces trois communications, mais ce volume est d’une grande richesse. Signalons encore le chapitre « La non-violence est-elle une résistance ? » où sont évoqués, outre Gandhi bien sûr, André et Magda Trocmé et Martin Luther King.

Gabrielle CADIER-REY