Didier POTON et Raymond A. MENTZER (dir.), Agir pour l'Église. Ministères et charges ecclésiastiques dans les églises réformées (XVIe-XIXe), Paris : Les Indes savantes, collection Rivages des Xantons, 2014, 280 p.
Sous ce titre sont réunies quinze contributions (certaines en anglais) de longueur inégale, présentées lors d’un colloque qui s’est tenu à La Rochelle en juin 2009, pour étudier le fonctionnement des paroisses, dans le cadre de l’Église. La Réforme a bouleversé la conception de l’Église en affirmant le principe du sacerdoce universel qui théoriquement rend égaux tous les fidèles. Certes le pasteur exerce un ministère, celui de la parole, mais non un magistère, et le gouvernement de la communauté est confié à un groupe d’hommes, les « anciens ». Ceux-ci composent le consistoire dont les activités ont tendance à se diversifier. Après Luther, Calvin distingue, à côté du pasteur, trois autres ministères, les docteurs qui enseignent la doctrine chrétienne, les diacres qui s’occupent des pauvres et des malades, et les anciens qui exercent une surveillance sur les fidèles. Voir comment ces principes calviniens ont été appliqués de la Réforme à la guerre de 1914, en France et dans d’autres pays, tel était l’objet de ce colloque. André Encrevé, dans sa longue introduction, a montré, pour la France, les permanences et les évolutions de ces principes notamment au xixe siècle.
Certaines communications ont les seuls pasteurs comme objet, comme celle de Scott M. Manetsch qui décrit les pasteurs convoqués par le Consistoire de Genève (deuxième moitié xvie siècle) en raison de leur conduite ; ou celle de Julien Léonard sur la difficile succession du pasteur Paul Ferry à Metz. Ce sont aussi des cas personnels qu’étudie Judith P. Meyer avec trois pasteurs de Courthezon, entre 1617 et 1640, soulignant l’importance que leur propre caractère a eue pour leur influence et leurs relations dans le monde réformé. Alain Joblin montre des pasteurs bien implantés parmi les élites économiques et sociales dans le Calaisis. Céline Borello nous fait revivre une dynastie pastorale, sans doute la seule de la France du xviiie siècle : les Rabaut, le père Paul, ses trois fils, et la mère aimante et malheureuse de par toutes les épreuves subies. Le surnom de Saint-Étienne, premier martyr chrétien, qui est donné à Jean-Paul, l’aîné, est « le signe le plus fort de cette conscience martyre familiale intériorisée ». Et si l’élection de Rabaut-Saint-Étienne à la présidence de l’Assemblée Nationale, le 14 mars 1790, pouvait apparaître comme une revanche sur les persécutions subies par les huguenots, son exécution, elle, a répondu à son surnom prémonitoire... Quant à Françoise Moreil, c’est une étude originale sur les femmes de pasteurs de la Principauté d’Orange qu’elle nous livre, essayant, malgré une documentation très lacunaire, d’en dresser un portrait-type, celui de femmes appartenant à une élite sociale, mères de familles nombreuses, et subissant auprès de leur époux « les aléas de temps difficiles ».
La plupart des communications concernent les relations des pasteurs avec leurs fidèles. Timothy Fehler montre les problèmes que posent, au xvie siècle, dans la calviniste cité d’Emden (Allemagne), les pasteurs réfugiés pour la distribution des aumônes, du fait même de leur propre pauvreté. À quoi ont-ils droit ? De par leur statut, peuvent-ils émarger (eux ou leur veuve) à la caisse des pauvres ? La Suisse a droit à plusieurs études. On a vu le Consistoire de Genève contrôler la conduite des pasteurs. Celle des fidèles est étudiée, à la même époque, par Jeffrey R. Watt, tandis que Danièle Tosato-Rigo s’attache à la mission des pasteurs dans l’éducation pendant la période révolutionnaire. Dans le même sens, Nicole Staremberg s’interroge sur le rôle des pasteurs dans la lutte contre la laïcisation de la société et le relâchement des mœurs, en république de Berne, à l’époque des Lumières.
Plusieurs communications étudient les relations entre les pasteurs et les diacres. Si Marianne Carbonnier-Burkard s’interroge d’un point de vue national sur le sens des quatre offices calviniens, Philippe Chareyre les étudie concrètement, pour la Nîmes des xvie et xviie siècles. Il remarque que dans cette ancienne cité romaine les diacres appartiennent aux élites sociales et qu’ils ont cherché à élargir leurs attributions, en particulier en distribuant la Cène aux côtés du pasteur. Ainsi, s’il existe une norme définie par la Discipline des Églises réformées et rappelée par les synodes successifs, localement, la charge de diacre recouvre des réalités différentes. Quant à l’Église française de New York, elle vit de tels conflits et tensions entre les pasteurs, les consistoires et les fidèles, que ceux-ci s’en détournèrent et passèrent souvent à l’anglicanisme.
Tous ces articles concernent la période moderne. Les deux derniers étudient deux ministères à l’époque contemporaine : assistance et enseignement, tenus au xixe siècle assez loin des fonctions définies par la Discipline du xvie siècle. Le titre seul de Nicolas Champ, « Le diaconat du xixe siècle (1802-1905) : un acteur de reconstruction du tissu ecclésial et de la charité réformés. Le cas de la Charente inférieure », montre à travers un exemple local l’importance qu’ont pu avoir les diaconats, même s’ils étaient parfois concurrencés par les Sociétés (de charité) des dames protestantes. Quant à l’enseignement, évidemment confessionnel (même dans le public jusqu’en 1882), il est étudié par Hélène Lanusse-Cazalé dans le sud-aquitain. Elle montre les relations complémentaires entre les pasteurs et les instituteurs, ces derniers pouvant quelquefois assurer le culte. Ce sont aussi les instituteurs qui doivent apprendre aux enfants les versets de l’École du dimanche. Avec la laïcisation, les écoles protestantes vont, comme ailleurs, partout fermer, les parents ne voyant pas la nécessité de les conserver, sauf parfois pour les filles ou les tout-petits. Les pasteurs exclus de l’enseignement laïque vont alors se concentrer sur les Écoles du dimanche et du jeudi.
La richesse des archives consistoriales qui a permis ces quinze études laisse espérer d’autres recherches comme le suggèrent les deux directeurs de ce recueil, Didier Poton et Raymond A. Mentzer.
Gabrielle CADIER-REY