Martin LUTHER, Les Quatre-Vingt-Quinze Thèses (1517), Débat universitaire destiné à montrer le pouvoir des indulgences, introduction, traduction et notes de Matthieu Arnold, Lyon : Olivétan, 2014, 80 p.
Le présent titre est une édition revue et augmentée d’un petit ouvrage paru pour la première fois en 2004 et déjà épuisé depuis quelque temps. Dans la perspective des commémorations de 2017, il faut savoir gré à Matthieu Arnold et aux éditions Olivétan d’offrir au lecteur une nouvelle version de cette présentation à la fois ramassée et substantielle d’un des textes fondamentaux — dans tous les sens du terme ! — du protestantisme. Dans la masse des événements et des publications envisagées pour le demi-millénaire de la Réforme, le risque est grand, en effet, que la signification historique de ce texte disparaisse derrière son rôle d’étendard identitaire. L’importante introduction de Matthieu Arnold (41 pages) qui précède les thèses de 1517 proprement dites permet de les replacer fort judicieusement dans leur contexte historique. Le propos s’articule autour de cinq thématiques centrales pour leur bonne compréhension : l’évolution de Luther jusqu’en 1517, les origines et le développement de la pratique des indulgences, le contenu et le style des 95 Thèses, leur rôle dans la naissance de la Réformation et, enfin, leur signification pour aujourd’hui. Ces différentes étapes permettent d’abord à l’auteur de rappeler quelques éléments importants concernant le fameux « tournant réformateur » de Luther — que Matthieu Arnold place en 1515-1516 (p. 11-12), suivant en cela les analystes les plus judicieux du jeune Luther. On découvrira ensuite comment, de simple remise d’une peine temporelle à la suite de la confession et d’une œuvre pieuse, l’indulgence en vint progressivement à être comprise comme un moyen de rachat de certaines peines censées s’effectuer dans le Purgatoire : au nom du fameux « trésor des mérites » dont l’Église militante était censée disposer (p. 19), il devint en effet possible à celle-ci de vendre, contre espèces sonnantes et trébuchantes, la remises des sanctions qui attendaient les pénitents dans le « troisième lieu » — pour user de l’expression de Luther lui-même. L’analyse des 95 Thèses elles-mêmes permet de mettre en évidence la finesse de l’approche de Luther sur l’arrière-plan ainsi dessiné : tout en donnant l’impression de ne pas remettre en cause la doctrine et la pratique des indulgences pour souligner simplement l’importance d’une pénitence sincère, le futur réformateur n’en vide pas moins celles-ci de toute substance au profit de sa théologie de la grâce. Par ailleurs, tout en réservant au pape des déclarations d’allégeance, Luther s’attaque avec force à son rôle dans ce parfait « business » qu’était devenu le commerce des indulgences. C’est du reste cette mise en cause d’une source importante de revenus pour la papauté qui fut cause de la réaction rapide et virulente de cette dernière et, partant, de la naissance du protestantisme. La dernière partie de cette introduction permet enfin de mesurer à quel point les idées avancées par Luther en 1517 sont encore d’actualité, du moins à en juger par ce que disait encore le Catéchisme de l’Église catholique de 1992 à propos de la pratique des indulgences (p. 44-46). La traduction des thèses qui est ensuite proposée au lecteur lui permettra de juger, grâce à une annotation soignée et pédagogique, de la valeur de ce grand texte de même que de son mordant.
Pierre-Olivier LÉCHOT