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Beatrice JAKOBS, Conversio im Zeitalter von Reformation und Konfessionalisierung. Écrit de conversion als neue literarische Form, Berlin : Duncker & Humblot, 2015, 451 p.

Ce livre est issu d’une thèse, et il en porte les marques : caractère systématique de l’étude, bibliographie (ajouter l’article « Conversion », dû à Marie-Thérèse Hipp, du Dictionnaire du Grand siècle) notamment des écrits examinés, index des passages bibliques, et transposition de deux des textes étudiés. Le corpus de ces écrits de conversion correspond à la période qui va de la suite de la seconde guerre de religion (1570-1660) jusqu’aux prodromes de la Révocation de l’édit de Nantes. Deux pics apparaissent, après l’édit (1600-1605) et autour de la dernière guerre (1620-1623 et 1629-1630), dans un ensemble généralement marqué par une constance étonnante des idées et du style. Cette chronologie du corpus, qui implique la confessionnalisation de la foi, la coexistence de deux institutions ecclésiastiques séparées et antagonistes et la possibilité de déclarer publiquement le passage de l’une à une autre confession, est déjà significative. Avant et après, les contextes sont trop différents pour que les textes évoquant un passage à l’autre communauté de foi (essentiellement, avant 1570, et à la Réforme) puissent relever de cette série, qui possède des traits propres. Sur les 54 écrits de conversion repérés et retenus (à quoi s’ajoutent des rééditions), 21 font état d’un passage du catholicisme aux Églises réformées de France contre 33 dans le sens contraire. Le fait du caractère majoritaire, dans le royaume de France, du catholicisme explique en grande partie ce relatif déséquilibre ainsi que la disparition du genre après 1660, quand se pose la question de la survie des réformés comme communauté. Ces chiffres (donnés p. 275-277) devraient faire l’objet d’explications plus claires par rapport au tableau fourni p. 451, par exemple au moyen d’une section particulière dans le cadre de la bibliographie des sources. L’écrit de conversion est donc envisagé comme « nouvelle forme littéraire ». Le corpus prend place dans une très longue histoire de la notion de « conversion » chrétienne et du témoignage dans ce registre, qui va de certains récits bibliques à la littérature la plus actuelle. La « forme littéraire » qui permet d’isoler le corpus comme une série particulière et cohérente dépend donc de déterminations entièrement historiques, celles de la France politico-religieuse du second xvie et du premier xviie siècle. « Forme » n’a donc pas un sens formaliste ou poético-littéraire, mais désigne une sorte de genre éditorial, celui d’un texte court (rarement plus de 30 pages), fréquemment anonyme, destiné à la publication, dont le contenu et l’écriture, à caractère informatif et de propagande, s’épuisent dans les fonctions de témoignage personnel (ou prétendu tel) qu’ils assument dans une société particulière à un moment donné, et qui identifie conversion au sens spirituel avec la conversion au sens confessionnel. Il n’est par conséquent pas question des formes ultérieures de témoignage personnel qui impliquent, elles, des manières d’écrire autobiographiques et les modalités modernes de subjectivité qui leur sont liées. C’est justement un des objectifs de cette thèse que de montrer pourquoi il est inadéquat d’attendre des textes en question des points de vue et des expressions qui ne seront possibles et actualisés que postérieurement, dans d’autres contextes. En outre, ce n’est pas le caractère parfois stéréotypé des écrits en question qui le constitue en « forme », et des variations notables se constatent selon les textes et le sens (catholique versus réformé) du changement de la confession. Dès lors, ce sont, avec l’existence du corpus dont il reste à définir la fonction, ces variations qui font sens dans le cadre du genre de discours en question.

Le livre est bien sûr attentif aux différences entre les témoignages catholiques et réformés ; elles s’expliquent par des raisons de fond, mais aussi du fait du caractère dissymétrique des situations respectives (majoritaire/minoritaire, etc.) des deux communautés rivales. La première partie situe ce corpus dans le très vaste contexte des différents aspects de la notion de conversion, en remontant à la Bible, afin de déterminer les modèles de discours déjà disponibles. La suite établit ce contexte sur le plan sociopolitique et ecclésiastique, car c’est lui qui rend possible et nécessaire l’émergence de la forme en question. La dernière partie étudie le langage de la conversion tel qu’il ressort de ces textes. La première partie semble parfois très éloignée de ceux-ci, tant le panorama dressé s’efforce de prendre en compte sur la longue durée également les divers véhicules médiatiques de la notion de conversion. Elle le fait d’abord en fonction des grands modèles disponibles, bibliques et patristiques (saint Augustin) jusqu’à la période de la Réforme et de la Contreréforme : la prédication médiévale et ses suites, la musique ecclésiastique, les images plastiques et le théâtre religieux, qui est un bon observatoire, dans les années 1530-1550, de la confessionnalisation de la notion de conversion. C’est bien sûr l’idée de changement de vie par une conversion à Dieu (se détourner du monde, faire pénitence), qui l’emporte, et qui n’entretient pas de rapport direct avec le fait moderne du changement d’appartenance confessionnelle, alors que cette idée va marquer justement l’expression confessionnelle de ce changement. Cette partie, qui s’appuie sur les travaux disponibles tout en relisant de première main les sources retenues, contient des mises au point utiles, parfois originales. La suite de cette partie (« Sujets hérétiques ou brebis égarées » ?) porte sur le cadre institutionnel (cérémonies d’abjuration, etc.), social et humain des changements de confession et sur les motivations des acteurs : peur ou force, opportunisme ou loyalisme politique envers le souverain catholique, besoins spirituels enfin, sans oublier le contexte des « conférences » entre théologiens catholiques et réformés, de leurs objectifs et de leurs effets attendus en matière de conversion. La notion d’hérésie est ici déterminante sur tous les plans, des deux côtés, mais particulièrement du côté catholique. On trouve p. 173-174 une formulation exagérée et inexacte des limites imposées aux réformés en matière d’expression de leur foi sous le régime de l’édit de Nantes, comme si c’était les mêmes que celles de l’édit de Chateaubriand (édit de persécution de 1551). La dernière partie, proprement littéraire, insiste sur certains caractères thématiques et rhétoriques qui résultent des intentions poursuivies par les auteurs de ces publications (qu’il s’agisse des convertis ou de leurs mentors) et des conditions de sa réception (culture d’un public ordinaire) et de son succès. La forme fréquente de la lettre, le caractère non savant du discours et de ses références, l’inspiration (celle d’une propagande édifiante), les images communes (lumière/obscurité), mais aussi les particularités du discours catholique et de son vis-à-vis protestant, sont référés notamment aux éléments établis dans la première partie, en particulier aux passages bibliques sollicités comme modèles implicites ou explicites. La brebis égarée et le fils prodigue appartiennent généralement au répertoire catholique, du fait que la conversion y est envisagée comme réintégration dans la communauté authentique, alors que la « conversion » de saint Paul est un thème commun aux deux confessions, et que le renoncement aux biens de ce monde est un thème typiquement réformé, pour des raisons, entre autres, sociales (il est plus difficile à cette époque en France de devenir réformé que catholique !), mais aussi théologico-spirituelles (conception calvinienne de la conversion-pénitence). La conversion est aussi un phénomène mis en spectacle de propagande, conformément aux pratiques de l’époque, et qui concerne au moins autant l’ensemble de la population que l’individu en question. La fin traite du thème de la conversion dans les œuvres littéraires de nature religieuse de l’époque. Le problème énorme que pose la définition des limites de ce corpus ainsi élargi n’est pas résolu de manière satisfaisante, mais ce n’est pas grave, car on n’est plus tout à fait dans le sujet circonscrit traité par l’auteur. Il faudrait par exemple tenir compte également des œuvres de fiction romanesque contemporaine traitant du thème, et il n’y a pas que Jean-P Camus ou, après la Révocation, le recyclage de certains textes dans le Mercure Galant. Ce genre d’écrit constituait donc une sorte de test, dirions-nous, individuel et collectif, destiné à rappeler, dans le registre particulier qui est le sien, les marques des confessions en concurrence à l’intention d’une assez large opinion publique de lecteurs. Sur le plan littéraire, il est classé parmi les genres mineurs non-canoniques, et il apparaît ici, grâce à cette étude approfondie et minutieuse, dans toute sa singularité.

Olivier MILLET